La chasse est aux mains de gens peu compétents et aux valeurs réactionnaires

Cael Collins
13/10/2018

 

Qui sont ces chasseurs qu’Emmanuel Macron lui-même courtise ? Les hérauts de la ruralité ? Les « premiers écologistes de France » ? Rien de tout cela, selon l’auteur de cette tribune, qui raconte comment une « caste » de chasseurs s’impose aux campagnes et combien est atterrante la qualité de la formation pour le permis.
Cael Collins est paysan en cours d’installation dans le sud de la France. Il a choisi de préserver son identité pour s’épargner la réaction de ses voisins chasseurs.

Le chemin du retour à la terre passe parfois par des sentiers biscornus. C’est sans doute un de ceux-ci qui m’amène aujourd’hui à être chasseur. Je n’ai pas le goût du sang, de la prédation, des armes, et cette activité ne sera jamais pour moi un loisir mais une activité de gestion du vivant. Néanmoins dans le contexte d’une vie rurale et agricole, le permis de chasse répond à deux préoccupations : gérer la pression de certaines espèces pouvant devenir nuisibles et, surtout, se prémunir de la malveillance d’organisations de chasse et de chasseurs qui ont aujourd’hui la mainmise sur les territoires ruraux.
Paysan en installation dans le sud de la France, j’ai très vite été mis face à la réalité de ce qu’est aujourd’hui la chasse sur mon territoire : « Tu ne fais pas de vagues sinon attends-toi à des ennuis. » Les ennuis pour les paysans aujourd’hui, ça passe aussi bien par des clôtures coupées, des attaques malencontreuses de chiens de chasse sur les bêtes que par une ostracisation pure et simple d’une partie de la vie locale. Problématiques que subissent aussi plus ou moins fortement tous ceux qui osent questionner les pratiques d’une partie des chasseurs.
Autour de la chasse se rejoue dans l’imaginaire de certains ruraux, l’idée d’une lutte contre une gestion par les urbains, par une élite, par les dominants culturels de leurs territoires. Les diktats de ceux « qui n’y connaissent rien à la campagne et qui de toute façon ne vivent pas ici ». Et je ne pourrais pas moi-même rejeter en bloc le mépris de classe qui a pu se glisser insidieusement dans la critique de la chasse qui est faite dans les milieux de gauche et dont le sketch des Inconnus sur la chasse à la bécasse est une parfaite illustration. Le tableau est simple et vite brossé pour ceux qui veulent s’en tenir aux clichés : la chasse serait une activité de beaufs bourrins, avinés et ignares.

Une caste de gens peu compétents, plus intéressés par le pouvoir que par la vie rurale et les territoires

Ayant passé mon permis de chasse, je suis bien obligé de reconnaitre que la chasse requiert, ou du moins devrait requérir, de nombreux savoirs naturalistes et qu’elle répond pour quelques espèces à des besoins concrets de gestion écologique des milieux.
Mais, depuis des années, nous avons laissé la chasse aux mains d’une caste de gens peu compétents, polarisés vers la droite et ses valeurs réactionnaires et par ailleurs plus intéressés par le pouvoir que par la vie rurale et les territoires. Aujourd’hui, la FNC (Fédération nationale des chasseurs) se targue dans sa belle campagne publicitaire d’être le bastion des premiers écologistes de France en nous présentant un sanglier sur l’affiche. On croirait une blague car pas un rural n’ignore que c’est notamment la gestion cynégétique catastrophique de cette espèce qui en fait aujourd’hui l’un des principaux nuisibles dans les campagnes. Un exemple parmi d’autres qui illustre le décalage entre la réalité de la majorité des territoires et la parole d’un lobby qui s’encombre peu des faits.

 
Un specimen du permis de chasse délivré par l’ ONCFS
La pratique de la chasse sur le modèle actuel pourrait ainsi conduire à la disparition de nombreuses espèces [1] et à la prolifération de quelques autres en raison de leur introduction systématique et intempestive. Pourtant, la France continue d’avoir une des législations les plus permissives d’Europe sur la chasse. L’organisation bien huilée du lobby de la FNC en fait un allié de choix pour n’importe quel politicien arriviste voulant redorer son image rurale. Ainsi, peu d’hommes ou de femmes politiques se sont risqués à réglementer cette activité.

La préparation du permis de chasse est un bon exemple en soi de l’accaparement de la chasse par les lobbys. Celle-ci est uniquement dévolue à la FNC, bien que l’ONCFS [Office national de la chasse et de la faune sauvage, organisme public] prenne en charge le passage de l’examen. Les deux demi-journées de « formation FNC » visant à vous permettre de porter une arme à feu se résument peu ou prou à un conditionnement benêt. On vous invite d’abord, plus ou moins cordialement, à apprendre par cœur les séries de questions posées à l’examen. Voilà en deux heures chrono, vous êtes sensés avoir été « formé » à l’ensemble des savoirs théoriques concernant la sécurité du maniement d’une arme à feu, la législation en vigueur et, bien sûr, les connaissances naturalistes sur les 64 espèces chassables en France. Pas de temps pour les questions, désolé.
La formation pratique a été un grand moment de dégoût presque risible si la pédagogie à la Full Metal Jacket du formateur FNC n’avait pas été aussi gênante. Une pédagogie expérimentale sans doute, consistant principalement à demander aux stagiaires de reproduire par cœur un parcours disponible sur YouTube en amont de la formation, comprenant notamment le démontage d’un fusil semi-automatique. Pour les personnes n’ayant jamais manié une arme, l’exercice s’est révélé plus qu’ardu. Et voyant que ses brimades n’avaient pas l’effet didactique escompté, le formateur a ensuite décidé de ne plus adresser la parole à ceux qui échouaient à reproduire le parcours. Mon expérience personnelle n’est certainement pas généralisable, mais cet exemple atterrant alarme néanmoins quant à la qualité des formations FNC.

Ces chasseurs qui envahissent nos campagnes le temps d’un weekend, s’imposant par leur argent

Bref, 46 € et trois demi-journées fortement déplaisantes, voilà ce qu’il en coûte pour devenir chasseur en France. L’objectif est clair pour la FNC : rajeunir une population adhérente vieillissante et grossir les chiffres du nombre de ses membres puisqu’on se doit d’adhérer au lobby pour pratiquer la chasse chaque année.

Sur la minorité que représentent les chasseurs au sein du monde rural [2], une partie qui tient les rênes de la FNC utilise cette pratique pour mener un combat idéologique anti-environnementaliste. Ces personnes ne vivent pas toutes en milieu rural, elles ne pratiquent pas une chasse locale sur leur territoire mais envahissent nos campagnes le temps d’un weekend, s’imposant par leur argent avec lequel elles achètent les autorisations de chasse, et opposant diverses incivilités à tous ceux qui auraient le toupet de vouloir leur rappeler le cadre légal. Vers chez moi, la coupe de clôture semble ainsi être le sport de prédilection. Simple à réaliser, impossible à contrecarrer et causant des désagréments maximaux.
Ce sont ces chasseurs-là que Macron courtise et/ou remercie aujourd’hui quand il modifie le prix de la validation du permis de chasse annuel sur le territoire national. En effet, seuls 8 % des chasseurs disposent aujourd’hui de ce permis très onéreux — 400 € par an auparavant et 200 € par an désormais —, 86 % se contentant de permis départementaux pour chasser autour de chez eux. En divisant, le prix par deux, le gouvernement entend donc faciliter le déracinement entre chasse et ruralité portant porté en étendard par la FNC. Hypocrisie encore et encore.
En attendant, le 18 septembre une fillette de 10 ans a terminé son pique dominical aux urgences à la suite d’un tir d’un chasseur. Un « accident malheureux », diront certains, qui s’ajoute à la liste des « accidents malheureux » périodiques liés à la pratique de la chasse. Des accidents qui n’ont rien de surprenant quand on constate le peu d’exigences requises pour manier une arme de chasse en France. Il y aurait donc beaucoup à faire pour réformer, règlementer et contrôler cette pratique. Mais l’urgence, selon Macron, était de rendre la chasse plus accessible…

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