Emmanuel Giboulot, le viticulteur bio devenu porte-étendard malgré lui

À l'occasion du Salon de l'agriculture, francetv info est allé à la rencontre d'agriculteurs qui ont été sous le feu des projecteurs.


Le viticulteur bio Emmanuel Giboulot, le 12 février 2015, dans une de ses vignes cultivées en biodynamie, à Beaune (Côte-d'Or). (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)


Par Benoît Zagdoun


Mis à jour le 22/02/2015, publié le 22/02/2015


En entrant, l'odeur acide de moût de raisin saisit le visiteur. Le rez-de-chaussée est envahi de cartons de bouteilles prêts à être expédiés. Le vin vieillit dans les petits fûts de chêne alignés dans la cave. À l'étage, sous les toits, après le dortoir des vendangeurs et la cuisine où chauffe une cafetière, le bureau, encombré de documents.

Le domaine Emmanuel Giboulot n'a rien d'un imposant château en pierre de Bourgogne, planté au milieu de ses vignes. C'est un bâtiment discret aux portes lie-de-vin, construit au bord de la voie ferrée, à Beaune (Côte-d'Or). Pourtant, "le nom a fait le tour de la planète", constate son propriétaire. Car le vigneron quinquagénaire a été le héros d'un feuilleton judiciaire, érigé en combat écologique contre les pesticides.

En mai 2013, ce viticulteur bio a refusé de traiter à titre préventif les 10 hectares de chardonnay et pinot noir qu'il cultive en biodynamie, c'est-à-dire en suivant des principes naturels et les rythmes terrestres. Le préfet l'ordonnait pour lutter contre la flavescence dorée, une maladie contagieuse mortelle pour la vigne. Cette décision lui a valu un procès très médiatisé qu'il a fini par remporter en avril 2014.


«À aucun moment je ne pouvais m'imaginer que l'affaire aurait un tel retentissement«.Emmanuel Giboulot
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Emmanuel Giboulot parle d'une voix douce et posée, qui contraste avec sa grande silhouette, vêtue d'une parka rouge pétante et d'un pull vert fluo. Au mur de la cuisine, deux décorations illustrent ses convictions : l'affiche du documentaire de Jonathan Nossiter Résistance naturelle, et un poème de Goethe intitulé Le Pouvoir de l'engagement.
Un ouvrier agricole travaille dans une vigne du domaine Emmanuel Giboulot, cultivée en biodynamie, à Beaune (Côte-d'Or), le 12 février 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)



Si son combat a porté ses fruits, il a aussi eu un effet pervers. Auparavant, pour justifier la prise d'un arrêté préfectoral, il fallait démontrer un caractère d'urgence. Et une fois promulgué, l'arrêté devait être transmis au ministre de l'Agriculture pour validation. Depuis l'affaire Giboulot et la loi d'avenir agricole de 2014, ce n'est plus le cas, ces précautions sont tombées.

"Ces évolutions peuvent conduire à un ensemble de dérives. On peut avoir des obligations de traitement dans n'importe quelles circonstances, sans aucun recours possible", accuse le viticulteur. Et il conclut, ironique : "Finalement, j'ai fait la promotion d'un texte beaucoup plus libéral."


"Lanceur d'alerte" mais pas "porte-drapeau"


Le téléphone sonne. Un ami vigneron italien veut l'inviter à un salon du vin bio en Italie. Il rechigne. Des sollicitations comme celle-ci, il en reçoit énormément désormais. D'autres qui l'avaient soutenu pendant son procès voulaient organiser des "Giboulot de mars" - une manifestation contre les pesticides - à Paris. Il n'a pas donné suite. Emmanuel Giboulot revendique le titre de "lanceur d'alerte" mais pas celui de "porte-drapeau".

"Je n'avais pas imaginé que le sujet puisse être aussi fédérateur", admet-il. "Les pesticides sont un problème de société. Leur présence dans notre alimentation, dans l'environnement, leur impact sur la santé, sont des choses dont les consommateurs ont de plus en plus conscience."

"En France, on est champion du monde de la consommation de pesticides. En 70 ans d'agriculture intensive, on a réussi à polluer 90% des rivières d'Europe, on a un écosystème qui se dégrade, des espèces qui sont menacées, une population d'abeilles qui s'est réduite d'un tiers", liste le viticulteur. Et il lance un avertissement.


«Le monde agricole se doit de l'entendre : la société civile attend que les pratiques évoluent vers une agriculture plus respectueuse».Emmanuel Giboulot
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Ici, aucun produit chimique de synthèse mais des tisanes de plantes pour soigner la vigne, des composts naturels et un peu de fumier en guise d'engrais... Pas de désherbant non plus. Au pied de ses ceps, la terre reste couverte d'un tapis végétal.

En redescendant de ses vignes, Emmanuel Giboulot désigne avec satisfaction les vignobles qui pratiquent cet enherbement que les viticulteurs jugent bénéfique pour la vigne. Ils sont de plus en plus nombreux depuis une dizaine d'années. Le bio aussi gagne de terrain. Les vignes bio représentent désormais environ 8% du vignoble bourguignon, rappelle France 3, et classent la Bourgogne dans le top 5 des régions vinicoles bio, selon Les Echos.

Un ouvrier taille la vigne dans une parcelle du domaine Emmanuel Giboulot, cultivée en biodynamie, à Beaune (Côte-d'Or) le 12 février 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)



"Notre rôle, c'est de chercher un équilibre entre la nature et la production agricole qui la contrarie, de s'associer aux phénomènes naturels pour qu'ils soient nos alliés, qu'ils nous permettent de produire en les respectant le plus possible", argumente le vigneron.

Sur la montagne de Beaune où pousse sa cuvée chérie, la Combe d'Eve, Emmanuel Giboulot raccroche d'un geste rapide les fils de fer qui soutiennent les sarments à leurs piquets. Dans les vignobles environnants, les ouvriers s'activent. L'hiver est la saison de la taille de la vigne. Les sarments coupés sont brûlés dans des brouettes. Leur fumée se mêle à la brume matinale.

Des vignes à perte de vue, à l'entrée de Beaune (Côte-d'Or), le 12 février 2015. (BENOIT ZAGDOUN / FRANCETV INFO)



Chez les Giboulot, le bio est une histoire de famille. "À la fin des années 1950, mon père a été le premier à utiliser du désherbant dans son village, à mettre de grosses doses d'engrais. Il vivait dans cette idée que l'agriculture moderne était liée à l'utilisation de pesticides. Mais rapidement, il a vu qu'il mettait toujours plus d'engrais, sans avoir forcément plus de rendements. Et il a pris conscience de la dangerosité des produits."

"Au début des années 1970, mon père s'est converti à l'agriculture biologique dans un premier temps, et aux pratiques biodynamiques ensuite. Au début, ça a été assez compliqué, les rendements étaient dramatiques, mais il s'est accroché. Quand j'ai commencé la viticulture, en 1985, il m'est apparu évident que c'était dans cette voie-là que je devais m'inscrire."



"Est-ce qu'il vous reste encore un peu de vin ?"


Au fil des années, Emmanuel Giboulot a constitué son domaine en rachetant des parcelles. Côtes-de-beaune, hautes-côtes-de-nuits, mais aussi saint-romain ou rully... Ses vignes produisent entre 35 000 et 40 000 bouteilles par an. Mais depuis 2012, sa production a chuté. Ces trois dernières années, les orages de grêle ont détruit 40 à 60% de ses récoltes.

La médiatisation lui a fait vendre "entre 100 et 200 bouteilles" au cours des dégustations organisées avec son comité de soutien, chiffre-t-il. Depuis, "ça a presque eu l'effet inverse", assure-t-il. "Comme le nom a fait le tour de la planète, beaucoup de gens pensent qu'on n'a plus de vin à vendre. Ils nous demandent du bout des lèvres : «Est-ce qu'il vous reste encore un peu de vin ?»


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