Sites & Monuments n° 222: Crises

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Éditorial d’Alexandre Gady, Président de la SPPEF


Crises

2015 restera comme une année difficile pour le patrimoine:Affaire de la Samaritaine, qui ouvre la voie à une lecture laxiste du plu de Paris en matière de constructions neuves dans le centre ancien ; permis délivrés pour l’extension de Roland-Garros dans un jardin classé, quand tout démontre l’inanité du projet de la fft ; vote en première lecture, le 6 octobre dernier, d’une loi mal ficelée sur le patrimoine, qui détricote doucement notre héritage législatif ; ventes sans logique de biens nationaux par France-Domaine, ce mauvais gestionnaire dénoncé par la Cour des Comptes ; projet insensé de climatiser le corps central de Versailles, qui se poursuit sans tenir compte des risques archéologiques pour le monument… Les sujets de préoccupation ne manquent pas, pour ne rien dire de la folle accélération de la politique éolienne, aussi inutile pour le développement durable que nuisible pour la beauté de nos paysages. Que d’espoirs déçus !


Il n’est pas inutile d’y réfléchir: « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort », selon la célèbre formule de Nietzsche. Nos combats sont-ils mauvais ? Notre doctrine fausse ? Nos méthodes inadaptées ? Certes pas. En réalité, ce qui transparaît avec force, c’est le dérèglement profond de la société française, qui traverse une crise sans précédent. Problèmes qui dépassent de loin la question économique, certes obsédante, comme le patrimoine le montre bien, à une échelle réduite mais signifiante. Les obstacles que nous rencontrons touchent en fait au fonctionnement de notre système démocratique, diagnostic sans cesse posé, sans résultat.

Le premier problème est de celui de la classe politique, dont le discrédit est terrible: Il se mesure concrètement par le taux d’abstention, qui peut atteindre dans certaines consultations la moitié du corps électoral, comme par le vote pour les extrêmes. Les raisons de cette situation sont nombreuses: Promesses non tenues car non tenables (pourquoi les faire dans ce cas ?), discours changeants suivant l’air du temps, amateurisme – qu’illustre de manière de plus en plus étonnante l’actuelle ministre de la Culture –, entêtement douteux (Madame le Maire de Paris refaisant voter le Conseil municipal sur la tour Triangle, dont le premier vote ne lui convenait pas), carrières sans fin et cumul des mandats, qui induisent parfois des pratiques crypto-féodales… S’y ajoutent des comportements hors la loi, parfois réglés par la justice – leur rareté n’empêchant pas leur fort impact sur la confiance des citoyens. S’il faut évidemment éviter amalgames et généralisations, les faits sont là: Jamais les citoyens n’ont eu une telle défiance envers les politiques. Or, malgré cette situation préoccupante, on a parfois l’impression que tout continue comme si de rien n’était. La sppef rappelle donc son attachement au respect de la loi, à l’égalité de tous (même pour les puissants du moment) devant celle-ci, et à la défense de l’intérêt général, qui doit être mis au-dessus de tout. Elle pense aussi que les politiques sont au service des citoyens, qui fondent la légitimité du système démocratique, et que celui-ci ne peut donc se retourner contre eux, ni les ignorer entre deux élections. Notre démocratie a encore bien des progrès à faire en France, comme le montre Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, dans son dernier ouvrage sur « le bon gouvernement ». Le premier âge de la démocratie était fondé sur le droit de vote, devenu universel en 1945. Nous sommes désormais entrés dans un second âge, où la consultation/participation des citoyens à la construction politique est une nécessité, enfin reconnue par la Constitution dans le domaine de l’Environnement. Est-ce clair pour tout le monde ? À en juger par les pratiques autoritaires de certains élus ou responsables politiques (l’intervention du Premier Ministre dans le dossier Roland-Garros…), de quelque bord qu’ils soient, on se prend parfois à en douter. Le chemin est encore long, car il faut d’abord changer les mentalités pour atteindre les pratiques.

L’état de la Justice ne laisse pas d’inquiéter non plus. Entre les restrictions du droit à agir, les diverses ordonnances de « simplification », la mise en place de dérogations à plusieurs niveaux (sous prétexte de lutter contre les « maîtres chanteurs »), qui s’ajoutent aux lenteurs de certains tribunaux (la cour d’appel de Nantes, dans l’affaire de la rue des Carmes d’Orléans…): Tout cela laisse parfois le sentiment que, dans ce domaine également, le citoyen est de moins en moins bienvenu. Hérité de Napoléon, le système de la justice administrative ne doit-il pas être interrogé ? La composition et le fonctionnement du Conseil d’État, institution sur laquelle l’Europe a plusieurs fois attiré l’attention de la France, ne méritent-ils pas non plus un sérieux examen ? L’air désinvolte et, pour tout dire, arrogant, du petit marquis qui rapportait contre nous au Conseil d’État dans l’affaire de la Samaritaine, sans autre argument de droit que des analyses architecturales d’amateur, nous a laissé un goût amer. La sourde impression que l’entre-soi y joue un rôle important ne nous a pas quittés… La loi du plus fort serait-elle toujours la meilleure ? On souhaite que non.

Que dire de l’état de la presse, contre-pouvoir fondamental dans une démocratie ? Nous avons en effet besoin de journalistes libres et informés, qui ne sacrifient pas à la mousse médiatique du jour et ne rabaissent pas le débat en imposant à toute force leurs opinions, comme le fait sans vergogne M. Edelmann dans Le Monde, pour ne prendre qu’un exemple. Or, comme on l’entend souvent hors de nos frontières, la presse française manque encore trop souvent d’une réelle indépendance, qu’elle soit financière ou intellectuelle (les deux allant parfois de pair). Nous pouvons en témoigner dans l’affaire qui nous a opposés à Bernard Arnaud, rue de Rivoli. Notre défaite a d’abord été médiatique: Quelle étrange impression de lire dans des journaux de bords et de natures différents les mêmes phrases, les mêmes raisonnements, tout le monde allant dans le même sens ! On a su plus tard qu’une agence de communication avait envoyé à tous les journalistes des « éléments de langage »… Le rachat par Lvmh du quotidien Le Parisien, annoncé au moment même où le Conseil d’État nous déboutait, n’est pas un signal positif pour le pluralisme et la liberté de la presse. Nous avons également été mis en cause dans certains grands journaux, qui ont ensuite refusé de publier nos droits de réponse, ou tellement laissé traîner ceux-ci que leur parution était vidée de sens. Est-ce comme cela qu’on entend la liberté de la presse ? Celle-ci ne peut pas jouer dans un seul sens, pourtant. La presse pèche encore trop par suivisme, voire dans nos matières complexes par amateurisme. Il y a là une question centrale qui touche à l’information équilibrée et recoupée, qu’il faut parfois aller chercher sur certains sites en ligne – saluons ici le travail remarquable accompli par la petite équipe de La Tribune de l’Art.

La situation des élites, dont on dénonce souvent la « faillite » avec raison, doit être également prise en compte. La fonction publique (à laquelle appartient le signataire de ces lignes) est un honneur, pas une caste. Faut-il rappeler ici que la contrepartie de l’emploi à vie des fonctionnaires est le service exclusif de l’intérêt général, parce qu’il constitue un gage d’indépendance contre les pressions et compromissions ? Combien de fois, pourtant, avons-nous vu un fonctionnaire, même gradé, même décoré, même proche de la retraite, se cacher derrière un droit de réserve mal interprété, s’abriter, en commission, dans un silence un peu gêné, voire évoquer la peur de représailles (sic) ! La France n’est pourtant pas l’Urss, les risques y sont relativement minimes… Dès qu’un dossier est difficile, complexe, politique pour tout dire, voilà que resurgit une forme de culture monarchique, qui imprègne encore parfois certaines administrations. Là encore, l’affaire de la Samaritaine nous aura servi de leçon: Après notre victoire, hélas provisoire, devant la Cour d’appel, un haut fonctionnaire de la rue de Valois me félicitait, en privé, de notre action, trouvant, au fond, que tout cela était scandaleux… Quelle dérision ! Dans les affaires patrimoniales, l’habileté est certes très utile, mais le courage aussi, vertu que la sppef aime à porter.

Face aux limites et aux dysfonctionnements du système démocratique actuel, nous ne devons pas nous exonérer d’une analyse critique de nous-mêmes. Le tissu associatif est très dense dans notre pays, mais trop fragmenté et donc souvent de peu d’efficacité. Pire, l’engagement des citoyens demeure trop faible et nous devons sans cesse nous justifier de cette faiblesse ; nous ne sommes pas assez nombreux, ce qui nous empêche de donner de la voix. Nous ne communiquons pas assez rapidement et ne sommes pas assez mobilisés sur les réseaux sociaux, qui ont pourtant démontré leur efficacité (le château de Sarcignan arraché à un maire démolisseur cet été), tout comme le financement participatif (défense du théâtre de Poitiers). Ainsi, combien d’efforts accomplis et d’énergie dépensée en vain ! Il faut donc recruter encore et toujours, et convaincre du bien-fondé de nos combats. Il faut surtout nous adapter: La nouvelle loi Patrimoine s’ajuste en fait à la décentralisation, qui va franchir demain une nouvelle étape, avec la mise en place des grandes régions, opération qui va désorganiser les collectivités territoriales pendant un certain temps. à l’inverse, l’État ne cesse de se réduire et de s’évaporer sous nos yeux, reniant ses missions anciennes et délaissant l’essentiel, faute sans doute d’y croire encore. Sur qui s’appuyer aujourd’hui ? Les citoyens et les associations, bien sûr.

« Il y a ceux qui voient les choses comme elles sont et se demandent : Pourquoi ? Et ceux qui voient les choses comme elles pourraient être, et qui se demandent : Pourquoi pas ? » L’aphorisme de George Bernard Shaw peut nous servir de programme, en ces temps difficiles pour le patrimoine. Faire changer notre système, pour qu’il soit plus transparent, plus honnête, plus démocratique: Voilà la tâche dans les années à venir. Source de plaisir et d’émotion, lien social et vecteur économique, enfin support identitaire au bon sens du terme, le patrimoine a toute sa place dans notre société en mutation. Il a surtout besoin de nous comme nous avons besoin de lui. Pour intimidante qu’elle soit, cette responsabilité devra être assumée.

Commentaire: «Pire, l’engagement des citoyens demeure trop faible et nous devons sans cesse nous justifier de cette faiblesse ; nous ne sommes pas assez nombreux, ce qui nous empêche de donner de la voix». La faiblesse réelle de notre démocratie provient de là. Plus les citoyens «roupillent», plus les «maîtres du jeu»favorisent leurs intérêts propres. Le «danger» ne vient pas toujours d'ailleurs...


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