Dans les Vosges, l’économie circulaire fait revivre un village

Baptiste Giraud et Lucas Mascarello (Reporterre) 18 novembre 2015 / 

  
À Monthureux-sur-Saône (Vosges), reportage




Dans un village vosgien situé en pleine campagne, l’association Minos crée une dynamique sociale autour de l’économie circulaire et de sa recyclerie. L’objectif: Permettre aux gens de travailler, pour faire vivre ce territoire rural.


Samedi matin, 8 h, la longue rue centrale et la place du marché sont couvertes de brume. Derrière son petit stand de légumes bio, et malgré les 5 °C qu’affiche la croix verte de la pharmacie, Jean tresse un panier en osier. S’il connaît la recyclerie Minos ? « Bien sûr, j’y ai travaillé un an en contrat d’insertion, en tant qu’agent de collecte. J’ai trouvé ça super, et puis ça m’a permis de rebondir et de me lancer dans le maraîchage ». Une dame vient lui acheter quelques noix et de la salade « C’est formidable, ce qu’ils font à Minos. C’est dynamique. Vous vous rendez compte, dans un village comme Monthureux… »


En milieu de matinée, le magasin de la recyclerie fait le plein de visiteurs

Justement, c’est aujourd’hui que se tient la vente mensuelle de la recyclerie. Nous prenons la direction de l’ancienne fabrique de fil, qui sert pour quelques mois encore de stockage et de magasin. Difficile de la rater : Parking complet, des voitures stationnent au bord de la route départementale. À l’intérieur, ça fourmille. Comme si tous les habitants des alentours s’étaient donnés rendez-vous. Meubles, livres, vaisselle, électroménager, outils, fripes, jeux, et même ordinateurs : « On trouve de tout ici. Franchement, chapeau ! » s’exclame Thérèse, occupée à choisir des revues « Vu la vie actuelle, on est content de trouver moins cher, et j’ai pas honte » À côté d’elle, Dominique a déniché des livres sur les loisirs créatifs, un coussin à « relooker » pour offrir à Noël, et des jeux pour ses petits-enfants.


« Enrayer ces cercles vicieux »


Devant les trois caisses, tenues par des bénévoles, une trentaine de personnes font déjà la queue. Jacques, président de l’association et « le nez dans le guidon », tient l’une d’elles. Ce ne sont pas n’importe quelles caisses, explique-t-il: Grâce à un logiciel de gestion de données, développé par l’association Cap 3C, tous les flux sont enregistrés « J’ai voulu qu’on identifie et qu’on pèse ce qui rentre et sort. Comme ça on peut dire à ceux qui nous aident : ’’Voilà le tonnage qui n’est pas passé dans le système d’élimination des déchets’’ », explique Jacques. Ce jour-ci, la vente s’avère fructueuse: Plus de 4.400 € de recette, soit 3,158 tonnes d’objets partis vers une nouvelle vie. En 2014, 80 tonnes ont été collectées, 78 % des objets ont été valorisés, et un peu plus de 40 % vendus.

C’est Raynald Magnien-Coeurdacier qui a créé l’association en 2006. Malgré sa consonance sidérurgique, la famille Coeurdacier est ancrée dans le village depuis des siècles. Né ici, Raynald est d’abord parti travailler dans le théâtre et l’audiovisuel. Avant de se reconvertir dans l’économie sociale et solidaire et de revenir habiter sa maison de famille. Puis de lancer Minos, pour « moyen d’insertion novateur pour l’organisation sociale ». Dans ans plus tard, il se fait même élire maire du village « Mais Minos est plus utile que la mairie », confie-t-il « Les gens s’en vont d’ici parce qu’il n’y a pas de boulot », constate Raynald. Aux confins de la Lorraine, la Champagne-Ardenne et la Franche-Comté, 960 âmes entourées d’une forêt de chênes et de quelques pâturages, à 30 km de Vittel et à 50 d’Épinal : Monthureux fait partie de ce que certains appellent l’ « hyperruralité ». Desservi par trois bus par jour seulement, le village possède le minimum de commerces nécessaires pour assurer le quotidien des 3.000 personnes qui vivent aux alentours.


Raynald Magnien-Coeurdacier, maire de Monthureux-sur-Saône et fondateur de l’association Minos

Aurélie Dupuy-Lanterne est responsable administrative et des ressources humaines à Minos. En 2014, 45 personnes ont été accompagnées. Elle connaît bien les profils des gens qui se retrouvent ici, les problèmes d’addictions, de femmes divorcées ayant peu, voire jamais, travaillé, les licenciements économiques « Les gens se retrouvent ici parce que c’est pas cher et qu’il y a des logements sociaux. Puis, ils commencent à avoir des problèmes de voiture, de mobilité, pas d’argent pour se soigner, etc. On cherche à enrayer ces cercles vicieux ».


Éviter l’effet ghetto et la stigmatisation

Comment ? L’action de Minos se déploie sur trois niveaux: Remobilisation sociale, chantier d’insertion et entreprise d’insertion. Le premier s’adresse aux personnes les plus en difficulté. Des ateliers (couture, cuisine, écriture) leur sont proposés afin de les faire sortir de chez eux et de retrouver un contact social. En veillant à éviter l’effet ghetto et la stigmatisation.

Certains jeudis, l’atelier cuisine prépare un repas auquel sont invités les gens du village. Parfois, un atelier d’écriture s’y mêle, raconte Raynald: Le médecin ou l’artisan du coin se retrouvent à devoir faire les mêmes exercices d’écriture que les autres, se font aider, et lisent à leur tour leur production « Les gens se demandent parfois pourquoi on y met tout cet argent public. Mais quand ils viennent voir, ils comprennent enfin l’intérêt de nos actions».


Des centaines de livres sont collectés et revendus

Deuxième étape, les « remobilisés » peuvent postuler au chantier d’insertion que constitue la recyclerie « En contrat d’insertion, ils travaillent 24 h par semaine. Ça laisse du temps à côté pour faire les démarches administratives. Et leur salaire est juste au-dessus du seuil de pauvreté, c’est important », explique Aurélie.

Le travail à la recyclerie se décompose en trois parties: La collecte des objets, chez des gens ou en déchetterie, mais à moins de 30 km à la ronde pour ne pas émettre trop de CO2 ; le tri et la valorisation de ce qui a été récupéré ; la mise en rayon dans le magasin et la vente. Pour Jacques, le président, « c’est quasiment l’outil idéal, car il n’y a pas besoin de techniciens. Ça les oblige à se lever le matin, et ça leur permet de répondre quelque chose quand on leur demande ce qu’ils font ». Les contrats durent un an maximum, le temps de construire un projet professionnel. Aurélie travaille avec une psychologue: « On les aide à trouver des formations, à comprendre comment ça marche. Et puis on cherche surtout à les rendre autonomes ».

Objectif particulièrement réussi pour Hervé. Après une année en insertion à la recyclerie, sa connaissance du travail et son investissement étaient tels que la direction lui proposa un CDI de responsable. Depuis, c’est lui qui encadre la petite dizaine d’ouvriers. « Je ne suis pas éducateur, mais j’essaie de faire en sorte qu’il y ait une vie de groupe », confirme l’intéressé. Son envie s’entend quand il évoque les possibilités d’évolution de l’activité : « Avec le gisement qu’on a, vous imaginez tout ce qu’on pourrait faire… »
Jouer le rôle d’« incubateur »

Dernier niveau, en place depuis cet été : une entreprise d’insertion qui produit des petits cubes en bois. Ils servent à faire vieillir le vin dans des cuves en -Inox. Cette fois, les salariés travaillent 35 h par semaine, ont des tâches plus techniques et des objectifs de production. Sans oublier l’importance de la quarantaine de bénévoles actifs, « force d’amorçage » de l’association, indispensables au bon déroulement de chaque vente et des ateliers. Récup’art, l’un de ces ateliers, donne un exemple de réutilisation des rebuts « Ça marche très, très bien. Surtout avec les gamins, ils ont une créativité terrible », s’enthousiasme Hervé.


Julien Beme (à gauche), en contrat d’insertion, et Françis Malagié, bénévole trésorier de l’association, trient les cubes de bois destinés aux cuves de vinification

« On ne veut pas juste être une forêt et un lieu où les gens viennent fleurir la tombe et se balader à la Toussaint. On veut redonner de l’espoir aux habitants. Notre coin a un avenir ! soutient le maire, aujourd’hui directeur de Minos. Et si on veut que des endroits ruraux comme les nôtres existent, il faut que l’économie et les emplois marchent. Donc il faut inventer un système économique ». Tout en veillant à prendre soin de l’ « écosystème social », comme il l’appelle « Des petites vieilles qui n’ont pas de bagnole, leurs enfants viennent pour la vente et passent les prendre en passant »,raconte Jacques « Et même les services sociaux donnent des bons d’achat pour Minos aux gens dans le besoin. Avec 200€, ils récupèrent tout ce qu’il faut pour aménager leur maison », ajoute Raynald.

Et l’écologie dans tout ça ? « Je n’ai pas vraiment la fibre écolo au départ. On a plus vu l’aubaine pour faire de l’emploi », avoue Raynald. Mais l’économie circulaire, ça, il y croit. Et puis, l’écologie n’est-elle pas dans le combat pour faire vivre nos campagnes sans qu’elles dépendent trop des villes ?

Dans les couloirs de l’association, des créations de l’atelier Récup’art

Minos se verrait bien jouer le rôle d’« incubateur » « Des gens qui veulent venir à la campagne et développer leur projet, s’ils respectent nos valeurs, on les héberge, on les accompagne, on peut même leur fournir des salariés en insertion ». Sous quelque forme que ce soit, Raynald veut attirer des jeunes, compétents et créateurs, dans sa campagne vosgienne. Comme il vient de le faire pour Émilie, fraîchement sortie de l’école du bois d’Épinal et chargée de la fabrication et commercialisation d’un arbre de noël en bois à Minos: « Je souhaitais m’installer dans les Vosges. La ruralité, ça ne me fait pas peur. Jamais je ne pourrais vivre en ville ».

Lire aussi : Mais c’est quoi, enfin, l’économie circulaire ?

Source : Baptiste Giraud pour Reporterre

Photos : © Lucas Mascarello/Reporterre
 Chapô : Les membres de l’association Minos préparent la vente mensuelle qui se tiendra le lendemain.



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