Des communes se rebellent contre les compteurs « intelligents » Linky et Gazpar

16 février 2016 Aurélie Delmas (Reporterre) 



Commentaire: «Quand il y a un doute, il n'y a pas de doute»

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Près de cinquante millions de compteurs Linky – pour l’électricité – et Gazpar – pour le gaz – sont censés, à terme, équiper les foyers français. Dits « intelligents », ils transmettent les informations de consommation dans l’objectif officiel d’améliorer l’efficacité énergétique. Mais ils sont vivement contestés au nom de la santé et de la liberté, et plusieurs communes refusent de les installer.
À Badefols-sur-Dordogne (Dordogne), les compteurs Linky ne sont pas les bienvenus. Les conseillers municipaux de ce village de 220 habitants ont refusé leur installation à l’unanimité, principalement dans un « souci de protection de la santé des habitants, à commencer par celle des enfants »,comme le précise le compte-rendu de la délibération.
Martin Slaghuis, le premier édile (EELV), se montre pragmatique : « Beaucoup d’administrés nous ont alerté. Il y a un flou artistique et aucune raison pour faire ces installations, alors le conseil municipal a suivi les habitants. Quand on voit que quelque chose fonctionne, pourquoi le changer alors que cela coûte très cher ? » Et il n’est pas le seul à se poser des questions sur les compteurs communicants d’électricité ou de gaz. De la Bretagne à la Gironde en passant par la Seine-et-Marne et les Alpes-Maritimes, au moins douze autres communes ont déjà pris la même décision. En effet, les compteurs d’électricité sont la propriété des collectivités territoriales, comme nous l’a confirmé ERDF(Électricité réseau distribution France) dont la mission est d’entretenir les équipements. De même, pour déployer le futur compteur de gaz Gazpar, GRDF (Gaz réseau distribution France), propriétaire de la majorité des compteurs, doit installer un concentrateur en hauteur. La société a, pour ce faire, souvent besoin de l’accord des communes. Ces dispositions légales pourraient ralentir le processus de remplacement des compteurs, pourtant lancé à marche forcée. Ce que les distributeurs n’avaient pas vraiment prévu.

« On n’a pas à prendre les gens pour des cobayes »

Les comptes-rendus des conseils municipaux des communes récalcitrantes sont sans ambiguïté :« Considérant les risques pour la population générés par les compteurs communicants, considérant que les compteurs d’électricité appartiennent aux communes, appliquant le principe de précaution, le conseil municipal décide à l’unanimité, en l’état des connaissances, que : les compteurs d’électricité, propriété de la commune, ne seront pas remplacés par des compteurs communicants ; les compteurs de gaz et d’eau ne seront pas remplacés, pour les mêmes raisons, par des compteurs communicants », précise par exemple celui de Larnod, dans le Doubs.
Le déploiement des nouveaux compteurs électriques Linky a commencé le 1er décembre 2015 et doit se terminer en 2021. Objectif : 35 millions de compteurs neufs. Leurs frères jumeaux, les compteurs de gaz Gazpar, sont mis en place dans 24 communes de quatre zones test et seront déployés, à terme, à 11 millions d’exemplaires. Ces compteurs permettent de transmettre des informations, de recevoir des ordres à distance et mesurent en direct la consommation des foyers afin de réduire les pertes et les coûts de gestion. Ce qui ne va pas sans poser quelques questions aux consommateurs et à leurs représentants élus.
À commencer par Stéphane Lhomme, conseiller municipal de Saint-Macaire, en Gironde, et fondateur de l’Observatoire du nucléaire. Il a créé un site internet recensant toutes les communes qui, à l’image de la sienne, se prononcent contre l’implantation des compteurs « intelligents ». Le conseil municipal de cette bourgade de 2.500 âmes a en effet refusé à l’unanimité au mois de septembre 2015 l’installation d’un concentrateur permettant de recueillir les données des compteurs Gazpar. Une autre délibération doit être adoptée en février contre tous les compteurs communicants. « GRDF a été informé de la décision du conseil municipal de Saint-Macaire et ne remettra absolument pas en question cette décision. La commune peut refuser l’installation d’un concentrateur sur un bâtiment public », confirme une porte-parole de GRDF.
Au delà du « désastre écologique » qui fait qu’« on va jeter des millions de compteurs en parfait état de marche », Stéphane Lhomme estime que les bénéfices en termes d’économies sont contestables et souligne les dangers potentiels. « La polémique sur la santé est infinie, admet-il, mais, pour le moins, il y a un très fort doute. On n’a pas à prendre les gens pour des cobayes, il est hors de question de courir le risque d’avoir à compter les cancers dans quelques années. »

Un « big brother à domicile » 

À Lieuche, dans les Alpes-Maritimes, l’argument de la santé a fait mouche aussi et les 42 habitants ne devraient pas voir de compteur Linky de si tôt. Tout a commencé quand la mairie a reçu la lettre d’une administrée électrosensible qui « suppliait » les élus de ne pas laisser installer les nouveaux compteurs. « En imaginant que ce projet soit effectivement généralisé sur tout le territoire, les électrosensibles n’ont plus qu’à s’expatrier », regrette une adjointe, Laurence Bart.
Pour exploiter les fonctions de Linky, ERDF utilise la technologie CPL (courant porteur en ligne) qui génère des émissions électromagnétiques. Mais les câbles des habitations n’étant pas blindés, ceCPL pourrait générer des rayonnements nocifs. ERDF assure respecter la législation, qui limite les émissions de ces ondes électromagnétiques classées « potentiellement cancérogènes » parl’Organisation mondiale de la santé.
Des inquiétudes balayées aussi par GRDF selon qui Gazpar « transmet deux fois par jour pendant moins d’une seconde à chaque fois par fréquence radio (169 MHz) des données à un concentrateur », lequel « transmet, par téléphonie, via les antennes-relais des opérateurs de téléphonie mobile, les données de consommation […]. Cette transmission n’est pas continue, c’est l’équivalent d’un appel téléphonique de quinze minutes par jour », tient à préciser GRDF. L’entreprise explique aussi que la puissance et le niveau d’émissions induits sont « très inférieurs »aux niveaux de référence autorisés en France et en Europe. L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) a été saisie par le ministère de la Santé pour mener de nouvelles expertises, ses résultats seront connus d’ici la fin de l’année 2016.
En ce qui concerne le respect de la vie privée, les deux entreprises, qui assurent des missions de service public, assurent que les données des clients seront chiffrées et qu’elles ne seront stockées ou utilisées que sur demande explicite du consommateur. Mais les potentialités de ce système et les risques de piratage inquiètent. « Si la consommation est relevée plusieurs fois par jour, cela atteste de ma présence », remarque Stéphane Lhomme, qui dénonce un « big brother à domicile ». Pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « une analyse approfondie des courbes de consommation pourrait permettre de déduire un grand nombre d’informations sur les habitudes de vie des occupants d’une habitation : heures de lever et de coucher, heures ou périodes d’absence, la présence d’invités dans le logement, les prises de douche, etc ».

 L’Allemagne a renoncé à l’installation des nouveaux compteurs

Pourtant, Linky, « 23 h 59 sur 24, c’est exactement le même fonctionnement que l’autre compteur : il enregistre la consommation des foyers. Moins d’une minute par jour, on va envoyer un signal pour transmettre les informations de consommation recueillies dans la journée », se défend ERDF par la voix de Gladys Larose, en charge des relations externes du programme Linky.
« Nous, on dit : ne sait pas arbitrer, mais il y a un doute », explique José Ruiz, le maire de Varennes-sur-Seine, qui a aussi adopté une délibération… avant de découvrir que les réseaux électriques de sa commune étaient délégués à un syndicat intercommunal. « Depuis, on a de très grosses difficultés avec ERDF, qui laisse l’entreprise prestataire changer les compteurs sur le terrain, dit-il. Il y a dans cette affaire un déni de démocratie : on adopte des mesures néfastes pour les gens et on leur impose », regrette l’élu, qui admet ne « pas trop savoir à quoi tout cela va aboutir » mais a décidé de monter une association pour organiser la « lutte qui est en cours ». Le distributeur assure avoir demandé à l’entreprise en question de quitter les lieux si elle faisait face à un refus. Mais « beaucoup de clients nous ont écrit pour nous dire : “Pas de problème, venez changer notre compteur” », explique Gladys Larose.
Il y a un an presque jour pour jour, l’Allemagne, contre les recommandations européennes, renonçait à l’installation de compteurs intelligents. « Les élus ont un devoir de protection et d’information par rapport à leurs administrés », considère le conseiller municipal girondin Stéphane Lhomme. « On n’est pas confrontés à un choix entre ça et le néant. Là, la réponse est toute simple : garder les compteurs actuels », résume-t-il. Sauf que « les compteurs ont plus de 20 ans et ont besoin d’être changés », répond Gladys Larose. « Les plannings sont complètement normaux, il faut qu’on intervienne. »

 « Amener des éléments factuels et conserver un dialogue »

Sur le long terme, la portée de ces décisions municipales reste inconnue. « Pour le moment, la stratégie en face, c’est de ne pas réagir », résume Stéphane Lhomme. C’est en effet ce que nous confirme GRDF : « Pour les communes auxquelles cela pose des questions, nous privilégions le dialogue. » Quant à savoir s’il y aura des suites judiciaires pour les communes qui refusent le déploiement : « Aujourd’hui, je ne saurais pas répondre de façon définitive, GRDF souhaite continuer à privilégier la concertation », élude notre interlocutrice.
ERDF considère que le changement des compteurs étant inscrit dans la loi de transition énergétique, il devra avoir lieu malgré les délibérations. « Techniquement, les délibérations ne nous empêchent pas de changer les compteurs. Mais ce qu’on veut, c’est amener des éléments factuels et conserver un dialogue », explique Gladys Larose. Le distributeur ne se montre pas plus inquiet vis-à-vis des clients qui traînent les pieds et déplore seulement « 1,2 à 1,5 % » de refus. « On va voir les proportions que cela va prendre. En réexpliquant, dans la très grande majorité des cas, on arrive à prendre un rendez-vous. Et si les habitants d’une commune qui a pris une délibération nous font part de leur accord, on ira installer Linky », développe-t-elle. « Ce n’est dans l’intérêt de personne d’en arriver à une bataille juridique, on ne veut vraiment pas aller dans cette direction, explique-t-elle, avant d’ajouter, confiante : « On sait qu’on respecte les normes et les règles juridiques. » Pour le moment, la plupart des communes récalcitrantes se sont vues proposer l’organisation de réunions publiques d’information.

Lire aussi : Compteur Linky : un progrès écologique ou un pas de plus vers le techno-totalitarisme ?
Source : Aurélie Delmas pour Reporterre
Photos : 
. Chapô : © Médiathèque ERDF - Cyril Entzmann
. Salle des compteurs : © Médiathèque ERDF - Alexandre Sargos
. Piste de compteurs : © Médiathèque ERDF - Philippe Dureuil
. Installation : © Médiathèque ERDF

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