Électrifier l’Afrique, le chantier du siècle

Par:Dominique Pialot 
22 juillet 2016









En Afrique, le rythme d'installation de la puissance électrique n'a pas suivi celui de la croissance économique.
Shutterstock/Protasov AN



À quelques mois de la COP22 qui se tiendra à Marrakech, et alors que l’énergie est au cœur des enjeux de développement et des défis climatiques, l’électrification du continent africain concentre l’attention des acteurs économiques, en Afrique et bien au-delà. Une analyse de notre partenaire La Tribune.

Les chiffres sont connus : 160.000 MW (l’équivalent de l’Allemagne) sont aujourd’hui raccordés au réseau en Afrique, dont les deux-tiers en Afrique du Nord et en Afrique du Sud. Le reste ne compte que 53.000 MW, soit l’équivalent du Portugal.
Le rythme d’installation de la puissance électrique, qui n’a pas suivi celui de la croissance économique, pèse sur le développement plus qu’elle ne le soutient. On estime à 600 millions le nombre d’Africains qui n’ont pas accès à l’énergie. En réalité, c’est probablement plus.
Pour Momar Nguer, directeur marketing et services de Total et ancien directeur de cette branche en Afrique et au Moyen-Orient, « Il y a encore beaucoup plus de gens qui n’ont pas accès à l’électricité en Afrique que ce que les chiffres montrent. Il ne suffit en effet pas de vivre dans une ville où le réseau électrique est disponible. Encore faut-il avoir les moyens d’accéder à ce réseau-là à un prix abordable. En plus de la question de l’accès se posent celles du coût mais aussi de la fiabilité des réseaux. »
D’ailleurs, « permettre l’accès à une énergie durable » est l’un des objectifs de développement durable adoptés en septembre 2015 par les Nations unies.
Fin de règne pour le réseau centralisé
PWC a récemment publié Electricity beyong the grid. Cette étude consacrée à l’électrification des pays en développement, notamment en Asie et en Afrique, révèle que le seul réseau centralisé ne peut constituer l’unique réponse à ces besoins. Celle-ci passe par le développement de solutions complémentaires, qu’elles soient déconnectées du réseau (off-grid) à l’échelle d’un foyer (systèmes domestiques) ou d’une petite communauté (mini-grid).
Pour Pascale Jean, associée en charge du secteur de l’énergie chez PWC, « On estime que 30 % des besoins en zone rurale pourraient trouver une réponse via l’extension des réseaux traditionnels centralisés. »
Une estimation très optimiste aux yeux de Hervé Gouyet, président d’Électriciens sans frontières, lors de la conférence organisée par la CADE (coordination pour l’Afrique de demain) autour du sujet : Energies propres et renouvelables en Afrique : quelles stratégies d’investissement, de production, et d’accès durable aux populations ? :
« Lorsque l’on apporte l’électricité par extension de réseau, seuls 10 % des habitants y accèdent, nuance-t-il. En outre, ce sont ceux qui étaient déjà équipés en groupes électrogènes. »
Une production de proximité jusque dans les villes
Selon PWC, dans les zones urbaines, les grands systèmes de production et les réseaux centralisés vont continuer à se développer.
Mais « Pour les villes elles-mêmes, étant donné leur éloignement les unes par rapport aux autres et les pertes sur transport au niveau du réseau qui peuvent atteindre 20 %, mieux vaut développer la génération de proximité, décentralisée, estime Momar Nguer. Ces centrales à proximité de chaque ville pourraient être alimentées à l’énergie solaire et équipées d’un système de stockage auquel viendrait s’ajouter un backup gaz ou diesel par exemple. »
Mais ce qui devrait se développer le plus largement, ce sont les installations hors réseau (off grid) et les mini-réseaux à l’échelle d’un village. Ces derniers, qui incluent une dimension de maintenance et d’exploitation et impliquent un acteur tiers, l’opérateur, sont néanmoins plus complexes en termes de gouvernance. De façon générale, « la nécessaire implication conjointe de bailleurs publics et privés, la répartition de leurs retours sur investissement respectifs… rendent les dossiers « infrastructures » complexes », rappelle Pascale Jean.
Ce qui n’empêche pas l’optimisme. « Les smart grids se développeront plus rapidement autour du Zambèze qu’en Corrèze », affirme ainsi Lionel Zinsou, Président de la Fondation AfricaFrance, Vice-Président du Conseil de surveillance de PAI Partners.
De nouveaux acteurs viennent concurrencer les énergéticiens
Un système connaît d’ores et déjà un développement significatif dans les campagnes africaines : des startups alliant solaire et digital proposent des solutions de leasing permettant de s’équiper pour alimenter quelques points de lumière, la télévision, la climatisation, le réfrigérateur… Le client paie mensuellement sa facture par téléphone et il devient, au bout de quelques années, propriétaire de l’équipement.
« Il y a des synergies à entretenir entre les acteurs des télécoms et de l’énergie, en veillant à l’interopérabilité », souligne Pascale Jean.
Historiquement concentrés sur les grandes installations, encore peu de grands groupes sont positionnés sur des offres financées par des prépaiements  (« pay as you go »). « Mais ils pourraient se développer sur ces solutions en rachetant des startups », observe-t-elle.
Pour autant, « Il faut éviter la tentation du kit individuel, qui ne permet de produire que de la lumière, met en garde Hervé Gouyet. Ce n’est pas un marchand de lampes mais un électricien qu’il faut à l’Afrique. »
C’est pourtant via son programme de distribution de lampes solaires Awango, d’abord vendues là où il n’y a pas d’électricité, que Total a mis un pied dans le solaire africain, rappelle Momar Nguer. « Puis nos clients, dans les banlieues de grandes villes, voire dans les villes elles-mêmes, les ont achetées pour venir compléter leur installation électrique domestique et ainsi économiser sur leur facture. On s’aperçoit aussi que beaucoup d’entre eux ont d’abord acheté ces lampes comme un test et qu’ils souhaitent maintenant s’y convertir plus largement. »
Mobiliser les financements
Quelles que soient les technologies choisies, il sera nécessaire de mobiliser des financements pour les développer à grande échelle.
À l’heure actuelle, en raison du niveau des taux d’intérêt dans les pays développés, la moindre centrale solaire dans un coin reculé peut s’avérer intéressante en termes de rentabilité et l’on constate une pléthore de liquidités. Mais aussi un déficit de projets bancables, et des démarches administratives et de structuration du financement si complexes et longues qu’elles en deviennent parfois dissuasives. En revanche, les progrès en matière de gouvernance sont réels. Concernant les appels d’offres en matière d’énergies renouvelables, la charte élaborée par la Banque mondiale et IFC, saluée par de nombreux acteurs, s’avère très efficace.
Mais la demande n’est pas solvable partout, ce qui nécessite d’impliquer les collectivités locales et d’élaborer les modèles économiques qui permettront d’électrifier aussi les écoles, centres de santé, etc. Parfois, cependant, l’électricité permet de développer de nouvelles activités et d’augmenter la solvabilité de la demande. Ce sujet n’est pas un frein au développement de l’épargne locale, qui ne doit pas être négligée.
Globalement, comme l’ont expliqué les intervenants de la conférence de la CADE, tout l’enjeu consiste à dérisquer les investissements tout en conservant un taux de rendement attractif, et à trouver le juste équilibre entre recherche de rentabilité et coût de l’électricité acceptable pour la population.
Les références aux télécoms, qui se sont développées sur le continent africain à un rythme défiant toute comparaison, vont bon train pour démontrer l’existence d’une demande solvable.
Cependant, comme le rappelait William Nkoutchou, d’Emerging capital partners, lors de la conférence de la CADE : « Les télécoms  ont bénéficié de mécanismes de marché qui leur ont permis de développer des capacités et de baisser les prix. C’est la flexibilité sur les prix qui permettra aux opérateurs d’investir dans des augmentations de capacités.”
Un besoin de formalisation et de centralisation
Entre autres recommandations, PWC préconise la mise en place d’un fonds de financement dédié au off-grid, alimenté par des acteurs privés ou des bailleurs publics. Surtout, l’électrification du continent nécessite selon Pascale Jean « Des feuilles de route « top-down » au niveau des pays ou des régions. »
Momar Nguer estime que “tous les projets devraient être centralisés, par exemple à l’initiative de l’Union africaine et de la Banque africaine de développement (BAD), afin de pouvoir allouer efficacement les financements octroyés par les bailleurs publics occidentaux. « Ces derniers doivent en effet pouvoir expliquer clairement à leurs contribuables à quoi ces financements serviront. »
La perspective de la COP22 au Maroc en novembre pourrait constituer une étape dans cette direction.
« Il y a un momentum post COP21. Des engagements ont été pris par de nombreux pays. Maintenant il faut les tenir, observe Momar Nguer. L’Afrique doit aussi être capable de proposer des projets et de s’organiser pour qu’on puisse l’aider. Il faudrait que la COP22 soit l’occasion de faire émerger cela. »
Des prêts concessionnels peuvent aider au financement. Des facilitateurs (tels que JL Borloo ou Power Africa, l’initiative lancée par Barak Obama, ndlr) pourraient être une passerelle entre les deux mondes, « pour que les acteurs soient incités à développer les renouvelables ou à remplacer la génération d’électricité au charbon par le gaz qui est deux fois moins émetteur de CO2, etc. »
Mais c’est aussi et surtout « l’émergence en Afrique de leaders de l’énergie en capacité de porter des approches entrepreneuriales » qui est, pour Pascale Jean, un des leviers de l’électrification du continent.

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