31/10/2018
Si la question du changement climatique mobilise peu, c’est probablement parce que trop de dangers environnementaux sont mis en avant sans qu’on les ait hiérarchisés.
C’est une énigme persistante : alors qu’il y a un consensus scientifique sur la question du changement climatique et que le grand public en est plutôt bien informé, pourquoi cette prise de conscience ne se transforme-t-elle pas en mobilisation générale ? Tous ceux qui ont travaillé sur les incitations savent combien il est naïf de parier sur la seule vertu pour parvenir à mobiliser les foules, mais on pourrait croire que la peur est un moteur suffisant pour créer un mouvement puissant dans l’opinion.
Cependant, en premier lieu, cette peur n’est pas si tangible qu’on pourrait le croire. Un rapport gouvernemental publié en 2017 indique que les enjeux climatiques ne font pas partie du trio de tête des craintes des Français, lesquels se déclarent plus préoccupés par le terrorisme, la précarité de l’emploi et les questions de santé.
Ensuite, les conséquences du désastre annoncé paraissent à certains situés dans un futur lointain et un peu irréel, de sorte que les coûts imaginés sont soumis à ce que Paul Samuelson appelait la dépréciation temporelle de la valeur. La valeur d’une dette, expliquait cet économiste américain, a tendance à s’amenuiser psychologiquement à mesure qu’elle doit être honorée dans un lointain futur.
Enfin, la part de ce que chacun peut faire paraît marginale en termes de bénéfices escomptés par rapport aux efforts qui sont demandés. D’autant que les premiers effets catastrophiques de ce réchauffement se situent dans des contrées exotiques, et l’on sait que notre compassion est affectée par les kilomètres qui nous séparent du lieu du drame.
Mais entre toutes les raisons que l’on a pu invoquer, il en est une qui me paraît fondamentale lorsqu’on s’interroge sur la paralysie de l’action : celle d’avoir trop de choix. En effet, le marché cognitif est saturé par l’exhibition du risque (fondé ou infondé) : les ondes, le nucléaire, le glyphosate, le gluten, le lactose, les OGM, les perturbateurs endocriniens… Les rayonnages du supermarché de la peur sont si bien fournis qu’ils peuvent conduire tout à la fois à retenir notre attention en permanence et à suspendre peu à peu notre capacité d’action. A lire aussi : Climat : les raisons cognitives de l’inaction
Cette situation de paralysie de la décision humaine me paraît bien illustrée par une expérience que mentionne le psychologue allemand Gerd Gigerenzer dans son livre Le Génie de l’intuition. On installe dans une épicerie de luxe deux stands. Le premier propose 24 variétés exotiques de confiture tandis que le second n’en propose que 6. On constate alors que le stand le mieux garni retient plus facilement l’attention (60 % contre 40 %), mais il suscite moins d’actes d’achat. Lorsque 24 confitures sont présentées, seuls 3 % de l’ensemble des clients en achètent un pot de plus. En revanche, si le choix est réduit à 6, le chiffre grimpe à 30 %. Le plus grand choix attire donc davantage l’attention, mais ne favorise pas forcément la décision et l’action.
Pour que le cerveau humain puisse prendre une décision et ne soit pas frappé par ce que le psychologue américain Roy Baumeister nomme l’épuisement de l’ego, il lui faut percevoir un ordre de priorité. Or la mise en scène permanente des risques ne contribue pas à l’établissement d’une hiérarchie rationnelle. Ceux qui se préoccupent de questions environnementales ne favorisent pas toujours cette hiérarchie rationnelle des risques et contribuent souvent, involontairement, à la saturation de notre attention.
Nous sommes constamment sollicités par la mise en scène du risque et convaincus, à tort ou à raison, de vivre dans un environnement empoisonné. Mais cette arborescence envahissante des peurs ne nous rend pas nécessairement aptes à réagir lorsque se présente le vrai danger.
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