Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XVIII

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 [ Sur les causes de la rareté et la cherté de la viande361.]
  Dans la dernière séance du Club central ou du ci-devant Évêché [" Presque toutes ces sociétés disparurent en 1793. À cette époque on voit naître la société des Femmes républicaines et révolutionnaires, le club Massiac, le club électoral ou de l' Evêché, le club central des Sociétés populaires, la société de Lazowski... " ; source], on reprit la discussion sur l'examen des moyens à prendre pour parvenir à déterminer si les clubs sectionnaires doivent être supprimés362. Il n' y fut pas pris encore de résolution définitive ; mais quatre commissaires furent nommés pour faire un rapport sur les motifs de leur suppression, et [chargés] de rédiger une adresse aux sociétés populaires et aux 48 sections, pour exposer les motifs, le dessein et la conduite du Club central. Ce qu'il y a d'étonnant, ce que Vincent, qui est sans doute de ce Club central fut, ainsi que Dufourny, un des membres choisis pour cette commission. Celui-ci refusa cette adjonction, déclarant qu'ayant été le dénonciateur de Vincent, il ne voulait avoir ni rédaction, ni d'affaires communes avec Vincent363. On ne sait encore comment cela se terminera. Les haines réciproques subsistent toujours avec force.

Rapport de Jarousseau, W 191
  Une grande surveillance par les troubles et les murmures que vous entendez de toutes parts au sujet du maximum, que personne ne veut suivre ; vous entendez une partie des marchands de toute espèce qui disent librement : " Nous aimons mieux être guillotinés que de perdre sur notre marchandise. " Ce qui encore les autorise, c'est que, si vous n'en voulez pas, un autre le prend.
  L'on dit publiquement chez différents bouchers : " Nous voulons vendre le bœuf et le mouton 24 sols la livre, et 30 le veau, ou laissez-le ; c'est pour un autre. " J'ai observé qu'il y avait des commissaires chez eux, ils n'y sont que le matin. Les charcutiers sont dans le même cas. Les juges de paix ont fait des visites dans leur arrondissement à ce sujet ; l'on dit : " Que l'on commence donc pas la source, que l'on fasse donc régler le prix du bétail sur pied, et tout le monde sera satisfait. "
  L'on se plaint que les barrières ne font pas bien leur devoir, qu'il passe des chevaux avec des paniers remplis d' œufs avec quelques pommes de terre par dessus pour les couvrir ; que l'on porte ces œufs chez les pâtissiers et maisons affidées, à qui ils vendaient ce qu'ils voulaient. Voilà pourquoi les pauvres et les malades n'en peuvent point avoir. Il y aurait à craindre que tous ces propos ne conduisent encore une fois au pillage, ce qui devient bien dangereux et qui donne beaucoup d'inquiétude aux bons citoyens.
  Jusqu'à entendre des critiques au sujet des matelas, draps et couvertures que l'on retire des maisons des émigrés pour la réquisition du ministre de la Guerre pour nos armées, disent : " Cela nous passe devant le nez. "364

Rapport de Mercier, W 191
  L'on a trouvé, rue Martin, chez un juif, aux environs de dix milliers d' œufs que l'on lui a saisis cette nuit, et qu'on lui a pris.
  Chez le nommé Huchon365, boulanger, rue de la Tabletterie, l'on a découvert qu'il avait accaparé du beurre et du sel ; l'on lui en a trouvé aux environs de 4 à 5.000 livres de beurre, et à peu près autant de sel. L'on n'a pas perdu de temps pour lui faire argent de ce qu'il cachait avec autant de soin, car à la Halle il a été sur-le-champ vendu à 21 sols la livre, et Huchon mis en état d'arrestation.
  Des citoyens se disaient aujourd'hui que les arrestations faisaient un effet charmant, vu que c'était le seul moyen pour pouvoir déjouer l'intrigant et rompre tout commerce avec nos ennemis du dehors.
  Il y avait aujourd'hui, à la porte du charcutier de la rue Froidmanteau, au moins 600 femmes qui faisaient le plus grand bruit, et ce pour avoir une demi-livre de lard ; plusieurs se retiennent par timidité (sic) pour la République, car l'on en entend qui, entre leurs dents, n'osent point desserrer ce qu'ils pensent.
  Toujours j’entends dire qu'il se fait des agiotages sur l'or et l'argent ; l'on m'a dit qu'ils agiotaient les louis 36 livres, et que les mesures que l'on avaient prises jusqu'alors n'étaient pas suivies d'assez près pour pouvoir déjouer ce commerce infernal.
  Plusieurs citoyens se plaignent entre eux des intrigants qui se sont glissés dans les administrations des charrois et autres, qu'il n' y avait que les intrigants qui parvenaient à ces places.

Rapport de Monic, W 191
  Au café Payen, des citoyens parlaient que l'on voit à Paris beaucoup d'individus nouvellement arrivés, qu'il est très à propos de les surveiller de près. Un citoyen dit : " Je viens de voir un aristocrate qui devrait être arrêté il y a longtemps, c'est le vicomte d' Andelot366, grand partisan de Capet, car, lors du départ de Capet pour Varennes, d' Andelot n'ignorait pas la fuite que Capet devait faire, parce qu'il est toujours au château près de lui et de sa femme ; mais aussitôt que Capet fut parti pour Varennes, la section des Champs-Elysées fit mettre en arrestation d' Andelot avec un garde à sa porte ; mais Lafayette, qui protégeait des gens de son espèce, c'est-à-dire des traîtres, fit retirer le gardien, en le prenant sous sa protection. Mais, puisque la section des Champs-Elysées avait mis d'Andelot en arrestation lors du départ de Capet, ne l'ont-ils pas mis de nouveau en arrestation comme suspect comme la loi l'ordonne, c'est ce qu'on ignore. D' Andelot demeure rue du Faubourg Saint-Honoré, à côté de la maison du ci-devant prince Xavier. "367
  Un volontaire de la section des Tuileries, qui arrive d' Arras, disait qu'il était pitoyable de voir avec quelle négligence les autorités constituées font exécuter les lois ; que le peuple n'y est pas à la hauteur qu'il devrait être, par la faute des magistrats.

Rapport de Perrière, W 191
  Cherté et rareté des vivres. - Les journaliers se plaignent amèrement du peu de proportion qu'il y a entre leur gain et le prix de leurs besoins. " Nous vivions mieux autrefois, disent-ils, avec 40 sols qu'aujourd'hui avec 3 livres 10 sol ; il n'y a même pas à dire que nous puissions vivre : il ne reste plus que le désespoir et la mort. "
  Le même mécontentement se manifeste parmi les artisans dont le métier n'a point de rapport avec les besoins des armées, et qui, pour cette raison, demeurent presque sans emploi ; ils portent envie aux forgerons, aux charrons, etc, et disent qu'il n'y a qu'eux d'heureux ; qu'ils gagnent ce qu'ils veulent.

 https://www.parismuseescollections.paris.fr/sites/default/files/styles/pm_notice/public/atoms/images/CAR/lpdp_82791-25.jpg?itok=jM7o7QTb

Entre 1794 et 1796, misère et pénurie à Paris. Lesueur, Jean-Baptiste, 1749 -1826, dessinateur. Source

  On voit dans les marchés des femmes qui se désespèrent et qui s'en reviennent les larmes aux yeux de n'avoir pu trouver les choses dont elles ont besoin, ou de les avoir trouvées beaucoup au-dessus de leurs moyens.
  En effet, on ne voit pas dans toute la Halle un seul morceau de beurre ; ou, s'il y en a, c'est du beurre blanc, détestable et qui a le goût du suif [graisse des ruminants qu'on enlève des morceaux de boucherie ; Larousse] comme il en a la couleur.
  Que devenir? dit le peuple. La viande manque, un misérable petit chou vaut 12 sols, les haricots sont à 20 sols le litron, et les lentilles à 24 ; les voilà même aujourd'hui en réquisition ; le lard l'est aussi, et c'était pourtant le seul moyen, avec les choux, de suppléer à la viande!...368
  On dit aussi que les pommes de terre vont aussi être requises...
  Que nos braves défenseurs vivent, c'est juste ; mais il ne faut pourtant pas que ceux qu'ils défendent meurent.
 Ainsi raisonnent les citoyens, et rien ne prête aux insinuations perfides des malveillants comme cette cherté extrême, ou même disette absolue, des denrées qui ont coutume de faire vivre le pauvre.  Il n'est pas difficile à ces scélérats de lui persuader qu'il manquera bientôt de pain comme de tout le reste, et que cette réquisition successive de tous les objets de basse consommation ne tardera pas à être suivie de la famine.
  Hier une fressure de veau [ensemble des gros viscères d'un animal de boucherie : cœur, rate, foie et poumons ; Larousse] (en termes vulgaires), c'est-à-dire le foie, la rate et le coeur, furent faits 9 livres à une pauvre femme qui les marchandaient, et cependant le tout était d'une médiocre grosseur. C'était autrefois un objet de 3 livres tout au plus.
  La jalousie s'en mêle. - " Il est encore des gueules assez fines dans Paris, disaient quelques femmes rassemblées, pour manger la morue à plus de 30 sols la bouchée - J'ai vu, dit l'une d'elles, le morceau qu'une belle cuisinière ordonnait de porter chez son maître ; il n'était pourtant pas capable de la charger, car, s'il pesait une livre, c'est tout au plus. Mais ne fallait-il pas faire voir que les députés pouvaient fort bien donner six francs d'un petit morceau de morue, et payer encore généreusement le port? Ce qui m'a surpris, c'est que la marchande fût elle-même en colère de la provision chère et délicate de ces heureux mortels, puisqu'elle devait gagner beaucoup pourtant ; mais c'est qu' apparemment elle pensait à l' Égalité. "
  " Mes braves femmes, leur dis-je, vous m'avez l'air trop bonnes citoyennes pour chercher à irriter vos semblables contre les députés qui préparent notre bonheur ; vous ne voudriez pas recevoir les guinées de Pitt à ce prix ; mais croyez que, dans l'histoire que vous venez de raconter, la cuisinière et le maître sont des personnages supposés ; c'était avec l'argent de nos ennemis que cette coquine achetait si cher un petit morceau de morue, et elle nommait si haut le député, qui n'y devait seulement pas toucher, que pour avoir occasion d'exciter votre envie contre les créateurs de votre liberté et de votre bonheur, auquel les aristocrates seuls mettent obstacle, mais dont vous jouirez dès qu'ils seront abattus, et ils ne tarderont pas à l'être. "
  Suite de l'esprit de jalousie, et accusation contre une boulangère. - " Je viens, me dit une citoyenne, de chez une boulangère qui m'a fait voir avec affectation plein un saladier de pieds de veau, avec un petit rognon, pour 9 livres. N'est-ce pas outrant de voir les sangsues de tant de misérables insulter encore à leur malheur? Et cette même femme, dont je te parle, ne pouvait cuire, il y a deux ans, faute de posséder la valeur d'un sac de farine ; c'est la vérité pure, car elle est attestée par plusieurs personnes digne de foi..369 Je m'arrête, irritée contre le ciel même de ce que la Révolution, si nécessaire et par laquelle il est si facile de procurer le bonheur de tous, n'enrichisse qu'une poignée de particuliers assez impudents, assez effrontés pour déclamer encore contre elle. "

Rapport de Pourvoyeur, W 191
  Le peuple disait : à la Convention nationale, au sujet du rapport qui a été fait du procès de Chaudot370, au moment où l'on vit arriver le défenseur officieux, plusieurs personnes se mirent à claquer des mains ; mais, sitôt qu'elles virent confirmer le jugement, elles s'en allèrent, et tout le peuple leur dit : " Oui, allez-vous en ; vous avez bien gagné votre argent. "
  Le peuple dit toujours qu'il voit avec peine les prisonniers, ou plutôt les déserteurs ennemis, se promener hardiment dans tout Paris ; ils on l'air d'insulter les Français.
  Plusieurs citoyens disaient qu'étant de service au Port-au-Vin, un bateau arrivait rempli de pièces de vin [une pièce de vin, en Bourgogne contient 228 litres] ; il y avait beaucoup de marchands qui attendaient depuis cinq à six jours pour avoir une pièce de vin ; on leur dit que le vin qui était dans le bateau était vendu.

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La magnifique cave d’élevage à double arche du Château de Meursault, datant du XVIème siècle – © Hans Strand

   Le peuple dit qu'il voit bien que tout est accaparé, même avant de venir à Paris ; les gros marchands le font exprès pour faire tomber une quantité de citoyens qui se sont établis pour faire du commerce, et obliger ces derniers à venir acheter chez eux, n'étant point assez avancés pour acheter de la première main.
  J'ai vu plusieurs fois offrir des écus de six francs pour payer des cochers de fiacre, et ces derniers les refuser et vouloir du papier ; les vrais patriotes républicains ne veulent point d'argent, mais les gros marchands le reçoivent bien et l'accaparent encore.
  L'on fait des lois, dit le peuple, et l'on ne les fait pas exécuter : voyez si aucun marchand a vendu au prix du maximum ; les sans-culottes ont eu beau se plaindre, ils n'ont rien obtenu. D'autres répondraient à cela : ce n'est point la faute de la Convention ; elle fait de bonnes lois ; c'est aux autorités à les faire observer.
  Ce matin, Enselme371 en allant au supplice disait : " Vous avez beau faire, vous ne viendrez pas à bout de ce que vous avez entrepris. " Le peuple qui l'entendit l'accabla d'injures, et cria : Vive la République! Lui-même, arrivé sur la place de la République, sur l'échafaud, cria : Vive la République.
  Le peuple dit qu'il est impossible de juger avec plus d'intégrité qu'au Tribunal révolutionnaire ; tous les moyens de défense sont offerts aux accusés ; le peuple dit qu'il est quelquefois dans l'admiration en voyant juger ce tribunal.

Rapport de Prevost, W 191
  Un citoyen venant de l' armée du Nord - étant à dîner chez le marchand de vin traiteur rue des Petits-Champs, coin de celle Coquillière, - y ayant servi en qualité de volontaire, rapporte que la majeure partie de cette armée est gangrénée d'aristocratie, qu'il y a un mécontentement général, que beaucoup de nos volontaires se plaignent de ce qu'ils sont commandés par des officiers qui n'y connaissent rien, et qu'il serait très important de les faire surveiller.
  Un citoyen résidant à Carrières-Franciade372 dit qu'il n'est pas étonnant que les marchandises destinées pour Paris ne viennent pas à la Halle, que les revendeurs vont aux marchés de Montfort-l'Amaury, Neauphle, et autres endroits circonvoisins, pour y accaparer les volailles, le beurre, les œufs et autres denrées ; de plus, qu'ils vont à une lieue des marchés attendre les marchands, et leur achètent tout ce qu'ils ont, sans se donner la peine d'aller sur le carreau, ce qui donne lieu souvent à une hausse considérable ; et viennent ensuite vendre ce qu'ils ont dans les maisons de particuliers habitués, ce qui fait que beaucoup de pauvres citoyens n'ont rien.
  Il existe un très grand mécontentement dans le public à cause de la rareté de la viande ; les malades n'en peuvent avoir ; encore moins de légumes, qu'il n'y a pas à la Halle.

Rapport de Rolin, W 191

  De tous côtés, on murmure contre l'expulsion du citoyen Ferrières373 [Charles-Élie, de, 1741-1804 ; Député de la noblesse de la sénéchaussée de Saumur aux États Généraux, député à l’Assemblée nationale : mars 1789- septembre 1791 ; conseiller général de la Vienne, 1801] de la Société des Jacobins ; on paraît convenir généralement qu'il a eu tort d'agir de son propre mouvement, mais on ajoute qu'un citoyen qui peut se flatter d'être le doyen de la Société, et dont le patriotisme n'a jamais viré, qui, dans tous les temps, a fait tout le bien possible pour la Société qui l'avait de tout temps fait son trésorier, doit se trouver bien humilié d'avoir en si peu de temps, non seulement perdu la confiance de cette Société mère, mais encore d'être incarcéré pour avoir (dit-on) donné trop d'étendue à sa sensibilité, et avoir pratiqué la plus belle des vertus : l' humanité.


Mémoires du marquis de Ferrières, avec une notice sur sa vie, des notes et des éclaircissements historiques. Source

   Ce n'est pas tout. On assure que, depuis trois mois environ, les portières des tribunes des Jacobins vendent les numéros de manière que les tribunes ne sont plus remplies que d'individus inconnus et qui se font croire patriotes, mais depuis trois mois seulement. Or, avec de l'argent, tout faux patriote peut, dit-on, non seulement avoir les premières places aux Jacobins, mais encore y voter, applaudir qui bon lui semble, et ôter la parole à ceux qui ne sont pas de leur bord. La Société, assure-t-on, sera, par ce moyen, bientôt renouvelée, car, si on réfléchit un peu, on verra qu'on ne s'attache qu'à discréditer les anciens patriotes, au point qu'un ancien membre des tribunes n'a pas craint de dire, lors de l'expulsion de Ferrières, que bientôt on expulserait Robespierre, vu qu'il était trop vieux patriote, car, ajouta-t-il, on fera bientôt des patriotes ce que l'on fait des habits, on les changera quand ils seront trop vieux. Enfin on assure qu'il existe une cabale des plus formidables, que le club des Cordeliers veut altérer celui des Jacobins, que l'on cherche à exciter une civile, etc.
  Les murmures et les menaces ont beaucoup augmenté aujourd'hui ; c'est le troisième jour que l'on a point de bœuf dans le quartier de la place Maubert.
  On trouve singulier que le marché dit le Saint-Esprit374 tienne toujours les ci-devant lundi. Il faudrait, dit-on, qu'il tint les primidi [premier jour de la décade, dans le calendrier républicain ; Larousse] et quintidi [cinquième jour de la décade, dans le calendrier républicain ; Larousse] de chaque décade, pour ôter l'idée affreuse de l'ancien régime.
  Les voies de fait se multiplient pour le bois sur le port de la porte ci-devant Saint-Bernard [ "... également appelée porte de la Tournelle, détruite après la Révolution, était une des portes de Paris de l'enceinte de Philippe Auguste. Elle se trouvait à l'extrémité orientale du quai de la Tournelle, le long de la Seine, dans le quartier Saint-Victor du 5e arrondissement... " ; source]


La porte Saint Bernard au XVIIIe siècle. Source


30 pluviôse an II [18 février 1794], W 191


Rapport de Beraud, W 191
  Le comité révolutionnaire de la section du Temple ayant fait incarcérer, il y a quatre mois, les citoyens Mille et Dupraz375 pour avoir soi-disant donné au nommé Huart376 un certificat attestant qu'il avait bien rempli son service depuis qu'il était dans la compagnie, ces deux citoyens ont écrit plusieurs fois à l'assemblée générale de ladite section pour les réclamer ; mais on n'a nul égard à leur demande, quoique quelques citoyens les regardent comme victimes de la haine. Les deux femmes de ces citoyens, s'étant introduites dans l'assemblée pour présenter un mémoire sur l'ordre du jour, elles ont fait des cris qui ont porté l’épouvante dans le cœur des amis de l'humanité. Personne n'ose prendre leur défense de crainte d'être incarcéré à son tour.
  Suivant le dire de plusieurs personnes, le citoyen Mallet377, membre du comité révolutionnaire et de la société populaire de la section ci-dessus, voulait qu'on expulsât de ladite société ceux qui ne voulaient pas déclarer que Talbot378, membre de la Commune, avait perdu leur confiance, quoiqu'ils ne le connussent pas.
  Ce même Mallet, ainsi que le citoyen Fiquet379, administrateur de la police, sont accusés d'avoir dit à la citoyenne Gossot, dont le mari380 venait d'être incarcéré pour avoir causé du trouble, étant ivre, dans l'assemblée générale de la section dont est question ci-dessus : " Si ton mari avait 30.000 livres de rente, il serait guillotiné. "

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 171-181.

361. Voir le texte de cette partie du rapport dans : P. Caron, Rapports de Grivel et Siret... : Bulletin d'hist. écon. de la Révol., 1920-1921, p. 398-401.
362. Cf. ci-dessus, p. 74, note 1.
363. Confirmé par le compte rendu de la séance du 27 pluviôse [15 février], mentionné dans la note ci-dessus.
364. Nous reproduisons textuellement ce paragraphe.
365. Pas de renseignements.
366. Pas de renseignements.
367. Nous n'avons pas identifié cet immeuble .
368. Ces points de suspensions et ceux qui suivent sont dans le texte.
369. Ces points de suspensions sont dans le texte.
370. Cf. ci-dessus, p. 98, note 2.
371. Il n' y a pas de trace, dans les documents des Arch. nat., d'un condamné de ce nom : Enselme ou Anselme. Le Tribunal révolutionnaire - s'il s'agit de lui - a prononcé une condamnation à mort le 27 pluviôse [15 février], une autre le 28 [16], celle du général Desherbiers de Létanduère [Antoine-Auguste, 1749-1794, marquis de L'Estanduère, seigneur de La Raslière ; général de brigade à l’armée des Alpes ; il participe à la campagne d' Italie ; condamné comme conspirateur], et aucune le 29 [17].
372. Carrières-Saint-Denis, aujourd'hui Carrières-sur-Seine, département des Yvelines.
373. Ci-après, p. 264, note 1.
374. Il s'agit probablement d'un marché qui se tenait à proximité de l'hôpital du Saint-Esprit, lequel était situé place de Grève, au nord de l' Hôtel de Ville.
375. Mille, Noël-Joseph, demeurant rue de Ménilmontant, âgé de 37 ans en 1794, originaire d'Arras, où il était homme de loi, y avait abandonné sa femme et quatre enfants, pour venir à Paris, où en 1789 il est employé de bureau. Le 24 août 1792, la section du Temple qu'il présidera l'élit au Conseil général de la Commune de Paris. Dupraz et lui sont incarcérés, le 13 brumaire an II [3 novembre 1793] pour le motif qu'indique Beraud. La Société des hommes révolutionnaires du 10 août les réclame en vain ; les démarches qu'eux-mêmes font auprès de la section et du Comité de sûreté générale restent sans effet. Ils ne recouvreront leur liberté , Dupraz, qu'à la fin de Thermidor an II [août 1794], et Mille qu'au début de vendémiaire an III [septembre 1794] - Dupraz, François, âgé de 39 ans en 1794, était menuisier rue de Ménilmontant. Son rôle révolutionnaire avait consisté en services dans la force armée de la section du Temple : Arch. nat. F7 4695. doss. 1, et 477446 ; Braesch, La Commune du 10 août, p. 649.
376. Montaut-Huart, Charles, demeurant rue de Ménilmontant, âgé de 40 ans en 1794, vivait de son bien. Le 9 brumaire an II [30 octobre 1793], la section du Temple ayant renvoyé aux Jacobins une députation dans les rangs de laquelle il se trouve, il est dénoncé par des membres du club, qui le reconnaissent, comme étant ouvertement aristocrate et ayant tenu, lors du 20 juin, des propos anti-jacobins. La députation se retire, s'engageant à déférer Huart au comité révolutionnaire de la section. Le 14 brumaire [4 novembre], il est mis en arrestation ; traduit trois jours plus tard devant le Tribunal révolutionnaire, il est condamné à être déporté à la Guyane : Arch. nat., F7 4745, W 294, doss. 224 ; Aulard, La Soc. des Jacobins, t. V, p. 489-490.
377. Cf. t. Ier, p. 398, note 1.
378. Cf. t. III, p. 359, note 1.
379. Lire : Figuet, Claude, né à Valence, architecte, ex-administrateur de police. Les scellés sont apposés chez lui par ordre du Comité de sûreté générale le 3 messidor an II [21 juin 1794]. Le 4 prairial an III [23 mai 1795], il est incarcéré au Plessis par ordre du comité de surveillance de la section du Temple, comme ex-terroriste ; il ne recouvrera sa liberté, par ordre du Comité de sûreté générale, que le 2 brumaire an IV [24 octobre 1795] : Arch. nat., F7 4707, doss. 2.
380. Gossot, marchand de vin rue des Fossés-du-Temple. L'incident que relate, exactement, Beraud, s'était produit le 15 frimaire an II [5 décembre 1793] ; la section avait fait, dès le lendemain, emprisonner Gossot à Sainte-Pélagie ; les documents ne disent pas quand il en est sortit : Arch. nat., F4729. 
 
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