Contrairement à la croyance populaire, il n'existe pas de marché européen de l'électricité tel qu'il a été décrit par les experts, c'est-à-dire un merit order européen qui régirait le fonctionnement des centrales électriques et serait géré par une instance supranationale. En réalité, il n'y a pas de directive européenne sur ce sujet, mais plutôt des décisions techniques prises par des organismes tels que les gestionnaires de réseau et les bourses.
Cependant, il existe trois éléments importants à considérer :
- Des échanges physiques et commerciaux d'électricité entre les pays européens ont lieu depuis avant la Seconde Guerre mondiale et ont pris de l'ampleur à partir du milieu des années 80. Ces échanges sont limités par la capacité des lignes d'interconnexion entre les systèmes électriques de chaque pays. La France, par exemple, est interconnectée à tous ses voisins, y compris la Suisse et l'Angleterre.
- Des marchés nationaux avec des merit order nationaux existent.
- Un " couplage de marchés " facilite les échanges commerciaux et la gestion économique des interconnexions. Cependant, en cas de forte tension sur le réseau européen, comme cela a été le cas récemment avec la crise du gaz russe et la faiblesse du nucléaire français, les interconnexions peuvent se saturer et les prix peuvent s'aligner sur les centrales les moins performantes, comme les centrales à gaz.
Le couplage de marché est une mesure technique et commerciale, et non physique. Le premier couplage a été réalisé à l'initiative de Réseau de transport d'électricité, RTE, en 2006 entre les bourses d'électricité française et néerlandaise.
En conclusion, il est important que nos femmes et hommes politiques ne parlent pas de " sortir du marché de l'électricité européen ", car cela ne veut rien dire et peut évoquer des conséquences dramatiques. À la place, il conviendrait mieux de proposer de mettre fin au couplage du marché français avec les autres marchés et de continuer les échanges inter-européens en mode gré à gré, comme cela a été le cas par le passé. Bien que cela puisse être légèrement moins optimal et transparent, cela ne causera pas de dommages importants.
Le mode gré à gré
Entre les années 2000 et 20I0, les échanges d'électricité entre EDF et ses homologues allemands ou italiens se faisaient de gré à gré, c'est-à-dire par le biais de négociations commerciales de base, sans passer par des intermédiaires ou des systèmes automatisés, style traders ! Pour faire simple, EDF achetait de l'électricité pour sa pointe d'hiver et la vendait le reste du temps. C'était la même façon de procéder pour le gaz, avant les années 2000, entre GDF et Gazprom !
La déréglementation européenne de l'électricité a entraîné une augmentation du nombre d'intermédiaires cherchant à réaliser des marges sur les échanges d'électricité aux interconnexions. Cependant, contrairement au marché international du pétrole et du gaz, où une cargaison peut changer de mains plusieurs fois entre son port de départ et d'arrivée, les échanges d'électricité sont différents en raison de la nature de l'électricité et des réseaux électriques. Les échanges commerciaux maximum sont inférieurs aux capacités en puissance des interconnexions, qui sont régis par les lois de Kirchhoff ou la loi des nœuds et la loi des mailles.
KIRCHHOFF Robert Gustav, I8824-I887, physicien, Prusse. Portrait vers I850. Source.
Le spread est l'écart entre le prix spot de l'électricité en France et en Allemagne, ou en Italie, etc. Par exemple, le jeudi 20 mai 2024, à 20 h 00, comme indiqué dans le graphique ci-devant, le prix du MWh était de 37,5 € en France et de I54,7 € en Allemagne. Le spread était donc de II7 €/MWh, en faveur de la France. En vendant ses MWh à l'Allemagne, la France a réalisé un bénéfice confortable et a confirmé qu'il était rentable, pour elle, de produire de l'électricité à cette période précise.
Ainsi, l'histoire du merit order européen et du gaz marginal qui s'impose à tous est rendue ridicule par les écarts de prix entre les pays européens. Les experts qui ont affirmé que l'envolée des prix de l'électricité en France était liée à l'envolée des marchés européens calés sur le gaz ont eu tort. En réalité, l'envolée des prix de l'électricité en France était due pour l'essentiel, à l'indisponibilité de la production nucléaire suite à la décision d'EDF, répondant aux demandes de l'Autorité nationale de Sécurité, A.N.S., de fermer les tranches touchées par les corrosions sous contraintes des circuits de secours, alors que la performance du parc nucléaire était déjà au plus bas depuis des années.
Pour autant, les décideurs politiques qui, pour la plupart, ne comprennent pas le mécanisme, pourraient toutefois prendre des décisions simples et efficaces pour améliorer le fonctionnement du marché et remettre les experts à leur place.
Source. RTE.
Billet librement inspiré par RAUX Jean-François.
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