Changement climatique : le faux consensus

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2/11/2017



«On ne peut pas imaginer qu’un simple verdissement du système économique dominant soit à la hauteur du défi qui se pose à nous». Dans la dernière des contributions du livre collectif L’adaptation au changement climatique, une question de sociétés, la philosophe Virginie Maris porte le fer dans la plaie. Et permet de s’interroger sur la pertinence du récit, lancé notamment après la COP-21 de Paris, en décembre 2015, selon lequel l’Humanité toute entière, dans un élan magnifique et surtout consensuel, va affronter et résoudre le défi climatique. Une interrogation renforcée par le constat fait par l’ONU : même la mise en oeuvre complète de cet accord, ce qui est pour moins douteux, n’éviterait pas un dérapage climatique au delà de l’objectif des 2°C de plus que la température planétaire pré-industrielle.

Or, souligne la philosophe de terrain – elle est en poste au Laboratoire d’écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier (1) – ce récit s’appuie sur une vision dominante selon laquelle il ne faut pas entraver une croissance économique, jugée seule à même de donner à nos descendants les moyens technologiques, économiques et industriels susceptibles de leur permettre de s’adapter aux changements engagés. A l’exemple de ces pays aux cotes menacées de submersion et qui devraient s’en protéger par d’immenses travaux publics d’endiguement.

Paradoxe et impasses
D’où la tension entre un discours officiel visant en priorité l’atténuation de la menace par une diminution des émissions de gaz à effet de serre et une réalité qui devrait orienter nombre de politiques publiques, de la commune aux relations internationales, vers l’adaptation à un changement en partie inéluctable. Même si de bonnes décisions étaient prises dès aujourd’hui, l’inertie des systèmes climatiques et industriels, comme de la démographie humaine, implique une quasi impossibilité d’atteindre l’objectif climatique officiel, ne pas dépasser les 2°C de plus qu’à l’époque pré-industrielle. Sans parler de viser les 1,5°C, tel qu’indiqué dans l’Accord de Paris, qui seront atteints même si l’on stoppait toute émission rapidement. Le paradoxe étant que plusieurs discours, en particulier celui des « militants du climat » ont négligé le volet adaptation par crainte d’y voir un abandon de toute politique d’atténuation de la menace.

D’où l’intérêt de cet ouvrage, aux 74 auteurs (2), qui se veut un «appui» à la mise en oeuvre de l’Accord de Paris (COP-21, décembre 2015). Il balaye un large spectre, de l’évolution des écosystèmes naturels aux agricultures, des dimensions juridiques aux financements internationaux en passant par des stratégies d’entreprises. Mais permet aussi de s’interroger sur les impasses des discours et politiques en vigueur.

L’empreinte carbone

Il est en effet urgent de mettre fin à la formidable hypocrisie qui dure depuis 1990, lors de la signature de la Convention Climat de l’ONU. Tout en proclamant se plier à ce texte par lequel ils s’engagent à ne pas bousculer le climat au point que ce changement devienne «dangereux» pour les populations, les Etats signataires – tous – ont poursuivi des politiques économiques et des choix technologiques entraînant des émissions de gaz à effet de serre correspondant au pire des scénarios étudiés par les scientifiques. Le résultat ? Entre 1990 et 2016 le total des émissions de gaz à effet de serre exprimée en équivalent CO2 est passé d’environ 30 milliards de tonnes à près de 50 milliards de tonnes (3).

Même les pays qui affichent en apparence une politique vertueuse, comme les Etats de l’Union Européenne, sont en réalité très loin de leurs promesses. En effet si l’on réintègre dans les émissions des pays le solde de leur échanges de biens – ce qui revient à calculer les émissions du point de vue de la consommation et non de la production -, les chiffrent changent drastiquement. Avec une bascule géante des pays « usines du monde », dont la Chine, vers les pays les plus riches, et singulièrement la plupart des pays de l’Union Européenne, avec un maximum pour la France, liée à sa désindustrialisation. Si l’on réfléchit en « empreinte carbone » réelle, ces pays ont augmenté leurs émissions au lieu de les diminuer depuis 1990.


La grande bascule de l’empreinte carbone lorsque l’on passe du producteur au consommateur. Tiré de Aurélien Havel et Laura Barbier, La revue de l’Energie n° 624 mars avril 2015

Injustice
Le nœud de l’affaire réside manifestement dans la notion de justice climatique. Une notion que l’on pourrait rapprocher d’un « droit au bonheur pour tous » même si Virginie Maris note judicieusement qu’au delà d’un niveau permettant la satisfaction des besoins de base, «le bonheur des individus dépend lus directement d’autres caractéristiques de la société, telles que la justice, la sécurité, la qualité des relations…».

Deux des contributions permettent d’y réfléchir. Celle d’Edwin Zaccai (4), à l’orée de l’ouvrage, soulignant que «L’inégalité la plus massive en matière d’adaptation demeure celle de sociétés riches et très émettrices de polluants climatiques vis à vis de sociétés pauvres, peu émettrices et davantage dépendantes de ressources naturelles, impactées par un changement climatique auquel elle n’ont pratiquement pas contribué». En moyenne, précise t-il, «un Malien émet cent fois moins de CO2 qu’un Français».




On comprend l’ampleur de l’enjeu des dimensions inégalitaires du changement climatique à la lecture de la contribution de Bettina Laville, car si les responsables doivent payer, alors l’adaptation coûteuse des pays et des populations pauvres aux changements climatiques devraient être acquittés par les pays et les populations riches. Ce 10% de la population mondiale responsable de 50% des émissions actuelles, et bien plus des émissions historiques, depuis 1950. D’où l’insistance des pays pauvres, dans le cadre des COP, sur le volet adaptation… et les financements qu’ils appellent. Et le rappel utile par Sandrine Mathy des chiffres clés : près d’un milliard d’êtres humains vivent avec moins de 1,5$ par jour, plus de 800 millions ne se nourrissent pas assez et 2,5 milliards ne disposent pas de services d’assainissement de qualité. 
 
Curieux éloge de la fuite
Ce point de vue relativise les efforts d’adaptation que les sociétés riches devront et pourront accomplir. Adapter la vie quotidienne à Paris à des vagues de chaleur plus intenses, ou les cépages des vins de Bordeaux au climat des années 2060, n’est pas trivial, mais à portée de technologies, d’organisation sociale et de financement d’un pays développé comme la France. Mais qu’en est-il de l’adaptation des agricultures pluviales, réalisées par des moyens encore essentiellement manuels, et avec lesquelles survivent plus d’un milliard de paysans très pauvres dans les pays tropicaux ? Ou des mégapoles – de Lagos à Mexico – dont l’approvisionnement en énergie, en moyens de transport et l’urbanisation défient les objectifs de maîtrise des émissions ?

L’ouvrage se termine sur une conclusion édifiante en un «éloge de la fuite». Les trois co-directrices du livre en arrivent à évoquer longuement la conquête spatiale, voire la terraformation d’autres planètes, comme solution à la crise environnementale, qui ne se réduit pas à son volet climatique. Comme s’il était plus raisonnable de vouloir terraformer Mars que d’envisager les transformations socio-économiques, révolutionnaires certes, susceptibles de combiner une atténuation réelle de la menace climatique et l’adaptation à sa part déjà inéluctable.
(1) Unité mixte CNRS, Université de Montpellier, université Paul Valery, SUpAgro, IRD, INRA EPHE.
(2) L’adaptation au changement climatique, une question de sociétés, Collectif sous la direction de Agathe Euzen, Bettina Laville et Stéphanie Thiebault.
(3) Compte non tenu des émissions dues aux changements d’usages des sols (déforestation etc).


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