28 novembre 2017 /

Réjouissons-nous. Les sombres affaires Thévenoud, Cahuzac ou Fillon,
 c’est du passé ! Cette impression prégnante que la classe politique a 
tous les droits, surtout celui de se remplir les poches sur le dos du 
contribuable, c’est terminé ! Les conflits d’intérêt, passe-droits et 
abus de pouvoir petits et grands, c’est bien fini ! Aujourd’hui, nous 
vivons enfin dans une République irréprochable, véritable paradis 
politique où l’on marche sereinement, sans craindre les ampoules 
douloureuses et les cors aux pieds disgracieux.
Eh oui, on a moralisé la vie politique 
française ! Ça remonte à quelques mois, au 15 septembre 2017 exactement,
 mais cette belle et grande nouvelle n’a certainement pas pu vous 
échapper. Preuve de la « politique autrement » promise par le candidat 
Macron en campagne, preuve du grand ménage de printemps réalisé dans 
tous les placards poussiéreux d’une République enfin remise en état de 
marche, ce fut non seulement l’objet de la première loi du quinquennat 
mais un véritable événement médiatique : le Président l’a signée 
lui-même en personne en direct à la télévision !
Tel le 
héros qui tient ses promesses plus vite que son ombre, il avait dit 
qu’il le ferait et il l’a fait pratiquement dans les secondes qui ont 
suivi son élection. Moralisation ? Check ! C’est un signe, qu’on se le 
dise ! Ce quinquennat sera celui de la transparence et de l’angélisme. 
Et peu importe que cette loi résulte au départ d’un accord électoral 
avec François Bayrou, ce dernier apportant les voix du Modem à la 
candidature Macron en échange du poste convoité de grand justicier. 
Et peu 
importe que le dit grand justicier ait fini épinglé en train de faire la
 bête avec une stupide histoire de cadres du Modem « à recaser d’urgence »
 alors qu’il a toujours mis beaucoup d’application à faire l’ange de la 
politique et, par la même occasion, à faire la morale à tout le monde. 
Pour une loi de moralisation de la vie publique, c’était fâcheux. Mais l’indélicat
 a été promptement débarqué de son poste afin de pouvoir prouver son 
évidente innocence sans entraver l’action du gouvernement (formule 
consacrée). C’est donc élu avec les voix du Modem et débarrassé de 
l’encombrant Bayrou que Macron a pu nous présenter sa loi fondatrice 
dans une de ces mises en scène de sa noble grandeur qu’il affectionne 
(vidéo,  02′ 14″) :
Soyons justes : on ne pourra qu’accueillir avec satisfaction les mesures
 concernant l’impossibilité pour les parlementaires d’avoir une activité
 de conseil parallèle, l’obligation de rendre des comptes sur 
l’utilisation de leur indemnité représentative des frais de mandat et la fin de la réserve parlementaire discrétionnaire(*).
Mais peut-on dire pour autant qu’on a « moralisé » la vie politique ? A observer la façon dont Emmanuel Macron structure son parti La République en Marche (LREM), à
 voir les opposants d’il y a 3 minutes retourner leur veste dès qu’une 
ouverture se profile et à constater par ailleurs combien rien n’est fait
 pour réduire le poids de l’Etat dans la vie des Français, je crains 
qu’on ne soit très loin du compte.
Chez LREM, on est vivement encouragé à « penser printemps »
 et à bousculer l’ordre établi pour sortir la France de ses vieilles 
ornières et lui permettre de prendre enfin son envol. Mais on est encore
 davantage prié de coller à la ligne présidentielle sans broncher. Pas 
question de fronder, pas question de s’éparpiller en courants, pas 
question d’être le moins du monde pluriel, même si les marcheurs étaient
 invités au départ à s’enrichir mutuellement de leurs différences.
Richard Ferrand et Christophe Castaner, 
deux fidèles de la première heures qui se comportent depuis le début 
comme les porte-flingues de la macronie, n’ont pas été bombardés 
d’autorité à la tête des députés LREM pour le premier et à la tête du 
parti pour le second pour animer une simple colonie de vacances. C’est 
tout l’appareil d’ Etat qui est ainsi verrouillé au profit du Président, 
et ce d’autant mieux que Castaner a conservé son poste de secrétaire 
d’ Etat aux Relations avec le Parlement.
Les Français étaient 52 % à trouver choquante la nomination autoritaire de Castaner à la tête de LREM ; ils sont maintenant 70 %
 à juger son maintien au gouvernement anormal. Mais Macron n’a pas 
reculé, et Castaner a invoqué une excuse vraiment trop mignonne : son 
mandat à la tête de LREM étant bénévole, il faut bien qu’il gagne sa 
vie. Et tiens, pourquoi pas au gouvernement ? Et pourquoi pas dans les 
relations avec le Parlement dont il a déjà l’expérience ?
Résultat concret, le parti majoritaire, 
l’exécutif et le Parlement sont dorénavant intimement liés par des 
hommes sans états d’âme qui doivent tout à Emmanuel Macron. Drôle de 
séparation des pouvoirs. Et pas vraiment un exemple de moralisation de 
la vie publique.
Autre situation ubuesque qui fait douter 
du sens que la classe politique donne au mot « moralisation » : Macron a
 réussi à faire entrer au gouvernement comme secrétaire d’ Etat à la 
fonction publique auprès du ministre du budget Gérald Darmanin le député
 socialiste Olivier Dussopt (ex-socialiste
 depuis sa nomination au gouvernement), qui avait voté contre le PLF 
2018 comme tous ses collègues socialistes seulement trois jours avant sa
 nomination ! Auparavant, il n’avait pas voté la confiance au 
gouvernement Philippe et il s’était prononcé contre les ordonnances 
Travail.
Le parcours politique d’Olivier Dussopt
 est particulièrement sinueux : proche de Martine Aubry à une époque, il
 avait ensuite rejoint Valls, avant de devenir le porte-parole de Benoît
 Hamon pour la primaire de gauche et de se la jouer très anti-LREM 
jusqu’au jour bienheureux de son entrée dans le gouvernement d’Emmanuel 
Macron vendredi 24 novembre dernier. C’est merveilleux de se sentir 
soudain aussi proche d’un gouvernement avec lequel on n’avait rien, mais
 alors vraiment rien en commun ! 
Commentaire
 de Valls, qui réfléchit de son côté à rejoindre LREM pour les élections
 européennes de 2019 : l’entrée de son ami Olivier Dussopt au 
gouvernement est une excellente chose car voilà un homme qui « a l’expérience du terrain et le sens de l’Etat ». Un
 sens manifestement très corrélé avec son avancement personnel qui ne 
colle guère avec l’idée qu’on se fait en général de la moralité en 
politique.
Mais parlons de l’Etat, justement. Que 
devient-il sous la férule d’Emmanuel Macron ? Se pourrait-il que la 
« politique autrement » aille jusqu’à chercher à en réduire le périmètre
 pour écarter la France de sa cavalcade vers la faillite économique et 
restaurer les capacités d’initiative de ses citoyens ? Absolument pas.
La semaine dernière, l’OCDE a confirmé ce que l’on savait, à savoir que la France est toujours sur le podium
 dès lors qu’on parle des dépenses publiques ou des prélèvements 
obligatoires. En 2016, elle était championne pour les premières avec 
56,2 % du PIB et vice-championne pour les seconds avec 45,3 %. On sait 
grâce au PLF 2018
 qu’il en sera peu ou prou de même en 2017 et 2018. Les dépenses, les 
prélèvements obligatoires et le déficit continuent sur leur dangereuse 
lancée.
On touche là à ce qui est le plus 
problématique pour la moralisation de la vie politique. Ainsi que je 
l’avais déjà souligné dans un précédent article,
 un Etat aussi largement répandu dans toutes les activités de ses 
citoyens, un Etat qui distribue tant de postes  enviés et tant de 
subventions, y compris à la presse, à la culture et aux entreprises, un 
Etat qui se mêle en permanence d’orienter les moindres aspects de 
l’existence de chacun en détenant jalousement un monopole sur 
l’ Éducation et sur la santé, un Etat qui se croit fondé à jouer au 
stratège industriel malgré ses échecs répétés, un Etat qui pèse sur 
l’octroi du crédit via son entité BPI France – un tel Etat tient ses 
citoyens dans une forme très élaborée de dépendance et il crée lui-même 
la matière à la corruption et au clientélisme.
Dans ces 
conditions, on ne saurait s’étonner de voir les détenteurs du pouvoir 
s’y accrocher coûte que coûte, non plus que de voir les opposants 
devenir fervents partisans dès lors qu’on leur propose un poste en vue. 
Pour la classe politique et tous ceux qui aspirent de près ou de loin à 
se « dévouer au bien commun », la situation est beaucoup trop bonne pour
 être refusée et réformée en profondeur.
Aucune loi 
de moralisation de la vie publique ne changera quoi que ce soit, sinon à
 la marge, tant que le pouvoir politique, absolument tentaculaire en 
France ne sera pas soumis à des limitations qui passent obligatoirement 
par une réduction drastique de l’emprise de l’Etat sur la vie du pays. 
Hélas, 
aucune réduction des dépenses et des prélèvements obligatoires n’est à 
l’ordre du jour. Emmanuel Macron attache beaucoup d’importance à la 
solennité de son pouvoir, ce qui le conduit à signer en grande pompe à 
la télévision des lois somme toute marginales dans leurs effets. Mais 
quand on gratte un peu et qu’on considère les actions concrètes, dont 
les PLF constituent la face chiffrée, on voit qu’il fait de la politique
 comme on l’a toujours fait en France depuis 40 ans. 
(*) Environ 150 millions d’euros réalloués toutefois dans une « dotation locale de solidarité » censée être plus transparente ; n’espérons pas la moindre économie.
Illustration de couverture : Emmanuel Macron signe la loi de moralisation de la vie politique en direct à la télévision le 15 septembre 2017. Photo BFMTV.


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