EDF : la classe politique française m'a tué

"...Elle [la concurrence entre fournisseurs d’électricité] a été approuvée en France par un gouvernement de droite, Juppé, 1996, et mise en place par une loi nationale par un gouvernement de gauche, Jospin, 2000..."
C'est bien connu : "on n'est jamais trahi que par les siens"

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EDF : Sortir du piège -ARENH et Hercule

Lionel Taccoen
Directeur de la lettre « Géopolitique de l’Électricité »
2021/02


  Vingt ans plus tard, la situation financière d’ EDF est difficile. Elle perd des clients et son avenir est morose. Il est envisagé une réorganisation nommée Hercule. La Commission européenne tarde à donner son feu vert, alors que d’autres craignent que l’entreprise ne puisse plus mettre en œuvre une stratégie globale et rencontre des difficultés pour assumer son rôle de pôle industriel. Les déboires d’EDF viennent surtout de l’obligation de mettre à la disposition de ses concurrents une part de son courant nucléaire à prix réglementé, dispositif ARENH [Accès régulé à l'électricité nucléaire historique], ce qui prive l’entreprise de son atout majeur : son bas coût de production. Pourquoi un producteur compétitif comme EDF est-il pénalisé en économie de marché? Les dirigeants français veulent que leurs compatriotes bénéficient des coûts bas du parc nucléaire d’EDF, intention fort louable. Pour l’obtenir ils s’acharnent à passer par des dérogations aux règles de concurrence,qui doivent recevoir l’aval de la Commission européenne. Ce fut d’abord l’utilisation de prix administrés, puis le dispositif ARENH, qui s’écarte « des conditions de fonctionnement d’un marché concurrentiel », Autorité de Concurrence française. Ce qui entraîne que toute évolution de ce dispositif, importante, comme celle menant à la réorganisation Hercule, ou mineure, le prix de vente du nucléaire, doit être entérinée par la Commission européenne. L’avenir d’EDF ne se décide plus à Paris. Les dirigeants français se sont piégés eux-mêmes. La seule solution est de s’appuyer sur les règles du marché européen de l’électricité, et d’arrêter de recourir à des dérogations. Ainsi, de nouveau, l’avenir d’EDF se décidera à Paris.L’ ARENH est présenté comme corrigeant un comportement anticoncurrentiel d’EDF. C’est faux. La Commission avait ouvert une procédure visant l’Etat français, non EDF. Tant qu’une infraction n’a pas été établie, EDF est réputée respecter le droit de la concurrence. La Commission considère, que vingt ans après le début du marché européen de l’électricité, les Français n’ont toujours pas accès à des fournisseurs étrangers, c’est-à-dire à des producteurs car seule la concurrence à la production a un sens pour l’électricité. Affirmation peu compatible avec les progrès du marché européen, que  la Commission célèbre volontiers. Mais cela lui permet de décider que le marché des Français, donc leur « marché pertinent », est toujours la France et de constater qu’EDF y est en position dominante.Ce qui astreint cette entreprise à des contraintes, en particulier pour sa politique commerciale. En utilisant les critères de la Commission elle-même,on parvient à montrer que le « marché pertinent » des Français est vraisemblablement un territoire couvrant la France, l’Allemagne et le Benelux,habituellement nommé la Plaque « France/Allemagne/Benelux ». EDF n’y est plus en position dominante et retrouve les libertés des autres entreprises en économie de marché, dont, sous certaines conditions qu’elle respecte, celle de fixer ses tarifs. Plus besoin d’ ARENH et d’Hercule pour faire bénéficier les Français du nucléaire national. D’autant plus que la Commission a annoncé qu’en Europe le coût de production des centrales solaires égale désormais celui du nucléaire de l’ ARENH. EDF pour défendre son pré carré contre cette nouvelle concurrence a le droit de prétendre à l’utilisation de tout son parc nucléaire et de fixer ses tarifs au plus bas en répercutant les coûts de l’atome national. Les règles de concurrence ne sont pas défavorables à EDF. Aucune infraction correspondant à un comportement général anticoncurrentiel n’a jamais été établie. Les progrès du marché européen de l’électricité poussent inexorablement à élargir le « marché pertinent » des Français qui fera qu’EDF ne sera plus en position dominante. Enfin,la diminution des coûts du solaire fait disparaître l’argument de l’impossibilité pour ses concurrents de disposer rapidement d’une production à coût équivalent. Aucune dérogation au droit de la concurrence n’est nécessaire pour bâtir l’avenir d’EDF, qui peut et doit se décider à Paris. La Commission indique que la définition des « marchés pertinents » est fondamentale, mais délicate. Elle est ouverte à une réflexion sur l’élargissement de celui des Français. Une saisine de la Cour de Justice de l’Union Européenne à ce sujet contribuerait à donner la base juridique solide indispensable au Groupe EDF ainsi qu’à ses concurrents.

I. La concurrence en électricité: une décision politique 

  La notion d’économie de marché, donc de concurrence date du XVIIIème siècle, Adam Smith. La raison d’être de la concurrence est de bénéficier au consommateur. Dès l’origine, l’économie de marché a accepté l’existence de biens publics, hors concurrence, relevant de la puissance publique. Il s’agit de biens essentiels à la communauté et relevant d’investissements à trop long terme pour attirer des capitaux privés. Ces « biens publics » correspondent à nos activités modernes de service public, nommés dans les Traités européens « services d’intérêt économique général ». L’électricité aurait pu être considérée comme relevant d’un « service d’intérêt économique général » et rester hors concurrence. Les Etats membres et le Parlement Européen en ont décidé autrement. Ils ont décidé conjointement d’une législation mettant en concurrence les fournisseurs d’électricité 1. Elle a été approuvée en France par un gouvernement de droite, Juppé, 1996, et mise en place par une loi nationale par un gouvernement de gauche, Jospin, 2000. Les Etats-Unis ont également introduit de la concurrence en électricité, mais de manière bien moins générale. Certains Etats ne l’ont instauré que pour les gros clients. Ailleurs des compagnies d’électricité ont gardé des monopoles et sont hors concurrence. C’est le cas de l’entreprise municipale « Seattle City Light » qui alimente la ville principale de l’Etat de Washington. Comme l’écrit la Commission des Services Publics et des Transports de cet Etat : « Pour les fournisseurs d’électricité, la régulation[le contrôle par l’administration] ...se substitue à la concurrence » 2. Aux Etats-Unis, les tarifs d’électricité sont généralement plus bas qu’en France. Ils sont remarquablement bon marché dans l’Etat de Washington où se trouve Boeing. Le kWh pour le ménage moyen revenait en 2019 à environ 7,5 centimes d’euros contre 19 centimes en France 3. Cependant, il ne faut pas se servir de l’exemple de cet Etat américain pour nier l’intérêt possible de la concurrence pour modérer les prix. Aux Etats-Unis, l’énergie a toujours été plus abondante et moins chère que sur le Vieux Continent. Il y a des exceptions, à Hawaï, l’électricité est hors de prix. En sens inverse, l’Etat de Washington bénéficie de l’hydroélectricité de grands barrages dont les investissements sont amortis. Néanmoins, l’exemple américain nous montre qu’en économie de marché, la concurrence entre fournisseurs d’électricité n’est pas un choix évident. Ce fut, pour l’Union européenne, une décision politique.

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