"Il va bien falloir un jour envisager la réforme de l’Etat avec 
une réduction drastique de son train de vie qui nous envoie 
collectivement dans la noyade de l’endettement, et il ne va pas falloir 
utiliser la méthode SNCF, mais celle du diagnostic partagé !"
 
 Crédit ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
Le grand débat réforme ou révolution vient de prendre un curieux chemin sémantique puisque l’on nous engage à parler de transformation. Un mot n’est pas forcément un concept, on peut aussi parler de changement…mais tout cela ne va pas très loin si on oublie l’essentiel qui est la réussite de la manœuvre, c’est-à-dire la satisfaction des objectifs que l’on s’est donnés. A la SNCF les incidents permanents sur les lignes de l’Ile De France suivis par les sinistres majeurs comme celui de la grande panne de la Gare Montparnasse ont irrité gouvernants et gouvernés jusqu’au point que la grande majorité de la population ont applaudi à l’annonce des transformations envisagées. A la suite de débats houleux entre les représentants du personnel et gouvernement une nième réforme a été votée à la quasi-unanimité du Parlement appuyé par une opinion chauffée à blanc par des analyses quotidiennes (médias et réseaux sociaux) sur les dysfonctionnements de l’entreprise, et la forme d’action retenue par les salariés, à savoir des grèves hebdomadaires pendant deux jours variables. Les clients, résignés, barraient donc les jours de disette sur leurs agendas et essayaient d’organiser leurs déplacements en conséquence tout en pestant contre ceux qui les « bloquaient ». Il est clair que cette position syndicale n’était pas faite pour se faire des amis de la majorité de la population et que le passage rapide des nouvelles dispositions a été un soulagement vite fêté par le pouvoir en place et l’ensemble des commentateurs voyant là une preuve de courage, de détermination, et mettant donc au crédit des gouvernants un incontestable succès.
L’été est venu donner une autre atmosphère, le départ en vacances, puis les circulations intérieures sont venus mettre un grand bémol à cet enthousiasme, les voyageurs ont vu les incidents se multiplier, certains très handicapants comme celui de la gare Montparnasse , toujours elle, à la suite de l’incendie du transformateur unique de RTE (EDF), mais aussi le déraillement en Gare Saint-Charles à Marseille, et bien d’autres avatars quotidiens que les clients comme ceux qui les attendent à la gare ont dû subir au point que, lorsque les trains arrivaient à l’heure c’est de l’étonnement qui se manifestait. Si bien que nous arrivons en Septembre avec d’autres négociations sociales en vue, d’autres projets de « réforme, transformation, changement » sur d’autres mastodontes publics et que clients comme personnels n’ont toujours pas compris la satisfaction générale affichée, les trains ne fonctionnent pas mieux, et les cheminots à la loyauté légendaire n’ont visiblement plus gout au travail ! On a beau dire au peuple que c’est un grand succès, c’est l’inverse qu’il constate.
Il est à craindre, que, fort de cette 
première expérience, on soit tenté de faire de même sur d’autres 
secteurs d’activités, et si l’on choisit la même méthode il y a un fort 
risque que les résultats soient semblables, c’est-à-dire que pour la 
population dans son ensemble il y ait le sentiment que l’on va de mal en
 pis. Augmenter régulièrement le nombre des mécontents peut signifier 
effectivement du courage, mais cela peut conduire aussi très vite à 
l’impuissance et l’inaction. Et, à un moment de découragement profond de
 corps de métiers compétents, il ne faut pas négliger la capacité des 
personnels d’abord à la résignation devant la fatalité, puis à la 
fermeture des yeux devant des incidents et enfin la tentation de 
quelques sabotages pour « leur » montrer comme on l’a vu récemment dans 
quelques conflits sociaux à personnels désespérés. 
Dans toute entreprise il y a des points 
de fragilité, ils sont connus par les experts qui sont de moins en moins
 dans les hautes sphères des entreprises, ils sont près du terrain 
déserté par les dirigeants, et, bien sûr, parfaitement répertoriés par 
les agents d’exécution qui n’arrêtent pas de demander des actes forts de
 maintenance, une présence de personnel de contrôle et une hiérarchie 
compétente et claire. Avec ce premier exemple nous sommes en train 
d’observer les défauts de méthode et la limite de la technocratie 
triomphante assise sur les tableaux Excel et non sur les connaissances 
techniques, une sorte de revanche, involontaire de l’ingénieur sur le 
financier. Lorsque des incidents en cascade se manifestent dans une 
entreprise on sait que cela peut être une conséquence du 
sous-investissement en maintenance, mais c’est aussi un manque de 
vigilance et de motivation. C’est la raison pour laquelle dans une usine
 la mesure du taux de fréquence (des incidents) et du taux de 
gravité(des accidents) est scrutée avec soin par le Directeur et ses 
patrons car c’est un symptôme essentiel de la santé psychologique et 
technique du personnel. 
En ce qui concerne la SNCF les 
fragilités du réseau dues au sous-investissement se manifestent à 
intervalles réguliers mais il y a eu accélération cet été. Certains 
avanceront la malchance mais la multiplication des incidents a forcément
 aussi une explication dans le moral du personnel d’exécution.  Dans le 
secret de chaque cœur de cheminot cette réforme  n’a  pas été  acceptée,
 que l’on ait fait grève ou pas , et la démonstration des conséquences 
du sous-investissement dans la maintenance apparait au grand jour !
Les
 incidents ne sont ni souhaités ni acceptés, mais ils apparaissent comme
 la vitrine du diagnostic qui n’a pas été effectué, une fatalité que les
 responsables et les commentateurs n’ont pas voulu regarder. Ces 
évènements répétés pendant l’été sont une bonne indication de l’état 
d’esprit général de l’entreprise, les cheminots se sont sentis humiliés 
d’être présentés comme des « nantis » et les responsables des dettes de 
l’entreprise, ils ont perdu l’ardeur au travail qui était leur 
principale caractéristique. Je peux témoigner de l’afflux immédiat de 
tout le personnel à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour 
traiter en urgence une anomalie et permettre au train de repartir. 
C’était cela l’esprit « cheminot », c’est cela qu’il ne fallait pas 
perdre pour « faire marcher les trains » . 
La bonne méthode est donc d’abord de 
réaliser un diagnostic d’une situation donnée, mais un diagnostic 
partagé par le plus grand nombre et non un tableau Excel des impasses 
financières. Pour faire accepter des changements d’une population de 160
 000 personnes dont beaucoup sont à  la troisième ou quatrième 
génération dans l’entreprise, il faut convaincre que des écueils 
existent et qu’il faut les faire tomber. Ce qui est vrai de la citadelle
 SNCF est vrai de toutes ces cathédrales, entreprises ou 
administrations, qui ont une histoire et qui sont à la fois des 
patrimoines et des obstacles. Mais tout ce qui peut être fait, en amont,
 pendant la phase de diagnostic va permettre de réussir. Ce partage n’a 
pas eu lieu, la presse a reproduit ce qui était l’avis des observateurs 
extérieurs, 160 000 personnes ont ainsi été dépossédées en un clin d’œil
 de « leur » entreprise. Ils en étaient fiers, il leur fallait en avoir 
honte, le sentiment d’être trainés dans la boue a pris une ampleur 
incroyable sans que quiconque s’en émeuve ! Cet aveuglement de la part 
des bien-pensants est classique, mais arriver au nom de l’efficacité à 
faire sombrer un système aussi vite tient du prodige. « La réforme 
envisagée est bonne «  disait-on de toutes parts, et les récalcitrants 
étaient traités de nostalgiques et de passéistes, plus ou moins 
interdits d’antenne ! On ne peut pas dire que les réactions syndicales 
aient été à la hauteur de l’évènement, mais on avait tout fait pour ! Après
 cette période de diagnostic peut venir celle des propositions et si 
l’on a pu préserver « l’idéal » cheminot et que ceux-ci s’estiment 
respectés par les mesures envisagées, on peut avancer. Ira-t-on jusqu’au
 bout de ce qu’il faudrait faire ? Cela dépend des circonstances, mais 
l’essentiel est de ne pas oublier que la réforme a pour but de faire 
mieux marcher les trains pour la satisfaction des clients, pas 
l’inverse. Si les cheminots sont humiliés et furieux, s’ils estiment 
avoir été maltraités, cela ne risque pas de les amener à se « défoncer »
 pour prévenir et traiter d’urgence les zones sensibles connues comme 
des fragilités de l’entreprise. Nous en sommes là aujourd’hui, une sorte
 de résignation devant la fatalité,  et c’est la méthode qui a été 
mauvaise, pas forcément les réformes engagées. 
C’est ainsi qu’il va bien falloir un 
jour envisager la réforme de l’Etat avec une réduction drastique de son 
train de vie qui nous envoie collectivement dans la noyade de 
l’endettement, et il ne va pas falloir utiliser la méthode SNCF, mais 
celle du diagnostic partagé ! Les systèmes bureaucratiques pourrissent 
d’abord par le haut, et c’est là qu’il faut d’abord faire porter le 
diagnostic, en particulier tous ces cénacles parisiens baptisés « hautes
 autorités » qui ont permis de dégager la responsabilité des politiques 
sur tous les sujets essentiels…Faire confiance aux personnels de base 
pour illustrer ce diagnostic peut s’avérer utile. Pour ma part dans 
toutes les structures que j’ai été amené à diriger, l’écoute de ceux qui
 font (à tous les étages) m’a toujours appris plus de choses que celle 
de ceux qui montrent leur importance en parlant d’autorité. J’ai écouté 
plus les usines que les sièges, et je pense avoir à apprendre plus des 
fonctionnaires d’exécution que de leurs chefs parisiens…
Pour réussir la transformation du pays, 
il va falloir lancer le chantier de la dépense publique, et plutôt que 
d’humilier une nouvelle fois des personnels loyaux, commençons par les 
écouter !    
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