LE NUCLÉAIRE, LA CHINE, LA RUSSIE ET... L' OCCIDENT : LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN*

  * quinzième fable du livre VII de Jean de La Fontaine, I678.

 Gravure de Martin Marvie d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, I755-I759. Source

  AU CŒUR DE LA GUERRE ÉCONOMIQUE ET TECHNOLOGIQUE AUTOUR DU NUCLÉAIRE!...
  PASSIONNANT!

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Le nucléaire occidental et la Russie

 

TACCOEN LIONEL, directeur de la Publication

La rupture
   En 2021, près de la moitié des achats d’uranium occidentaux a transité par le port russe de Saint-Pétersbourg. Un signe de dépendance? La réalité est bien différente. L’entreprise étatique russe Rosatom, gérant toutes les activités nucléaires, ne peut se contenter du marché russe. Son développement et son existence dans le marché mondial nécessitent une vaste politique d’exportation, menée avec détermination. Mais cela implique un apport indispensable de dizaines d’entreprises occidentales. La rupture de cette collaboration serait gravissime pour Rosatom. Une alternative chinoise? Le dynamisme commercial russe est un obstacle pour les autres exportateurs, dont la Chine, qui a de grandes ambitions dans ce domaine.
   Par des prix avantageux, Rosatom s’est fait une place dans les marchés occidentaux liés au combustible nucléaire, notamment pour l’uranium enrichi. Par des mesures diverses, les Occidentaux, qui possèdent les capacités techniques nécessaires, vont se passer de ces apports de Rosatom. C’est dans ce cadre que l’usine française George Besse II sera agrandie. L’Occident n’a pas pris de sanction contre la Russie en matière nucléaire. Il prépare la rupture.

Le nucléaire occidental et la Russie : la rupture

I. Des dépendances fort différentes
   Tchernobyl est loin. La Russie propose aujourd’hui des réacteurs très convenables dont la sûreté respecte les normes occidentales1. Les activités nucléaires civiles et militaires du pays sont du ressort de Rosatom, une entreprise étatique. Sa stratégie repose sur l’exportation : « Rosatom occupe la première place [au monde] en termes de nombre de projets de réacteurs nucléaires mis en œuvre simultanément, 3 tranches en Russie en œuvre et 34 à l’étranger »2. Ces exportations concernent, entre autres, la Turquie, l’Inde, le Bangladesh, l’Égypte et la Chine. Elles visent aussi, ou visaient, l’Europe de l’Est. C’est la seule stratégie possible : le marché russe est trop petit pour le développement de Rosatom qui viserait, en 2030, la moitié de son chiffre d’affaires à l’extérieur.
   Mais pour assurer ces exportations, Rosatom a dû largement impliquer des industries occidentales. Dans la chaine d’approvisionnement des chantiers russes, on compte une cinquantaine d’entreprises occidentales dont l’apport est aujourd’hui précieux, voire indispensable. Pour un projet de Rosatom de son réacteur vedette VVER construit en Europe, « 80% de son coût reste en Europe sous forme de contrats d’équipement, d’ingénierie, de service et de construction. Ainsi pour chaque unité construite en Europe ou ailleurs, jusqu’à un milliard d’euros irait à des technologies françaises »3. Parmi les industriels occidentaux impliqués on trouve, entre autres, les Français Assystem, Dassault Systèmes, Framatome mais aussi l’Allemand Siemens et l’Américain General Electric. Ce dernier fournissait jusqu’en fin 2022 les turbines Arabelle, d’origine française et récupérées récemment par EDF. Rosatom a grand besoin de ces turbines pour ses exportations, d’abord pour son projet vedette d’Akkuyu en Turquie, vitrine commerciale irremplaçable. Une première a été livrée. Il en faut trois de plus. D’autres seront nécessaires, pour le projet El Daaba en Égypte, mais aussi à Paks, Hongrie, et en Azerbaïdjan... si ces derniers chantiers voient le jour : cf. plus bas. De son côté, Framatome est devenu un partenaire apprécié de Rosatom, en particulier pour le contrôle commande des réacteurs4.
   Ces collaborations n’ont pas été interrompues par des sanctions spécifiques. Mais la menace plane et cela modifie déjà le comportement occidental. Dassault Systèmes « suspend ses activités en Russie » : communiqué 09/03/2022. L’Allemagne interdit à Siemens de collaborer au chantier actuel de Rosatom de Paks : Hongrie5. Quel avenir en ce cas pour d’autres projets à Paks? Une aide chinoise?  La Chine s’apprête à lancer, elle-même, une grande politique d’exportation. Il lui suffit d’attendre que les exportations russes soient plombées par la carence des apports occidentaux pour occuper le terrain. Ce qui se profile. Les dirigeants de l’Ouzbékistan freinent un projet de centrale nucléaire proposée par les Russes... en 20I8. Ils craignent que des sanctions occidentales amènent des difficultés pour les transactions financières et l’accession à certaines technologies6. La fin de la collaboration avec l’Occident, menaçant les exportations est gravissime pour Rosatom. Cette éventualité obsède ses dirigeants depuis longtemps. En 20I4 et en 2023, la même déclaration est apparue dans leurs communiqués : « L’énergie nucléaire doit être tenue à l’écart de la politique »7. Stupéfiante illusion. L’Occident n’a pas pris de sanctions dans le domaine de l’atome mais se prépare à la rupture. Cela est évident dans le domaine de sa dépendance à Rosatom.
   La dépendance actuelle du nucléaire occidental à Rosatom est particulière. Rosatom, en pratiquant des prix modérés a développé ses exportations liées au domaine du combustible vers les clients les plus intéressants : les gestionnaires des parcs nucléaires occidentaux. Aujourd’hui des dispositions sont prises pour qu’ils puissent s’en passer. C’est le sujet développé ci-après.

II. Le combustible, de la mine au retraitement
   Certains atomes lourds peuvent se fracturer. C’est la fission. Les matières correspondantes sont dites fissiles. La fission produit de l’énergie, utilisée dans les centrales nucléaires pour produire de l’électricité. Aujourd’hui, pratiquement tous les réacteurs nucléaires produisant de l’électricité utilisent, comme combustible, de l’uranium composé d’uranium fissile, l’uranium 235, dans une proportion généralement de 3 à 5%, et d’uranium 238 pour le reste. L’uranium 238 n’est pas une matière fissile, mais peut le devenir. On dit qu’il est fertile.
   L’uranium naturel ne contient que 0,7% d’uranium fissile, U235, pour 99,3% d’uranium non
fissile : U238. Il faut donc fabriquer le combustible indiqué ci-dessus en faisant passer la part d’uranium fissile de 0,7% à 3 à 5%. L’uranium naturel devient alors de « l’uranium enrichi ».
   Pour obtenir le combustible nucléaire plusieurs étapes sont nécessaires :

  • Les mines d’uranium. À partir du minerai brut on produit une poudre concentrée d’uranium appelée « yellow cake ».
  • La conversion : après plusieurs opérations, l’uranium passe du yellow cake à un gaz, l’hexafluorure d’uranium, UF6.
  • L’enrichissement vient ensuite par centrifugation. Sous l’effet de la force centrifuge les molécules les plus lourdes de l’UF6, donc contenant de l’uranium 238, se concentrent à la périphérie, les plus légères, celles contenant l’uranium 235, vers le centre. Cette étape de séparation est répétée au sein d’un ensemble de centrifugeuses mises en série, appelée cascade. Elle se poursuit jusqu’à l’obtention de l’uranium enrichi souhaité, le reste constituant de l’uranium appauvri : Uapp.
  • La fabrication des assemblages combustibles. L’uranium enrichi est mis sous forme de pastilles de dioxyde d’uranium, assemblées dans des gaines nommées crayons qui composent les assemblages combustibles des centrales nucléaires.

La France a choisi de retraiter les combustibles utilisés dans ses centrales. Il est possible de réduire fortement le volume de déchets en recyclant certains composants. Ce qui permet d’obtenir le combustible MOX, mélange d’oxydes issu du traitement du combustible usé des centrales nucléaires. Il est constitué d’environ 92% d’uranium appauvri – Uapp — et de 8% de plutonium et produit aujourd’hui environ I0% de l’’électricité française, donc de réduire la demande française en uranium. Voir le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs : PNGMDR.

III. Le minerai d’uranium
   A) Des réserves mondiales suffisantes.
   La profession édite régulièrement une synthèse des réserves, production et besoins en
uranium. La conclusion est :
   « Il y a suffisamment de réserves d’uranium identifiées pour satisfaire la croissance de la demande correspondant aux scénarios les plus optimistes de croissance du parc nucléaire mondial »8.
   Le rythme maximum de croissance du parc nucléaire mondial pris comme hypothèse pour parvenir à cette conclusion conduit à une puissance installée d’un peu plus de 600 GWe en 2040 soit 60% de plus qu’actuellement. Il faut ajouter que les réacteurs actuels vont devenir obsolètes. Ils céderont la place à des réacteurs avancés, qui auront comme caractéristique de pouvoir utiliser non seulement l’uranium 235, mais aussi l’uranium 238, voire d’autres combustibles : thorium. Ce qui signifie que les besoins en uranium s’effondreront à terme, disons vers la fin de ce siècle. Les déchets, également, se feront rares.
   Voici la répartition des réserves raisonnablement assurées, RAR, à coût inférieur à 130 $/kg
d’uranium pour les pays qui disposent de plus de 2% du total mondial9 :

 
  On constate que les pays occidentaux disposent de 37% des réserves raisonnablement assurées, RAR, par l’Australie et le Canada. Certes Anthony Albanese, Premier ministre australien, est réservé sur l’utilisation de l’atome. Mais son appétit débordant pour les sous-marins nucléaires américains devrait le rendre sensible à d’amicales pressions des États-Unis.
   À long terme, les réserves d’uranium des pays occidentaux garantissent leur approvisionnement.
   Reste à étudier la situation actuelle liée à la répartition des pays producteurs.
B) Les pays producteurs.
  Voici les pays ayant produit en 202I plus de I000 tonnes d’uranium. Ils ont fourni au total 98% de la production mondialeI0 :


  Ce tableau met en lumière des faits importants : 

  • Plus de la moitié de l’uranium extrait dans le monde vient de deux pays voisins, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan, anciennes républiques de l’URSS d’Asie centrale. Kazakhstan et Ouzbékistan n’ayant pas de réacteurs, toute leur production est exportée. Leur poids est énorme sur le marché.
  • États-Unis et France disposent des deux premiers parcs nucléaires mondiaux. Ils ne figurent pas dans le tableau. Ils sont les deux plus grands importateurs mondiaux d’uranium.
  • Chine et Russie disposent des 3ème et 4ème parcs nucléaires mondiaux. Leurs productions sont inférieures à leurs besoins. D’où vient la réputation d’exportateur d’uranium de la Russie?

C) Les entreprises minières.
   Les compagnies minières d’uranium exploitent des concessions de part le monde. Certaines compagnies appartiennent à des pays, d’autres en sont très proches. Ce qui signifie que des États ont accès directement ou non à de productions d’uranium hors de leurs frontières. Ainsi :

  • L’État français est largement majoritaire dans le capital d’ Orano.
  • La compagnie canadienne Cameco est proche des intérêts des États-Unis. Elle est propriétaire de 49% des parts de Westinghouse, compagnie clef de l’industrie nucléaire américain.
  • L’État chinois possède deux entreprises propriétaires d’actifs miniers d’uranium : la CNNC plutôt à l’intérieur du pays, la CGN plutôt à l’extérieur : Kazakhstan
  • La Russie, via Rosatom, possède deux compagnies minières d’uranium, ARMZ à l’intérieur de ses frontières et Uranium One pour l’extérieur. Uranium One est officiellement une compagnie canadienne, basée à Toronto. De plus, elle n’a aucune activité à l’intérieur de la Russie. En cas de sanction, cela peut aider ! 
  Voici les productions des principales compagnies mondiales d’extraction d’uranium , 90% de la production mondialeII, et leurs nationalités officielles. Chiffres pour 2021 en milliers de tonnes :


    La première entreprise mondiale productrice d’uranium est de loin Kazatomprom, entreprise d’État du Kazakhstan. Les autres ont souvent des liens avec les pays grands consommateurs.
D) Cas de la Russie.
   En additionnant les productions revenant à ARMZ, 2635 tonnesII et Uranium One, provenant essentiellement du Kazakhstan, 45I4 tonnesII, on parvient à une production d’uranium contrôlée par la Russie de 7I50 tonnes en 202I, soit 15% de la production mondiale. Ce qui correspond au pourcentage publié par Rosatom. La Russie ayant un parc nucléaire un peu inférieur à la moitié du parc français, ses besoins intérieurs sont de l’ordre de 4 000 tonnes/an. Il lui reste 3 000 tonnes/an à exporter. Or en 202I, les États-Unis ont importé 2 850 tonnes d’uranium de RussieI2 et l’Union Européenne 2360 tonnesI3, soit au total 5210 tonnes. Rosatom a certainement vendu de l’uranium kazakh, via Uranium One. Mais cela n’a pas suffi. Comme les autres pays, la Russie a des stocks d’uranium. En 202I, il lui a fallu puiser dedans. Les statistiques américaines indiquent que le coût de l’uranium russe était en 202I de 50 $/kg largement inférieur au prix moyen, 75 $/kgI2 qui fut aussi le prix facturé par la compagnie kazakh : Kazatomprom. En 202I, Rosatom a vendu aux États-Unis de l’uranium issu des mines kazakh un tiers moins cher que celui vendu directement par Kazatomprom.
   Être bon marché est la stratégie générale commerciale russe. Mais la Russie ne peut consacrer à l’exportation que la moitié de la production d’uranium qu’elle contrôle soit 7% de la production mondiale. L’atonie du nucléaire occidental avait fait tomber le prix de l’uranium à 45 $/kg en 20I7.  Après une pointe due à l’invasion de l’Ukraine, il s’est stabilisé depuis un an à II0 $/kg du fait du renouveau nucléaire mondialI4. Le prix de l’uranium naturel n’entrant que très faiblement dans le coût de l’électricité produite, ces variations n’ont que peu d’importance. Par contre, cette augmentation permet la réouverture ou l’ouverture de mines. Ainsi les pays occidentaux n’ont pas besoin des ventes russes d’uranium. Il y en a suffisamment ailleurs.
   Le Kazakhstan a produit 45% de l’uranium mondial. Tout a été exportéI5 : d’abord vers l’Asie, 41%, premier fournisseur de la Chine, vers l’Amérique, 32%, premier fournisseur des États-Unis, plus d’un tiers de achats en 202II2, 27% vers l’Europe, dont la France : 2850 tonnes selon Orano soit l’équivalent d’un tiers des besoins français d’une année.
   Cet apport important du Kazakhstan aux pays occidentaux nécessite d’étudier la sécurité de l’accès aux mines du pays et du transport de l’uranium vers l’Occident.

IV. Un nouveau Kazakhstan

   Le Président du Kazakhstan Kassym-Jomart Tokaïev a vécu une semaine difficile en janvier 2022, lors d’une lutte pour le pouvoir. De fortes émeutes ont secoué le pays. Il fit appel aux troupes russes. L’affaire terminée, Tokaïev ne souhaita pas que les Russes restent dans le pays. Cette intervention fut interprétée par certains observateurs comme le signe d’une certaine dépendance du Kazakhstan à la Russie. Cependant Tokaïev se montra en public en juin 2022 fort critique de l’intervention russe en Ukraine, face à Vladimir Poutine blême de colèreI6. Les 28 et 29 novembre 2022, il a effectué un voyage officiel en France. Fin février 2023, il a reçu dans sa capitale, Astana, le Secrétaire d’État américain Antony Blinken.
   Lors des troubles de janvier 2022, Tokaïev avait reçu une autre offre d’aide militaire, celle de l’Organisation des États Turciques : OET. Conçue comme l’alliance des peuples turcs, ou turciques, d’Asie et d’Europe, l’ OET regroupe aujourd’hui le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Kirghizstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan autour de la TurquieI7. En janvier 2022, l’ OET n’existait comme organisation que depuis trois mois. Sa proposition d’intervention armée ne fut pas retenue.
   Les peuples turcs, ou turciques, bénéficiant d’une démographie généreuse, relèvent la tête et redeviennent, ensemble, une puissance politique régionale. La Turquie, en créant d’abord le Conseil des États Turciques, puis fin 2022, l’ OET, l’a compris. La Russie doit en tenir compte. L’Azerbaïdjan, membre de l’ OET, se permet aujourd’hui de bloquer impunément depuis plusieurs mois une province arménienne, le Haut Karabakh, alors que la Russie est sensée garantir la stabilité de la région. Le ministre russe des Affaires Étrangères menace la Géorgie et la Moldavie. Rien sur l’Azerbaïdjan et le Kazakhstan. L’ex-Président Medvedev s’était risqué à des admonestations contre le Kazakhstan en août 2022. Il a été prié de se taire. Le Kazakhstan et ses alliés de l’Organisation des États Turciques ne sont pas des adversaires de la Russie. Mais ils veulent exister comme États indépendants et on voit mal, dans ce contexte la Russie tenter de reconquérir, même partiellement, une Asie centrale de plus de quatre-vingts millions de musulmans, alliée à la Turquie. L’affaire ukrainienne a accéléré une résurgence de la puissance des populations turques d’Asie et d’Europe, qui de toute façon, se serait produite. Les Kazakhs, réduits jadis par une épouvantable famine organisée par Staline, à être minoritaires chez eux, sont de nouveau largement majoritaires face à une population russe marginalisée et vieillissante. La révolte des berceaux est passée par là : 425 000 naissances en 2020 pour moins de 20 millions d’habitantsI8.
   Le nouveau Kazakhstan est arrivé. Il n’est pas inféodé à la Russie.
   L’entreprise d’État Kazatomprom prévoit une production d’uranium qui pourrait dépasser 30000 tonnes/an jusqu’en 2030. Le Kazakhstan est très ouvert vers l’extérieur et la moitié de sa production revient à des entreprises liées à d’autres nations, Japon, Chine, Amérique du Nord, Russie, FranceI9 via des co-entreprises, joint-ventures, avec Kazatomprom. Le Français Orano a ainsi constitué une co-entreprise, KATCO, dont il détient 51% des parts et Kazatomprom, 49%.
   La présence russe dans le nucléaire, en particulier par Uranium One, reste importante, mais la nostalgie d’un passé où elle était bien plus forte se lit dans une note récente de Rosatom20. Il n’est plus certain que Rosatom construise la première centrale du pays. Un appel d’offre a été lancé. Chine et France sont sur les rangs, tandis qu’une collaboration avec la Corée du Sud a été lancée.
   L’accès à l’uranium de l’Asie centrale est raisonnablement assuré pour les puissances occidentales. Reste le transport. Kazakhstan et Ouzbékistan ne sont bordés que par une mer fermée, la Mer Caspienne. L’uranium d’Asie centrale emprunte un chemin bien rodé et historique : via la Russie, il est ensuite chargé dans le port russe de Saint-Pétersbourg. Les exportations russes d’uranium font de même

V. La route de Saint-Pétersbourg
  Voici la situation observée en 202I :

  • Les États-Unis ont importé 35,4% de leur uranium du Kazakhstan, et I3,5% de la Russie : dont certainement une part vient du Kazakhstan, via Uranium One. Les achats à l’Ouzbékistan n’ont pas été publiésI2. Tout ceci a transité par Saint-Pétersbourg soit la moitié des besoins en uranium des États-Unis en 202I.
  • L’Union européenne a acheté en 202I, 23% de son uranium au Kazakhstan et I9,7% à la Russie : dont une part vient du Kazakhstan, via Uranium OneI3. Ainsi plus de 40% des besoins en uranium de l’UE est passé par le Port de Saint-Pétersbourg.

  EDF n’achète pas d’uranium à la Russie. Mais Orano a tiré en 202I du Kazakhstan le tiers de l’équivalent des besoins français2I qui a donc transité par Saint-Pétersbourg. Kazatomprom, la compagnie d’État du Kazakhstan, s’est préoccupée de la situation qui serait créée par l’impossibilité de faire transiter les envois d’uranium par Saint-Pétersbourg. Il faut remarquer que la seule raison invoquée par le Kazakhstan serait des sanctions occidentales qui interdiraient cette route et non une décision russeI9. Les États d’Asie centrale étant enclavés, le fait pour la Russie d’empêcher leurs exportations, uranium ou autres, pourrait être considéré par eux comme un acte inamical. Or, aujourd’hui le ton russe envers l’Asie centrale se veut accommodant.
  En tout état de cause, Kazatomprom a défini une voie alternative : la Route Internationale Transcaspienne : Trans-Caspian International Transport Route, TITR. Elle comprend la traversée de la Mer Caspienne d’ Aktau, Kazakhstan, à Bakou, Azerbaïdjan, puis par voie de terre, Azerbaïdjan et Georgie, elle conduit au port géorgien de Poti. Ensuite l’uranium est dirigé par voie maritime vers l’Europe et l’Amérique. Une variante consiste à utiliser le port turc de Mersin22. La compagnie Cameco canadienne a testé cette voie avec succès en 2022. Mais elle est moins pratique et exige aménagements et travaux.
   Les pays occidentaux doivent contribuer à l’aménagement de la Route Internationale Transcaspienne, dont le financement est certainement à leur portée.
   Compte tenu de l’importance des livraisons d’uranium des deux États d’Asie centrale, Kazakhstan et Ouzbékistan, auxquels s’ajoutera peut-être la Mongolie, il est nécessaire de posséder une alternative pour le cas improbable ou leur apport ferait défaut. On ne traite ici que le cas français, mais les autres pays occidentaux ont tout loisir de procéder de même.
   Les quantités d’uranium nécessaires se comptent en milliers de tonnes et non en millions de tonnes comme pour les combustibles fossiles. Des stocks stratégiques de quelques années ont été constitués. À cela s’ajoutent d’importantes quantités d’uranium appauvri issues de l’enrichissement. Il est possible de les repasser dans la cascade des centrifugeuses. L’uranium enrichi obtenu ainsi serait un peu plus cher, mais le coût de l’électricité produite n’en serait que peu affecté. En conséquence l’uranium appauvri ne doit pas être considéré comme un déchet. Peu radioactif, son stockage est aisé. La France en dispose de plus de 300 000 tonnes, ce qui procurerait l’équivalent de 60 000 tonnes d’uranium naturel23. Avec les stocks stratégiques, cela donnerait une dizaine d’années de fonctionnement du parc nucléaire24, temps suffisant pour remplacer les mines d’Asie centrale. La France ne doit pas considérer que ses réserves d’uranium appauvri issu de l’enrichissement sont un déchet. Elles doivent être entreposées. Elles sont la garantie d’un fonctionnement de notre parc nucléaire, sans apport extérieur, durant une dizaine d’années. Conclusion générale : le contexte géopolitique de cette région d’Asie centrale est tel que son apport important au marché de l’uranium mondial peut être accepté sans risque majeur, compte tenu de la Route Transcaspienne alternative et des stocks divers d’uranium.

VI. L’uranium enrichi
   Actuellement quatre entreprises produisent 99% de l’uranium enrichi mondial. La répartition
des capacités installées était la suivante25 :
   Rosatom : 43%, Urenco : 31%, CNNC : 13%, Orano : 12%.
   Rosatom et CNNC sont des entreprises étatiques russe et chinoise. Le capital d’ Orano est détenu par l’État français : 90%. Les 10% restant reviennent à deux entreprises japonaises : JNFL, 5%, et Mitsubishi : 5%. Le capital d’ Urenco se divise en trois parts égales. Un tiers appartient au Royaume-Uni, un tiers aux Pays-Bas et un tiers à un holding détenu à parts égales par deux groupes allemands RWE et E.ON, ayant des activités en électricité. CNNC ne s’occupe que de la Chine.
   Par contre, Rosatom fournit aujourd’hui 30% des besoins occidentaux en uranium enrichi dont 28% aux États-Unis et 3I% en Europe25.
   Les États-Unis ont établi des quotas afin de limiter les importations de Russie d’uranium enrichi à I5% en 2030, et des réflexions sont en cours pour les réduire plus rapidement. Pour l’Union européenne, aucune disposition contraignante n’est actuellement en vigueur mais le plan REPowerEU appelle à « renforcer les capacités de conversion, d’enrichissement et de fabrication de combustibles nucléaires »26 afin de réduire le plus possible les livraisons et services de Rosatom, y compris pour les réacteurs d’origine russe. L’obtention de l’uranium enrichi comporte deux étapes :
A) La conversion.
  En 2020, 38% des capacités mondiales utilisées appartenaient à Rosatom, réduisant fortement l’utilisation des installations occidentales27. La raison était probablement un moindre coût russe. Aujourd’hui, la sécurité d’approvisionnement prime sur le coût, ce que les clients occidentaux de Rosatom admettent28. Cela permet de mieux utiliser les capacités occidentales.
   Le Français Orano possède une usine neuve, Philippe Coste, à Tricastin. De 2600 tonnes
d’hexafluorure d’uranium en 2020, la production est passée en 202I, à 8600 tonnes, et à II500 tonnes en 202229 et ne demande qu’à monter à sa capacité nominale de I5000 tonnes. En deux ans l’usine Philippe Coste a pratiquement égalé la production totale de Rosatom en 2020, I2000 tonnes, qui fonctionnait à la limite de ses capacités. Dès à présent cette usine dépasse les besoins français et contribue à restreindre les exportations russes. Avec d’autres projets comme la remise en route de l’usine américaine de ConverDyn, les capacités de conversion russes ne seront plus nécessaires.
B) L’enrichissement proprement dit.
   Les entreprises occidentales, Urenco et Orano augmenteront leur production. Orano va procéder à une augmentation progressive de la capacité d’enrichissement de 7,5 à II millions d’ UTS de 2028 à 2030 de son usine de Georges Besse II. Il faut un peu plus de I00 000 UTS pour enrichir l’uranium nécessaire à l’alimentation d’un réacteur de 900 MWe durant un an. On constate, comme l’indique Orano dans son dossier de présentation du son projet d’extension25 :

  • les capacités actuelles de George Besse sont suffisantes pour EDF 
  • L’augmentation de 3,5 millions d’ UTS pourra être entièrement consacrée à contribuer à compenser l’apport russe estimée de 5 à 8 millions d’ UTS en fonction des hypothèses prises25. Le premier module devrait fonctionner en 2028, et atteindre sa pleine capacité à partir de 2030. La part de l’enrichissement russe sera partagée à terme entre Orano et Urenco.

VII. Le combustible
   Westinghouse se présente comme le « leader mondial du combustible nucléaire ». Rosatom, par sa filiale TVEL, revendique I7% du marché mondial. Framatome annonce : « 230 000 assemblages de combustible, fabriqués par Framatome alimentent près de I25 réacteurs dans le monde ». Soit presque un réacteur sur trois. cf. les sites web de ces entreprises.
   Un certain nombre de réacteurs en Europe de l’Est d’origine russe sont ou étaient alimentés par Rosatom : TVEL. Quelques autres aussi, probablement pour des questions de coût.
   Avant la guerre d’Ukraine, les clients de TVEL dans l’Union européenne se répartissaient entre les
pays suivants : Finlande, deux réacteurs, Tchéquie, six réacteurs, Hongrie, quatre réacteurs, Slovaquie, quatre réacteurs, Bulgarie, deux réacteurs, et « dans de qui est appelé l’Europe occidentale » trois autres réacteurs : dont certainement en Suède. Aucun client en Amérique30.
   Sauf en Hongrie, l’ensemble de ces pays ont pris ou prennent des dispositions pour se passer de TVEL. Ils font état de réserves de combustible leur facilitant la transition. Ils se tournent généralement vers Westinghouse, certes car les pays de l’Est apprécient en ces temps troublés la garantie de l’armée américaine, mais pas uniquement. Très tôt, Westinghouse a proposé aux Ukrainiens des assemblages combustibles adaptés aux réacteurs russes. Au moment de l’invasion russe une demi-douzaine de réacteurs ukrainiens utilisait du combustible Westinghouse30.
   Cependant, Framatome a de bons espoirs d’alimenter en combustible le parc bulgare.
   Hors Hongrie, les livraisons de combustible pour réacteur ne devraient plus provenir de Russie prochainement. Westinghouse et Framatome y pourvoiront.

VIII. Quelques points particuliers importants

  •   URT et URE. L’uranium issu des combustibles usés des réacteurs après retraitement est nommé uranium de retraitement : URT. Son taux en uranium fissile, U235, est légèrement plus élevé que celui de l’uranium naturel : 0,9% contre 0,7%. Il peut être enrichi et devenir de l’uranium de retraitement enrichi, URE, réutilisé comme combustible. Actuellement seule une usine de Rosatom à Seversk, Sibérie, offre ce service. Deux contrats ont été signés dans ce but par Orano et EDF. Le premier a été soldé. L’autre avec EDF est en cours. Orano possède les compétences techniques pour remplacer Rosatom et fabriquer de l’ URE à partit de l’ URT, opération qui est souhaitable. Orano doit pour cela construire les installations nécessaires. Si cela demande du temps, il vaut mieux commencer rapidement.
  • HALEU : Un certain nombre de réacteurs avancés, dont nombre de SMR nécessitent un combustible enrichi au taux d’uranium 235 plus élevé que pour les centrales actuelles et allant jusqu’à 20%. C’est le combustible « High-Assay Low-Enriched Uranium » : HALEU. Rosatom, TVEL, est seul, aujourd’hui, à commercialiser ce produit. Le Department Of Energy des États-Unis, DOE, a lancé un programme de production et a annoncé un premier contrat avec l’entreprise Centrus Energy Corp. Orano est également sur les rangs et possède les compétences nécessaires. L’affaire est urgente. Il ne semble pas que de ce côté de l’Atlantique une initiative ait été prise pour commercialiser du combustible HALEU. Ce qui est regrettable. Les recommandations d’ Euratom, mai 2022, et les recherches du Consortium HERACLES existent mais il est nécessaire de parvenir maintenant à une offre commerciale.
Résumé et conclusion
   En 202I, près de la moitié de l’uranium acheté par les États Unis et l’Union Européenne a transité par le port russe de Saint-Pétersbourg. La preuve d’une dépendance inacceptable? La réalité est différente. Le marché russe, trop petit, ne peut assurer le développement de Rosatom, l’entreprise étatique russe du nucléaire.
   Une politique d’exportation massive est obligatoire. La chaine d’approvisionnement russe comporte nombre d’entreprises occidentales indispensables aux exportations.
   Une alternative chinoise? Le dynamisme commercial russe gêne fortement tous les autres exportateurs, dont la Chine, qui a de grandes ambitions dans ce domaine. Sans l’apport des entreprises occidentales, Rosatom ne peut continuer son indispensable politique d’exportation.
  Rosatom s’est rendu utile aux parcs nucléaires occidentaux par des prix avantageux dans le domaine du combustible, principalement pour l’uranium enrichi. Il en est résulté en Occident, des sous-utilisations de capacités, des fermetures d’installations, voire des délocalisations. Des mesures sont en cours pour se passer de ces apports russes. C’est dans ce contexte que se situent, entre autres, la remise en route de CoverDyn, conversion, États Unis, et l’augmentation de la capacité de George Besse II : enrichissement, France. Une nouvelle répartition du marché de l’enrichissement en Occident se fera entre Urenco et Orano, et de celui du combustible, entre Framatome et Westinghouse. Orano et Framatome ont su garder de remarquables compétences dans un contexte politique français incertain. Afin de les renforcer face de puissants concurrents, Urenco et Westinghouse, le temps est venu de leur réserver la clientèle d’EDF.
  Compte tenu du contexte géopolitique, les pays occidentaux peuvent s’approvisionner en uranium en Asie Centrale, Kazakhstan..., en prenant quelques précautions comme le stockage de l’uranium appauvri issu de l’enrichissement, qui n’est pas un déchet, et le financement de la Route Transcaspienne.
   L’Occident n’a pas pris de sanctions contre la Russie dans le domaine du nucléaire. Bien plus, il prépare la rupture des relations.


I. Débat public « Nouveaux réacteurs nucléaires et projet Penly », — IRSN « Les alternatives au réacteur EPR2 », I8 octobre 2022
2. https://www.rosatom.ru/en/investors/projects/
3. Revue Générale Nucléaire, — « Rosatom, un partenaire pour la filière nucléaire française », 13 mars 20I8
4. Framatome : communiqué de presse : 02/I2/202I : « Framatome et Rosatom signent un accord de coopération à long terme ».
5. Nuclear Engineering International, — « France or Russia to provide equipment to Paks-II if Germany refuses », — 3 mars 2023.
6. The Diplomat, 6 december 2022 : « Russia wants to speed up joint nuclear power plant in Uzbekistan »
7. Tass , 05/02/2023 : « Nuclear power should stay out of politics », — Reuters, II/09/20I4 « Nuclear energy should be kept out of politics ».
8. Red Book, — Agence Internationale de l’Energie Atomique, — OCDE, Agence de l’Énergie Nucléaire, Ed, 2020
9. World Nuclear Association, — “ Supply of uranium ”.
I0. Euratom Supply Agency, — Annual Report 202I, Table 8 p.6I ; n'y figurent que les pays produisant plus de I000t/an.
II. World Nuclear Association, — « World Uranium Mining Production ».
I2. US Energy Information Administration, — 202I Uranium Marketing Annual Report. Table 3.
I3. Euratom supply agency, — Annual Report 202I
I4. https://tradingeconomics.com/commodity/uranium
I5. Kazatomprom, — 2022 Analyst Day, 26 october 2022, p.25
I6. Forum économique de Saint-Pétersbourg ; juin 2022
I7. Novastan, — « Le Grand Touran, mythe ou perspective », Traduction de l’article paru dans AsiaPlus, — 29/II/2022
I8. Agence Anadolu, Turquie, — « La population du Kazakhstan atteint le cap historique de I9 millions d’habitants », — 04/08/202I
I9. Kazatomprom 2022 Analyst Day
20. Rosatom Newsletter, june 2022, — « Kazakhstan Interested »
2I. Les activités minières d’ Orano, — dossier d’information, — septembre 2022, p.I5
22. Kazatomprom 2022 Analyst Day p.28
23. Office parlementaire pour l’évaluation des choix techniques et scientifiques ; — L’uranium appauvri, — Compte rendu n°85-3/I2/2020
24. Voir également Orano : « Pour Orano, le recyclage des matières nucléaires va continuer à se développer »
25. Orano-Projet d’extension de l’usine d’enrichissement d’uranium Georges Besse 2, — concertation publique, — dossier du maître d’ouvrage.
26. REPowerEU-COM, 2022, 230 final, p. 2
27. World Nuclear Association-Conversion and deconversion-janvier 2022.
28. Intelligence Economique-Interview :” Orano’s Ponthieu on navigating market in Fog of War », — 23/09/2022
29. Sources d’information utilisées pour la production par année : 2020, World Nuclear Association, — 202I, Rapport d’activités Orano, — 2022, déclaration de François Lurin à Objectif Gard le 22/06/2022
30. Nuclear Engineering International, —« A global realignment », — october, 20, 2022.

  Sur le Web https://www.geopolitique-electricite.fr/documents/ene-335.pdf



HAUTE-MARNE, LEFFONDS : AVIS DÉFAVORABLE AU PROJET D'USINE ÉOLIENNE SUR LA COMMUNE DE CRENAY

   ET DE DEUX! Après l'avis défavorable de la part de la commune de Villiers-sur-Suize, c'est au tour du conseil municipal de Leffonds de dire non, à l' UNANIMITÉ, moins une voix.
   Si CES VICTOIRES SONT ENCOURAGEANTES ET MOTIVANTES pour les opposants mobilisés, il va sans dire que la route qui mène à l'abandon total du projet est encore longue et qu' elle sera parsemée de déceptions, d'embûches et... de coups fourrés!

   En avant toutes!

Conseil municipal 2020-2026
   Merci aux I0 élus ; mais qui est l'élu ou l'élue qui a voté pour? Va savoir, Charles!... À noter le troisième mandat, 2008-2020 pour :  Sylvie Rousselle, Mariette Voillot, Frédéric Mathieu, Yves Mennetrier et Christophe Thivet.
  - Mariette Voillot, maire, anciens cadres
  - Sylvie Rousselle, anciens artisans, commerçants, chefs d'entreprise
  - Frédéric Mathieu, contremaîtres agents de maîtrise
  - Jean-Baptiste Maupin, chefs d'entreprise de 10 salariés ou plus
  - Yves Mennetrier, anciens cadres
  - Christophe Thivet, techniciens
  - Maud Oberlinger, professions intermédiaires de la santé et du travail social
  - Hélène Richard, professeurs des écoles, instituteurs et assimilés
  - Stéphane Lauper, professeurs des écoles, instituteurs et assimilés
  - Sébastien Lhuillier, agriculteurs sur moyenne exploitation
  - Jean-Michel Ollier, anciens cadres
En gras, les réélus en 2020

  - Inscrits : 258 / 273 en 20I4
  - Abstentions : 99 / 78
  - Votants : I59 / I95
  - Blancs ou nuls : 3 / 5
  - Exprimés : I56 / I90
  Source

   À suivre....

jhmQuotidien 2023 03 22


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PARIS, JEUX OLYMPIQUES 2024 : OÙ QUAND LA FAILLITE DE LA FINALE DE LA LIGUE DES CHAMPIONS SE TRANSFORME EN... AVANTAGE POUR LA VSA*

* vidéo-surveillance algorithmique

Précédemment
https://augustinmassin.blogspot.com/2022/12/paris-jeux-olympiques-2024-la-securite.html
https://augustinmassin.blogspot.com/2023/01/paris-jeux-olympiques-2024-l-open-bar.html
https://augustinmassin.blogspot.com/2023/03/paris-jeux-olympiques-2024-la.html
https://augustinmassin.blogspot.com/2023/03/paris-jeux-olympiques-2024-quand-le.html

  À quoi cela tient quand même! Dire qu'il aurait suffit que la finale de la Ligue des champions de football au Stade de France se déroule parfaitement, d'un point de vue sécuritaire et, vlan : PAS D'ARTICLE 7 ET CIE! Oui! Vraiment, cela tient à un rien!...
  “ L’échec est la mère du succès.
  Chine

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***

Fiasco du Stade de France : la VSA ne masquera pas les échecs du maintien de l’ordre


  Alors que la loi JO est actuellement débattue à l’Assemblée, que l’article 7 va être examiné ce soir ou demain en séance, que plus de 250 élu·es appellent à s’opposer à la VSA, tout comme 38 organisations internationales et les eurodéputés, le gouvernement continue de défendre dur comme fer cette technologie. Et pour cela, il monte en épingle des problèmes de sécurité avec des arguments fallacieux :



  Dans un précédent article, nous revenions sur les stratégies d’acceptation des technologies biométriques utilisées par les industriels et les politiques. Nous avions listé quelques-unes de ces stratégies, comme la dépolitisation des mesures de surveillance, l’expérimentation pour faire croire à leur côté éphémère, la dialectique du progrès versus les réactionnaires qui refusent de tels dispositifs… Et l’une d’entre elles consiste à être opportuniste, c’est-à-dire à utiliser n’importe quel événement ou actualité médiatique pour justifier l’utilisation de la vidéosurveillance algorithmique, et même parfois la reconnaissance faciale.
   Le fiasco du Stade de France est un de ces évènements. Durant les débats à l’Assemblée et au Sénat, le ministère de l’Intérieur, de même que les députés et sénateurs de la majorité, n’ont pas cessé de faire référence à la finale de la Ligue des champions comme exemple ultime de la nécessité pour la France de se doter en algorithmes d’analyse d’images afin de garantir la sécurité lors de grands événements comme les Jeux olympiques. En réalité, il s’agit plutôt d’instrumentaliser une catastrophe pour cacher un échec, le cas du Stade de France étant un parfait contre-exemple pour montrer que la technologie sécuritaire ne fonctionne visiblement pas.

Rappel des faits
  Le 28 mai 2022 avait lieu la finale de la Ligue des champions de football, opposant les clubs de Liverpool et du Real Madrid. Mais suite à une conjonction d’événements, la soirée a viré au drame : le RER B en grève, les autorités décidant de placer un point de contrôle pour plusieurs milliers de personnes en amont, à la sortie d’un corridor sous l’autoroute, finalement enlevé en fin de journée pour risque de piétinement. Ensuite des temps d’attente interminables avant d’entrer dans le stade, sans aucune information ni indication, des supporters agressés, les grilles du stade de France fermées, des personnes qui s’agglutinent et enfin l’usage de gaz lacrymogène par la police par dessus tout ça. Finalement, le coup de sifflet sera donné avec plus de 30 minutes de retard. Cet article, qui reprend le rapport cinglant de l’ UEFA, Union des associations européennes de football, livre des témoignages glaçants de supporters.

L’instrumentalisation de l’événement

  Dans un rapport sénatorial chargé de faire la lumière sur les événements et publié en juillet 2022, les élus étrillaient le ministère de l’Intérieur et son chef, G. Darmanin, pour « dysfonctionnement » et « défaillances ». L’Intérieur est accusé : « Les premières déclarations ne correspondaient pas à la vérité », et sont pointées les « défaillances » de la préfecture de police de Paris. Défaillances reprises par le rapport de l’ UEFA, qui, à l’aune de centaines de témoignages, analyse les failles de la gestion sécuritaire de la préfecture de police de Paris et de l’Intérieur.
  Si la situation n’a pas débouché sur une catastrophe, le rapport de l’ UEFA estime notamment que c’est uniquement grâce au sang froid des supporters : « Mieux organisés et plus réactifs que les policiers et les gendarmes chargés de veiller à leur sécurité, ces fans de Liverpool ou de Madrid n’ont dû leur salut qu’à une solidarité sans faille et une capacité à se discipliner qui forcent l’admiration dans un contexte aussi résolument hostile à leur endroit. »
  L’ensemble de ces rapports mettent donc clairement en lumière la responsabilité de la préfecture de police de Paris et du ministère de l’Intérieur dans l’échec de la gestion de cet événement. La colère ne faiblit pas pour les supporters de Liverpool, qui déplient lors d’un match en février dernier des banderoles qui accusent le ministre de l’Intérieur et la ministre des Sports d’être des « menteurs ».
  Mais dès les jours suivant ce qui était déjà communément désigné comme le « fiasco du Stade de France », le maire de Nice, Christian Estrosi sautait sur l’occasion : « Nous sommes équipés, nous avons les logiciels, nous avons des start-ups et des grands industriels, y compris français comme Thalès, qui ont des systèmes très au point pour garantir les libertés individuelles, et que seules les personnes fichées puissent être détectées par l’intelligence artificielle ».
  Du côté de l’Intérieur, après s’être embrouillé dans des pseudo-justifications de dizaines de milliers de faux billets imaginaires, G. Darmanin commence à réciter une fable : celle de la VSA et de sa nécessité afin d’éviter des violences comme celles ayant eu lieu au Stade de France. En janvier 2023 devant le Sénat , c’est la ministre des sports et jeux olympiques et paralympiques, Amélie Oudéa-Castéra, qui défend la loi avec le ministre de l’Intérieur, qui revient dessus lors de la présentation des dispositions de l’article 7 et se félicite de ne pas utiliser de reconnaissance faciale « En matière de sécurité, nous entendons enfin tirer tous les enseignements des événements survenus au Stade de France le 28 mai dernier ».
  Et la vidéosurveillance algorithmique ne manque pas de soutien dans l’hémicycle, elle est plébiscitée par l’extrême-droite, qui reprend parfaitement l’argumentaire de la majorité :
  Yoann Gillet, RN : « L’organisation des Jeux olympiques et paralympiques rend cruciale cette question. Au vu des défaillances majeures constatées en mai 2022 au Stade de France, le groupe Rassemblement national réclame des actions concrètes et adaptées pour assurer la sécurité intérieure du pays. Le traitement algorithmique des images de vidéosurveillance, prévu à titre expérimental par l’article 7, est un outil indispensable pour identifier les risques qui pourraient menacer la sécurité des personnes pendant cette manifestation internationale ».
  Le ministre de l’Intérieur utilise notamment un point, qu’on retrouve parmi une liste de plusieurs dizaines de recommandations dans le rapport sénatorial précédemment cité, à savoir celui qui préconise le recours à l’intelligence artificielle pour éviter d’autres situations comme celle du Stade de France. La petite histoire commence alors.

 

  Lors des discussions sur la loi JO, le 24 janvier dernier, le sénateur Thomas Dossu, résume parfaitement l’absurdité de ce technosolutionnisme :
   « Disons-le clairement, voir émerger cette recommandation dans ce rapport avait déjà un caractère saugrenu. En effet, l’intelligence artificielle aurait-elle permis d’éviter la défaillance dans l’orientation des supporters anglais ? L’intelligence artificielle aurait-elle déconseillé l’usage immodéré des gaz lacrymogènes sur des supporters pacifiques ? L’intelligence artificielle aurait-elle tiré, en amont, les conclusions d’une grève touchant l’une des deux lignes de RER qui menaient au Stade de France ? En d’autres termes, l’intelligence artificielle aurait-elle fait mieux que les intelligences combinées du ministre Darmanin et du préfet Lallement ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, je ne le pense pas. »
  Ainsi, on passe d’un événement où la responsabilité des forces de police françaises est mise en cause à la soi-disant nécessité d’une extension des pouvoirs de surveillance de cette même police, à travers l’ajout d’algorithmes aux caméras. Cette instrumentalisation de l’événement pour cacher un échec est bien pratique. À un peu plus d’un an des Jeux olympiques, le gouvernement français joue sa crédibilité : s’il est incapable de gérer une finale de Ligue des champions, comment pourrait-il accueillir un méga-évènement comme les JO ? Plutôt que d’avouer son échec, il jette de la poudre aux yeux en déviant sur la pseudo nécessité de la vidéosurveillance algorithmique.
   Depuis le début des débats sur la loi JO, la prévention des « mouvements de foule » est alors mise en avant par la majorité comme l’usage principal de cette technologie. D’une part, cela invisibilise, — à dessein, — les applications bien plus dangereuses de la VSA. D’autre part, le gouvernement infuse de cette manière dans le débat une source d’insécurité fabriquée de toute pièce et qui n’avait jamais pris autant d’importance lors des autres évènements organisés en France.

La VSA aurait-elle pu être utile pour éviter le fiasco ?
  Idée reçue : La VSA permettrait à la police d’être mieux organisée
  Le fiasco du Stade de France est de toute évidence instrumentalisé pour promouvoir la VSA : mais celle-ci pourrait-elle quand même être efficace face à de tels événements ?
   Le problème majeur de cette finale de la Ligue des champions n’a pas été le manque de technologie pour gérer la foule, mais bien la stratégie du maintien de l’ordre de l’Intérieur et de la préfecture, comme l’exposent les différents rapports précédemment cités, avec des erreurs de gestion de foule, contrôle des tickets dans des endroits trop étroits, ligne de RER en grève, couplées au gazage à tout-va des supporters. On voit mal comment la vidéosurveillance algorithmique aurait permis à l’évènement d’être mieux organisé ou à la police d’être moins violente…
  Si la rengaine du technosolutionnisme presque magique, qui pourrait résoudre tous les problèmes, est régulièrement utilisée, elle laisse complètement dubitative dans ce cas-là. Le Stade de France compte 260 caméras de vidéosurveillance, pourtant celles-ci n’ont pas servi à grand-chose. Les bandes ont d’ailleurs étrangement été effacées au bout d’une semaine, personne n’ayant visiblement pensé à les réquisitionner : ni le tribunal, ni les sénateurs n’ont pu avoir accès aux images. En quoi l’ajout d’algorithmes aurait-il pu empêcher un tel événement ? Au contraire, le fiasco du Stade de France montre bien qu’une politique de sécurité répressive et inhumaine, dans laquelle les caméras et la VSA s’inscrivent largement et où la police est en partie à l’origine des mouvements de foule, n’aboutit qu’à la violence
  Si l’Intérieur souhaite réellement éviter la reproduction de tels événements, il faudrait plutôt songer à changer la doctrine du maintien de l’ordre et s’enquérir de gestion humaine de l’espace : s’assurer d’avoir des couloirs assez grands, d’indiquer les guichets, d’avoir des agents multilingues pour orienter les supporters, d’informer en temps réel sur ce qui se passe, et de défaire les préjugés des forces de l’ordre sur le « hooliganisme anglais »…
  Idée reçue : La VSA permettrait de détecter et prévenir des mouvements de foule
  Pour éviter les mouvements de foules, les chercheurs dans le domaine pointent l’importance de l’organisation spatiale en amont, la nécessité de poster des humains pour orienter et aider les personnes présentes, le désengorgement des transports… Toutes solutions sans rapport avec la vidéosurveillance, qui ne peut clairement rien pour prévenir les mouvements de foule.
  La concentration de milliers de personnes en un même endroit nécessite certes une préparation en amont, mais une fois la foule réunie, qu’est ce que la VSA pourrait repérer qui ne serait perceptible par des humains ? Et si un mouvement de foule se déclenche effectivement, la technologie biométrique ne peut ni porter secours ni réorienter les personnes pour diminuer la densité. On voit donc mal ce que la VSA apporterait sur le sujet. Rappelons également que chaque semaine depuis des décennies, des stades se remplissent et se vident en France. À notre connaissance, il n’a pas été documenté ou identifié de nouveaux problème majeurs de mouvements de foule qui nécessite de changer le savoir faire humain habituellement mis en œuvre dans ces lieux.
  Que ce soit dans la prévention ou la résolution de tels mouvements, la technologie n’est pas une aide. Ici, c’est au contraire une stratégie afin d’orienter le débat et le dépolitiser. La vraie question est ailleurs : la VSA n’est pas un outil « neutre » d’aide à la décision, mais s’inscrit dans des stratégies de répression qui ont conduit à produire le fiasco du Stade de France.

 

Conclusion
   La référence au fiasco du Stade de France pour justifier le recours à la vidéosurveillance algorithmique ne tient pas l’analyse une seconde. Il est donc clair qu’il s’agit davantage d’une tentative d’utiliser un choc émotionnel provoqué par une catastrophe et d’essayer de couvrir un échec organisationnel et de répression policière. Mais surtout, en imposant ce faux débat dans les discussions sur la VSA, le gouvernement parvient à étouffer les véritables enjeux liés aux dangers de ces technologies. Le sujet des mouvements de foule a monopolisé les discussions sur la loi JO en commission des lois, empêchant les députés de questionner en profondeur les usages bien plus problématiques de ces algorithmes. Ainsi, la définition de « comportement suspect » ou le suivi biométrique des personnes dans la rue n’ont quasiment pas été débattus alors qu’il s’agit d’applications existantes et dangereuses, promues et développées par les entreprises de VSA qui seront chargées des expérimentations.
   La légalisation de la VSA ne permettra pas d’empêcher les fiascos tels que celui ayant eu lieu lors de la finale de la Ligue des champions, mais contribuera bien à augmenter les capacités de surveillance de l’État et la répression de la population. Il faut contrer les manœuvres du gouvernement et regarder en face la société de surveillance qu’il est en train de faire accepter. Refusons toutes et tous l’article 7 !

Références
1. Voir la vidéo d’un chercheur en mouvement de foule, Mehdi Moussaïd

   Sur le Web

LE NUCLÉAIRE, LA CHINE, LA RUSSIE ET... L' OCCIDENT : LE CHAT, LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN*

  * quinzième fable du livre VII de Jean de La Fontaine, I678.  Gravure de Martin Marvie d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint ...