ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE : QUAND LES DIRIGEANTS DU KU KLUX KLAN CHERCHAIENT, AUSSI, À STOPPER LE DÉCLIN DE LEUR POSITION ÉCONOMIQUE

  "...Ce n'est d'ailleurs pas la haine du noir qui les anime; il n'en ont pas le courage, ou ne l'ont plus. La haine n'est pas donnée, elle a à se conquérir à tout instant, à se hisser à l'être, en conflit avec des complexes de culpabilité plus ou moins avoués. La haine demande à exister, et celui qui hait doit manifester cette haine par des actes, un comportement approprié; en un sens, il doit se faire haine. C'est pourquoi, les Américains ont substitué la discrimination au lynchage... "
  FANON, Frantz, Peau noire, masques blancs, Éditions du Seuil, Collection " Esprit ", I952, pp. 50-5I.

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Milice suprémaciste blanche, le Ku Klux Klan était aussi une organisation patronale

Chad Pearson

  Le Ku Klux Klan, KKK, doit être compris non seulement comme une organisation suprémaciste blanche, mais aussi comme une organisation patronale : il s’est violemment opposé aux acquis révolutionnaires de la Guerre de Sécession, I86I-I865, et de la Reconstruction, I863-I877, et a cherché à maintenir les masses noires dans la soumission et l’exploitation. 
 
 
 
 
Gravure des années I860 représentant deux membres du Ku Klux Klan cagoulés et armés. Archive Photos / Getty Images

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  La Guerre de Sécession a révolutionné les rapports de travail dans le Sud des États-Unis. Les esclaves fuirent les plantations, prirent les armes contre leurs violents exploiteurs et se forgèrent de nouveaux horizons politiques. L’avenir semblait prometteur.
  Pour les propriétaires de plantations, cependant, cette transformation constituait un cauchemar : les travailleurs qu’ils tenaient en esclavage avaient mené une véritable « grève générale » , comme l’appela plus tard W. E. B. Du Bois, ce qui les rendait financièrement vulnérables et les ébranlait profondément. Ce groupe raciste et revanchard ne s’est pas contenté de pleurer sur ses défaites, il s’est organisé.
  Pendant les années de la Reconstruction, la classe dirigeante sudiste, essentiellement basée sur les plantations, s’est farouchement opposée à l’efflorescence de la liberté des Noir. Les Codes Noirs, Black Code, restrictifs, les politiques pro-plantation du président Andrew Johnson, les émeutes racistes à Memphis et à la Nouvelle-Orléans, I866, et, surtout, le terrorisme généralisé du Ku Klux Klan ont brutalement démontré quelles étaient les limites de l’émancipation.
  Dirigé par d’anciens propriétaires d’esclaves, le Klan a exercé diverses formes de violence pour empêcher les Afro-Américains de voter ou d’aller à l’école, pour intimider les « Carpetbaggers » du Nord et pour s’assurer, selon un document non daté du Klan, que les personnes affranchies « continuent à travailler comme il se doit ».
  Les branches du Klan, réparties de manière inégale dans de nombreuses régions du Sud, promettaient de s’attaquer aux problèmes de main-d’œuvre les plus urgents des planteurs. Après avoir pris connaissance de l’existence de l’organisation, Nathan Bedford Forrest, ancien marchand d’esclaves, principal boucher de la bataille de Fort Pillow en I864 et premier Grand Sorcier de l’organisation, a approuvé son caractère secret, ses activités et ses objectifs :
  « C’est une bonne chose, une sacrée bonne chose. Nous pouvons l’utiliser pour maintenir les nègres à leur place ».
  Garder « les nègres à leur place » n’était pas une tâche facile : les Afro-Américains et les Afro-Américaines quittaient volontiers les fermes et les plantations, ce qui entraînait une pénurie de main-d’œuvre généralisée. Alfred Richardson, un Afro-Américain de Géorgie, observe que les planteurs restent profondément frustrés parce qu’ils sont incapables de « faire leur récolte » . Mais le KKK s’est avéré être l’un des meilleurs outils dont disposaient les employeurs du Sud pour imposer violemment leur volonté. 
 
 

Les problèmes de main-d’œuvre des planteurs
  Pendant des décennies, les historiens ont débattu de la meilleure façon de caractériser le KKK, une organisation terroriste suprémaciste blanche lancée par des vétérans confédérés qui a vu le jour à Pulaski, dans le Tennessee, en I866, avant de se répandre dans tout le Sud. Des centaines de milliers de personnes y ont adhéré, bien qu’il soit pratiquement impossible d’obtenir un décompte détaillé des membres réels en raison de l’hyper confidentialité de l’organisation.
  Pourtant, beaucoup de choses ne sont pas contestées : les klansmen étaient étroitement liés au Parti démocrate et recouraient à la violence, coups de fouet, pendaisons, noyades, violences sexuelles, campagnes d’expulsion contre les Afro-Américains « insubordonnés » et les Républicains de toutes races. Les hommes du Klan ont également eu recours à des formes de répression plus « douces », notamment l’incendie d’écoles et de livres, ainsi que l’inscription sur des listes noires d’enseignants nordistes. Parfois, ils se mobilisèrent pour empêcher les Afro-Américains de s’instruire. Selon Z. B. Hargrove, de Géorgie, les Klansmen fouettaient parfois les affranchis « parce qu’ils étaient presque trop intelligents » .
  Le racisme unissait les membres blancs du Klan indépendamment des différences de classe, mais tous ne jouaient pas un rôle égal dans l’organisation. Les dirigeants du Klan étaient principalement des propriétaires de plantations, des avocats, des rédacteurs en chef de journaux et des propriétaires de magasins en perte de vitesse, c’est-à-dire les personnes les plus touchées par la transformation radicale de l’économie et des rapports de travail dans le Sud.
  Ces hommes étaient exaspérés par le déclin de leur position économique et par l’ascension des Noirs aux postes de pouvoir politique. Randolph Abbott Shotwell, chef du Klan basé en Caroline du Nord, se plaint que les Noirs nouvellement habilités ont aidé le gouvernement fédéral à abolir « les droits du maître » et à priver de leurs droits « une grande partie des hommes les plus compétents et les plus doués de la race naturellement dominée ».
  Les élites rancunières comme Shotwell et Forrest étaient déterminées à rétablir leur pouvoir. De nombreuses preuves suggèrent que le Klan de l’époque de la Reconstruction fonctionnait comme une association d’employeurs avec des objectifs qui, à certains égards, ressemblaient à ceux d’autres organisations patronales anti-ouvrières.
  Les dirigeants du Klan exigeaient des masses noires qu’elles remplissent une seule fonction : s’engager dans des formes de travail épuisantes et brutalement intenses qui ressemblaient à la vie dans les plantations avant la Guerre de Sécession. Les hommes du Klan cherchaient à empêcher les Afro-Américains et les Afro-Américaines de quitter leur lieu de travail, de participer à des réunions politiques, de poursuivre des études, d’avoir accès à des armes à feu ou d’adhérer à des organisations destinées à défier leurs exploiteurs. Comme l’a déclaré un observateur de Géorgie à une commission d’enquête du Congrès en I87I, « je pense que leur but est de contrôler le gouvernement de l’État et la main-d’œuvre nègre, comme ils le faisaient sous l’esclavage ».
  Alors que les membres du Klan insistaient sur le fait que les masses noires devaient passer leurs journées à planter et à récolter, beaucoup refusaient de croire que ces mêmes travailleurs.ses méritaient des compensations financières pour leurs efforts. Selon un rapport publié en I87I dans le Tennessee, il arrive fréquemment que « l’employeur trouve une excuse quelconque et se brouille avec l’ouvrier, qui est alors contraint d’abandonner sa récolte et son salaire sous la terreur du Ku Klux Klan, qui, dans tous les cas, sympathise avec les employeurs blancs ». De tels cas ressemblent davantage à l’esclavage qu’au système de travail libre promis par l’émancipation.

Le Klan en tant qu’organisation patronale
  Peu de chercheurs et chercheuses ont qualifié le Klan d’organisation patronale et la plupart des historiens du management ont ignoré le Sud de la Reconstruction. L’important ouvrage de Clarence Bonnett publié en I922, Employers’ Associations in the United States : A Study of Typical Associations, est muet sur le Klan, se concentrant exclusivement sur les organisations dirigées par les entreprises qui se sont formées dans le Nord à la fin du XIXe siècle pour contrer le mouvement ouvrier de plus en plus rétif.
  Pourtant, la définition de Bonnett est souple, ce qui nous permet de l’appliquer aux actions des organisations d’auto-défense durant la Reconstruction :
  « Une association d’employeurs est un groupe composé d’employeurs ou encouragé par eux, qui cherche à promouvoir les intérêts des employeurs dans le domaine du travail. Le groupe est donc soit 1, une organisation formelle ou informelle d’employeurs, soit 2, une collection d’individus dont le regroupement est encouragé par les employeurs ».
  Bien entendu, les Klansmen de l’époque de la Reconstruction et les associations d’employeurs de l’ère progressiste concevaient leurs problèmes de main-d’œuvre respectifs de manière très différente. Alors que les membres des alliances patronales et citoyennes du Nord vantaient la liberté dont les travailleurs industriels étaient censés jouir, à savoir celle de ne pas adhérer à un syndicat, les Klansmen n’avaient aucun intérêt à tenter d’apparaître légitimes aux yeux des masses afro-américaines.
  Cela ne veut pas dire que les associations patronales basées dans le Nord acceptaient les explosions d’agitation ouvrière. Elles ont, elles aussi, eu recours à des techniques coercitives, notamment des agents de sécurité privés, des enlèvements, des passages à tabac et des pendaisons, et elles ont bénéficié des interventions rapides de la police et des gardes nationaux.
  Mais sur le plan rhétorique, les associations d’employeurs de l’ère progressiste ont souvent utilisé le langage lincolnien du « travail libre », signalant aux masses de travailleurs « libres » qu’ils étaient mieux servis en travaillant avec diligence et en coopérant avec leurs patrons. Ceux qui optaient pour des voies plus conflictuelles se retrouvaient souvent licenciés et mis à l’index; des mesures coercitives, certes, mais très différentes de ce qu’ont connu les anciens esclaves.
  Les Klansmen parlaient sans fard le langage de la domination raciale et de classe et ils le mettaient en œuvre avec une extrême brutalité. Si l’on mesure le nombre de meurtres et de passages à tabac, le Klan était bien plus violent que la plupart des associations patronales basées dans le Nord.  L’historien Stephen Budiansky a calculé que les justiciers blancs ont assassiné plus de trois mille personnes pendant la période de la Reconstruction.
  Les hommes du Klan étaient néanmoins stratégiques, recourant aux menaces, aux enlèvements et aux coups de fouet pour atteindre les principaux objectifs des classes dirigeantes du Sud. Il s’agissait d’empêcher les affranchis d’aller voter, de disperser les rassemblements politiques et d’assassiner les hommes et les femmes les plus irrémédiablement rebelles.
  « Les raiders blancs, souligne l’historien Douglas Egerton, ne se contentaient pas d’agresser les Noirs à cause de leur couleur de peau. Ils recouraient plutôt à l’intimidation et à la violence contre ceux qu’ils considéraient comme des hommes et des femmes négligents, peu fiables, irrespectueux et provocateurs. »
  Les actes horribles tels que le fouet et la pendaison répondaient aux besoins de la direction, en aidant à discipliner un nombre incalculable de travailleurs.ses. Robert Philip Howell, producteur de coton du Mississippi, a par exemple exprimé sa reconnaissance au Klan parce que ses membres l’avaient aidé à résoudre ses problèmes avec les « nègres libres » en I868 :
  « S’ils n’avaient pas eu une peur bleue du Ku-Klux, je ne pense pas que nous aurions pu les gérer aussi bien que nous l’avons fait ».
  Le fait que des Blancs pauvres et de la classe travailleuse étaient membres du Klan ne signifie pas non plus qu’il ne faille pas considérer le KKK comme une organisation patronale : pour parvenir à contrôler les travailleurs, il a presque toujours fallu coordonner des groupes de participants de différentes classes. Après tout, les associations patronales, principalement basées dans le Nord, n’auraient pas pu réussir à briser les grèves et à démanteler les syndicats sans la mobilisation des briseurs de grève lors des conflits industriels.
  Le Klan était donc une association patronale particulièrement vicieuse et particulièrement raciste, mais c’était tout de même une association patronale. Elle était brutalement efficace.
  La peur s’empara de la classe travailleuse noire, essentiellement agricole. Bien que les Noirs du Sud ne soient plus des « biens », la menace de la violence organisée par le Klan planait. Trop de faux pas, y compris des formes subtiles ou manifestes d’insubordination, pouvaient conduire à des rencontres malvenues avec des hommes cagoulés, suivies de menaces, de passages à tabac, voire de la mort. Les hommes du Klan étaient les exécuteurs vicieux de la direction, veillant à ce que les masses gardent la tête baissée et travaillent efficacement.
  Certains affranchis continuèrent de rejoindre des organisations de résistance telles que les Union Leagues. Ces organisations alliées aux Républicains étaient actives dans des États comme l’Alabama, où ses membres organisaient des réunions, mobilisaient les électeurs et s’armaient souvent, activités qui dépassaient de loin leurs fonctions « appropriées » sur le lieu de travail.
  Mais en réponse, les hommes du Klan complotaient entre eux avant de faire irruption au domicile des membres des Ligues, de fouetter les résidents, de leur arracher leurs armes et de leur demander de se tenir à l’écart des isoloirs. Ils n’épargnaient les vies que lorsque leurs cibles promettaient d’abandonner les Ligues. Rien qu’en Alabama, les Klansmen ont assassiné une quinzaine de membres de Ligues entre I868 et I87I.

La « contre-révolution de la propriété »
  Veiller à ce que les Afro-Américains restent attachés, parfois littéralement, aux fermes, aux plantations et à d’autres lieux de travail tout en ne recevant qu’une faible compensation était l’un des principaux objectifs des élites sudistes, celles-là mêmes qui avaient profité de l’esclavage avant la Guerre de Sécession. Alors que les Blancs de toutes classes rejoignaient les branches du Klan et participaient avec enthousiasme aux attaques contre les enseignants du Nord, les administrateurs du Freedom Bureau et les membres de l’Union League, ce sont les élites qui menaient la danse.
  Il s’agissait d’une « contre-révolution de la propriété » , selon l’expression célèbre de W. E. B. Du Bois. Les réformateurs de l’ère de la Reconstruction n’ont pas réussi à offrir une véritable liberté aux anciens esclaves, écrit-il, en partie « parce que la dictature militaire derrière le travail n’a pas fonctionné avec succès face au Ku Klux Klan ». À l’instar des associations patronales du Nord, le KKK a défendu les intérêts des membres les plus puissants de la société en faisant régner la violence et la terreur au nom des employeurs agricoles.
  Nous devrions apprécier les énormes avancées émancipatrices de la Guerre de Sécession sans perdre de vue les moyens mis en œuvre par la classe dirigeante du Sud pour s’accrocher au pouvoir. Elle l’a fait en partie en jouant un rôle de premier plan au sein du Klan et en soutenant activement les nombreuses organisations d’autodéfense racistes qui exigeaient la subordination des travailleurs.
  En mettant en lumière leurs intérêts de classe fondamentaux, nous pouvons mieux comprendre les raisons de leur stratégie de terreur. Ces hommes ont peut-être perdu le conflit le plus important pour la démocratie dans l’histoire des États-Unis, mais ils n’ont pas cessé de combattre les forces de libération.

  Paru initialement sur Jacobin. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

Chad Pearson est professeur d’histoire. Il est l’auteur de Reform or Repression : Organizing America’s Anti-Union Movement et de Capital’s Terrorists : Klansmen, Lawmen, and Employers in the Long Nineteenth Century.

  Sur le Web


ET SI POUR VRAIMENT SAUVER DAME NATURE ET SIEUR CLIMAT, LES ENR N'ÉTAIENT PAS LA MARTINGALE GAGNANTE ANNONCÉE ?

  ATTENTION FUTUR, LES UTOPIES ONT LA VIE DURE !...
 
 
 
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« ENR et climat : nous manquons d’études d’impact » Jean-Pierre Riou : Interview


  Début Mai, nous avons publié une analyse en deux parties de Jean-Pierre Riou et Jean Fluchère, sur la nécessité de faire davantage d’études au sujet de ENR et CO2 évité. É l’issue de cette analyse, les auteurs en concluaient qu’ « Il serait irresponsable d’imposer des objectifs de moyens en faisant l’impasse des analyses nécessaires à l’évaluation de leurs performances en termes de sollicitations des moyens thermiques de soutien et d’émissions supplémentaires de gaz à effet de serre. » Une interrogation reprise par la sénatrice Anne-Catherine Loisier dans une question adressée à la Ministre de Transition énergétique. Soucieux de démasquer les moindres externalités négatives des énergies liées à la transition, Jean-Pierre Riou, auteur de nombreuses publications sur le sujet de l’énergie a remarqué également rapport direct entre éolienne et climat. Des sujets qu’il a bien voulu développer pour nous.

The European Scientist : Pouvez-vous revenir brièvement sur votre analyse entre ENR et CO2 évité
  Jean-Pierre Riou : Les énergies renouvelables, EnR, ont imposé un changement de paradigme au système électrique, qui doit désormais développer ses interconnexions, sa flexibilité et ses moyens de stockage pour accepter l’injection croissante d’une production qui dépend des caprices de la météo, tandis que les centrales pilotables son amenées à moduler davantage leur production pour accompagner leurs aléas.
  Or, les émissions des centrales thermiques sont corrélées à leur rendement. Et si une longue période ventée est susceptible d’éviter leurs émissions en entraînant leur arrêt pendant plusieurs jours, les régimes partiels et à-coups de fonctionnement, liés à leur suivi de ces aléas, dégrade ce rendement et devrait interdire qu’on puisse évaluer les émissions de CO2 évitées à la seule aune de la quantité d’électricité produite, comme semble le faire RTE, ou à celle de la quantité de fossile consommée, selon le CITEPA, organisme officiel chargé de cet inventaire.
  De nombreuses études montrent que la plupart des gaz émis par les centrales thermiques peuvent même augmenter lors de leurs baisses de rendement.

TES. : Vous avez réussi à obtenir l’attention de la Sénatrice Anne Catherine Loisier*. Pensez-vous que la ministre de la transition énergétique va répondre ?
  JPR : Force est de rendre hommage à notre démocratie et à la règle systématique des Gouvernements de répondre aux questions ainsi posées par les sénateurs ou les députés. Et j’avoue attendre avec le plus grand intérêt les explications sur l’exactitude du chiffrage du CO2 réellement évité par les EnR intermittentes électriques. Je précise « électriques » car les renouvelables thermiques ont un potentiel bien supérieur et ne présentent pas cet inconvénient d’intermittence de production, ainsi que l’a rappelé Anne Catherine Loisier dans sa question qui précise « bien qu’on puisse regretter que son effort se soit concentré sur les renouvelables électriques au détriment des renouvelables thermiques ».
  Mais j’avoue ne pas bien voir comment la problématique des rendements serait prise en compte, alors qu’il me semble avoir montré que les chiffres de RTE correspondaient à un rendement optimum permanent de chaque centrale.
  De la même manière, il est facile de vérifier, à la pompe, l’économie de carburant liée à une vitesse de croisière inférieure, mais on ne peut pas conclure, sans cette vérification élémentaire, qu’on a consommé moins en multipliant les coups de freins et redémarrages, selon le seul paramètre que la vitesse moyenne était inférieure.

TES. : Vous venez de publier une nouvelle analyse** dans laquelle vous vous interrogez cette fois sur un lien direct entre éolienne et réchauffement climatique, selon vous, un sujet polémique qui détourne de la controverse. Que voulez-vous dire ?
  JPR : À la suite d’une conversation twitter sur le sujet, j’ai été sollicité pour développer ce thème… J’avais d’abord refusé pour la raison que je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème significatif pour le climat, et que cet effet de réchauffement devrait disparaître avec la disparition des éoliennes, ainsi que je le précise d’ailleurs dans l’article.
  Et je savais que la diffusion de ce type d’analyse entraînerait davantage de réactions agressives que de controverses constructives de la part des défenseurs des énergies renouvelables que le sujet ne manquerait pas de piquer au vif. Car les éoliennes sont devenues le symbole omniprésent de la lutte contre le réchauffement climatique.
  Ce qui n’a d’ailleurs pas manqué d’entraîner des qualificatifs de conspirationniste, nucléariste ou d’extrême droite, aussi virulents que les remarques sur le fond étaient absentes.

TES. : Le CNRS a déjà publié une étude sur le sujet en 2014. Quelle était la conclusion à l’époque ?
  JPR : Cette étude du CNRS [Centre national de la recherche scientifique], du CEA [Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives] et de l’ UVSQ* concluait de façon très rassurante que « Le développement des fermes éoliennes en Europe modifie le climat de façon extrêmement faible à l’échelle du continent, et cela restera le cas au moins jusqu’en 2020 ».
  Et c’est la raison pour laquelle j’ai accordé une importance particulière à son travail de simulation, qui relève une rotation des vents d’ouest vers le nord sur l’Europe de l’Ouest, ainsi qu’une baisse des cumuls de précipitations saisonnières au centre de l’Europe. Elle prévoit également un léger réchauffement dans le nord de l’Europe et un refroidissement dans le sud-est.
  Et cette prévision de l’impact des éoliennes en Europe pour 2020 a d’autant plus attiré mon attention que les effets ressentis actuellement du réchauffement global du continent me semblent surtout relever de ce type d’évolution régionale. D’ailleurs d’une façon qui n’est pas complètement étrangère à celle modélisée par le CNRS, en restant bien conscient de l’absence totale de rigueur de ma comparaison.
  Dans son introduction, l’étude considère qu’« En fait, toute la structure de la couche limite planétaire est affectée par la turbulence de sillage des turbines »; In fact, the whole structure of the planetary boundary layer is affected by turbine wake turbulence. Ce qui n’a pas manqué de m’interpeller en regard de la fameuse question posée par K. Lorenz [Konrad, I903-I989, biologiste et éthologue-zoologiste autrichien; prix Nobel de physiologie ou médecine : I973] « Le battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? ».
  D’autant que cette étude, qui ne modélisait que les éoliennes prévues pour 2020 concluait :
   « Dans ce contexte, il est nécessaire de produire de nouvelles études utilisant d’autres modèles et différents scénarios de développement de production d’énergie éolienne pour déterminer précisément quelles seront les conséquences d’un déploiement encore plus massif de l’éolien à l’horizon 2050. Une question essentielle sera d’évaluer les effets d’un doublement, voire, d’un triplement des puissances étudiées ici, s’agissant de l’ordre de grandeur envisageable dans les quarante prochaines années. »
  J’aurais bien aimé compléter mon article par une étude équivalente qui aurait modélisé notamment les 300 GW offshore prévus sur la seule mer du Nord en 2050 contre les 50 GW simulés par le CNRS pour 2020 et qui correspondaient déjà à une modification de la pression atmosphérique au niveau de la mer de façon bien visible sur ses illustrations. Mais je n’ai pas trouvé une telle étude, pourtant réclamée par le CNRS en 20I4.
  Ci-dessous simulation de la modification par les éoliennes prévues en 2020 de la pression atmosphérique au niveau de la mer : hivernale, à gauche et estivale, à droite. 
 




TES. : Pourquoi affirmez-vous qu’il s’agit d’un remède pire que le mal ?
  JPR. : On m’a reproché de ne pas avoir terminé ce titre par un point d’interrogation et d’affirmer ainsi l’inverse du consensus sur le sujet. Car l’accumulation de gaz à effet de serre entraîne des effets de long terme contrairement aux éoliennes qui ont un effet sur le climat limité à leur temps de fonctionnement.
  Mais j’ai voulu mettre en perspective l’étude de l’Université de Harvard qui conclut que sa valeur obtenue par simulation, d’un réchauffement continental de 0.24°, correspond aux valeurs observées, et considère que cet « effet de réchauffement est : 
  • faible par rapport aux projections du réchauffement du 2Ie siècle,
  • approximativement équivalent à la réduction obtenue en décarbonant toute la production mondiale d’électricité, 
  • et important par rapport à la réduction du réchauffement obtenue en décarbonant l’électricité américaine avec l’éolien.
  C’est-à-dire que les effets sur les températures du développement éolien américain sont effectivement pires que le réchauffement évité, en forme de justification de mon titre « un remède pire que le mal ».
  Mais je pense particulièrement au cas de la France où ce symbole de la lutte contre le réchauffement climatique a fait imaginer qu’on pouvait se passer des centrales nucléaires sans les remplacer par du gaz ou autres moyens pilotables. Et ces promesses ne sont pas étrangères au désamour de notre parc nucléaire, pourtant moins émetteur encore de CO2 que les éoliennes par MWh produit, selon l’analyse du cycle de vie, ACV, comprenant toutes les étapes de fabrication d’exploitation et de démantèlement.
  Or, d’une façon ou d’une autre, ne serait-ce qu’en faisant écrouler le marché du MWh quand le vent souffle fort, les éoliennes sont amenées à remplacer une part croissante de la production nucléaire, comme en témoigne la générosité du vent début janvier qui a entrainé la demande de déconnexion de I0 réacteurs. [1]
  Le développement de l’éolien favorise l’emploi du gaz pour lisser les aléas de sa production, tandis que le modèle économique du nucléaire demande une exploitation à haut rendement, comme aux États-Unis où leur facteur de charge dépasse 90%. Les réacteurs français sont flexibles mais n’ont pas vocation à se plier aux caprices de la météo pour compenser les EnR.
  Mais le cas échéant, je ne vois pas comment le climat pourrait y gagner.

TES. : On a appris hier que investissements dans le solaire étaient prêts à dépasser ceux de l’extraction pétrolière. Qu’en pensez-vous ?
  JPR. : Bien que là ne soit pas la question, l’étude de Harvard considère que le solaire impacte I0 fois moins le climat que l’éolien. Mais surtout, 2 points doivent être précisés :
  Le solaire thermique ne présente pas la même difficulté d’intermittence en raison de son stockage naturel sous forme de chaleur, et la régularité de ses cycles le rend plus propice à l’équilibrage d’un réseau électrique que l’éolien, dont la puissance, même à l’échelle d’un continent, peut varier de I à I0 à n’importe quel moment de la journée.
  Et d’autre part, la situation de la France, ou même du réseau européen, n’est pas celle du monde entier. On ne peut qu’applaudir la centrale solaire à concentration de Cerro Dominador, dans le désert d’Atacama, où le niveau d’incidence solaire est le plus élevé du monde, là ou l’activité minière, essentiellement diurne, représente l’une des principales activités économiques du Chili. Et l’électrification de nombreuses régions du monde représente, au cas par cas, des enjeux différents dans lesquels le solaire, et même l’éolien seront incontournables.
  Le réseau européen a d’autres exigences, et le parc de production français d’autres atouts.

* Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UVSQ, – Université Paris Saclay 

*https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230506667.html
**https://atlantico.fr/article/decryptage/eoliennes-et-climat-un-remede-pire-que-le-mal-pollution-bilan-carbone-environnement-impact-consequences-ecologie-nucleaire-industrie-france-atouts-innovation-jean-pierre-riou 
1 http://lemontchampot.blogspot.com/2023/01/quand-le-souffle-eolien-eteint-10.html

  Sur le Web

FRANCE, ÉNERGIE : QUAND LE TRAIN NOUVEAU CREUSE LA DETTE PUBLIQUE, SANS GARANTIR UNE DÉCARBONATION EFFICACE

  " L'idée que le citoyen doit contrôler l'État repose sur la vision que, dans l'État, le Parlement dirige effectivement le corps politique, les organes administratifs et les corps techniques, Or, nous sommes ici en pleine illusion. Böhm* montre bien que les organes de la démocratie représentative ne servent plus qu'à avaliser les décisions élaborées par les experts et par les groupes de pression. Et de même, Satori** , dans une étude exceptionnelle sur le Parlement, a montré l'impuissance du Parlement à remplir les fonctions dont l'idéologie démocratique l'a investi, et sur quoi repose encore toute l'innocente conviction d'une possibilité de contrôle par le citoyen. (...) C'est une des études les plus lucides sur l'échec de la représentativité, par exemple, par suite de la professionnalisation des hommes politiques, par le filtrage dû aux partis politiques, le personnel parlementaire tend à devenir une projection représentative du personne des partis : il conclut que nos parlements sont " atypiques " par rapport à l'ensemble de la Nation... "

* " Kapituliert der Staad ? in Politische Meimug ", I962
** " L'avenir des Parlements ", in Sedeis, I964

ELLUL, Jacques, L'Illusion politique,Éditions de La Table Ronde, Paris, 2004, pour la présente édition, p. I9I.

  " On sait bien que les hommes n’ont pas d’âme : si seulement ils avaient un peu de tenue. "
  BÖHM, Gottfried, I920-202I, architecte.

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L’amour sans limite de nos élus pour le rail


Jean-Pierre Orfeuil
Professeur émérite, université Gustave Eiffel

  Le besoin de rassurer les marchés financiers inquiets d’une dette publique explosive a été avancé pour justifier la réforme des retraites. On peut le comprendre. Cela ne rend que plus incompréhensible les ambitions de l’État dans le transport ferroviaire, qu’il soit urbain, Grand Paris Express, RER métropolitains, ou interurbains, TGV : le point commun de ces projets est d’être financés par une dette qui ne sera pas remboursable par les usages de ces systèmes.

 

  Le gouvernement aime le rail. La mobilisation des élus franciliens pour les lignes du Grand Paris Express en sursis en 20I7, les réactions favorables des élus territoriaux à l’annonce des RER métropolitains en 2022, montrent que cet amour est partagé. Le président de la SNCF a pu estimer qu’il fallait investir I00 milliards de plus dans le fer pour doubler sa part dans les transports, « un objectif indispensable pour atteindre la neutralité carbone en 2050 » sans que quiconque ne s’étonne de cette proposition dans un pays surendetté, ni ne vérifie un propos non étayé. La sacralisation du fer depuis le Grenelle de l’environnement ne devrait dispenser ni d’un regard rétrospectif, ni d’un regard prospectif sur les coûts, les clientèles attendues et les bénéfices socio-environnementaux.  Toutes les données monétaires qui suivent sont exprimées en euros constants 20I9, dernière année non perturbée par le Covid [1].

Rétrospective : vingt années peu convaincantes

  L’alerte sonnée par l’audit « Rivier », 2005, sur l’état lamentable des infrastructures ferroviaires et le Grenelle de l’environnement, 2007, ont amené l’État et les régions à multiplier leurs soutiens. Les dépenses publiques pour le rail ont augmenté de 39% en monnaie constante de 2007 à 20I9 et représentent 10,5 milliards d’euros en 20I9 : hors charges de retraite, 3 milliards annuels pour l’État. Cela n’a pas empêché la dette de la SNCF de gonfler, amenant l’État à en reprendre 35 milliards.
  Cette croissance de 39%, hors reprise de la dette, est à comparer aux I3% de croissance du PIB, aux 20% de croissance de la dépense publique, aux I8% pour l’hôpital, I2% pour l’enseignement, 4% pour la famille et la petite enfance.
  Pour quel résultat ? Entre 2007 et 20I9, la part de marché du fer a augmenté de 0,3% pour les voyageurs , 10,3%, et baissé de I,7% pour le fret : 9,7%. Les recettes du trafic n’atteignent en 20I9 que 8,8 milliards d’euros, en baisse de I5% par rapport à 2007. Difficile de constater un transfert modal ou une décarbonation.
  On pourrait se consoler en pensant que le réseau diagnostiqué malade en 2005 a rajeuni. L’investissement de régénération s’est accéléré : 56 milliards d’euros sur le réseau principal hors lignes à grande vitesse, un peu plus du double qu’entre I994 et 2006, et 11 milliards dans le réseau d’Île-de-France, plus I60% par rapport à la période précédente. Malgré ces évolutions qui feraient rêver l’hôpital ou l’enseignement, les rapports qui se succèdent, Autorité de régulation des transports, Rapport du Sénat 2022, constatent une régénération insuffisante et un retard dans la modernisation de l’exploitation.
  Les pouvoirs publics auront dépensé, investissement et fonctionnement, I40 milliards entre 2007 et 20I9 pour obtenir une stabilisation du service rendu pour les voyageurs et le fret, et un réseau insuffisamment modernisé.
  Concernant les transports franciliens, RATP, SNCF, Optile, l’investissement sur le réseau « classique », hors Grand Paris Express, a bondi de I30% : 4 milliards en 20I9. Pour l’exploitation, les recettes issues des voyageurs ont augmenté de I3%, les contributions fiscales, y compris versement mobilité, de 37% : 8 milliards. Ici, le trafic est en croissance, de 23%, résultat des restrictions parisiennes pour la voiture, de la baisse des tarifs, dézonage, et de l’amélioration des services. Concernant le Grand Paris Express, les coûts, plus de 40 milliards, ont doublé par rapport aux prévisions, comme les délais de réalisation, entraînant une hausse plus que proportionnelle des coûts financiers, sans espoir d’une contribution significative à la baisse des trafics automobiles régionaux, ce qui n’était pas l’objectif de ses promoteurs, ni d’une contribution des recettes de trafic aux remboursements : assurés par des taxes additionnelles sur l’immobilier. Le rapport de la Cour des Comptes de 20I7 évalue les frais financiers dans une fourchette de 68 à I38 milliards, contre 32 pour la Société du Grand Paris à l’époque, et la date de fin des remboursements entre 2070 et 2084, sans exclure des scénarios pessimistes où la dette pourrait devenir « insoutenable et non amortissable ».

Des projets ferroviaires qui assument de creuser la dette

  Outre l’augmentation de la dotation d’État pour l’amélioration du réseau, deux projets mobilisateurs sont actuellement sur la table.
  Le premier est… le retour surprise des TGV. Surprise, car le président Macron avait déclaré en inaugurant la ligne nouvelle vers Rennes en 20I7 : « le rêve des cinq prochaines années ne doit pas être un nouveau grand projet comme celui-là ». Changement de pied en 202I. Le Premier ministre relance trois projets de TGV pour un coût estimatif de 25 milliards. L’État, les régions, et diverses collectivités mettront la main à la poche sur leurs budgets annuels. La nouveauté, c’est la création de structures baptisées sociétés de projet, financées par les budgets ordinaires et des taxes nouvelles affectées aux projets, en fait des taxes additionnelles à des taxes existantes, sur le modèle de la Société du Grand Paris. Ces taxes dureront jusqu’à la fin des remboursements des emprunts : au moins quarante ans. SNCF Réseau conduira le projet, la société de projet n’est qu’un montage financier, si bien qu’un expert du domaine, Gilles Savary, parle de structure de cantonnement de la dette. Ainsi apparaît un nouveau financeur, les générations futures. Une curieuse façon de faire du développement durable !
  Le second concerne la réalisation de « RER métropolitains » : des lignes cadencées, fréquentes et de forte amplitude reliant les cœurs des métropoles à leurs périphéries dans une dizaine de grandes villes. Leur étude avait été demandée par l’État en 20I9, qui avait avancé un coût de 2,6 milliards. La SNCF a répondu par une liste des travaux à entreprendre. Les évaluations dépassent les dix milliards pour une dizaine de villes : sans doute plus : Lyon évoque 5 à I0 milliards. Cette dérive, et les déboires du RER de Strasbourg, auraient pu alerter. Il n’en n’a rien été, les RER métropolitains ont été au cœur des annonces de 2023 de la Première ministre Elisabeth Borne.
  Les niveaux de clientèle attendus sont modestes, un peu moins de 40 000 voyages par jour à Bordeaux par exemple, ce qui est faible eu égard aux coûts d’investissement, et à la taille de la population périurbaine. L’offre ferroviaire, positionnée sur le besoin de relier les grandes périphéries aux métropoles, ne peut en effet faire qu’une petite partie du travail : avec des étoiles ferroviaires de quatre à six branches et des distances de rabattement de 5 km, on ne peut espérer atteindre que I5 à 30% des populations périurbaines. Ce n’est pas ainsi qu’on maîtrisera le ressentiment périurbain par rapport aux villes qui se ferment aux voitures. Par rapport à un recours à des transports collectifs opérant sur le réseau le plus dense, qui est le réseau routier, le ferroviaire est une façon de faire moins bien avec beaucoup plus de besoins d’argent public.
  Ces projets dessinent le paysage ferroviaire des prochaines décennies : médiocrité sur l’essentiel du réseau classique et pour les villes à l’écart du réseau TGV, offres nouvelles autour d’une dizaine de métropoles qui constitueront une solution pour I5 à 30% de leurs populations périurbaines, un réseau du Grand Paris qui ne détournera que peu d’usagers de la voiture, au prix d’augmentations majeures des contributions des collectivités pour l’investissement et le fonctionnement financées par l’impôt et la dette.
  Ces choix ne contribueront pas au doublement des clientèles ferroviaires et à la décarbonation des transports : la LGV Bordeaux Toulouse et les RER métropolitains généreront au mieux dix milliards de voyageurs-km, soit I0% de l’activité voyageur d’aujourd’hui. Avec une hypothèse optimiste, tous les clients auraient fait le déplacement en voiture seuls au volant d’une voiture thermique, cela conduirait à une baisse de 0,8% des émissions de carbone des transports. Ces ordres de grandeur sont hélas cohérents avec l’observation des vingt dernières années.
  Ils sont peut être trop optimistes : la croissance économique sera plus faible, l’habitus de la téléconférence s’est installé et a réduit les clientèles à forte contribution, voyages d’affaires en première classe, la concurrence des solutions « low cost », « cars Macron » et covoiturage à longue distance, captera de plus en plus de clients, le télétravail s’est installé dans les habitudes des 30% à 50% des actifs qui peuvent le pratiquer.

Pourquoi cet amour pour le rail?
  Passons sur le contraste entre le peu d’appétit pour l’entretien et la modernisation de l’existant et la priorité aux investissements nouveaux. C’est une constante chez nos décideurs, dans tous les domaines. On continuera à lire des articles assassins sur la galère des usagers et à entendre les plaintes des industriels de Limoges ou de Clermont-Ferrand.
  Pour expliquer l’attrait irrésistible de nos élus pour de nouvelles lignes, certains évoqueront la puissance de lobbying de la SNCF. D’autres rappelleront l’imaginaire populaire du train, en oubliant qu’aujourd’hui la moitié de la clientèle des trains interrégionaux vient du quart le plus aisé de la population, et que les TER ne satisfont les besoins réguliers que de I à 2% des populations régionales, et pas des plus démunies. D’autres privilégieront le registre symbolique : des métropoles qui, avec leurs RER, auront tout d’une grande, des régions qui bâtissent l’avenir, etc. Il y a certainement une part de vérité dans ces points de vue.
  Une explication les surplombe : le train est du côté du Bon Dieu quand la route est du côté du Diable. Ce credo s’est diffusé dans toute la classe politique, avec l’avantage de dispenser de réfléchir : 

  • Qui a comparé le rail, la route et l’aérien non seulement à l’exploitation, mais en intégrant aussi les coûts, élevés, en énergie, en CO2 et en finances publiques de l’entretien et du développement des voies ferrées ? Une analyse en cycle de vie relativiserait fortement la supériorité du rail sur la route, et sur l’avion, mais personne n’a envie d’en connaître le résultat. 
  • Qui a demandé par quel miracle les I00 milliards pour le train dans les vingt prochaines années produiraient un doublement des clientèles, et une forte baisse des émissions de CO2, quand les I00 milliards des vingt dernières années se sont traduits par une stagnation de l’activité ?  
  • Qui s’est demandé si avec 100 milliards, sans parler des 40 milliards du Grand Paris Express, hors frais financiers qui doublent ou triplent la mise, on ne rendrait pas un service aussi utile à nos concitoyens en améliorant drastiquement la qualité thermique de leurs logements, ou en proposant des transports collectifs routiers pénétrant les territoires en profondeur, avec des réductions de CO2 plus importantes ?
  • Qui a proposé de dérouter un petit milliard pour soutenir des démarches d’avenir, comme la conception de véhicules ultralégers, à qui l’Agence de l’innovation pour les transports attribue un label sans soutien financier ? 
  • Qui pour s’étonner qu’une société qui a doublé les coûts et les délais d’un projet soit prise pour modèle ? Qui enfin pour rappeler la disproportion entre ces I00 milliards pour le train et les efforts modestes pour les travailleurs essentiels, l’hôpital, la jeunesse ou la transition agricole ?

  Cette insoutenable légèreté contribue au divorce croissant entre les citoyens et leurs élites techno-politiques. Il serait temps de retrouver l’esprit de la loi d’orientation des transports intérieurs de Charles Fiterman, dont l’article I stipulait que « le système de transports intérieurs doit satisfaire les besoins des usagers dans les conditions économiques, sociales et environnementales les plus avantageuses pour la collectivité ».

[1]. Les chiffres concernant la SNCF sont issus des éditions annuelles des comptes transport publiés par l’Insee, actualisés par l’auteur en euros 20I9. Ceux concernant la Société du Grand Paris proviennent du rapport de la Cour des comptes de 2017, publié en janvier 20I8.

  Sur le Web

ESPAGNE-FRANCE : SEPTEMBRE I950, UN " BOLERO " AU GOÛT DE " PAPRIKA ", OÙ LA RAFLE DES EXILÉS COMMUNISTES, SURTOUT ESPAGNOLS...

Elle danse, la Carmen,
Dans les rues de Séville.
Blancs elle a les cheveux,
Brillantes les pupilles.

Fillettes, tirez les rideaux!

Sur sa tête s’enroule
Un serpent jaune,
Et elle va, rêvant au bal,
Avec des galants d’autres temps.

Fillettes, tirez les rideaux !
Les rues sont désertes,
Et tout au fond on devine
Quelques cœurs andalous
Cherchant de vieilles épines.

Fillettes, tirez les rideaux !


  LORCA*, Federico García, I898-I936, poète et tragédien; Bail, Bal, extrait de Romancero Gitano, I928.

* Lorca est fusillé par la repression franquiste, à 2 lieues [~I0 km] de Grenade, Andalousie, à Viznar, entre un maître d'école et deux anarchistes. Les fouilles entreprises pour retrouver les corps des suppliciés n'ont toujours pas abouti jusqu'à aujourd'hui.

Federico García Lorca, Pedro Salinas et Rafael Alberti, de gauche à droite, hommes de lettres espagnols. Ph. Coll. Archives Larousse

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L’opération Bolero-Paprika


  Un « Bolero » très anti-communiste

   7 septembre I950 , nom de code : « Opération Bolero-Paprika ». Une rafle du gouvernement Pleven [René, I90I-I993; député des Côtes-du-Nord, I945-I969; président du Conseil des ministres de I950 à I952] socialistes et « radicaux » entre autres, contre les « communistes étrangers » réfugiés en France… essentiellement espagnols.

  Les guérilleros… À la Libération, nombre d’entre eux furent décorés pour leur contribution à la victoire sur le nazisme. Mais pour eux, guérilleros antifascistes espagnols, pas d’euphorie; la guerre n’était pas terminée. La lutte frontale pour chasser Franco, ils la poursuivaient… Et seuls. Quasiment seuls. Le parti communiste d’Espagne, le front « Union Nationale », UNE, et la « Agrupación de guerrilleros españoles, AGE-UNE-FFI », préparaient l’opération armée « Reconquista », « Reconquête », de l’Espagne. Bouter Franco à la mer ! Le contexte, celui de la victoire sur le fascisme, selon le PCE , s’y prêtait. L’initiative n’était donc pas insensée. Son échec a servi cependant à régler de nombreux comptes, internes et externes au PCE. « Il n’existe à ce jour, aucun document, aucun témoignage de l’époque, attestant du désaccord de quelque dirigeant communiste, espagnol, que ce soit avec l’opération » [1].

OPÉRATION « RECONQUISTA »
   Du I9 au 29 octobre I944, 3000 guérilleros espagnols pénètrent en Espagne, au Val d’ Aran [correspond à peu près à la vallée supérieure de la Garonne, dans la province de Lérida, en Catalogne], qu’ils occupent. À « l’attentisme », à la « stratégie diplomatique » , les guérilleros opposent « le volontarisme ».
   Les gouvernements français, anglais et américain, considèrent, eux, que « l’Espagne ne les concerne pas », et ils se drapent dans une sorte de nouvelle « non-intervention », en réalité tout à fait interventionniste. Les combattants antifascistes espagnols se retrouvent une nouvelle fois lâchés par les « démocraties occidentales » et même persécutés, des deux côtés de la frontière. Non seulement ils entrent au Val d’ Aran dans de mauvaises conditions, mais on les abandonne, et on poursuivra même ultérieurement des militants qui ont pris pourtant leur part de sang à la Libération du pays qui les expulse. L’échec des « invasions » militaires provoque dans le PCE, et hors PCE, d’interminables controverses et manipulations.
   Santiago Carrillo [Santiago José Carrillo Solares, I9I5-20I2, homme politique et écrivain espagnol, dirigeant du Parti communiste d'Espagne, PCE, de I960 à I982]  « en profite » pour écarter de la direction l’homme de la reconstruction autonome du PCE, dès le début de I939, et artisan de l’Union Nationale Espagnole, Jesús Monzón. [Jesús Monzón Repáraz, I9I0-I973, membre du Parti communiste d'Espagne jusqu’en I945 : "... Cette armée réalise l’invasion du Val d' Aran, à laquelle prennent part 4 000 à 7 000 hommes. Cette opération mal préparée et encore plus mal conduite est facilement repoussée par l’armée espagnole. Santiago Carrillo intervient alors personnellement pour mettre fin à l'opération; Monzón, disgracié, est convoqué à plusieurs reprises par la direction du PCE en France, mais il retarde son retour; il est finalement arrêté à Barcelone en I946, ce qui lui permet d'échapper, selon Enrique Líster, à une exécution sur ordre du PCE. En I950, il est classé parmi les " traîtres titistes " dans une publication du parti. Il passe par les prisons de Barcelone, de Bilbao et d’ El Dueso, s’attendant à une condamnation à mort pour son rôle dans les maquis. À la suite de l’intervention de plusieurs amis, il est condamné à 30 ans de prison. Gracié à la fin de I959, il émigre au Mexique, puis revient en Espagne en I969, fondant l’ Instituto Balear de Estudios Empresariales. Mort en I973, il a été réhabilité par le PCE en I986... " ; source] Deux ouvrages analysent cette période et notamment le rôle de Monzón… [2] La CIA [Central Intelligence Agency] jette de l’huile sur le feu. À posteriori, le 2 décembre I948, elle le confirme en publiant un rapport dans lequel elle affirme que la direction du PCE aurait délibérément envoyé au casse-pipe les « meilleurs des guérilleros » [3]. Des historiens avaient déjà plus ou moins suggéré cette hypothèse, non établie, propagandiste, et relevant plutôt d’une « littérature du ressentiment » [4].
   La situation internationale a pesé dans l’échec… Dès mai I944, un message de Churchill [Winston, I874-I965, Premier ministre du Royaume-Uni de I940 à juillet I945, puis de I95I à I955]  indiquait : « l’ Espagne, affaire des Espagnols. » Au moment où les guérilleros pénètrent, une note des RG [les Renseignements généraux] indique que « Franco a le soutien de la presse occidentale et des Anglo-Américains » [5].

COMPRENDRE LE CONTEXTE
   La résistance postérieure à I945 était en Espagne majoritairement communiste; quelques groupes libertaires s’organisèrent en maquis surtout urbains, mais le PCE était le seul parti espagnol à porter cette ligne de lutte armée insurrectionnelle antifranquiste; et il l’abandonnera en I948. Sur « ordre » de Staline, a-t-on trop souvent écrit. Rien à ce jour ne permet de le fonder vraiment.[en application des orientations de l’Internationale communiste] Le PCE a « infiltré » des centaines de militants armés en Espagne, dans le cadre de sa stratégie de « Reconquista », d’insurrection nationale…
   Dès l’automne I944, les autorités françaises déclarent la frontière « zone interdite ». Le 27 juillet I945, elles en éloignent les guérilléros, afin qu’ils ne puissent plus la franchir. Le capitalisme espagnol soutient plus que jamais son camp, qu’il a grassement financé : la dictature. Et Franco, « sentinelle de l’occident », multiplie les gages envers la France, et vice-versa, pour un rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays.
   Les brigades de guérilleros, dissoutes le 3I mars I945 par le gouvernement provisoire de libération, pour s’en débarrasser, deviennent des « bataillons de sécurité ». Par la suite, De Gaulle invitera les guérilleros espagnols à partir combattre en Indochine, dans une sale guerre coloniale.
   Au pied des Pyrénées, pour beaucoup d’ antifascistes espagnols d’alors, la « Guerre froide » commence dès l’automne I944. Objectif principal des « Alliés »: isoler le PCE, consolider plus ou moins discrètement Franco. Le PCE a construit en France un appareil clandestin, surveillé de près par la DST,[Direction de la surveillance du territoire] pour soutenir ses « maquis » de l’intérieur : guérilleros, passeurs, agents de liaison, dépôts d’armes… Franco souhaite normaliser rapidement les relations avec Paris, à condition que la France « nettoie » le grand sud-ouest, en élimine les « rouges », présentés en Espagne comme exagérément influents en France. Depuis I948, les rapports se dégèlent lentement entre la dictature franquiste et le gouvernement français. La « Guerre froide » va faire du communisme le mal absolu. « L’opération Boléro-Paprika va porter un coup sérieux au PCE mais au-delà, aux autres organisations antifascistes, à la France progressiste et à la cause républicaine, qui n’avait pas besoin de cela…»
   Le gouvernement français, 22 ministres, socialistes et radicaux, on dirait aujourd’hui de « centre-gauche », en place depuis juillet I950 et présidé par René Pleven, réprime sans ménagement les grandes grèves ouvrières… Le gouvernement comporte 
  • 9 ministres MRP [Mouvement républicain populaire, issu de la Résistance; en I966, il s'associe avec d'autres partis, est il devient le Centre démocrate, avec Jean Lecanuet, I920-I993, pour fondateur], 
  • 8 Radicaux dont Edgar Faure, [I908-I988],
  • 4 PRL [Parti républicain de la liberté, créé à la Libération disparaît en I95I], Antoine Pinay [I89I-I994],
  • 3 UDSR, Union Démocratique et socialiste de la Résistance,[créé en I945] : Pleven, Mitterrand, secrétaire d’ État, Claudius-Petit [Eugène, I907-I989; député, ministre et maire : Firminy, I953-I97I; entre dans la Résistance, mouvement Franc-Tireur, et prend le pseudonyme de " Claudius ", I940; président de la Société nationale de Construction de Logements pour les Travailleurs immigrés, SONACOTRA, de I956 à I977 est également membre de la LICRA, Ligue contre le Racisme et l'Antisémitisme, et président de SOS Amitiés de I972 à I983]  etc.,
    Le 7 septembre 1950, à 5 h du matin, commence brutalement « l’Opération Boléro-Paprika »; des portes volent en éclats. À l’aide de gros moyens, la rafle apparaît comme l’une des plus importantes de la « Guerre froide » [6] L’Opération Boléro-Paprika vise des dizaines de militants exilés en France, communistes espagnols, « boléro », I3 Italiens, et quelques autres militants d’Europe de l’est : 59 Polonais, 4 Roumains, I4 Soviétiques, « Paprika », … Au total la rafle, cette page noire, cette honteuse persécution de « héros », sépare des familles, accentue la dureté des conditions de vie de l’exil et des « doublement déportés » : une soixantaine en Corse… Capturés, 288 militants, selon les archives policières, dont I77 communistes espagnols, sont déportés, placés en résidence surveillée, en Corse, 6I, en Algérie, et même en « Allemagne de l’Est », en Tchécoslovaquie, assignés à résidence, ou en France métropolitaine, par décret, toujours pas abrogé, loin de chez eux. Ces anciens guérilleros font valoir leurs états de service… Rien ne dissuade Paris. Les intérêts de classe priment sur tout le reste.  La « Guerre froide » percute de plein fouet un exil très investi contre Franco…
   La presse espagnole, « Arriba », « La Vanguardia »… exulte. Peu avant l’opération, le PCE et le PSUC, communistes catalans, et leurs organisations féminines, de jeunesse, syndicales… proches, leurs journaux et publications : « Mundo Obrero », « Lluita », organe du PSUC, « Nuestra Bandera », revue théorique, « El Obrero español », « Solidaridad española » avaient été interdits le 26 août et le Ier septembre les organisations communisantes illégalisées.
   La plupart des hauts dirigeants du PCE, Líster, Carrillo, Claudín, Mije, Uribe, Antón, Luis Fernández…, échappent à l’arrestation. La direction communiste du puissant PCF parvint à les informer afin qu’ils puissent se cacher…
   Fin de la première partie.

[1] « Rouges. Maquis de France et d’Espagne. Les guérilleros », coord Jean Ortiz, Biarritz, ed. Atlantica, 2006, p. 260
[2] AZCARATE, Manuel, ancien dirigeant communiste, « Derrotas y esperanzas… », Tusquets ed., Barcelona, 1994, et MARTORELL, Manuel, journaliste et historien, « Jesús Monzón, el líder comunista olvivado por la historia », Pamiela ed., Pamplona, 2000
[3] Rapport CIA, I948-I2-02, Barcelona, La Vanguardia, 2005-II-I7
[4] ARASA, Daniel, “ Años 40 : los maquis y el PCE ”, Barcelona, ed. Argos Vergara, I984, MORÁN, Gregorio, “ Miseria y grandeza del PCE, I939-I985 ”, Barcelona, ed. Planeta, I986
[5] Note des RG, Préfecture des Basses Pyrénées, 2 oct. I944, n° 5249, Pau, ADPA, I03IW237
[6] Archives nationales, Paris, F.7 I6III4 
 
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UN « BOLERO » TRÈS ANTI-COMMUNISTE

2ème partie

   Le général communiste Enrique Líster [Enrique Líster Forján, I907-I994] a joué un rôle de premier plan dans l’organisation et la direction des « maquis » espagnols.
  L’opération « Reconquista de España» supposait également qu’un hôpital de l’arrière, en France et pas loin de la frontière, serve de « retaguardia » médicale, arrière-garde, aux guérilleros blessés. Le PCE et « l’Amicale des anciens FFI et résistants espagnols » [fondée à la Libération par les généraux FFI Luis Fernández Juan et Joan Blázquez Arroyo, indignement interdite par le gouvernement français, le 7 octobre I950, par arrêté du ministre de l'Intérieur, Henri Queuille [I884-I970], sous la pression du gouvernement franquiste; l’association ne fut autorisée à se reconstituer qu’au lendemain de la mort du Caudillo, sous le nom actuel : l’Amicale des Anciens Guérilleros Espagnols en France — Forces Françaises de l’Intérieur : AAGEF-FFI; Le siège national est à Toulouse] aménagent à Toulouse, quartier Saint-Cyprien, un vieux bâtiment qui devient « l’Hôpital Varsovie », au I5 de la rue du même nom, un hôpital de qualité, solidaire, militant, qui peu à peu opère et soigne bien au-delà des guérilleros. La plupart des médecins sont militants du PCE ou proches de lui.
   L’hôpital sera lui aussi, impitoyablement, victime du déploiement policier du gouvernement de « centre-droit et gauche », de l’ Opération de « Guerre froide » « Boléro-Paprika » ; « el hospital de los guerrilleros », véritablement décapité, et ses médecins espagnols arrêtés, déportés eux aussi, ou assignés à résidence, etc. Dans la journée même, des médecins communistes français prennent le relais, et l’hôpital prendra le nom de « Joseph Ducuing », en hommage à celui qui reprit la direction et le flambeau. [ Joseph Ducuing, I885-I963; c'est le conseil d'administration de l'Amicale, dissoute, qui confia la direction de l'hôpital au professeur] La grande rafle suscite peu de réactions en France de l’époque.  Plus il est gros et répété, mieux le mensonge passe… « L’Humanité », la CGT, le PCF, la Ligue des Droits de l’Homme… mènent une campagne de dénonciation et de solidarité. Le chef d’accusation finalement unique appliqué à tous les détenus, au-delà du grotesque : « intelligence avec une puissance étrangère », c’est l’accusation « d’appartenance communiste », et de surcroît étrangère.
   Léon Blum [I872-I950; figure du socialisme; député, I9I9-I940; Président du Conseil des ministres, I936-I938, Front populaire] vole au secours des « boléristes » et lance : « le communisme international a déclaré la guerre à la démocratie » [1].
   Les militants espagnols, intégrés aux syndicats français, luttent avec leurs camarades. Les autorités françaises, de droite, gaullistes, socialistes, radicales, de « troisième force », haïssent ces « rouges espagnols » révolutionnaires, « bouffeurs de curés », et de patrons. Une belle « union sacrée » ! Le 29 octobre I948, le président du gouvernement [Henri Queuille], en pleine grève minière, accuse « la foule criminelle des communistes espagnols » d’avoir « attaqué les forces de l’ordre… ». Il fait porter aux Espagnols la responsabilité des affrontements sanglants, fruits de sa terrible répression contre les puits d’Alès, de Saint-Etienne, du Nord… et les mineurs grévistes. À partir de I947, la France tourne le dos totalement aux Républicains espagnols et se place ouvertement sous la tutelle des États-Unis.
   La presse française, « Le Figaro » en tête, accusent, eux-aussi, « la cinquième colonne » qui préparerait une « invasion soviétique » du sud de la France. Un danger mortel, totalement fantasmé, mais matraqué jusqu’à plus soif. Une telle parano , il faut le faire ! Ces propos sont repris par le très référentiel « Le Monde », et même « Le Populaire », journal du PS, « France Soir »… « L’Humanité » s’insurge contre l’arrestation de 300 antifranquistes, et le gouvernement qui cède aux pressions de Madrid [2], maltraite des héros de la Résistance, veut « nettoyer » de leur présence le grand sud de la France.
   Peu à peu, la lutte des classes reprend ouvertement son cours normal. « Mieux vaut Franco que le ‘frente crapular’ ! ». [front crapuleux !] Les socialistes jouent l’attentisme; en septembre I945, le plenum du PSOE [ Parti socialiste ouvrier espagnol; en espagnol : Partido Socialista Obrero Español] condamnait l’organisation « de révoltes et d’incidents » qui pourrait légitimer, au plan international, l’existence d’un « gouvernement de fait en Espagne » [3]. 
  • Le Ier août I950, le sénat nord-américain avait autorisé l’octroi d’un prêt de 62,5 millions de dollars à l’Espagne franquiste. 
  • Le 4 novembre I950, l’ ONU revient sur sa résolution du I2 décembre I946 et autorise désormais ses membres à rétablir les relations diplomatiques avec l’Espagne. 
  • Décembre I95I, en ce qui concerne la France… Quelques semaines après « Boléro-Paprika ». Tout est là. 
  • Le 8 mai I948, et le I4 juin I949, la France et l’Espagne avaient déjà signé des accords commerciaux et financiers.
  • Le 23 septembre I953, le président Eisenhower [Dwight David, I890-I969; général victorieux à la tête des armées alliées en I945; 34e président des États-Unis : I953-I96I] paraphe à Madrid avec Franco, en grande pompe, les « Accords de Madrid », [en espagnol, Pactos de Madrid] en toute « cohérence » : reconnaissance diplomatique du fascisme espagnol contre soutien économique et militaire de Washington, et quatre bases militaires.
   Comme Somoza,[Anastasio Somoza García, I896-I956; président du Nicaragua, I937 à I947, puis de I950 à I956, en tant que dictateur, jusqu'à son assassinat : le 2I septembre I956, lors d'un bal organisé en son honneur dans la ville de León, il est abattu par plusieurs balles tirées par  Rigoberto López Pérez] Franco était un « fils de pute », mais c’était « notre fils de pute », comme le déclara, un jour d’inhabituelle lucidité, le président nord-américain. [déclaration attribuée au président américain Franklin D. Roosevelt, I882-I945, 32e président de I933 jusqu'à sa mort, en I939]

[1] DENOYER Aurélie, « Résonances françaises de la guerre d’Espagne », HAL, Archives ouvertes, ed. D’ Albray, 20II, p. 295-3I2.
[2] Archives nationales, Paris, f 7/I6II4, Boléro-Paprika
[3] SERRANO Segundino, « Maquis », Madrid, ed. Temas de hoy, 200I, p. I45.
 
 Auteur : ORTIZ, Jean, I948-,  maître de conférences et syndicaliste français, spécialiste des littératures des Amériques et des littératures de langue espagnole.

LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XIII

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  Après ces longues vacances à l'air vivifiant des montagnes, — si l'on peut appeler des vacances un temps si laborieusement occupé, — Aureng Zeb regagna sa capitale, où il fit son entrée le I8 janvier I664. Ce fut pour y apprendre une mauvaise nouvelle : le pillage de Surate par le redoutable Sivaji. Au reste, ni les travaux ni les difficultés n'allaient manquer au Mogol. Mais il aimait la lutte. En outre, si sa santé s'était raffermie au cours de ce voyage, il espérait bien aussi en avoir rapporté, à défaut d'avantages immédiats, quelques espérances flatteuses pour l'avenir : avec cette ténacité qui est un des plus beaux traits de son caractère, il ne considérait pas comme définitif son échec auprès de l’insaisissable souverain du Tibet; la preuve en est dans les luxueuses ambassades qu'il dépêcha en Asie centrale, six mois après son retour, pour reprendre les négociations.
  Dans l'empire même, à peine pacifié, et dont les armées étaient engagées dans plusieurs guerres sur des points différents du territoire, tout était à faire, ou à refaire, pour le vaste génie d'Aureng Zeb : politique économique et financière, réforme administrative, réorganisation de l'armée. Pour avoir les mains libres, il devait aussi s'assurer qu'il avait complètement neutralisé les ambitions et les intrigues secrètes de sa turbulente famille, qu'aucune menace ne lui viendrait de son père, toujours vivant, de sa sœur Begum Saheb, de ses fils ou de ses neveux.
  Shah Jahan, après les espérances sans lendemain qu'avait fait concevoir à ses partisans la maladie d' Aureng Zeb, vieillissait obscurément dans l'ombre de son sérail converti en prison. En I664, il avait soixante et onze ans et sa captivité durait depuis sept ans. La vie déprimante qu'il trainait, entre ses femmes et ses eunuques, dans l'atmosphère confinée qui sentait le musc, le santal et le jasmin, n'était pas faite pour soutenir une énergie toujours déficiente. Ses seules distractions étaient les plaisirs de la table, ceux du lit, auxquels il n'avait pas renoncé, les danses de ses esclaves, et la longue contemplation des trésors qu'on lui avait laissés et sur lesquels il veillait avec une ombrageuse défiance. Tandis qu'Aureng Zeb se nourrissait de pain de millet et de quelques fruits, le vieillard s'attardait devant de copieux repas de mouton longuement mijoté au beurre et aux choux, de riz au safran, à l'ail ou aux cardamomes, se bourrant de grosses boulettes de viande aux épices, frites avec des oignons, ou de ces molles sucreries graisseuses, délices de l'Orient. Il se plaisait aussi à visiter les animaux de la ménagerie. Puis il se faisait apporter sur un plateau de cuivre martelé ses émeraudes et ses saphirs, les turquoises du Turkestan [dénomination historique des territoires d'Asie centrale peuplés de Turcs. Sa partie occidentale correspond à l'ensemble formé par le sud du Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan : ancien Turkestan russe. Sa partie orientale correspond à l'actuel Xinjiang : ancien Turkestan chinois. Larousse] et les rubis de Birmanie; avec une intime jouissance d'avare, il laissait ruisseler entre ses mains décharnées un flot sonore de roupies, égrenait les colliers de perles magnifiques, ou caressait lentement les ivoires ciselés de Chine et les boules de cristal du Tibet.
  Parfois il sortait de son inertie pour écrire à son fils une de ces lettres équivoques, où, sous la courtoisie cérémonieuse des formules, frémissait les suprêmes sursauts de sa rage impuissante. Aureng Zeb répondait, avec la même courtoisie et les mêmes sous-entendus menaçants. Tous les deux avaient toujours aimé écrire, tous les deux, dans cette correspondance échangée entre Delhi et Agra, faisaient assaut de finesse et de ruse.
  L'empereur avait su persuader à son peuple, — c'est du moins l'impression recueillie par les étrangers, — que son père était un vieillard imbécile, à peu près inoffensif et totalement incapable de gouverner. En lui laissant avec la vie, la facilité de satisfaire ses dernières passions, il pensait mériter à bon compte la réputation d'un fils magnanime. Peu de temps avant sa mort, dans une de ces lettres dont il ruminait longuement la substance et la forme, Shah Jahan exprima un désir : sentant sa fin proche, il voulait revoir la petite ville qu'il avait fait construire tout près de Delhi, à laquelle il avait donné son nom, Jahan-Abad, [ou Shahjahanabad; [elle] a été imaginée comme une ville de grands boulevards : bien avant donc que les français ne travaillent ce concept. En effet, les avenues et boulevards de la ville devaient être assez grands pour accueillir les nombreuses processions. Elle se voulait aérée, bien planifiée, large avec des squares, des parcs et de larges avenues, une cité parsemée de jolis jardins avec des fleurs exotiques, des arbres, des fontaines, des mosquées et surtout des rues marchandes. La construction de la nouvelle capitale s’étend alors sur I0 km dans une enceinte fortifiée protégée par I4 portes d’entrée en pierre rouge. Ces portes sont nommées en l’honneur de victoires militaires sur de nouvelles provinces acquises tel que Porte du Cachemire, Porte de Lahore, Porte d’Ajmer etc…L’aristocratie et la noblesse y ont fait construire de magnifiques maisons, de riches havelis, des petits palais, tous très raffinés. Des milliers de marchands d’épices, des bijoutiers, des artisans s’y installent pour commercer avec la cour. (...) La première construction fut celle du Fort Rouge, aux bords de la Yamuna puis, la Grande Mosquée de Delhi, Jama Masjid, la mosquée Fatehpuri, etc... ; sur le Web] et où il se plaisait à passer l'été. Aureng Zeb feignit d'accueillir avec empressement ce caprice d'un vieillard infirme et l'occasion de lui témoigner sa piété filiale : les portes de la prison royale s'ouvriraient devant le captif; non seulement il serait libre de se rendre à Jahan-Abad, mais il pourrait y séjourner, au milieu de ses souvenirs, aussi longtemps qu'il le voudrait. Mais comme on ne saurait prendre trop de précautions pour une existence aussi précieuse, à Jahan-Abad, Shah Jahan serait aussi étroitement gardé qu'au château d'Agra; en outre, il devrait faire la route par eau, en remontant le cours de la Jumna, dans une barque somptueusement dorée, mais strictement fermée et conduite par des hommes sûrs. Oubliant un instant les prudentes formules de la minutieuse politesse orientale, le vieux prince entra dans une violente colère; avec hauteur, il répliqua qu'il entendait voyager comme il lui plaisait et comme il convenait à son rang : par terre, sur un éléphant et avec une escorte royale. Aureng Zeb refusa brutalement : il ne redoutait rien tant que de le laisser sortir ainsi, à la vue de son peuple, le souverain que tout le monde avait oublié, mais qui pouvait avoir conservé quelque prestige. Qui pourrait prévoir les effets soudains de la piété ou du respect sur l'âme changeante de la foule ? Le père insista; le fils ne céda pas. Et le premier préféra renoncer à ce dernier plaisir que de s'incliner devant les humiliantes exigences du second. Tavernier a prétendu que cette déception abrégea les jours de Shah Jahan.

 
 
 

Shahjahanabad, hier et aujourd'hui. Sur le Web

  Shah Jahan mourut le 22 janvier I666. Bernier reçut la nouvelle de cette mort, alors qu'il se trouvait à Golconde, après son voyage au Bengale en compagnie de Tavernier.
  Aureng Zeb laissa passer trois semaines avant de se rendre à Agra, pour prendre les dispositions qu'il avait soigneusement méditées. Il avait su modérer son impatience et dissimuler son intime satisfaction de l'évènement qui le libérait d'une menace toujours possible, et peut-être aussi d'un remords. Ce n'est que le I5 février qu'il fit son entrée dans le palais forteresse où son père avait vécu les sept dernières années de sa vie. Son premier soin fut de mettre la main sur le trésor de Shah Jahan, et particulièrement sur les admirables joyaux qu'il lui avait laissés, bien malgré lui. Il étendit même sa convoitise sur les bijoux personnels de sa sœur, Begum Saheb, qui avait partagé la vie du captif. Pour l'en dépouiller avec plus de grâce, il affecta un grand respect à son égard, en la faisant conduire solennellement à Delhi, avec toute la cour, sur un éléphant splendidement harnaché, que Tavernier a vu passer à son retour du Bengale. Il ne nous dit pas si ce cortège était celui d'une prisonnière ou d'une princesse royale. Mais il laisse entendre que Begum Saheb n'ayant guère survécu à son père, le bruit couru avec persistance qu'elle avait été empoisonnée.
  D'ailleurs, l'attitude d'Aureng Zeb avec ses sœurs témoignent du même manque de scrupules et du même réalisme que sa conduite avec son père. Il ne se contente pas de la comédie cynique qu'il avait jouée pour subtiliser les diamants et les émeraudes de Begum Saheb. Quand il se fut assuré de sa personne, pour l'abuser sur ses véritables intentions, et pour dissimuler la rancune qu'il avait toujours conservée envers la fidèle alliée de son frère Dara, il l'accabla de titres et d'honneurs sans portée réelle. Envers son autre sœur, Raushan-Ara-Begum, qui lui avait toujours témoigné le plus tendre dévouement, et le plus efficace, il ne se montra guère plus bienveillant. Comme elle entretenait des relations avec un jeune homme, qu'elle avait caché plusieurs semaines dans son palais, l'empereur ayant eu connaissance de cette intrigue, sans souci du scandale, envahit le harem avec toute une armée d'eunuques et contraignit le galant à sauter par une haute fenêtre dans la rivière, au risque de se rompre le cou ou de se noyer. Le fait est qu'après cette nuit tragique, on n'entendit plus parlé de l'infortuné.
  En réalité, ce farouche défenseur de la vraie foi et des bonnes mœurs, n'admettait aucune résistance à ses volontés. Délivré par la mort de son père dernier rival qui pût lui faire ombrage, il pouvait craindre dans ses propres enfants la dangereuse insubordination et la criminelle ambition dont il leur avait donné l'exemple, les associant même à ses plus coupables desseins. Aussi se montra-t-il aussi implacable envers ses fils qu'envers son père et ses sœurs. Si l'on peut concevoir la tendresse paternelle dans une âme aussi sèche, le seul de ses enfants qui ait su lui faire éprouver ce sentiment, est son deuxième fils, le prince Muhammad Akbar, dont la mère était musulmane, et dont, pour cette raison essentielle à ses yeux, il désirait faire son successeur. En réalité, Muhammad Akbar ne régna jamais et mourut en exil. Quant à ses autres fils, Muhammad Azam, Muhammad Kambakhch [Muhammad Kam Bakhsh, I667-I709; "...Avec peu d'argent et de soldats, Kam Bakhsh est sûr de sa victoire grâce aux prédictions de l'astrologue royal qui lui a prédit qu'il gagnerait " miraculeusement " la bataille (...) Le I3 janvier I709, deux heures après le lever du soleil, les troupes de l'empereur encerclent le camp de Kam Bakhsh. Impatient, Khan l'attaque avec sa " petite force " (...) lorsqu'il fut " affaibli par la perte de sang ", l'opposition l'encercla et le fit prisonnier, ainsi que son fils Bariqullah. (...) Il est emmené en palanquin au camp de Shah, où on le fait reposer sur un lit. Shah se rend à son chevet et lui dit : " Je n'avais aucun désir de te voir réduit à cet état ". Shah lui-même lave les blessures de son corps et remplace ses vêtements tachés de sang, tout en le forçant à prendre " quelques cuillerées de nourriture ". Le lendemain matin, le 14 janvier I709, Kam Bakhsh mourut. Dix jours plus tard, son corps fut envoyé à Delhi pour y être enterré dans la tombe d' Humayun... " ; sur le Web] et Muhammad Mouazzam, ils devaient, suivant les traces de leur père, se disputer sa succession les armes à la main; ce fut le dernier qui l'emporta et qui porta la couronne, sous le nom de Chah Alam. [Muhammad Mu'azzam, qui régna sous le nom de Bahadur Shah I, de I707 à I7I2]



Kam Baksh, I694

  On n'a pas oublié, pendant la lutte d' Aureng Zeb contre ses frères, avec quelle rigueur il traita Muhammad Sultan, dont il se défiait, et qui, par son équivoque conduite au Bengale, avait tout fait pour justifier les soupçons paternels. Mais il ne fut pas plus heureux avec ses autres fils. Carreri a prétendu avec quelques exagérations que l'empereur dut rester armé en campagne pendant quinze ans pour les maintenir dans le devoir et se défendre de leur ambition. Il rapporte notamment que le futur Chah Alam, impatient de recueillir une succession qui tardait trop à son gré, tenta d'assassiner son père et paya sa criminelle rébellion d'une longue captivité, dont il ne sera délivré qu'à la mort d' Aureng Zeb. Même l'enfant préféré, Akbar, n'hésita pas à rechercher l'alliance d'un puissant raja pour soutenir ses droits; vaincu par Aureng Zeb, qui sut imposer silence à sa tendresse paternelle quand sa puissance et sa vie étaient en jeu, il n'évita la prison ou la mort qu'en se réfugiant en Perse, d'où il ne devait plus jamais revenir. L'empereur faisait-il un amer retour sur le passé, au cours de ces luttes obstinées contre son propre sang, et mesurait-il les tragiques conséquences de sa conduite impie, aux jours lointains où il ne craignait pas d'armer ses fils ou ses petits-fils contre son père ou ses frères ?

***

  Il faut souligner le contraste que ces drames de famille forment avec le rigorisme dont le fanatique Musulman faisait preuve dans sa vie privée comme dans le gouvernement d'un empire conquis et maintenu par l'injustice et la cruauté. Rien ne peut mieux révéler cette double face de son caractère qu'une lettre qu'il envoyait à son père, au moment même où il le traitait avec une insolence si froide et si raffinée, et dont Bernier nous a transmis la substance, à défaut du texte exact. Là encore, le ton d' Aureng Zeb est celui du maître, qui ne souffre aucune discussion, et qui impose sa volonté avec la plus cassante autorité. Mais la décision est celle d'un profond politique qui l'a longuement mûrie et qui prétend la justifier au nom de la morale et de la religion.
  Il s'agissait de cette coutume traditionnelle en vertu de laquelle l'empereur s'attribuait l'héritage de toute personne morte à son service : " Quand un omrah ou un riche marchand a cessé de vivre, écrivait Aureng Zeb, vous aviez l'habitude de mettre les scellés sur ses coffres, de jeter en prison et de torturer ses serviteurs, pour leur arracher une déclaration exacte et complète des biens de leur maître, jusqu'au plus insignifiant bijou. Je ne disconviens pas que cette pratique présente des avantages. Mais pouvez-vous nier qu'elle ait autant d'injustice que de cruauté ?... Je ne voudrais pas encourir votre blâme, et je ne supporterais pas que vous fissiez une idée fausse de mon caractère. Mon élévation au trône ne m'a pas rempli, comme vous vous le figurez, d'insolence et d'orgueil... Notre grand ancêtre Akbar, souhaitant que ses successeurs exerçassent le pouvoir avec bonté, modération et sagesse, recommandait à leur attention, dans les excellents mémoires qu'il leur a laissés, un beau trait de Mir-Timur : Tamerlan. Il raconte que celui-ci, ayant fait prisonnier Bajazet [ou Bayezid Ier, I360- env.-I403, sultan ottoman : I389-I402; "... Soucieux d'asseoir solidement l'influence turque et musulmane en Anatolie, Bayézid commence à étendre la suzeraineté ottomane aux émirs turco-musulmans de cette région : il annexe plusieurs émirats turkmènes et défait l'émirat de Karaman à Akçay : I397. Ces guerres de conquête l'opposent au conquérant de Transoxiane Tamerlan, qui revendique la suzeraineté sur les souverains turkmènes d'Anatolie et accorde l'asile à ceux que Bayézid a expulsés. Celui-ci essuie une défaite à Çubuk Ovasi, près d'Ankara, dans une bataille qui l'oppose à Tamerlan, juillet I402, et est fait prisonnier. Il meurt en captivité... " ; source] quand le prince captif fut amené en sa présence, le dévisagea longuement, puis il éclata de rire au visage. Bajazet, blessé de cette grossièreté, fit observer au conquérant qu'il ne devait pas trop s'enorgueillir de sa bonne fortune, et que le même Dieu qui lui avait donné la victoire aujourd'hui, pouvait le jeter demain dans les fers. Timur répondit qu'il n'ignorait pas l'instabilité de la fortune, et que le Ciel lui interdisait d'insulter au malheur d'un ennemi : " Mon rire, poursuivit-il, n'a rien d'outrageant; il m'a échappé malgré moi, en réfléchissant au contraste de nos deux personnes. Je songeais qu'ayant éprouvé moi-même la disgrâce de perdre un œil, je ne suis qu'un misérable infirme. Et que serais-je en effet, sans la couronne que je porte ? Comment un roi pourrait-il concevoir un orgueil excessif, quand le Ciel a placé cet oripeau sur la tête d'un mortel si déshérité de la nature ?... "

Le sultan Bayezid Ier en cage apres sa défait face à un Tamerlan. Sur le Web

  Fort d'une autorité si vénérable, Aureng Zeb termine ainsi la leçon qu'il prétend adresser à son père : " Vous pensez sans doute que je devrais consacrer moins de temps et d'attention aux mesures qui me paraissent essentielles pour la consolidation et la sécurité de l'empire, et qu'il serait mieux pour moi de préparer et d'exécuter des plans de conquêtes. Je suis bien loin de nier que les conquêtes marquent le règne d'un grand monarque et que je pourrais, sans démentir le sang de notre grand ancêtre Timur, négliger de reculer les limites de mon territoire actuel. On ne peut pas me reprocher une inaction honteuse, et vous-même devez reconnaître que mes armées sont profitablement employées au Dekkan et au Bengale. Mais j'ai voulu vous rappeler que les plus grands conquérants ne sont pas toujours les plus grands rois. Les peuples ont souvent été domptés par de grossiers barbares, et les conquêtes les plus démesurées se sont parfois écroulées en quelques années. Ce qui fait un grand roi, c'est le souci dominant de gouverner ses sujets avec équité... "
  Bernier arrête ici sa citation, la suite n'étant pas parvenue à sa connaissance. Et c'est dommage. Mais nous en savons assez, même si nous admettons qu'il brode un peu sur le texte, et qu'il " en rajoute ", pour apprécier à sa juste valeur ce curieux document.
  L'histoire des guerres d' Aureng Zeb nous apprendra ce qu'il faut penser de sa modération dans l'esprit de conquête. La psychologie du personnage, ce perpétuel mélange d'orgueil et d'humilité, son désintéressement affecté, sa prudente charité, et le souci d'invoquer le Ciel en toute occasion, ne sont pas démenties par les faits, tels que nous pouvons les saisir à travers sa déconcertante politique.
  Il prétend renoncer à l'iniquité de ce droit d' aubaine que les Mogols exerçaient, de père en fils, sur les successions des nobles et des riches marchands; il affecte même de trouver légitime la conduite de tel omrah, comme Neik-nam-Kan [ou Nikam Khan, eunuque et général du roi de Golconde] ou de telle veuve de négociant hindou, assez avisés pour subtiliser leurs biens, avant que la rapacité de l'empereur s'en soit emparée. Mais ces scrupules de conscience ne l'empêchent pas de veiller jalousement sur son trésor et de chercher tous les moyens de le remplir. La guerre coûte chère, et elle ne paie pas toujours. Naguère, quand il regardait rosir dans l'or d'un matin de Cachemir la lointaine et paisible chaîne des Himalayas, respirant l'air frais et l'odeur des pins de montagnes, sa vie pouvait se trouver en accord avec ses principes et son mépris de l'or injustement acquis était sans doute sincère. Mais même à ce moment, il n'était jamais très éloigné du trésor qui l'accompagnait partout; ses chameaux entravés au repos à l'ombre des grandes forêts de déodars,[hindi dēwdār, du sanskrit devadāra, arbre divin; très beau cèdre de l'Himalaya, parfois planté en France dans les parcs. Larousse], de rhododendrons, d'yeuses [chênes verts] et de bouleaux, portaient à leurs flancs poudreux une partie des richesses de Delhi, grossies des héritages injustement séquestrés, et dont les roupies servaient à financer les expéditions de Bihar et d' Assam. Lui, les yeux baissés sur son chapelet dont il égrenait les boules d'ambre, murmurait le vieux proverbe tibétain : " Qui va aux montagnes, va vers sa mère. " Mais sur les bords du Brahmapoutra,[ou Brahmapoutre, du sanskrit Brahmaputra, signifiant « fils de Brahmâ », est un fleuve de l'Asie du Sud, d'une longueur de 2.900 km, qui prend sa source principale dans l'Himalaya tibétain, à 5 542 m d'altitude, au glacier Gyima Yangzoin, dans le Xian de Zhongba] les guerriers tombaient pour lui et mesuraient de leurs corps les quelque arpents de terrain disputés afin d'agrandir son empire.

Portrait de l'eunuque Nikam Khan, général du roi de Golconde, I683-I685 : 4ème quart du XVIIe siècle. Sur le Web

  Ce trésor demeure la constante préoccupation du Mogol, même, et peut-être surtout, quand la famine règne dans les villes et dans les campagnes. On le change sans cesse de place, au gré des caprices de l'empereur ou de sa prudence politique. La chronologie officielle enregistre, comme un évènement important, ces transferts, qui ne pouvaient se faire secrètement et qui nécessitaient une importante caravane de chameaux et de chars à bœufs, encadrée par une nombreuse escorte. Grâce aux indications des annalistes, nous pouvons constater, notamment, qu'en novembre I662, au moment de la maladie d' Aureng Zeb, quand s'agitent les partisans du souverain déchu et prisonnier, ce fabuleux trésor est transporté d' Agra à Delhi, pour être ramené de Delhi au fort d'Agra en mai I666, après la mort de Shah Jahan. En réalité, l'or et les diamants, les richesses matérielles, sont bien le signe visible de la puissance, pour ce prince qui joue au derviche, le secret de sa force et le plus sûr serviteur de ses ambitions personnelles.
  Des calculs, que l'on retrouve chez la plupart des historiens du temps et qui doivent provenir de la même source, nous permettent d'évaluer les ressources de l'empereur, qui se confondaient avec celles de l'État, cela va sans dire, et dont les origines étaient fort diverses.
  Sans entrer dans le détail des revenus annuels tirés de chaque province, comme le fait Manucci, donnons le chiffre du total, établi par le même auteur à 387.I94.000 roupies, et l'équivalence en monnaie de France pour l'époque : 580.79I.000 livres. Il ne s'agit là que des revenus fixes, " ceux que l'on tire des fruits de la terre ". Il faut y ajouter le produit de la taxe imposée à tout sujet non musulman de l'empire, le Djézieh [ou la jizîa, djizîa ou djizîat; " dans le monde musulman un impôt annuel de capitation évoqué dans le Coran et collecté sur les hommes pubères non musulmans, dhimmis, en âge d'effectuer le service militaire, contre leur protection, — en principe... " ; sur le Web] les droits de douane à 5%, les impôts sur le blanchissage des toiles, sur les mines de diamants, sur les ports. Dans ces dernières contributions, le Mogol trouvait des ressources normales et régulières pour ses finances, analogues à celles qui existaient dans tous les grands États de son temps, aussi bien en Occident qu'en Orient.
  Mais que dire des prélèvements, si l'on peut employer ce terme pudique, des confiscations plus ou moins déguisées, pratiquées sous tous les prétextes ? En dehors de l'impôt en argent, les mines de diamants devaient abandonnées, comme redevance en nature, les plus belles pierres, celles qui dépassaient un certain titre fixé par la loi. La plupart des rajas payaient l'empereur un tribut, dont le recouvrement irrégulier était la source de maintes difficultés, mais, qui, même au prix d'un conflit armé, grossissait notablement le trésor. N'oublions pas, d'autre part, cette ingénieuse coutume, dont nous avons vu plus d'un exemple, suivant laquelle nul ne pouvait être présenté au Mogol sans lui faire un cadeau d'importance, et essayons de nous représenter la somme de roupies produite par ce royal bakchich. Enfin, en dépit de la scrupuleuse leçon qu' Aureng Zeb adressait à son père, l'histoire ne dit pas qu'il ait effectivement renoncé pour son compte à mettre la main sur l'héritage de tous les sujets musulmans qui étaient à son service... D'après Manucci, cette espèce de casuel de l'empire, qui s'ajoutait aux revenus fixes et aux impôts, en égalait, ou peut-être même en dépassait le chiffre.
  Notre informateur ajoute : " Il faut considérer que tant de richesse n'entre dans les trésors du Mogol, que pour en sortir tous les ans, du moins en partie, et pour couler une autre fois sur ses terres. " Et il prétend que la moitié de l'empire vivait de ses libéralités, ou du moins était à ses gages; qu'il nourrissait non seulement ses officiers et ses soldats, mais les paysans de la campagne, et presque tous les artisans des villes qui travaillaient pour lui !... Mais cela c'est une autre histoire, dans laquelle nous ne pouvons entrer. Bornons-nous à mettre en face de ces conclusions optimistes, le tableau très sombre que Bernier et Tavernier nous ont tracé de la détresse de la population rurale, et à rappeler la terrible famine de mars I66I, qui dévasta les provinces du Nord, et dont l'un des effets, noté par les voyageurs européens, fut de faire baisser le prix des esclaves.
   La politique financière d' Aureng Zeb, comme la plupart des actes de son gouvernement, s'inspirait souvent de sa politique religieuse, et il cherchait à justifier l'une par l'autre, en colorant ses exigences de principes doctrinaux solidement établis. C'est ainsi qu'il invoqua ouvertement un précepte du Coran qui ordonne aux infidèles une contribution particulière, pour établir sur tous ses sujets non musulmans cette capitation spéciale qui portait le nom de jazia ou djézieh. Naturellement très impopulaire, cet impôt provoqua à plusieurs reprises de violentes insurrections, à Delhi notamment, en I680, où le peuple révolté et réclamant justice se pressait autour de l'empereur quand il se rendait à la mosquée pour faire ses dévotions; mais Aureng Zeb réprima durement ces émeutes, faisant sabrer par ses cavaliers ou écraser par ses éléphants la multitude exaspérée. Dans le même état d'esprit, et pour s'acquérir à bon marché un renom d'humanité, il abolit les droits sur les céréales, sous prétexte de remédier à la famine, mais les remplaça aussitôt par d'autres taxes qui pesaient aussi lourdement sur le peuple. Tavernier parle avec pitié de ces provinces désertes que les paysans ont abandonnées en masse pour fuit la tyrannie des gouverneurs musulmans et échapper à la misère; un petit nombre seulement se convertissent à la religion mahométane et se font soldats; la plupart vivant d'aumônes.
  Tavernier lui-même se plaint de la rigueur avec laquelle sont établis et perçus les tarifs douaniers et de l'entrave qu'ils apportent au commerce : toutes les marchandises devaient payer 4 ou 5%, l'or et l'argent 2% et les monnaies étrangères étaient converties en monnaie du pays. Ces mesures prohibitives avaient pour conséquence de développer la fraude, avec toutes les ressources ingénieuses auxquelles se prêtaient la nonchalance de la police orientale : on conte, naturellement, de bonnes histoires d'or introduit subrepticement, par exemple sous des perruques ou dans des cachettes plus secrètes encore. Un des moyens qu' Aureng Zeb avait imaginés pour empêcher l'argent de sortir du pays est au moins inattendu de la part d'un fanatique serviteur de Mahomet : quand les eunuques du harem impérial avait amassé une grosse fortune, leur première ambition était de se faire construire un magnifique tombeau; la seconde, de se rendre à La Mecque en y portant de riches présents; mais l'empereur leur interdisait le pèlerinage et les roupies devaient demeurer dans l'Inde jusqu'à ce que le souverain, à la faveur d'un héritage forcé, pût en grossir son propre trésor.
  Avec les marchands étrangers, le Mogol se montrait d'une avidité soupçonneuse et insatiable. Non seulement il prétendait voir le premier tout ce qui entrait sur ses terres en fait de marchandises rares ou nouvelles, mais les gouverneurs des provinces avaient ordre de lui envoyer, de gré ou de force, les trafiquants, dès leur arrivée. Quand il s'agit de pierres précieuses, l'empereur a auprès de lui deux experts persans qui examinent les joyaux et les taxent sans appel, mais n'oublient pas de prendre leur commission..., aux dépens du vendeur. Tavernier est plein d'anecdotes à ce sujet, et malgré sa prudence et son habilité en affaires, il n'a pu échapper à la loi commune.


Dame européenne; album " Batailles et sujets historiques de l'Inde et de Perse "; École moghole, vers 1750, ?; Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la Photographie, Réserve OD-44 FOL, n° 11 : collection Gentil. © Bibliothèque nationale de France.

  Le contrôle exercé par l'État sur les produits de l'industrie locale n'est pas moins strict et les revenus qu'il en tire sont encore une ressource pour le trésor public. Les marchandises, et notamment les belles pièces de toile et de soie, ouvrage des artisans d'Agra ou de Baglana, ne peuvent être exposées et mises en vente dans les bazars qu'après avoir reçu l'estampille officielle de l'empereur : l'ouvrier ou son intermédiaire, doit donc aller trouver les contrôleurs du Mogol qui apposent ce cachet moyennant un droit fixe, et qui n'oublient jamais de percevoir leur bakchich personnel. Les fraudeurs qui négligent d'accomplir cette formalité s'exposent à une forte amende, sans préjudice d'une sévère bastonnade. Cette rigueur à l'égard des petits artisans était remarquable chez un prince qui n'ignorait ni le prix, ni la dignité du travail manuel. Car, en scrupuleux observateur des préceptes du Prophète, Aureng Zeb travaillait de ses mains. Chardin [Jean, I643-I7I3, voyageur et écrivain français; "... se rend en Perse et en Inde en I665 pour y faire le commerce des diamants. Il plaît au roi de Perse, Shah Abbas II, qui le nomme son marchand. De retour en France en I670, il publie Le couronnement de Soleïmaan troisième, roy de Perse. Puis il repart pour la Perse en août I67I, en faisant cette fois-ci un long périple qui le mène à Smyrne, à Constantinople, en Crimée, dans le Caucase et en Géorgie. Il arrive à Isfahan en juin I673, accompagné du dessinateur Guillaume-Joseph Grelot, reste quatre ans en Perse, apprend le persan, le turc, l’arabe, et retourne en Inde avant de revenir en Europe en I680 en passant par le Cap de Bonne-Espérance... ; sur le Web] rapporte, avec un étonnement naïf, que l'empereur " gagnait sa vie, sic, en vendant des chapeaux qu'il brodait lui-même et en copiant des extraits du Coran ". Carreri a noté le même détail, à peu près dans les mêmes termes. Il est exact que le Mogol était devenu un habile fabricant de chéchias [une chéchia; couvre-chef masculin porté par de nombreux peuples musulmans, équivalent du béret européen], mais l'histoire ne dit pas qu'il les ait vendues. Et s'il a copié non pas des extraits, mais le Livre sacré tout entier, à plusieurs reprises, c'était pour en offrir les exemplaires, richement reliés, aux villes saintes d'Arabie.



  Jean Chardin, vers I690 ?, attribué à John Michael Wright

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   À suivre...

BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. I53-I66. 

 

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TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : DES INVESTISSEMENTS COLOSSAUX POUR ADAPTER LE RÉSEAU AUX ENR

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