TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : L' ATTELAGE ENR / GAZ / CHARBON PRODUIT-IL VRAIMENT MOINS D' ÉMISSIONS DE GAZ À EFFETS DE SERRE ?

  L' analyse de RIOU Jean-Pierre et FLEUCHÈRE Jean, parties I et II, lire ci-devant, a fait l'objet d'une " Questions au gouvernement ", de la part de Mme la sénatrice LOISIER Anne-Catherine, portant sur les émissions réellement évitées par les énergies renouvelables électriques :
Question de Mme LOISIER Anne-Catherine, Côte-d'Or - UC-R, publiée le 11/05/2023
  Mme Anne-Catherine Loisier attire l'attention de Mme la ministre de la transition énergétique
  Dans le cadre de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, GES, les Directives européennes imposent aux États une part croissante d'énergies renouvelables dans leur consommation finale d'énergie. La France doit s'y conformer, bien qu'on puisse regretter que son effort se soit concentré sur les renouvelables électriques au détriment des renouvelables thermiques.
  Pour produire de l'électricité, les émissions de la combustion du gaz, ainsi que celles du fioul ou du charbon, sont directement corrélées au rendement de l'unité de production concernée. Or il apparaît que la production évitée par les énergies renouvelables se traduit généralement par une modulation de la puissance de ces unités qui affecte directement leur rendement, interdisant ainsi, dans la pratique, des réductions théoriques d'émission qu'elles sont réputées permettre.
  Des études, notamment de General Electric, suggèrent même que les émissions de GES des turbines à gaz peuvent augmenter lors d'une baisse supérieure à 50 % de leur régime de fonctionnement.
  Pourtant, les différents inventaires, du gestionnaire de réseau RTE ou du centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique, CITEPA, se fondent sur la seule information de la quantité d'électricité produite, — pour RTE,— ou de la quantité de combustible consommé,— pour le CITEPA, — en lui appliquant un coefficient d'émission moyen, ou « par défaut », propre à chaque combustible et chaque type de centrale concernée, qui semble correspondre à un rendement maximal permanent.
  Elle souhaite donc connaître l'étude d'impact environnemental qui aurait accrédité, sur la base de mesures sur le terrain, la réalité des émissions théoriquement évitées par les énergies renouvelables électriques.

   Publiée dans le JO Sénat du 11/05/2023, — page 3068
  Source

  " L'homme politique est situé à l'intérieur des cadres tracés par les techniciens, et son choix, s'il est sérieux, se fera pour des raisons techniques : il fera évaluer par un autre technicien ce qui est " le plus technique ". [...] Mais l'important, c'est le processus de nécessité subordonnant la décision politique à l'évaluation technique. De moins en moins se rencontrent de pures décisions " politiques ". Si la politique est toujours définie comme l'art du possible, c'est aujourd'hui le technicien qui détermine avec exactitude croissante ce possible. [...] Quoi qu'il en soit, l'importance des techniciens dans toute décision politique rapproche les régimes opposés. Tous les hommes politiques clairvoyants souhaitent cet appareil technique, et les États-Unis comme l' U.R.S.S. sont engagés dans la même voie de technicisation du politique. Le " libéralisme avancé " aussi bien que le " socialisme aux couleurs de la France "conçoivent en réalité le politique de la même façon, malgré les apparences, puisque le rôle du technicien doit prédominer pour l'un comme pour l'autre. Et de plus, ce sont les mêmes techniciens auxquels ils songent ! "
ELLUL Jacques, L'illusion politique, La Table Ronde, Paris, 2004, pp. 7I -72.

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ENR et CO2 évité, entre théorie et pratique

Première partie de l’analyse de Jean-Pierre Riou et Jean Fluchère

 


  Depuis 2009, la Directive européenne 2009/28/CE [I] impose à la France une part contraignante, 23%, d’énergies renouvelables, EnR, dans sa consommation finale d’énergie. La justification de cette part, appelée à croitre, repose sur le postulat que chaque MWh renouvelable produit permet d’éviter les émissions de gaz à effet de serre, GES, d’une quantité équivalente à celle produite par des énergies fossiles.
  Ce postulat, qu’aucune étude d’impact chiffrée ne semble jamais avoir cherché à vérifier, s’avère fondamentalement inexact en raison de paramètres essentiels qu’aucun inventaire officiel ne prend en compte.
  Il apparaît en effet que le caractère erratique des productions renouvelables a pour effet de dégrader le rendement des centrales thermiques de soutien et que l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre liée à cette dégradation est occultée par les « facteurs d’émission par défaut » employés par le gestionnaire de réseau RTE, ainsi que par le CITEPA, officiellement chargé d’en transmettre l’inventaire aux différentes instances internationales.
  La longueur de cet article a réclamé une publication en 2 parties :
  – I. Entre théorie et pratique.
  – 2. La nécessité d’une étude d’impact.
Sa compréhension demande le rappel préalable des éléments suivants :

Note technique

  Les centrales électriques thermiques transforment une partie de l’énergie consommée en chaleur, ce qui implique des pertes de rendement. Ce rendement est typiquement de 35% pour une turbine à gaz et peut dépasser 60% pour les centrales à cycle combiné à gaz : CCG.
  Le facteur de charge indique le rapport entre la production effectivement délivrée sur une période donnée et celle qui aurait été produite sur cette même période si l’unité concernée avait fonctionné à sa puissance maximale, qu’on nomme puissance nominale.
  Les émissions de gaz à effet de serre, GES, sont généralement exprimées en équivalent CO2, CO2eq, en fonction du potentiel de réchauffement global, PRG, des gaz concernés.
  Les facteurs d’émissions indiquent la quantité de CO2eq émise lors de la combustion d’un combustible donné, pour une unité d’énergie et un rendement donné.
  Le Ministère de la Transition écologique le chiffre pour le gaz à 0,37t CO2eq /MWh en précisant pour un rendement de 55%. [2]
  Toute baisse de puissance d’une centrale thermique affecte son rendement et, par là, augmente ses facteurs d’émissions, ou quantité de CO2eq /MWh.
  Cette corrélation avait été notée en 20I2 dans un rapport d’ Enea Consulting, partenaire de l’ADEME : p. I5, [3].
  Une même quantité d’électricité produite, ou de combustible consommé ne correspond pas toujours à une même quantité de CO2eq émise, selon le régime de fonctionnement de la centrale concernée.

En pratique

  EDF fait état de 65% de rendement pour ses CCG contre 38% pour ses centrales classiques. [4]
   L’unité CCG de Bouchain a détenu le record du monde de rendement avec 62,2% en 20I8 avec notamment une température du mélange gazeux dépassant I300°. [5]
   Ces valeurs de température, de rendement et d’émissions concernent un fonctionnement à puissance nominale. Les régimes partiels affectent chacune d’elles.

ACV et RTE
  L’analyse du cycle de vie, ACV, du gaz, chiffre la moyenne européenne de son facteur d’émission à 0,244kg CO2eq /kWh. Celle-ci comprend 0,205 kg CO2eq / kWh pour la combustion proprement dite et les émissions liées à l’amont, c’est-à-dire la production et le transport du gaz, qui est de 0,0389 kg CO2eq / kWh. Avec une incertitude de 5%. [6]
  L’ ADEME retient 20Ig et 38g pour l’amont. [7]
  Pour la production d’électricité, ce facteur d’émission est supérieur en raison des pertes importantes liées au rendement.
  Dans ses bilans d’émissions, RTE comptabilise uniquement les émissions liées à la combustion et considère notamment nucléaire, éolien, photovoltaïque et hydraulique à 0g CO2eq /kWh.
  Mais sur la totalité des cycles de vie, démantèlement compris, la dernière étude répondant aux normes ISO en vigueur fait apparaitre le nucléaire français à 3,7g CO2eq /kWh [8].
  Soit exactement la valeur minimale retenue par le GIEC [9], qui retient une moyenne de 11gCO2eq/kWh pour l’éolien terrestre, 48gCO2eq/kWh pour le photovoltaïque et 24gCO2eq/kWh pour l’hydraulique, dans ce même document : p. I335.

Rendement et CO2eq
  Pour établir les émissions du parc électrique français, RTE fonde son calcul sur la quantité d’électricité produite par chaque combustible et chaque type de centrale, en lui appliquant un « coefficient moyen » calculé à partir de deux éléments [I0] :
  I. La base carbone de l’ADEME pour obtenir le facteur d’émission des combustibles, gaz, charbon et fioul,
  2. Les guidelines de l’ ENTSO-E pour définir le rendement type des centrales.

  Les indicateurs retenus correspondent globalement au facteur d’émission de la combustion du gaz, 205g CO2eq /kWh, appliqué aux rendements des différents types de centrales en fonctionnement à puissance nominale.
  En l’occurrence la moyenne des 486g et 583g, = 534g, retenus par RTE pour les groupes gaz autres que cogénération et CCG correspond à un rendement type de 38%, tandis que la valeur de 352g CO2eq /kWh retenue pour les groupes CCG correspond exactement aux 205g CO2eq /kWh de facteur d’émission pour le gaz appliqués à un rendement de 58,2%. Soit le rendement type des CCG d’EDF, 58%, légèrement relevé par le concours récent, 20I6, du record du monde de Bouchain : 62,2%. [11]
  Rappelons que pour la production électrique, le ministère avait indiqué un facteur d’émission du gaz de 0,37tCO2/MWh, en précisant « pour un rendement de 55% » [2], soit à nouveau 205g CO2eq /kWh appliqués au rendement de 55%.
  En forme de confirmation le bilan RTE 2022 des émissions [I2] fait état de I,7Mt de CO2 pour le groupe fioul dont la production 2022 [I3] est de 2,2 TWh et le coefficient retenu de 0,777 t CO2 eq /MWh, et de 2,8 Mt de de CO2 pour les 2,9 TWh de charbon dont le coefficient est de 0,986 t CO2 eq/MWh correspondent aux déclarés. Soit exactement la production multipliée par les coefficients respectifs sans que la moindre variation de régime ait été prise en compte.

Le CITEPA

  Le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique, CITEPA, est chargé de dresser l’inventaire officiel des émissions françaises et de le transmettre aux différentes instances internationales. Ses données diffèrent sensiblement de celles de RTE. Il fonde son calcul sur l’énergie fossile consommée par chaque centrale, et non sur l’énergie électrique produite, et des « facteurs d’émissions par défaut » propres à chaque combustible et chaque technologie. Le CITEPA fait état d’une « marge d’incertitude entre ± I % et ± 300 % » pour les facteurs d’émission : Rapport 2022, p. 33, [14].

Entre théorie et pratique

Modulation de la puissance et rendement
  Si une centrale module sa puissance, notamment pour suivre la production des EnR intermittentes, elle réduit du même coup la température de combustion de ses gaz et son rendement, augmentant ainsi un facteur d’émission que ni RTE ni le CITEPA ne semblent en mesure de prendre en compte à travers leurs indicateurs de facteurs d’émissions moyens ou par défaut.
  Or, cette baisse de rendement entraîne une dégradation des facteurs d’émissions, voire une augmentation d’émissions, là où la comptabilité fondée sur une émission standard des MWh produits, ou même consommés, chiffrera une baisse indue globale de ces émissions.
  General Electric avait publié une étude sur le sujet montrant le lien entre les régimes partiels, la température de la flamme et la quantité d’émissions dans les centrales à gaz.
  Ce lien est illustré notamment ci-dessous par les rejets de monoxyde de carbone, CO, par l’étude de General Electric, p. 6, [15], qui donne une image fidèle du rendement.


   L‘étude indique que cette croissance exponentielle du CO intervient dès que la température descend en dessous de 8I6°C, correspondant au facteur de charge de 50% sur le graphique.
  Ces émissions proviennent à la fois du gaz lui-même et du système de lubrification : distillate oil. Ce système pouvant comporter 40 000 litres d’huile [I6].
  L’étude précise enfin que cette courbe,— d’une turbine à gaz MS700IEA, — est caractéristique de toutes les machines à usage intensif.
  Notons qu’au contact de l’atmosphère, le CO s’oxyde en CO2 : Rapport CITEPA, p. 27, [11].
  Mais notons surtout que la diminution de puissance de cette turbine ne diminue pas ses émissions globales de CO et qu’en dessous de la ½ charge, elle les augmente même considérablement.
  La baisse de température, liée à celle de la puissance délivrée par la machine par rapport à sa puissance nominale, dégrade également les facteurs d’émission d’autres gaz à effet de serre, comme le révèlent de nombreuses analyses, dont celle d’A. Baczoni [17] concernant le rendement d’une centrale à charbon.

Modulation de la capacité active

  Les données de l’Institut Fraunhofer sont publiées en temps réel sur le site Energy Charts [I8], qui permet de consulter différents paramètres du système électrique de chaque pays européen, dont la production de chaque filière.
  Et permet de visualiser l’évolution de la capacité active par filière, ci-dessous pour le mois de mars 2023 de la filière gaz [19]

  La ligne supérieure noire montre la grande volatilité de la capacité active des centrales gaz, représentées individuellement sous le trait par des couleurs différentes, et qui présentent des à coups de fonctionnement et modulations importantes de leur puissance.

Source Energy Charts [20]

  Le pic de production solaire du 28/03 est indiqué par une flèche rouge pour permettre la comparaison notamment avec l’illustration de la modulation, au même moment, de la CCG de Blénod 5, reproduite ci-dessous.

 



Source RTE [2I]. Cette illustration fait état d’un fonctionnement de 6 heures, I3h-I9h, avec une puissance de 42,I% de sa puissance nominale, c’est-à-dire un régime bien plus émetteur de GES que sa seule production ne saurait traduire au moyen d’un facteur d’émission par défaut. Le lien entre la modulation des centrales pilotables et le développement des énergies renouvelables intermittentes sera développé dans une seconde partie qui plaidera pour une étude d’impact sur le sujet.

Aller à la deuxième partie


Sources

I https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2009:140:0016:0062:FR:PDF
2https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat/23-quelques-facteurs-demissions
3 https://www.enea-consulting.com/static/f1a124e32e3b159b84a468fb0255ab8c/enea-le-stockage-denergie.pdf
4 https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/produire-de-l-electricite/les-differents-types-de-centrales-thermiques
5 https://www.3epartner.com/single-post/2018/03/31/cycle-combin-c3-a9-gaz-au-rendement-record
6 https://www.climfoot-project.eu/fr/quest-ce-quun-facteur-d%C3%A9mission
7 https://expertises.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/fiche-3_typologie-des-facteurs-d-emission.pdf
8 https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2022-06/edfgroup_acv-4_etude_20220616.pdf
9 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/ipcc_wg3_ar5_annex-iii.pdf
I0 https://www.rte-france.com/eco2mix/les-emissions-de-co2-par-kwh-produit-en-france
11 https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/dp_ccg_bouchain_2020.pdf
I2 https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-emission-ges
I3 https://analysesetdonnees.rte-france.com/bilan-electrique-production#Thermiquefossile
I4https://www.citepa.org/wp-content/uploads/Citepa_Rapport-Secten-2022_Rapport-complet_v1.8.pdf
I5 https://www.ge.com/content/dam/gepower-new/global/en_US/downloads/gas-new-site/resources/reference/ger-4211-gas-turbine-emissions-and-control.pdf
I6 https://www.cjc.dk/fr/solutions-systeme/production-electrique/huile-de-lubrification-de-turbine-a-vapeur/
I7 https://www.researchgate.net/figure/Decreasing-CO2-emissions-with-increasing-net-plant-efficiency-for-coal-fired-power-5_fig2_263443399
I8 https://energy-charts.info/?l=fr&c=DE
I9 https://energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=FR&interval=month&month=03&source=fossil_gas_unit&legendItems=1111111111111111111111010
20 https://energy-charts.info/charts/power/chart.htm?l=fr&c=FR&interval=month&month=03&legendItems=00000001000110000
2I https://www.services-rte.com/fr/visualisez-les-donnees-publiees-par-rte/production-realisee-par-groupe.html
  Image par Oimheidi de Pixabay

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