PRM NUCLÉAIRE : DE QUOI PARLE-T-ON EXACTEMENT ? ÉCLAIRCISSEMENTS

  Le développement des Petits Réacteurs Modulaires — PRM, connaît une phase d’accélération notable. À tel point que de nombreux acteurs économiques, technologiques et... politiques, misent sur une industrialisation, puis une commercialisation, d’ici à... 2030. Pourtant, à la lumière de l’article ci-dessous, cet enthousiasme paraît quelque peu prématuré.
  À suivre...
 
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Les petits réacteurs modulaires, une nouvelle manière de développer le nucléaire ? 

 
   On entend souvent parler des projets de petits réacteurs qui fleurissent dans le monde et en France. Certains y voient une nouvelle façon de faire du nucléaire, où la fabrication en série de petites unités serait une alternative aux actuels réacteurs de grande puissance. Pour d’autres, ils seraient les objets permettant à un foisonnement de start-up de faire émerger de nouvelles technologies de réacteurs, dites « de 4e génération ». Voici quelques éléments pour essayer d’y voir plus clair.
   Par Michel Doneddu* 

   L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) recense environ 70 projets de SMR (abréviation de l’anglais small modular reactors, qui tend à s’imposer) menés dans 18 pays, à commencer par les États-Unis. Or seuls 3 réacteurs de ce type sont en fonctionnement : 2 en Russie, 1 en Chine. En France, lors d’un point de presse en février 2025, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) a présenté l’état d’avancement de 10 projets de PRM (petit réacteur modulaire) menés sur le territoire national. On mesure l’intérêt de ce sujet au nombre de rapports ou d’articles produits par la Société française d’énergie nucléaire (SFEN), l’Académie des sciences, l’Académie des technologies ainsi qu’à l’espace que lui réservent les médias.
   Quant au tableau français des PRM, sur les dix projets un seul est porté par les acteurs nationaux de l’industrie nucléaire : le projet Nuward d’EDF (initialement avec TechnicAtome). Les autres sont portés par des start-up, dont certaines officiellement « essaimées » par le CEA. Elles ont fait l’objet de financements publics dans le cadre des plans France Relance et France 2030, et s’emploient également à lever des fonds d’investisseurs privés. L’enthousiasme sur l’avenir des PRM qui en a souvent résulté a été quelque peu tempéré par un rapport du haut-commissaire à l’énergie atomique, Vincent Berger, rendu au Premier ministre. Selon lui, « les lauréats de France 2030 ont misé sur des technologies avec des niveaux de maturité technologique et industrielle très divers. Chacun est conscient de ses forces et de ses faiblesses » (propos tenus dans un entretien à la SFEN le 2 décembre 2024).
   Que penser alors de l’avenir des PRM, de la place qu’ils pourront prendre dans le nucléaire du XXIe siècle ? Il convient de livrer des éléments sur ce qu’ils sont vraiment, les usages auxquels ils peuvent répondre ou non, les technologies qu’ils emploient ou développent et leur maturité, les modèles économiques sur lesquels ils s’appuient et leur pertinence. 

DANS QUELLE GAMME SE SITUENT LES PRM ?

   Le qualificatif petit signifie bien évidemment qu’il ne s’agit pas de réacteurs de grande puissance tels que ceux existant dans notre parc nucléaire. Ces derniers alimentent des turboalternateurs développant une puissance comprise entre 900 et, comme le dernier EPR de Flamanville, 1 600 MW. En raison du rendement de conversion de l’énergie de fission qu’ils produisent en énergie électrique, leur puissance thermique est environ 3 fois supérieure, soit plusieurs milliers de mégawatts. La puissance thermique des PRM est, quant à elle, limitée à quelques centaines de mégawatts, certains même n’en développent que quelques dizaines (on parle alors parfois de « microréacteurs »). 
 
 

   S’il ne s’agissait que d’une affaire de dimensions, il n’y aurait rien de bien nouveau : le CEA et tous les organismes de recherche atomique du monde utilisent depuis longtemps de petits réacteurs de recherche, et même des microréacteurs qu’on appelait « piles atomiques ». Les nouveautés résident dans les usages auxquels ils sont destinés, les modes de fabrication industrielle et les technologies adoptées, qui s’étendent des plus classiques aux plus innovantes. 

PRODUIRE DE L’ÉLECTRICITÉ OU DE LA CHALEUR ?

   Dans un certain nombre de projets, les PRM sont avant tout destinés à remplacer les centrales à charbon, et ce en vue de la décarbonation de la production d’électricité. Il s’agit alors plutôt de « gros » PRM, à l’instar du Nuward – en cours de développement par EDF –, dimensionné pour produire 400 MW électriques, avec donc un cœur nucléaire d’environ 1 200 MW thermiques. Dans sa dernière version, Nuward est en quelque sorte un mini-EPR. D’autres PRM sont destinés à alimenter une production d’électricité dans des zones reculées, et leur puissance peut se limiter à quelques dizaines de mégawatts. C’est le cas des deux PRM russes, dont la technologie est dérivée de la propulsion des sous-marins nucléaires et qui sont installés sur barge flottante en mer sibérienne.
   La fourniture de chaleur décarbonée (industrielle et urbaine) est un objectif affiché dans de nombreux projets. Ainsi, le PRM Calogena, porté par le groupe Gorgé de services à l’industrie nucléaire, vise à la décarbonation des réseaux de chaleur urbains ; il adopte la technologie éprouvée des réacteurs de recherche de type piscine pour fournir de l’eau chaude ou de la vapeur à une température de l’ordre de 100 °C : une innovation d’usage dans une continuité technologique. Nuward propose lui aussi de la fourniture de chaleur, mais en cogénération avec la production d’électricité : la température de fonctionnement du réacteur à eau pressurisée étant de l’ordre de 300 °C, ce PRM pourrait en effet répondre à nombre de besoins de chaleur industrielle. Hexana et Otrera sont des projets français de petits réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, s’appuyant sur les études du projet abandonné ASTRID et dimensionnés pour répondre à des besoins de chaleur industrielle de température de l’ordre de 500 °C (température du sodium fondu dans le cœur). Deux autres projets de PRM français, Jimmy et Blue Capsule, entendent développer des petits réacteurs nucléaires dits « à haute température » – le premier refroidi à l’hélium, le second au sodium – pour fournir de la chaleur industrielle jusqu’à 700 °C. Il convient de noter que la fourniture de chaleur nucléaire peut aussi répondre aux besoins de la production d’hydrogène par électrolyse à haute température, sensiblement moins gourmande en électricité que l’électrolyse classique (elle est développée en France par le CEA et se trouve en début d’industrialisation par Genvia). 

L’INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES PRM

   Les porteurs de projet de PRM s’appuient en général sur un modèle industriel semblable fondé sur la simplification de la conception et la standardisation des composants, l’une et l’autre visant à la production en série. Alors que les composants des grands réacteurs électrogènes sont assemblés sur site, les PRM seront des modules assemblés en usine et transportés ensuite, ce que permettra leur petite taille.
   Autre intérêt souvent avancé : la petite taille permet d’assurer une sûreté passive, bénéficiant par exemple des mouvements de convection naturelle du fluide emplissant le réacteur pour poursuivre l’évacuation de l’énergie émise par le combustible nucléaire en situation d’accident. La sûreté passive permet de faire l’économie de dispositifs de sûreté active : pompes, tuyauteries et automatismes de circuits de refroidissement de secours…
   Les promoteurs de PRM comptent sur ces facteurs pour atteindre le stade de la compétitivité économique. Ils doivent en effet compenser l’effet défavorable de la petite taille par une limitation des coûts de fabrication.
   En matière de production d’électricité à grande échelle, il est loin d’être sûr que l’effet de série soit suffisant.  Historiquement, la production d’électricité par les centrales à charbon s’est développée non pas en multipliant les unités de 25 MW, qui étaient la norme à la veille de la Seconde Guerre mondiale, mais en augmentant par paliers successifs la puissance des unités de production, de 50 à 125 puis à 250 et, enfin, à 600 MW. Il serait donc fort improbable qu’un parc de très nombreux PRM fabriqués en série puisse être plus économique qu’un parc de grands réacteurs, sauf peut-être si un jour une ou quelques multinationales venaient à monopoliser la fabrication mondiale de PRM en très grande série. Mais une telle monopolisation serait-elle un atout pour les usagers de l’électricité et la souveraineté énergétique du pays ?
   L’enjeu du coût de fabrication des PRM se pose différemment pour les autres usages que la production d’électricité déjà décarbonée. La fourniture de chaleur par les PRM n’a pas à entrer en concurrence avec les chaudières à combustible fossile (à tout le moins les politiques d’action climatique devraient l’empêcher), mais plutôt avec les autres sources décarbonées, telles que la biomasse, l’hydrogène produit par électrolyse ou l’électrification directe des procédés. Vu d’aujourd’hui, le jeu paraît ouvert, devant être analysé au cas par cas. 

LES PRM, POUR DEMAIN SÛREMENT OU APRÈS-DEMAIN PEUT-ÊTRE ?

   Si l’on écoutait les porteurs de projets, la France de 2030 serait couverte de PRM – et sans doute aussi les États-Unis et bien d’autres pays. Évidemment, s’agissant de start-up à la recherche de financements, il leur faut attirer des investisseurs privés, lesquels sont souvent plus amateurs de retour rapide sur investissement que de technologie. La start-up, c’est la petite entreprise génétiquement modifiée pour attirer l’investisseur.
   Si le gouvernement a commandé un rapport au haut-commissaire à l’énergie atomique sur le degré de maturité des divers projets, c’est sans doute qu’il s’est demandé s’il pouvait être confronté à quelques surprises. Il a néanmoins classé « confidentiel » ce rapport (l’auteur de l’article recommande vivement la lecture du billet d’humeur d’Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique, paru au n° 45 de Progressistes, disponible en ligne sur le site de la revue). Cela limite, mais n’empêche pas, la réflexion qu’on peut avoir sur le sujet.
   Le degré de maturité d’un projet PRM, soit l’estimation de la rapidité de sa faisabilité industrielle, doit s’apprécier au regard non seulement de la technologie du réacteur, mais aussi du combustible utilisé. Ainsi Nuward et Calogena sont des réacteurs dessinés à partir de technologies éprouvées qui utilisent le même combustible que le parc nucléaire actuel, composé d’uranium faiblement enrichi produit par Orano, dont la fabrication peut être assurée par Framatome et le recyclage par Orano. Les incertitudes sur ces projets ne relèvent donc a priori que de l’ingénierie, des débouchés commerciaux, de l’acceptabilité de l’installation sur site — ce qui n’est toutefois pas négligeable.
   Les projets Hexana et Otrera de réacteurs rapides refroidis au sodium, s’appuient sur les connaissances acquises par le CEA dans l’exploitation des réacteurs Phénix et Superphénix, qui ont fonctionné, et dans les études menées sur le projet ASTRID, dont les connaissances ont été capitalisées. Ces expériences et connaissances concernent aussi bien le réacteur que le combustible (baptisé MOx-RNR). Cela étant, après l’abandon de Superphénix par le Premier ministre Lionel Jospin puis du projet ASTRID par décision arbitraire du président Macron, l’industrialisation des procédés de fabrication des composants du réacteur comme du combustible est à rebâtir, ce qui éloigne sans doute l’horizon de mise en service de tels PRM au-delà de 2030.

 
 


   Les autres projets reposent sur des technologies de réacteurs et/ou de combustible qui n’ont pas encore fait leurs preuves d’un point de vue industriel : réacteurs à haute température, refroidis au plomb fondu, à sels fondus… Souvent nommés AMR (advanced modular reactor), leur mise au point nécessite encore des actions de recherche et développement et d’expérimentation en laboratoire, exigeant des équipements dont les start-up n’ont vraisemblablement pas les moyens de se doter, ce qui doit les conduire à s’associer à des laboratoires existant au CEA, au CNRS… Pour les projets reposant sur des technologies très avancées, tels que les réacteurs à sels fondus, on peut se demander si la start-up constitue un cadre de développement adapté.
 
LE RISQUE DE PRIVATISATION DU NUCLÉAIRE
   On peut distinguer plusieurs phases dans le déploiement des PRM : la recherche-développement, l’ingénierie, la fabrication industrielle, l’exploitation sur site. Typiquement, les start-up s’occupent de l’ingénierie en bénéficiant des connaissances acquises par des grands laboratoires de recherche, le plus souvent publics. Tant que les rapports entre les deux entités sont de qualité, le modèle peut fonctionner. Quand arrive le stade de l’industrialisation, s’agissant de réacteurs et de combustible nucléaires que seule la grande industrie est en mesure de maîtriser, on peut se demander comment une PME pourrait efficacement devenir donneuse d’ordre. Le modèle de la start-up veut plutôt qu’elle soit rachetée par plus grand qu’elle. Mais quel sera ce plus grand ? EDF ou TotalEnergies ? La question n’est pas dénuée de sens, et suscite des inquiétudes dès que l’on imagine le stade de l’exploitation. Les PRM ont beau se caractériser par la simplification des dispositifs de sûreté, sa garantie et le respect des normes définies par l’autorité indépendante qui en a la mission resteront des impératifs incontournables. Seront-ils compatibles avec la mission première d’une entreprise privée, à savoir la rémunération des actionnaires ?
   Prenons l’exemple récent de la découverte par l’exploitant de corrosions sur des tuyauteries de circuits de sécurité de certaines centrales nucléaires en France. EDF s’est alors conformée au principe de précaution le plus douloureux, financièrement parlant : l’arrêt d’une dizaine de réacteurs pour réparation immédiate, ce qui a réduit la production nucléaire d’un tiers durant un an. Aurait-elle agi de même si sa gouvernance avait été aux mains de fonds d’investissements ou de pensions, anglo-saxons ou autres ?
   Avancer ce questionnement n’est pas culpabiliser les ingénieurs, techniciens et administratifs qui s’investissent dans ces start-up porteuses de projets ambitieux, techniquement passionnants, socialement et écologiquement utiles. Au contraire, c’est chercher à éviter que leur engagement et leur travail ne soient un jour mis au rebut ou détournés de leur ambition première. Pensons à ces chercheurs de la high tech engagés il y a quelques années dans des petites start-up de la Silicon Valley et poursuivant le rêve de mettre le numérique au service de l’émancipation humaine : elles ont été phagocytées par les GAFAM, ces géants du capitalisme mondial avides d’accumulation et de profit, et qui, Elon Musk en tête, entendent imposer au monde leur idéologie libertarienne d’extrême droite. Mieux vaut prévenir que guérir.
 
* ingénieur EDF et syndicaliste CGT. 
 
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