MAIS POURQUOI SACRIFIE-T-ON LA NATURE POUR L'ÉNERGIE SOLAIRE CHINOISE ?

  " L'un des inconvénients majeurs de l'énergie photovoltaïque est qu'il s'agit d'une des productions d'énergie qui consomme le plus d'espace, du fait de son faible facteur de charge ", pointe le document. Or, les objectifs de développement de cette énergie sont importants. [...] Malgré les obligations d'équipement des toitures et des parkings, la limitation de l'emprise des centrales photovoltaïques en milieu forestier à 25 hectares et l'encouragement de l' agrivoltaïsme, la loi d'accélération de la production des énergies renouvelables du 10 mars 2023, et ses textes d'application, « n'exclut aucun milieu naturel d'un équipement éventuel, même au sein des aires protégées ", déplore le CNPN. "
  " Mais alors que l'ambition répétée par tous les acteurs institutionnels est d'équiper d'abord les zones artificialisées, l'installation de ces centrales sur des espaces naturels et semi-naturels s'amplifie, au point que de nombreux scientifiques alertent les instances publiques sur le risque d'incohérence entre le développement des énergies renouvelables sur des milieux naturels et semi-naturels, d'une part, et les enjeux de préservation des puits de carbone et de la biodiversité, d'autre part ", pointe l'avis. Les membres du CNPN relèvent également que nombre d'écosystèmes sont détruits car considérés à « faible enjeu " malgré les espèces qu'ils abritent. "
  " L'instance consultative pointe également plusieurs difficultés dans la procédure d'autorisation des projets, qui ont des conséquences défavorables pour la biodiversité : instruction insuffisante de projets en forte croissance par des services de l'État en sous-effectif, évaluation environnementale également insuffisante (25 % d'avis favorables tacites par les missions régionales de l'autorité environnementale), études de qualité « très variables » des bureaux d'études. [...] Malgré cela, la quasi-totalité des projets sont autorisés, y compris malgré les avis défavorables des instances de conseil scientifique et technique. Les garde-fous de la législation et de la réglementation sont contournés et ceux inscrits aux appels d'offre de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) sont insuffisants », déplore l'instance consultative."

  Il semble évident qu'un esprit logique privilégierait l'installation de panneaux solaires, majoritairement produits en Chine, sur des surfaces déjà artificialisées comme les parkings, les sites pollués et les toitures. Cependant, cette approche ne tient pas compte de la réalité économique du secteur des énergies renouvelables. En effet, la recherche du profit maximal pousse les acteurs de cette industrie à privilégier l'installation d'usines photovoltaïques au sol, sur des terrains agricoles ou naturels, où les coûts fonciers sont moins élevés ET le taux de rentabilité est supérieur à une usine sur les toits. Cette pratique, encouragée par les collectivités locales, les propriétaires et les exploitants agricoles, en quête de revenus supplémentaires, met en péril les écosystèmes et va à l'encontre des objectifs de transition énergétique.
  Le climat peut attendre !
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La garrigue ardéchoise dévorée par le photovoltaïque


Ces brebis pâturent sous la centrale solaire des Avelas, à Bannes, en Ardèche. - © David Richard / Reporterre
 
  Dans le sud de l’Ardèche, les projets de panneaux photovoltaïques sur des zones naturelles se multiplient. Un collectif d’habitants et paysans alerte sur le risque de voir disparaître la garrigue et sa biodiversité. 

Lablachère, plateau des Gras, Ardèche, reportage

  Des tas de gravats et des dépôts sauvages de déchets s’accumulent le long du chemin menant à la zone d’activités du Varlet, à Lablachère, commune du sud de l’Ardèche. Le site, composé d’une scierie, d’une unité de production de béton et d’une carrosserie, a été construit en plein cœur de la garrigue.
  Sa surface pourrait prochainement tripler avec le projet d’installation de panneaux photovoltaïques, PV, au sol de 15 hectares. Porté par la société Soleil de Varlet sur un terrain privé dans une zone Natura 2000, le dossier est en cours d’instruction par les services de l’État.
 
Le plateau calcaire des Gras s’étend sur 50 km entre Aubenas et le nord du Gard et accueille des garrigues plus ou moins arborées. © David Richard / Reporterre

  Autour de la zone industrielle, le sol est parsemé de gros cailloux et d’une végétation fleurant bon l’odeur du thym. Pendant qu’il foule une pelouse sèche et serpente entre les genévriers, Simon, écologue, ne cache pas son inquiétude pour ce milieu en apparence hostile, mais qui regorge d’espèces protégées : « Depuis les années 2000, les surfaces imperméabilisées se multiplient dans les garrigues : lotissements, décharges, carrières, zones artisanales et commerciales et maintenant les panneaux photovoltaïques sur de très grandes surfaces… Le risque est qu’à terme elles finissent par disparaître. »
  Avec un ensoleillement important, une topographie relativement plate et une disposition à l’abri du regard, le plateau des Gras — constitué de garrigues sur 50 kilomètres entre Aubenas et le nord du Gard —, est devenu la cible des promoteurs de panneaux solaires.
 
Cette centrale photovoltaïque de 16 hectares construite à côté de l’aérodrome de Lanas, sur le plateau des Gras, s’étend sur plus d’un kilomètre en pleine garrigue. © David Richard / Reporterre

  C’est en apprenant l’existence de treize projets en phase d’étude, allant de un à trente hectares au sol — tous situés sur des terres de garrigues — que des habitants, naturalistes, bergers et agriculteurs ont créé le collectif Garrigues vivantes avec l’objectif de lutter contre leur artificialisation.
  La preuve, selon Simon, que ces habitats typiques de la région méditerranéenne souffrent d’un manque de considération politique. « Parce qu’elles sont dépourvues de grands arbres, les propriétaires et les élus ont tendance à les considérer comme de simples réserves foncières », déplore-t-il. « Pourtant, les garrigues sont des sanctuaires de la biodiversité qui abritent des milliers d’espèces animales et végétales. »
 
" Les travaux d’installation consistent essentiellement à aplanir le sol. Pour cela, il est concassé et broyé, ce qui change totalement ses propriétés physico-chimiques et menace de faire disparaître les espèces qui vivent en relation avec lui ", dit Simon, biologiste de formation. © David Richard / Reporterre

  " Ces dernières années, les propriétaires de parcelles sont démarchés par des promoteurs ", témoigne Pascal Vedel. L’apiculteur à Joyeuse, commune voisine de Lablachère, est sceptique face aux arguments sur la lutte contre le changement climatique déployés dans leurs prospectus.
  " L’objectif de ces entreprises de l’énergie est purement lucratif. Elles démarchent les privés, lancent des études et arrivent auprès des élus avec un projet clef en main. Ces derniers se laissent convaincre parce qu’on leur fait miroiter de fortes retombées économiques. Mais quid de la sobriété ? se demande-t-il. Et à qui profite la production de cette énergie ? Quand on fait nos recherches, on se rend compte que ce sont les industriels de l’énergie qui sont à la manoeuvre… "
 
Pascal Vedel, apiculteur membre du collectif Garrigues vivantes, s’inquiète de voir fleurir les projets de photovoltaïques partout sur le plateau des Gras. © David Richard / Reporterre

  Derrière l’entreprise Soleil du Varlet, on trouve deux entrepreneurs locaux et la société Verso Energy, capable d’investir 1 milliard de dollars dans l’hydrogène. Cette dernière appartient à Xavier Caïtucoli, cofondateur de l’entreprise Direct Énergie, rachetée par TotalEnergies en 2018.
   À Vogüé, commune du plateau, c’est la société Générale du Solaire, présentée comme " premier producteur d’électricité renouvelable " en France, qui vient de signer un bail de location avec la commune pour un projet sur 18 hectares. " Cela représente environ 100 000 euros par an de retombées économiques et c’est l’entreprise qui s’occupe de tout, explique le maire Antoine Alberti. Pour une commune de 1 300 habitants, c’est loin d’être négligeable. "

Pour les petites communes, l’installation d’entreprises photovoltaïques peut avoir des retombées économiques non-négligeables, défendent certains édiles. © David Richard / Reporterre

  Quant au maire de Lablachère, qui a répondu par courriel à Reporterre, il défend le projet du Varlet comme une réponse à une demande de l’État d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables. La loi du 10 mars 2023 enjoint toutes les communes à établir des " zones d’accélération " favorables à l’accueil de tels projets.
  En Ardèche méridionale, il est prévu que la production photovoltaïque soit multipliée par six à l’échéance de 2030. " Si chacune des 335 communes d’Ardèche montait un parc PV au sol de 10 ha — une surface modeste à la vue des projets que l’on découvre — cela représenterait 3 350 ha, soit autant que 15 ans d’artificialisation "courante" à marche forcée ", alerte le collectif Garrigues Vivantes.

Le collectif Garrigues vivantes redoute une artificialisation imposée de cet environnement préservé. © David Richard / Reporterre
 
  Bien que la loi encourage en priorité le recouvrement des surfaces déjà artificialisées — toitures, aires de stationnement, sites pollués, dans les faits, les fournisseurs d’équipement d’énergie solaire se ruent sur les zones naturelles.
  À Lanas, plus au nord, l’aérodrome détenu par le syndicat départemental d’équipement de l’Ardèche a construit sur des terres de garrigues une centrale photovoltaïque d’un kilomètre de long et d’une capacité de 12 MWc — Mégawatt-crête — avec une production de 18,5 GWh par an, soit l’équivalent de la consommation électrique annuelle de 12 000 personnes. Et ce, malgré la disponibilité à sa lisière d’un ancien parc de loisir de 12 hectares en friche depuis 2014… Cette centrale, construite par UrbaSolar, a tour à tour été vendue au groupe franco-italien Dhamma Energy en 2021 et depuis rachetée par le groupe italien Eni.

Julia Burrillon, éleveuse de chèvres sur le plateau des Gras, perçoit le déploiement des panneaux solaires comme une menace pour le pastoralisme. © David Richard / Reporterre
 
  " Le choix de la localisation des projets [photovoltaïques] résulte presque exclusivement d’une opportunité foncière, majoritairement des espaces naturels, agricoles, voire forestiers ", alertaient dans leur rapport d’activité 2023 les Missions régionales d’autorités environnementales, MRAE, chargées d’émettre des avis sur les études réalisées pour chaque projet photovoltaïque dont la puissance est égale ou supérieure à 1 MWc. 
 
Destruction du sol
  Bien que la végétation puisse pousser en dessous, la construction des centrales photovoltaïques provoque automatiquement la destruction du sol, explique Simon, biologiste de formation : " Les travaux d’installation consistent essentiellement à aplanir le sol. Pour cela, il est concassé et broyé, ce qui change totalement ses propriétés physico-chimiques et menace de faire disparaître les espèces qui vivent en relation avec lui. " Or c’est bien ce dernier qui détermine ensuite la végétation qui s’y épanouit.

 

Défendu comme meilleur pour la vie des sols, le pastoralisme a, pour les propriétaires des terrains, le défaut d’être bien moins rentable que l’installation de panneaux photovoltaïques. © David Richard / Reporterre

  Dès lors qu’elles sont réversibles et disposent d’un couvert végétal, les centrales photovoltaïques ne sont pas considérées comme des terres artificialisées. C’est pourquoi les énergéticiens utilisent l’argument de l’ agrivoltaïsme, soit le cumul de l’activité de production d’énergie et agricole, pour démarcher les propriétaires.
  Cette activité contestée par une partie du monde paysan représente une menace directe pour l’élevage extensif encore pratiqué dans la région, affirme Julia Burrillon, éleveuse de chèvres sur le plateau : " Nous faisons pâturer nos chèvres sur de très grandes surfaces avec le souci de maintenir l’équilibre du sol. Mais nous, les éleveurs, on ne rapporte rien aux propriétaires par rapport aux entreprises du photovoltaïque. Quand nous payons 50 euros l’hectare par an pour le pâturage, elles proposent 6 000 euros. Le photovoltaïque, c’est le plan social des éleveurs ", assène-t-elle. Elle considère que les conditions d’élevage sous les panneaux sont mauvaises pour les troupeaux en raison d’une végétation moins riche et d’un niveau de température au sol trop élevé.
  Pour alerter du risque de voir le paysage définitivement détruit, le collectif Garrigues vivantes compte bien continuer à organiser des réunions publiques. " La garrigue est issue du croisement des activités humaines et de processus naturels ", rappelle Simon, en spécialiste du milieu. " On retrouve des traces de l’élevage qui datant du néolithique. Les garrigues sont un monument naturel dont on a hérité. Nous sommes sur le point de le détruire définitivement pour des panneaux dont la durée de vie n’excède pas trente ans. "

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