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Il nous donna ce soir-là un dîner dont je demande la permission de rapporter le menu, car ce sera la meilleure manière de faire comprendre aux générations nouvelles comment on se nourrissait alors, dans un milieu relativement riche et heureux, à Paris.
Je dois dire tout d'abord que chacun apportait son pain avec soi, quand on dînait en ville. Le rationnement interdisait, en effet, toute prodigalité, toute libéralité même, sur ce point, et les gens les plus élégants — allaient le plus simplement du monde s'asseoir à la table de leurs amis, avec une miche sous le bras.
Miche horrible! Miche innommable!
On avait épuisé les soldes de farine convenablement blutée ; on avait vidé tous les sacs de mélanges honorables ; les boulangers de la ville ne pouvaient plus fournir à leurs clients que des pains gluants et fétides, où l'on trouvait de la paille hachée, de la balle d'avoine, de la ficelle, du gravier, des noyaux... — véritable râclure de tiroirs, de caisses et de mannes!
Cela était cuit à peine, sans avoir pu être pétri. Quand on essayait de tremper la soupe avec cette mixture, elle tombait au fond du pot, ne laissant surnager que des fétus non comestibles.
Les troupes étaient mieux servies. Les boulangers militaires vivaient encore sur des résidus de farines impures mais mangeables. Accoutumés à brasser des pâtes plus grossières, ils se tiraient mieux de leur impossible besogne. Aussi chacun fit-il la fête, à la table d' Hippolyte Cogniard, au gros morceau de pain de troupe que j'avais pris soin d'apporter. Le reste fut dédaigné.
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Il nous donna ce soir-là un dîner dont je demande la permission de rapporter le menu, car ce sera la meilleure manière de faire comprendre aux générations nouvelles comment on se nourrissait alors, dans un milieu relativement riche et heureux, à Paris.
Je dois dire tout d'abord que chacun apportait son pain avec soi, quand on dînait en ville. Le rationnement interdisait, en effet, toute prodigalité, toute libéralité même, sur ce point, et les gens les plus élégants — allaient le plus simplement du monde s'asseoir à la table de leurs amis, avec une miche sous le bras.
Miche horrible! Miche innommable!
On avait épuisé les soldes de farine convenablement blutée ; on avait vidé tous les sacs de mélanges honorables ; les boulangers de la ville ne pouvaient plus fournir à leurs clients que des pains gluants et fétides, où l'on trouvait de la paille hachée, de la balle d'avoine, de la ficelle, du gravier, des noyaux... — véritable râclure de tiroirs, de caisses et de mannes!
Cela était cuit à peine, sans avoir pu être pétri. Quand on essayait de tremper la soupe avec cette mixture, elle tombait au fond du pot, ne laissant surnager que des fétus non comestibles.
Les troupes étaient mieux servies. Les boulangers militaires vivaient encore sur des résidus de farines impures mais mangeables. Accoutumés à brasser des pâtes plus grossières, ils se tiraient mieux de leur impossible besogne. Aussi chacun fit-il la fête, à la table d' Hippolyte Cogniard, au gros morceau de pain de troupe que j'avais pris soin d'apporter. Le reste fut dédaigné.
***
Nous eûmes un pot-au-feu au riz : c'est-à-dire que, dans de l'eau très bouillante, salée et poivrée, la cuisinière avait versé un peu d'huile, en tournant très fort sa cuiller [ " les deux graphies, cuillère et cuiller, sont admises ; cuillère et cuiller se prononcent de la même façon... " ; Larousse] . Cela donnait un bouillon où le maître de la maison, nous fit orgueilleusement observer qu'il y avait " des yeux ".
Avec du riz, dont on ne manquait pas encore, cela, mon Dieu! pouvait passer.
On nous avait annoncé un hors-d’œuvre. Nous le vîmes avec angoisse prendre place, après le potage. — C'était un beau rat, cuit à l'étouffée, tout rouge dans un ravier, où il était dressé avec la queue en trompette et du persil, rareté, autour du museau.
Personne de nous n'eût le courage d'en manger.
Nous eûmes ensuite un plat d'entrée : du riz sauce madère, avec des croûtons qu'aucune dent ne put entamer.
Puis ce fut le plat de résistance : un entrecôte [autrefois, parfois au masculin] de cheval, pour six. Cogniard eut la loyauté, au moment où on le servit, de nous faire remarquer que nos porte-couteaux étaient figurés par des éperons placés auprès de nos assiettes.
Après cela, nous retombâmes dans le riz :
Riz en croquettes, pour légumes ;
Riz au vinaigre et aux câpres, en guise de salade ;
Riz en gâteau, avec du sucre, comme dessert......
Finalement, notre hôte, l’œil animé par ce long repas, se leva en tenant un verre de bon vin qu'il nous offrait en dédommagement.
— Mes chers amis, nous dit-il, je m’excuse de vous avoir aussi modestement traités. C'est un festin digne des Amazones [" Dans la mythologie grecque, les Amazones étaient des guerrières légendaires qui occupaient le pourtour de la mer Noire et les terres plus à l'est... " ; source], qui, dit-on, mangeaient leur coursier quand elles ne pouvaient autrement se nourrir. Consolez-vous, d'ailleurs! Si nous nous revoyons autour de ma table, avant que Paris succombe, je vous ferais manger mieux : je vous ferai manger... la selle!
Comme on riait!
Illustration d'une scène de combat entre Amazones et Grecs sur un lécythe, récipient à huile, en terre cuite datant du 5e siècle avant notre ère. Connues sous le nom d' Amazonomachie, ces scènes étaient très populaires dans l'art grec. Metropolitan Museum of Art, New York. PHOTOGRAPHIE DE Met, Scala, Florence. Source
C'est cela qui nous a soutenu si longtemps ; c'est d'être gais et d'espérer quand même.
La ménagère qui croyait avoir découvert une tête de veau, dans un coin des halles, de grand matin, et qui voyait fondre cette tête dans l'eau de sa marmite dès qu'elle la mettait à cuire, — car cette tête était en gélatine ;
L'acheteur, ingénieux, qui trouvait une " graisse parfaite ", chez Castellano, devenu marchand de denrées, et qui s'apercevait que cette graisse, excellente pour enduire les bottes, était réfractaire à toute cuisine sérieuse :
Le tueur de moineaux qui guettait toute une journée d'innocentes bestioles, posté avec une canne-fusil auprès d'un groupe d'arbres et qui devait rentrer bredouille dans sa maison sans pain ;
Le chasseur de chiens qui ne réussissait pas à surprendre un seul des rares mâtins sans maître dont on vit de loin les silhouettes errantes ;
Tous les affamés, tous les malheureux, tous les pauvres hères, ouvriers sans travail ou bourgeois sans foyer qui pullulaient dans Paris, étaient les premiers à rire de leur déconvenue, tout en se serrant le ventre.
On se racontait avec admiration que M. Untel avait envoyé, au 1er janvier, des boîtes de douze pommes de terre, enrubannées de faveurs, à toutes les dames chez qui son couvert avait été mis dans l'année.
On affirmait audacieusement que l'on connaissait une maison où l'on avait mangé, la veille, de l'éléphant du Jardin des Plantes, ou de l'antilope, ou même du lion...
Paris raillait, se vantait, s'amusait pour tromper sa faim.
Il y avait le matin, aux portes des boulangeries et des boucheries, gardées par des mobilisés, des queues de femmes, héroïques parfois sous les bombes, qui attendaient la distribution quotidienne : une poignée de haricots pour deux personnes, un peu de riz, un hareng saur.
Et il y avait le soir, un peu partout, des gens qui affirmaient avoir fait un excellent repas.
On maigrissait, à ce régime. Cependant, on était toujours vaillant. L'espoir était si tenace!
On relisait avec attention les statistiques fournies par le Conseil de Défense par l'excellent et fidèle Joseph Magnin [Pierre-Joseph, 1824-1910 ; maître des forges, député de la Côte-d'Or, 1863-1870 ; Sénateur inamovible, 1875-1910 ; Gouverneur de la Banque de France, 1881-1897 ; ministre de l'Agriculture et du Commerce 1870-1871 ; directeur politique du Siècle, 1877 ; ministre des Finances, 1879-1881 ; " ... fait aboutir d'importantes réformes fiscales concernant le timbre des affiches, loi du 30 mars 1880, et surtout les patentes : loi du 15 juillet 1880. Le décret du 2 juillet 1881, relatif à la taxe légale sur les huiles et les essences de pétrole et des schistes importés, jette les bases de la fiscalité pétrolière. Auparavant, il a fait supprimer les droits de navigation intérieure. Pour financer le programme de grands travaux d'équipement lancé par de Freycinet, il émet en mars 1881 un emprunt d'un milliard de francs en rentes perpétuelles 3%. Associé à la création de la caisse d'épargne postale, loi du 9 avril 1881, il fait voter le tarif général des douanes : loi du 6 mars 1881. Enfin il préside la troisième conférence monétaire internationale qui se tient à Paris en avril 1881 " ; source], ministre du Commerce. On y voyait que Paris avait encore du pain pour quinze jours, de la viande pour dix — en sacrifiant, il est vrai, les chevaux de l'artillerie, car il n'en avait plus d'autres — des légumes secs pour une semaine, du beurre rance pour deux jours...
Et l'on disait : " Nous pouvons tenir encore! "
Et l'on tenait!
Pierre-Joseph Magnin. © Bibliothèque nationale
XII
Les clubs et leurs orateurs. — Les inventions mirifiques pour défendre Paris. — Les patriotes de l' Internationale. — " La lutte à outrance. "
On a souvent parlé, depuis quarante ans, des clubs ouverts à Paris, pendant le siège, et l'on a généralement raillé les grandes dépenses qui s'y firent d'éloquence obsidionale et d'esprit inventif.
On a eu tort.
Ces clubs n'ont fait aucun mal, et peut-être ont-ils réalisé au contraire un peu de bien, en aidant une population ardente et dont on utilisait fort mal le courage, à se figurer qu'elle servait efficacement la défense nationale. Ces assemblées périodiques, régulières et le plus souvent cordiales et pacifiques, ont été la soupape nécessaire de l'opinion publique. Même les plus violentes n'ont pas causé d'émeutes, après le 31 octobre : les explosions avaient lieu à huis-clos.
Et puis, elles ont été fort amusantes. En dehors des orateurs politiques, dont les discours étaient attentivement écoutés, surtout quand ils apportaient aux auditeurs quelques renseignements nouveaux sur les faits de guerre, en même temps que les vues d'ensemble sur l'état de l' Europe, il y avait les inventeurs d'engins destinés à pulvériser, empoisonner, foudroyer ou noyer les ennemis qui assiégeaient la capitale.
Ces inventeurs-là, c'était surtout au club Valentino, rue Saint-Honoré [appelé auparavant le bal Valentino ou salle Valentino ou Valentino, du nom de son créateur, le chef d'orchestre français Henri Valentino ; c'était une très grande et célèbre salle de bal située au n° 251 ; durant le siège, l'établissement, dont Henri Valentino avait déjà quitté la direction, 1865, accueillit le Club de la Délivrance, pour quelques réunions ; il ferma définitivement ses portes en 1890], ou bien à la Porte-Saint-Martin [théâtre construit pour recevoir l' Académie royale de Musique, 1781-1794 ; fermé plusieurs années, il est vendu en tant que bien national, 1799 ; à partir de 1814, il devient, sous son nom actuel, une référence pour le ballet ; rouvert après des faillites, 1840-1851 et 1868, il sera entièrement détruit par un incendie durant la " semaine sanglante ", 21-28 mai 1871, pendant la Commune, puis reconstruit au même endroit] qu'ils se produisaient.
Il y en avait qui mettait le public en joie.
Par exemple, l'un deux expliquait, avec force gestes qui lui permettaient de se passer d'un tableau noir pour tracer à la craie le schéma de son opération, qu'un obus se partageant toujours, quand il éclate, en un certain nombre de morceaux, rien n'était plus simple que de rattacher d'avance chacun de ses fragments, " par des fils de laiton se déroulant à mesure ", à la pièce de canon qui l'aurait projeté sur l'ennemi. Dès lors, il était facile d'actionner une pile " un peu après " avoir tiré le coup, afin qu'une formidable décharge électrique frappât tous les êtres vivants dans le cercle immense tracé par les éclats.
Cet inventeur, je ne sais pourquoi, appelait son invention " le doigt prussique "!
Le bal Valentino à Paris
Le théâtre de la Porte-Saint-Martin détruit durant la Commune.
***
Un autre, d'aspect farouche et triste à la fois, comme un grand esprit méconnu qui mesure amèrement sa misère imméritée à l'heureuse fortune qu'on voit à tant de gens dont l'esprit est borné, se présenta un soir à la tribune de la Porte-Saint-Martin, regarda le public avec un évident mépris et haussant silencieusement les épaules...
— Parlez, parlez! lui cria-t-on.
À la fin, il se décida :
— Vous voulez des canons? fit-il d'une voix sombre. Vous avez tous donné vingt-cinq centimes, en entrant dans cette salle, et vous allez aussi quelquefois à des représentations de gala que l'on organise pour payer la fonte de nouvelles pièces destinées à la Défense...
— Eh bien?... Après?... demandèrent quelques impatients.
— En bien, vous ne vous apercevez pas, reprit-il d'une voix tonnante, que vous foulez aux pieds, chaque jour, des centaines, des milliers de canons qui sont tout prêts et qui n'attendent pour vomir la mort sur les Allemands que d'être placés sur des affûts et de rouler vers les remparts!...
Stupeur dans la salle!
— Où sont-ils? Où sont-ils? vociféra l'assistance entière.
— Creusez la terre de vos rues et de vos boulevards, reprit l'orateur. Vous en retirerez des conduites de gaz qui ne vous servent plus à rien, puisque cette salle même est éclairée au pétrole. Ces conduites sont le plus souvent droites, — excepté toutefois dans les tournants de la canalisation. Bouchez hermétiquement l'une de leurs extrémités. Chargez-les de poudre : voilà de quoi couvrir de projectiles toutes les armées de Guillaume!...
Après avoir dit cela, le pauvre homme regarda d'un air triomphant ceux qui l'écoutaient. Les rires fusaient de toutes parts ; il n'en avait cure. Il voyait sans doute en imagination défiler devant lui cette artillerie d'un nouveau genre, faisant un cortège belliqueux à sa démence heureuse. Il fallut doucement l'arracher de la tribune où il se cramponnait. Il s'en alla enfin, sans avoir compris qu'on se moquait, et se perdit en hochant la tête au milieu de la foule.
***
Il y en avait d'autres qui écrivaient aux journaux. L'un d'eux adressait, dès le 22 septembre 1870, au Petit Journal, les propositions suivantes :
"... Vous avez démontré les services que peuvent rendre les aérostats captifs, au point de vue de la défense, mais vous n'en dites rien au point de vue de l'attaque...
"... Voici mes idées :
" 1° Relier aux aérostats captifs, ou bien rendre captifs eux-mêmes de petits ballons, veufs de tout personnel et lestés, au lieu de sable, par des tonnes de pétrole, bombes Orsini [du nom de son auteur, responsable de l'attentat contre Napoléon III, le 14 janvier 1858 ; Teobaldus Orsus Felice, 1819-1858, comte, révolutionnaire italien ; "... Le 13 mars 1858, à 7h du matin, les deux condamnés [Pierri accompagnait Orsini] à mort sont exécutés place de la Roquette, dans le calme et le silence de la foule « en présence de cette juste et légitime expiation » ... " ; source], matières explosives, inflammables, et qui à l'aide d'un fil parallèle aux câbles qui les retiennent, déverseraient le contenu de leur nacelle, formant une seule masse sur les ennemis, alors qu'ils s'avanceraient sous les murs de Paris.
" 2° Les Russes ont dû le salut de Sébastopol au barrage de leur port. Ne pourrait-on pas avoir préalablement rompu les digues de la Seine, faire un barrage, en coulant, chargés de débris de démolition, etc., nos vieux pontons et nos lavoirs?... "
Ces imaginations étaient sérieusement discutées par Thomas Grimm [patronyme d'un journaliste / éditorialiste, fictif, inventé par la rédaction du Petit Journal] qui se donnait beaucoup de mal pour démontrer à son correspondant qu'il y avait de nombreuses chances pour que le contenu de ses ballons incendiaires tombât " en une seule masse ", non sur les ennemis, mais sur les défenseurs de Paris.
Petite bombe " Orsini ", comme celles utilisées lors de l'attentat contre l' Empereur Napoléon III. Source
L'attentat d' Orsini devant la façade de l'Opéra le 14 janvier 1858, par H. Vittori © Musée Carnavalet Histoire de Paris
Portrait de Felice Orsini. Peinture de Louis Bucheister. Italie. Huile sur toile. Paris, Musée Carnavalet. © AFP / JOSSE / LEEMAGE
***
J'ai dit que les clubs avaient été une soupape nécessaire. Voici une preuve bien frappante que leurs éléments les plus violents et les plus révolutionnaires ne combattaient, en définitive, à cette époque, et même aux derniers jours du siège, que pour l'efficacité de la Défense nationale.
J'ai sous les yeux, en écrivant ceci le numéro du 16 janvier 1871, 28 nivôse, an 79 [l' an 79, est la période pendant laquelle le calendrier républicain a été rétabli, au moins à Paris, dans les années 1870 et 1871 du calendrier grégorien] de LA LUTTE À OUTRANCE, Journal du Club de l' École de Médecine ;
TRIBUNE DE L'ASSOCIATION INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
J'y lis une " déclaration des délégués des vingt arrondissements de Paris ", déclaration délibérée en assemblée générale, le dimanche 15 janvier. On peut en blâmer tels ou tels termes, mais il est impossible de nier que le plus pur patriotisme inspirait les rédacteurs de ce document. Je le crois intéressant à reproduire :
DÉCLARATION DES DÉLÉGUÉS DES VINGT ARRONDISSEMENTS
Dès le lendemain du 4 septembre, les patriotes-républicains les plus énergiques n'ont cessé de réclamer : d'abord l'occupation, autour de Paris, des points stratégiques indispensables à la protection de la capitale ; un réquisitionnement, et un rationnement général, et l'envoi de commissaires dans les départements pour l'armement universel, pour la levée en masse. Si le gouvernement ne s'y fût point systématiquement refusé, nous ne serions pas livrés au bombardement, menacés de la famine et abandonnés à nos seules forces.
Aujourd'hui même, il est urgent d'ouvrir gratuitement aux habitants des quartiers bombardés dans les quartiers moins exposés, les locaux nécessaires, avant tout ceux de l' État et des riches déserteurs ; — d'opérer la distribution gratuite du pain et du bois ; — et de ne point livrer à l'abattoir les chevaux de l'armée, si l'on veut éviter le sort de Metz.
Mais le Gouvernement ne fera pas plus demain ce qu'il faut, qu'il ne l'a fait hier. Il nous accule à la famine, sans rien tenter de sérieux pour débloquer Paris.
Des généraux, placés sous le coup de soupçons les plus terribles, sont impuissants à commander.
La pire chose est d'attendre passivement la mort à domicile.
Mais nos gouvernements n'ont trouvé d'énergie que contre les républicains arbitrairement incarcérés.
La Commune de Paris est le suprême espoir de la défense. Mais, pour que son action soit efficace, il faut qu'elle ne soit point installée in extrémis.
Que le peuple de Paris y songe!
Il serait trop humiliant de voir Paris pris par sa capitulation ou de vive force, alors qu'il compte plusieurs centaines de milles hommes armés et résolus dans ses murs.
Voilà ce que nous tenions à honneur de déclarer, en ce moment suprême, à la veille peut-être de la honte ou de la mort.
Ainsi délibéré en assemblée générale, le dimanche 15 janvier 1871.
Les Délégués des vingt arrondissements : suivent les signatures.
Ce n'était là, évidemment, de la part de ces hommes, qui devaient former deux mois plus tard, le Comité Central, puis la Commune de Paris, que l'expression d'un patriotisme très sincère, car la LUTTE À OUTRANCE portait au-dessous de son titre cette manchette significative :
" La France ne traite pas avec l'ennemi qui occupe son territoire. "
DÉCLARATION DES DÉLÉGUÉS DES VINGT ARRONDISSEMENTS
Dès le lendemain du 4 septembre, les patriotes-républicains les plus énergiques n'ont cessé de réclamer : d'abord l'occupation, autour de Paris, des points stratégiques indispensables à la protection de la capitale ; un réquisitionnement, et un rationnement général, et l'envoi de commissaires dans les départements pour l'armement universel, pour la levée en masse. Si le gouvernement ne s'y fût point systématiquement refusé, nous ne serions pas livrés au bombardement, menacés de la famine et abandonnés à nos seules forces.
Aujourd'hui même, il est urgent d'ouvrir gratuitement aux habitants des quartiers bombardés dans les quartiers moins exposés, les locaux nécessaires, avant tout ceux de l' État et des riches déserteurs ; — d'opérer la distribution gratuite du pain et du bois ; — et de ne point livrer à l'abattoir les chevaux de l'armée, si l'on veut éviter le sort de Metz.
Mais le Gouvernement ne fera pas plus demain ce qu'il faut, qu'il ne l'a fait hier. Il nous accule à la famine, sans rien tenter de sérieux pour débloquer Paris.
Des généraux, placés sous le coup de soupçons les plus terribles, sont impuissants à commander.
La pire chose est d'attendre passivement la mort à domicile.
Mais nos gouvernements n'ont trouvé d'énergie que contre les républicains arbitrairement incarcérés.
La Commune de Paris est le suprême espoir de la défense. Mais, pour que son action soit efficace, il faut qu'elle ne soit point installée in extrémis.
Que le peuple de Paris y songe!
Il serait trop humiliant de voir Paris pris par sa capitulation ou de vive force, alors qu'il compte plusieurs centaines de milles hommes armés et résolus dans ses murs.
Voilà ce que nous tenions à honneur de déclarer, en ce moment suprême, à la veille peut-être de la honte ou de la mort.
Ainsi délibéré en assemblée générale, le dimanche 15 janvier 1871.
Les Délégués des vingt arrondissements : suivent les signatures.
Ce n'était là, évidemment, de la part de ces hommes, qui devaient former deux mois plus tard, le Comité Central, puis la Commune de Paris, que l'expression d'un patriotisme très sincère, car la LUTTE À OUTRANCE portait au-dessous de son titre cette manchette significative :
" La France ne traite pas avec l'ennemi qui occupe son territoire. "
Adoué, Ansel, Antoine Arnaud, J.-F. Arnaud, Edm. Aubert, Babick, Baillet père, A. Baillet, Bedouch, Ch. Beslay, J.-M. Boitard, Bonnard, Casimir Bouis, Louis Bourdon, Abel Bousquet, V. Boyer, Brandely, Gabriel Brideau, L. Caria, Caullet, Chalvet, Champy, Chapitel, Charbonneau, Chardon, Chartini, Eugène Chatelain, A. Chaudet, J.-B. Chautard, Chauvière, Clamouse, Claris A., Clavier, Clémence, Lucien Combatz, Julien Conduche, Delage, Delarue, Demay, P. Denis, Dereux, Dupas, Durins, Duval, Duvivier, R. Estieu, Fabre, F. Félix, Jules Ferré, Th. Ferré, Flotte, Fruneau, C.-J. Garnier, L. Garnier, M. Garreau, Gentilini, L. Genton, Ch. Gérardin, Eug. Gérardin, Gillet, P. Girard, Giroud-Trouillier, J. Gobert, Albert Goullé, Grandjean, Grot, Henry, Fortuné Henry, Hourtoul, Alph. Humbert, Jamet, Johhannard, Michel Joly, Jousset, Jouvard, Lacord, Lafargue, Laffitte, A. Lallement, Lambert, Lange, J. Larmier, Lavorel, Leballeur, F. Lemaître, E. Leverdays, Armand Lévy, Lucipia, Ambroise Lyaz, Pierre Mallet, Malon, Louis Marchand, Marlier, J. Martelet, Constant Martin, Maullion, Léon Melliet, X. Missol, Tony Moilin, docteur, Molleveaux, Montell, J. Montels, Mouton, Myard, Napias-Piquet, Émile Oudet, Parisel, Pérève, H. Piednoir, Pillot, docteur, Pindy, Maurice Portalier, Puget, D.-Th. Régère, Retterer aîné, Aristide Rey, J. Richard, Roselli-Mollet, Édouard Roullier, Benjamin Sachs Sainson, Sallée, Daniel Salvador, Th. Sapia, Schneider, Seray, Sicard, Stordeur, Tardif, Tessereau, Thaller, Theisz, Thiolier, Treillard, Tridon, Urbain, Vaillant Ed., Jules Vallès, Viard, Viellet. Source
XIII
Les uniformes des francs-tireurs. — L'éclairage public. — Retards néfastes apportés au rationnement. — Les découvertes de farines cachées. — Les pommes de terres pourries. — Admirable résignation de la population. — Sa confiance obstinée. — Ses déceptions. — Les bombes allemandes au Jardin des Plantes.
On a beaucoup parlé aussi de l'orgie d'uniformes à laquelle se livraient les corps francs de la Capitale. Il faut en rabattre : les exagérations, l'abus du pompon, des galons et de la fantaisie n'ont pas été aussi grands que l'on a dit.
Les polonais d'opéra-comique et les éclaireurs de la Mort ne sont venus que plus tard sous la Commune ; mais le Paris du siège n'a joué en aucune façon la comédie. Il a fait son devoir tout simplement, sans forfanterie et sans affection, avec une bravoure qui a été parfois de l' héroïsme.
Les gens qui ont, après coup, cherché ces ridicules ont fait preuve de mauvaise foi. C'était ce qu'on appelait alors des " francs-fileurs " [fuyards ; "... Déjà vidés lors du siège prussien, les beaux quartiers sont désertés par leurs habitants. Ces derniers fuient la disette, la conscription instaurée par les fédérés et — déjà — tentent de se placer sous la protection de la bannière étoilée ! [...] Après que, le 18 mars 1871, Thiers a tenté de faire enlever les canons de la Garde nationale, Paris présente un visage multiple. À l'ouest de la capitale, la bourgeoisie se replie dans une neutralité passive, parfois hostile ou défiante. [...] La proclamation de la Commune de Paris à l'hôtel de ville, le 28 mars, va lever les dernières hésitations. [...] Autant de craintes qui justifient à nouveau le départ de Parisiens vers la banlieue et la province... " ; source]. Il leur a plus, après leur retour dans la Capitale, d'excuser leur défection au yeux des uns et même de faire croire aux autres qu'ils avaient rempli leur devoir de Parisiens, en colportant d'absurdes légendes sur le " cabotinage " de la Défense et sur le " débraillé " des défenseurs.
Il était facile et tentant lorsqu'on avait été absent, de prétendre que c'était les présents qui avaient tort!
Je voudrais que ces boulevardiers, c'est ainsi qu'ils s'intitulaient déjà, fussent condamnés, seulement pendant une semaine, à vivre maintenant comme tout Paris a vécu pendant les mois de décembre 1870 et janvier 1871. Au point de vue de la nourriture, j'en ai assez dit précédemment. Je m'en voudrais cependant de passer sous silence le témoignage d'un officier de belle humeur qui a fait un jour, à Bismarck lui-même, lors des négociations finales, le récit qu'on va lire :
— " Le moment le plus intéressant du jeûne a-t-il déclaré1 a été le moment où nous avons commencé à manger le Jardin des Plantes. La chair d'éléphant coûtait 20 francs le kilogramme et avait d'ailleurs le goût du bœuf. Nous avons eu des filets de chameau et des côtelettes de tigre..., ? Un marché de chien s'est tenu rue Saint-Honoré et la viande y a coûté 2 fr. 50 le kilogramme. Aussi, les derniers jours, n'a-t-on pas pu voir un chien dans Paris ; dès qu'on en apercevait un, on lui faisait immédiatement la chasse à travers les rues. De même les chats!... Si un pigeon se montrait sur un toit, il occasionnait un rassemblement... Il n' a guère que les pigeons-voyageurs qui aient été épargnés. Pour être voyageurs, un pigeon devait avoir neuf plumes à la queue. S'il n'en avait qui huit, on disait : " C'est un pigeon civil! " et il subissait le sort des autres. Je connais une dame qui s'est écriée : " Jamais je ne mangerai plus de pigeon, car je croirais toujours avoir mangé un facteur. "
***
Paris subissait bien d'autres privations, qui eussent probablement affecté les francs-fileurs et les sceptiques, s'ils avaient eu le courage de les partager.
Figurez-vous ces boulevards, qui faisaient la renommée de la grande ville, absolument déserts et livrés à l'obscurité presque complète de cinq heures du soir à sept heures du matin! De loin en loin, une lampe à pétrole fumait dans la cage d'un réverbère.
Plus de gaz!
Plus de voitures de place!
Plus d'omnibus!
Pas une devanture de magasin ouverte, si ce n'est celles de quelques rares cafés où l'on consommait des boissons chaudes à la lueur de lamentables quinquets [" Lampe à huile à double courant d'air, dont le réservoir est situé à un niveau supérieur à celui de la mèche : antérieurement il était sous la flamme ou à la même hauteur. La mèche est creuse, ce qui permet à l'air de circuler au sein de la flamme, donnant ainsi un meilleur éclairage et un minimum de fumée. Le quinquet est surmonté d'une cheminée de verre qui canalise également l’air autour de la flamme et assure le tirage. Il fut inventé en 1782 par Ami Argand, 1755-1803, physicien et chimiste genevois, et commercialisé par Antoine Quinquet, 1745-1803, apothicaire à Paris. On a d'abord dit " lampe à la Quinquet ", puis par simple antonomase " quinquet ". [...] Métaphoriquement le mot signifie également œil, surtout à travers l'expression ouvrir ses quinquets " ; source].
La circulation intense de nos grandes artères urbaines avaient disparu. On allait aux provisions — c'est-à-dire à la recherche des provisions — ou bien l'on se rendait à l’exercice, à la faction, aux avant-postes. La rue ne s'animait un peu que lorsqu'un régiment y passait, avec ses tambours et ses clairons, faisant apparaître aux vitres des étages les pâles figures des femmes et des enfants, soudain réveillés, avec des regards où brillaient un espoir.
À la maison, plus de sucre : il coûtait 3 fr. 80 centimes le kilo!
Plus de lait : les quatre mille vaches laitières conservées pour l'alimentation des enfants, des malades et des vieillards, venaient d'être livrées à la boucherie.
Plus de viande que tous les trois ou quatre jours, la nécessité de conserver quelques chevaux pour le service de l'artillerie ayant obligé l'administration à délivrer le reste du temps aux ménagères un hareng-saur ou cinq centimètres de saucisson pour quatre personnes.
Plus de pain ou à peine, le rationnement fixant à 300 grammes par jour la quantité de l’innommable mixture ainsi dénommée, où la farine de blé n'entrait plus que dans la proportion de 20 0/0.
Plus de bois, le gaspillage ayant été très grand au début du froid, et nul ravitaillement n'ayant pu se faire dans les chantiers.
Plus de charbon, quarante mille tonnes du précieux combustibles ayant été oubliées au Bas-Meudon dès le commencement du siège et les provisions accumulées dans les gares ou dans les usines à gaz ayant été consommées.
Le riz lui-même se faisait rare. Paris n'avait plus, en réalité, que du vin, pour se soutenir.
Ah! certes oui, j'aurais voulu les voir un peu soumis à ce régime, les bons indifférents, les égoïstes, les blagueurs qui se gobergeaient pendant ce temps en province, à l'étranger, le plus loin possible de leur devoir, et qui ne sont revenus dans leur pays que pour l'outrager, dans leur Paris que pour se moquer de lui!
***
Pour palier un peu tant de misère, pour diminuer la famine et pour essayer de tenir quelques jours de plus, le Comité de la Défense, sur la proposition de ce brave et ingénieux Joseph Magnin, qui fut un si admirable intendant pour la ville assiégée, avait heureusement ordonné des perquisitions qui firent découvrir vers la fin de décembre d'assez grandes quantités de farine cachées par des accapareurs, des spéculateurs ou des poltrons. Cela permit de vivre quelques jours de plus.
On trouva aussi des pommes de terre entassées dans des cachettes souterraines, dans des caves, dans des arrière-boutiques. Malheureusement, elles étaient déjà pourries, et ce fut même leur mauvaise odeur qui les dénonça... trop tard!
La population, au milieu de tout cela, était admirable de résignation, de courage, et je dirai même de confiance. Elle ne s'indignait parfois contre le gouvernement que parce qu'il ne lui demandait pas assez de sacrifices, parce qu'il ne l'exposait pas assez au danger...
Contre l'ennemi, par exemple, c'était autre chose : elle haïssait généreusement et n'avait, malgré les victoires allemandes, que du mépris pour sa façon de faire la guerre.
Ce fut un éclat d'indignation, dans toute la ville, quand, le 10 janvier, un essaim de lourds obus prussiens s'abattit, avec précision voulue, au Jardin des Plantes et dans les quartiers d'alentour. Il y avait là des hôpitaux : la Salpêtrière, la Pitié ; il y avait dans le jardin même des ambulances ; il y avait des femmes et des enfants qui essayaient encore, profitant d'un relèvement inattendu de la température, d'un véritable dégel, même, de se promener et de jouer.
Tout cela fut fauché!
Il y eut quarante blessés, vingt tués, — tous des pauvres gens, des mères, des bébés!... Paris, qui ne comptait plus ses morts, fut pris par ceux-là d'une douleur infinie et d'une colère furieuse contre les meurtriers.
À suivre
Charles Laurent, Ce que Paris a vu, Souvenirs du Siège de 1870-1871, Albin Michel, 1914, pp. 133-153
1. Mémoires de Bismarck : Tome I, pages 290 et 291.
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