Reconnu comme une référence incontestable dans le secteur de l’énergie, RAUX J.-F. (1) est particulièrement qualifié pour dénoncer la décision technologiquement préjudiciable prise par une majorité de l’Assemblée nationale, qui entrave la contribution du secteur privé au développement des petits réacteurs modulaires — SMR, et compromet ainsi l’avenir du nucléaire français.
En réponse à l’intervention prononcée à la tribune de l’Assemblée nationale par le député Maxime Amblard, Rassemblement National — RN, de la Meuse, ingénieur en physique nucléaire :
« Je pense que vous n'avez rien compris à la situation du nucléaire actuelle en France. EDF n'est plus en l'état d'assurer une exploitation optimale du parc nucléaire ni de son renouvellement, et encore moins de travailler efficacement sur les innovations nécessaires pour l'avenir, telles que les SMR, la surgénération... Le modèle de réacteur choisi, l' EPR, compliqué et couteux, n'est pas un bon choix. Il n'est toujours pas stabilisé, ni en conception, cout et délais. EDF sous-exploite le parc actuel d'au moins 100 TWh par an et défend un prix du nucléaire pénalisant pour l'économie, l'industrie et le pouvoir d'achat des Français. Ce n'est pas l'ultra-libéralisme — une vision totalement fausse de votre part — qui est la cause de tout cela, mais le monopole actuel d'EDF sur le nucléaire, mal dirigé par un État incompétent, mal encadré par des agences d'État incompétentes. Nous ne sommes plus dans les années 70-90 : les équipes d'EDF ne sont plus en mesure de réaliser la performance de lancer 50 tranches de nucléaire en 15 ans. L'immense échec du chantier de FLA3 le démontre à l'envi. En encourageant un modèle soviétique, fermé sur lui-même, vous allez générer un nouveau retard pour la France, et bloquer l'innovation indispensable dans ce secteur comme dans d'autres ! Les vertus de la concurrence portent sur le foisonnement de l'innovation et l'optimisation des coûts. Votre modèle économique de référence, hérité de l'URSS n'est pas le bon. D'ailleurs, votre alliance avec LFI, sur le sujet, parle d'elle-même ! Quant à penser, comme vous le dites, que l'innovation peut être développée « dans le privé » et ensuite réalisée par EDF, ou confiée à EDF pour exploitation, dénote une méconnaissance totale de l'industrie et de l'économie. »
(1). Jean-François Raux, diplômé de Sciences Po, Institut d'Études Politiques — IEP, en 1972, et titulaire d’un DESS en Droit Public Européen, a consacré l’essentiel de sa carrière à EDF-GDF. Il y a exercé des fonctions majeures, notamment Directeur Marketing Stratégique, Conseiller du Directeur Général chargé du management et de la communication interne, ainsi que Directeur Général de la holding EDF Sopardel. De 2011 à 2015, il a ensuite été Délégué Général de l’Union Française de l’Électricité, poste au cours duquel il a travaillé en étroite collaboration avec les ministères 1 notamment sur les scénarios électriques et la Loi NOME, ainsi qu’avec la Commission Européenne. Parallèlement, Jean-François Raux est auteur et contributeur régulier à des travaux de réflexion sur les thématiques de l’énergie et de l’innovation. Sa double compétence, alliant rigueur analytique et vision prospective, fait de lui une voix incontournable dans l’analyse des enjeux économiques et énergétiques actuels et futurs.
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Si la France consacre quelques dizaines de millions d’euros de son plan de relance au développement d'un SMR, le Royaume-Uni pourrait mettre 2 milliards de livres sur la table. © TechnicAtome. Source.
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Nucléaire : le monde s’emballe, la France s’enlise
Depuis quelques années, la France fourmille de projets nucléaires innovants, notamment du côté des SMR, ces petits réacteurs plus sûrs et plus industrialisables que leurs aînés. Mais lundi soir, les députés ont peut-être mis un coup d’arrêt à cet enthousiasme, en donnant à EDF le monopole de la construction et de l’exploitation de tous les réacteurs nationaux.
Pas plus tard qu’hier, nous nous réjouissions de la vitalité de nos jeunes pousses atomiques. C’était sans compter sur un improbable coup de théâtre. Dans un hémicycle vide des partis centristes, un amendement déposé par le groupe LFI-NFP et voté par le Rassemblement national a suspendu l’avenir de ces startups au vote du Sénat. En l’état, impossible pour elles de construire des réacteurs ou de les exploiter sur notre sol.
Pas plus tard qu’hier, nous nous réjouissions de la vitalité de nos jeunes pousses atomiques. C’était sans compter sur un improbable coup de théâtre. Dans un hémicycle vide des partis centristes, un amendement déposé par le groupe LFI-NFP et voté par le Rassemblement national a suspendu l’avenir de ces startups au vote du Sénat. En l’état, impossible pour elles de construire des réacteurs ou de les exploiter sur notre sol.
Un vote, deux visions
Pour la gauche, il ne s’agit pas tant de garantir le monopole d’EDF que de sortir du nucléaire. Leurs amendements demandent purement et simplement la suppression de l’objectif de construire de nouveaux réacteurs et réclament un avenir 100 % renouvelables, suivant les scénarios Negawatt et M0 de RTE – malgré les incertitudes et les coûts pointés par les spécialistes du secteur.
Pour le Rassemblement National, cette initiative se fonde sur l’étonnante croyance que le public est plus à même de garantir la sécurité que le privé, alors même que le seul accident d’envergure fut, à Tchernobyl, l’œuvre d’un monopole d’État. Interpellé, Maxime Amblard, le « spécialiste énergie » du mouvement, se défend de vouloir mettre fin à l’entrepreneuriat nucléaire tricolore. « L’amendement adopté n’empêche absolument pas les initiatives privées en matière de recherche, de développement et de conception de nouveaux réacteurs », se défend-il sur X. On imagine pourtant mal EDF construire les SMR de ses concurrents et les investisseurs continuer à financer des entreprises interdites de fabriquer leurs produits.
Mettre fin à l’atome, ou se passer du privé ? Deux visions à contre-courant de la marche du monde. Car depuis deux ans, le nucléaire entame une véritable renaissance, porté par une multitude d’initiatives entrepreneuriales et par le boom de l’intelligence artificielle.
Vers un nouvel âge atomique ?
L’an dernier, Google signait un contrat à long terme avec Kairos Power, concepteur de petits réacteurs, pour que l’entreprise puisse commencer à les fabriquer en série. TerraPower, la startup atomique de Bill Gates, assemble les éléments de son réacteur avancé au sodium, Natrium, dans le Wyoming. Microsoft finance la remise aux normes de Three Mile Island. Il y a 15 jours, Meta scellait un partenariat de 20 ans avec la centrale de Clinton, dans l’Illinois, pour alimenter ses datacenters IA en énergie continue. Amazon s’est branché à celle de Susquehanna via Talen Energy, avec une connexion directe à 960 MW. Plus que de simples consommateurs, à ce rythme, les GAFAM pourraient presque devenir les premiers énergéticiens bas carbone de la planète.
Et les Américains ne sont pas les seuls à avoir chopé le coup de foudre pour l’atome. À l’échelle internationale, sa cote est sans précédent. Le Royaume-Uni injecte des gigawatts d’espoir dans le projet Sizewell C et dans les SMR Rolls-Royce, destinés à réactiver le réseau bas carbone. En Belgique, nous assistons à un vrai retournement de polarité : en mai dernier, le pays a abrogé sa loi de sortie du nucléaire et compte désormais doubler sa capacité d’ici 2035. En Suisse, après des années de refroidissement politique, le moratoire sur la construction de nouvelles centrales est sur le point de sauter. La Finlande et la Suède poursuivent leur montée en charge sans bruit mais avec constance. Même le Danemark, jusqu’ici allergique à l’atome, commence à réévaluer sa doctrine et à considérer l’hypothèse nucléaire dans son mix énergétique.
Longtemps sous tension, parfois mis en veille, le nucléaire redémarre partout où la demande monte en flèche et où le carbone devient un fardeau. Ce n’est plus un simple retour, c’est une remontée en pression. De l’Illinois à l’Ardèche, du Wyoming à Bruxelles, les neutrons s’agitent, les lignes bougent, les réacteurs s’éveillent. Tous les projets n’aboutiront pas. Nul doute que la concurrence fera le tri entre les plus innovants, les plus rentables et les autres. Ce que la France, en privilégiant les choix politiques aux choix du marché, tente de rejeter. En matière d’énergie, de Super Phénix à Astrid, les innombrables tergiversations du pouvoir devraient pourtant faire douter quant à sa capacité à avoir une vision claire et soutenue sur le long terme. Le triste spectacle actuellement donné à l’Assemblée, où chacun défend des visions irréalistes et inconciliables, ne pousse pas non plus à une confiance excessive dans la lucidité du personnel politique. Dommage, parce que l’énergie du XXIe siècle pourrait bien finalement être… celle dont la France a longtemps été le fleuron.
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