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Aussitôt, lunettes et longue-vues s'appuyèrent sur l'épaulement de la courtine la plus voisine de l'embrasure. Nos trois officiers, notre adjudant et les chefs des autres pièces voulaient juger tout de suite l'effet produit. Profondément ému de la responsabilité qui pesait sur moi, j'avais d'abord été figé sur place ; puis, je me précipitai sur l'affût pour observer le point de chute.
Pendant les trois ou quatre secondes qui s'écoulèrent, il me sembla que l'obus — mon obus! — emportait dans ses flancs les destinées de la patrie. Où allait-il tomber? Qui allait-il frapper? Le soleil, comme il était alors placé, avait-il mis son point lumineux à la bonne place, en haut du cône de mire? N'avais-je pas ajusté trop à droite ou trop à gauche?...
— Un peu à gauche! cria une voix.
— L'angle de la façade est écorné, à la hauteur du premier étage, fit une autre.
— Oui, corrigea une troisième, mais l'obus a éclaté dans le couloir ; voyez la fumée!
En fait, ce n'était pas trop mal pointé ; mais le but n'avait pas été atteint. Au lieu d'enfiler sans heurt l'ouverture du passage et d'aller ricocher sur la muraille courbe de droite, j'avais légèrement accroché l'angle de gauche du palais, ricoché, piqué la muraille de droite avec la pointe du projectile, au lieu de la frôler avec la partie ogivale... Bref, l'éclatement s'était produit sur le côté du château et non derrière le château.
On voulut bien me complimenter néanmoins comme si j'avais exterminé tous les travailleurs présumés de la grande batterie allemande.
J'ai hâte d'ajouter que cette batterie n'existait que dans notre imagination. Je suis allé, quelques jours après la retraite des Allemands, visiter Saint-Cloud, avec des camarades. Il n'y avait pas le moindre travail de terrassement, même à l'état d'ébauche, dans les jardins, ni sur les terrasses avoisinant la face postérieure du château.
J'ai parcouru le couloir de pierre dont je viens de parler. Je l'ai trouvé large de huit mètres environ. Il y avait, à mi-hauteur de la muraille de soutènement des terres, un énorme dégât fait par l'explosion. Mais, pas de débris de l'obus! Quelques négociants en souvenir les avaient peut-être déjà ramassés...
En revanche, j'ai recueilli à l'angle de la façade, du côté de la rivière, un morceau de château en pierre dorée, arraché au couronnement du re-de-chaussée par mon coup de canon, et, très naïvement, j'en conviens, je l'ai gardé.
IX
La manie de l'affichage officiel. — On raconte tout haut ses petites affaires. — Tout le monde est prévenu, même l'ennemi. — " Mort ou victorieux ". — Un épisode inconnu de la bataille de Champigny.
Mais en voilà bien long sur une tentative qui n'a servi à rien et sur un acte de guerre qui n'a fait de mal qu'à un petit bout d'architecture!
Aussi bien, l'heure était grave pour Paris et l'on se préparait — un peu trop ostensiblement peut-être — aux redoutables aventures d'une véritable sortie en masse.
Ainsi, je n'ai jamais compris, et je ne comprends pas encore, pourquoi cet éternel bavard de Trochu, ayant résolu de jeter tout d'un coup sur la Marne une armée considérable, excellente en certaines de ses parties, inexpérimentée mais vaillante en certaines autres, composées de gardes mobiles, de mobilisés et de corps francs, éprouvait le besoin, tout le premier, de faire connaître à tous les résolutions qu'il avaient prises, en distribuant par avance les titres et les fonctions pour le cas où le général Ducrot ou lui-même seraient tués.
Je sais bien que les délibérations du Conseil de la Défense n'étaient pas publiques et que, le plus souvent, elles restaient secrètes. Néanmoins, il arriva plus d'une fois que tout le monde dans la ville, et probablement aussi hors la ville, fut informé de ce qui s'était passé au Louvre.
Comment se fait-il par exemple que nous ayons connu, au Bastion, c'est-à-dire à l'extrême pointe des remparts, au Point-du-Jour, — et cela dès le 28 novembre, — la désignation éventuelle, comme gouverneur de Paris, du général Le Flô, et, comme chef de l'armée, du général d' Exéa? [Antoine-Achille d' Exéa-Doumerc, comte, 1807-1902]
La sortie ne devait commencer que le lendemain et le public savait déjà les noms des remplaçants des morts! Je vous laisse à penser, si, avec les mouvements de troupes que l'on pouvait observer, avec la proclamation annonçant la bataille imminente, que Trochu avait fait placarder, et qui faisait éloquemment, mais inutilement, retomber la responsabilité du sang versé " sur ceux dont la détestable ambition foulait aux pieds les lois de la civilisation moderne et de la justice " — je vous laisse à penser, dis-je, si les Allemands devaient ignorer la moindre chose de nos projets et le moindre détail d'opérations qui auraient dû être pour réussir, aussi inattendues qu'un coup de tonnerre dans le ciel bleu!...
Le gouvernement tout entier, gagné par la fièvre de l'affichage, faisait d'ailleurs chorus avec son président. Il publiait, lui aussi, un papier encourageant les citoyens à l'union et se terminant par ces mots : " Cherchons surtout notre force dans l'inébranlable résolution d'étouffer, comme un germe de mort honteuse, tout ferment de guerre civile. "
Je ne sais pas encore aujourd'hui quel était le rédacteur de ce joli morceau de littérature obsidionale [qui concerne le fait d'assiéger une ville, d'être assiégé ; Larousse], mais je sais bien que nous eûmes, quelques-uns, le plus involontaire et le plus moqueur des sourires en apprenant, à la lecture de cette recommandation finale, que nos gouvernants, au moment de livrer bataille, ne songeaient qu'à " étouffer des ferments " qui étaient des " germes de mort honteuse ".
Dame! nous ne connaissions pas — ni eux non plus — les futures découvertes de Pasteur!
Il n'était pas jusqu'au général Ducrot, d'ordinaire assez taciturne, disait-on, qui n'eût éprouvé le besoin de parler, lui aussi, non seulement à ses soldats, avant l'action, mais à tout Paris, avant même le jour fatal. On connaît du reste la proclamation célèbre qu'il fit lire aux troupes dès le 28 novembre et que les afficheurs ordinaires de la Défense nationale ne manquèrent pas de coller sur tous les murs.
Elle disait :
" Pour moi, j'y suis bien résolu, j'en fais le serment devant la nation toute entière, JE NE RENTRERAI DANS PARIS QUE MORT OU VICTORIEUX.Vous pourrez me voir tomber, mais vous ne me verrez pas reculer. Alors, ne vous arrêtez pas, mais vengez-moi! "
En lisant ces fières paroles, il n'est pas un de nous, je l'atteste, qui ne se soit senti ému par le noble engagement d'un soldat dont on connaissait le courage... Tout au plus y eut-il quelques esprits chagrins pour penser qu'il suffit de concevoir des projets désespérés et qu'il n'est point nécessaire de les annoncer aussi haut.
Quoi qu'il en soit, nous vécûmes cela, dans une fièvre incessante durant ces quatre jours où se jouèrent réellement les destinées de Paris, sans que nous pûssions espérer, dans le petit coin que nous occupions et avec la mission de défense qui était la nôtre, prendre la moindre part aux combats qui allaient se livrer.
Quelques coups de canon tirés vers Châtillon, vers Sèvres ou vers les hauteurs de Saint-Cloud, pour appuyer les diversions qui étaient naïvement destinées à masquer la grande opération préparée vers la Marne, ce fut tout nôtre rôle, les 29 et 30 novembre.
Ensuite, nous ne fîmes plus rien.
Comme je n'écris pas ici une histoire militaire du siège de Paris — me bornant à grouper tant bien que mal des souvenirs personnels, — je ne raconterai pas les glorieuses journées qui suivirent et qu’assombrirent de si étranges et parfois ridicules fatalités.
Les ponts " trop courts " de la Marne empêchèrent, on le sait, nos régiments de franchir, le 29 au matin, la rivière grossie par les pluies. Ce furent ensuite les escarmouches et les combats, pour ainsi dire simultanés, de la Malmaison, de Buzenval, à l' Ouest ; de l' Hay et de la Gare-aux-Bœufs, au Sud ; du plateau d' Avron, à l' Est.
Le lendemain 30, on se battit à Neuilly, Montmesly, Villiers, Champigny, à l' Est ; à Épinay-sur-Seine, au Nord.
De tous ces engagements, qui prirent quelquefois des proportions considérables, je n'aurais rien à dire si je n'étais en mesure de fournir, sur un épisode de la bataille de Champigny [ elle se déroula " du 29 novembre au 3 décembre ; ...appelée bataille de la Marne ou bataille de Villiers, du nom de la commune de Villiers-sur-Marne, sur le territoire de laquelle a eu lieu la bataille, [...] le général Auguste-Alexandre Ducrot mène 80 000 hommes vers les villages de Champigny-sur-Marne et Bry-sur-Marne, à l'est de la Marne. Ce secteur des lignes allemandes est tenu par la division du Wurtemberg, de la 3e armée prussienne.[...] L'artillerie française repousse donc les unités allemandes des villages de Bry-sur-Marne et Champigny-sur-Marne, permettant aux troupes de Ducrot de franchir la Marne sur des pontons prévus à cet effet. Ducrot établit une tête de pont sur le bord opposé de la rivière dans les deux villages et pousse vers Villiers. Mais la division du Wurtemberg est si bien retranchée, sur les hauteurs qui dominent Champigny-sur-Marne, entre Villiers-sur-Marne et Cœuilly, que l'artillerie française ne parvient pas à la déloger : l'attaque est stoppée. Ducrot appelle donc à la rescousse le IIIe corps du général d' Exéa, qui a franchi la Marne au nord de Bry-sur-Marne pour attaquer Villiers-sur-Marne par le nord. Mais le IIIe corps arrivant trop tard pour participer efficacement à l'offensive, Ducrot adopte une position défensive. [...] La contre-attaque allemande... Les deux armées ont payé un prix élevé lors de cette bataille. Les Français ont perdu environ 9 000 hommes tandis que les pertes allemandes s’élèvent à 3 000 morts... " ; source], des détails intéressants, et, je crois, inédits.
" L'ossuaire, inauguré le 2 décembre 1878, abrite les corps de plus de 1000 soldats français et 300 allemands. C'est donc un des rares monuments de mémoire partagé par les deux pays. La rénovation récente du monument a d'ailleurs été financée par les deux Etats afin de donner à ces soldats enterrés dans des fosses communes une sépulture décente.. " Source
Les Prussiens avaient plusieurs fois essayé de déboucher du parc de Cœuilly [" C'est l’un des premiers hameaux de Champigny, constitué de quelques fermes implantées autour d’un château féodal à partir du XIIe siècle. Le château actuel, reconstruit au XVIIe, agrandi au XVIIIe, est classé Monument Historique depuis 1977. Les Prussiens s’y installèrent pendant la Guerre de 1870... " ; source], qu'ils occupaient en force et que nous avions nous-mêmes le plus grand intérêt à leur enlever.
À douze cent mètres de la lisière du parc, une batterie de nos mitrailleuses étaient installée sous le commandement du capitaine Charles.
Chaque fois que les tirailleurs ennemis surgissaient dans la plaine et quittaient le couvert des arbres, le rrrrrran des mitrailleuses éclatait, et les gerbes de balles, parfaitement efficaces, car elles étaient suffisamment dispersées à cette distance, les forçaient à regagner leur abri.
... Plusieurs fois déjà on avait vu les Allemands sortir en courant du parc de Cœuilly, pour gagner un pli de terrain plus rapproché de trois ou quatre cents mètres et d'où ils auraient pu atteindre nos servants avec leurs fusils Dreyse [inventé par Jean-Samuel Pauly, il est perfectionné par Johann Nikolaus von Dreyse ; c'est le premier fusil de guerre doté d'un système de chargement par la culasse et, pour la première fois, le fantassin pouvait tirer et recharger en position couchée, ce qui bouleversa totalement les tactiques de infanterie..., source] ; mais à peine étaient-ils en vue qu'une salve de nos mitrailleuses les forçait à reculer. Ils avaient beau se présenter tantôt à droite, tantôt à gauche, ou même simultanément des deux côtés, le résultat était toujous pareil et, faute d'artillerie, il leur était impossible de déloger cette minuscule batterie qui leur barrait absolument la route.
C'est alors qu'un incident invraisemblable se produisit, qui leur assura inopinément le succès. C'est alors qu'une fois de plus, au cours de cette campagne, la sottise et l'ignorance d'un chef annihilèrent les efforts des vrais officiers et des bons soldats.
Tandis que le capitaine Charles escarmouchait ainsi posément, utilement, et faisait beaucoup de mal aux Allemands sans subir lui-même aucune perte, un général de brigade, suivi d'une escorte s'approcha vivement de lui, au grand trot.
— Que faites-vous ici, capitaine? demanda-t-il. Sur quoi tirez-vous? Sur les arbres?
— Non, mon général, répondit le commandant de la batterie avec une irritation contenue ; je tire sur les Prussiens qui occupent le parc de Cœuilly, chaque fois qu'ils essaient d'en sortir. C'est l'ordre que j'ai reçu.
— De qui, cet ordre?
— De mon colonel.
— Et il vous a dit, votre colonel, de vous placer, avec vos petites machines, aussi loin de votre objectif? ... Vous en êtes au moins à 1.800 mètres!...
— À douze cents, mon général. C'est la bonne portée pour nos mitrailleuses. À cette distance, elles ont un effet très utiles.
— Oui!... Oui! Je sais! Messieurs les officiers d'artillerie aiment bien tirer d'un peu loin!...
Le rouge de la colère monta au front du capitaine, en entendant cette grossière injure. Il eut le courage de ne pas la relever. Regardant bien en face le chef stupide qui le lui avait adressée :
— Me donnez-vous l' ordre, mon général, de m'approcher davantage? Je dois vous prévenir que les hommes et les pièces pourront en souffrir.
— Oui, Monsieur, je vous donne cet ordre!
— C'est bien! fit seulement le capitaine.
La mort dans l'âme, il prit les dispositions nécessaires. Les armements furent ramassés, les pièces légères et fragiles furent prises à la bricole et, hardiment, follement, elles furent conduites par leurs servants à quatre cents mètres plus loin,... c'est-à-dire plus près de l'ennemi.
Mais, alors, fusillées par les Allemands qui échappaient à leurs gerbes de balles moins étalées, moins en éventail, elles perdirent en un quart d'heure à peu près le tiers de leur effectif. Leurs salves se ralentirent et ce fut à grand'peine qu'au moment où l'ennemi, enfin formé en colonne d'attaque, se préparait à fondre sur elles, le capitaine blessé put, avec ce qui lui restait de soldats, en sauver deux sur quatre!...
J'ai... oublié le nom du général ignare et indigne qui porte la responsabilité de ce fait de guerre. Il eût mérité d'être fusillé devant le front des troupes pour son inhumaine bêtise.
Tout le monde sait aujourd'hui qu'après les deux journées des 29 et 30 novembre, où, avec des alternatives de succès et de revers, nous avions finalement réussi à conquérir d'importantes positions de l'autre côté de la Marne, il fallut laisser reposer nos troupes toute la journée du 1er décembre, sur le lieu même du combat.
Les Allemands, épuisés comme nous, ne prononcèrent aucune attaque et se bornèrent à faire venir de toutes parts des renforts, pour résister aux nouvelles tentatives que sans nul doute nous allions faire.
Mais la nuit du 1er au 2 fut tellement froide et nos pauvres soldats en souffrirent tant qu'il fallut encore ajourner toute offensive et la nuit du 2 au 3, plus rigoureuse encore [l'année 1870 connut une vague de chaleur précédant une canicule, puis une vague de froid, avant de subir un hiver terrible ; à Paris, les températures descendirent jusqu'à -20° ; deux périodes particulièrement froides : du 1er au 12 décembre et du 21 décembre 1870 au 5 janvier 1871 ; source https://www.meteo-paris.com/chronique/annee/1870 ; "...Le froid était pourtant plus redoutable encore que la faim. L'hiver était venu, précoce et rude. Pour se chauffer, Paris se résignait à couper la couronne de verdure qui faisait K son orgueil ; on sacrifiait le bois de Boulogne et le bois de Vincennes, voire les arbres des boulevards. Seulement les bûches, qu'on obtenait ainsi avaient un petit inconvénient : elles ne brûlaient pas, elles étaient trop vertes. Dans les quartiers pauvres on fit du feu avec les volets des maisons, les chaises, les meubles même... " ; source], acheva de démoraliser, sinon toutes nos troupes, du moins quelques-unes d'entre elles... et le haut commandement.
Nos soldats avaient bivouaqué dans la glace, sans couvertures et sans feu. Trois cent vingt-sept officiers étaient hors de combat...
Ducrot, qui avait bravement essayé de se faire tuer, pour tenir sa parole, en se jetant l'épée à la main sur un gros d'ennemis, eut le courage, bien plus méritoire encore, d'organiser et de conduire avec adresse et prudence la retraite sur la rive droite de la Marne.
L'ennemi suivit pas à pas notre mouvement ; mais il n'osa pas risquer une attaque contre des troupes qui avaient déployé depuis trois jours une valeur si grande.
Au même moment, D' Aurelle de Paladines abandonnait sans combat Orléans aux Prussiens, et Chanzy, coupée d'une partie de l'armée de la Loire, commençait sur la rive droite du fleuve l'admirable retraite qui l'a illustré.
Les jours noirs commençaient! La fin apparaissait déjà comme inévitable ; mais avant que tout fût dit, Paris avait à signaler encore par de belles actions et par l'abnégation parfois sublime de ses défenseurs.
Avant d'aller plus loin dans ce récit, je crois devoir signaler au cours des combats sur la Marne, la mort de deux hommes qu'une très grande popularité recomposant de leurs exploits.
Le général Renaud [Pierre Hippolyte Publius Renault, 1807-1870 ; "... Lors de la première journée de la bataille de Champigny, 30/11/1870, s’exposant sans mesure pour encourager de jeunes troupes, il fut grièvement blessé au combat de Villiers : « Un obus avait éclaté entre les jambes de son cheval et lui avait emporté le pied. L’amputation de la jambe avait été jugée nécessaire. Le général l’avait subie avec le courage d’un vieux soldat. Deux jours après il succombait aux suites de l’opération » " , Le Monde Illustré : 17/12/1870. " On le transporta chez lui. Il vécu quatre jours encore, sans même se douter qu'on lui avait coupé la jambe, entêté à lire les journaux pour connaître les nouvelles, presque toujours en proie à un délire terrible dans lequel il accusait constamment le général Trochu qui était devenu sa bête noire et le couvrait d'injures —Herisson... " ; source] qui fut tué à Montmesly en couvrant la retraite, était un vieux soldat d' Afrique, renommé pour sa bravoure et pour l'affection paternelle qu'il montrait aux troupiers. Ceux-ci l'en avaient récompensé par un sobriquet glorieux : ils l'appelaient " Renaud " l'arrière-garde ".
Ce héros mourut comme il avait vécu : face à l'ennemi. Son corps fut ramené à Paris, et le gouvernement de la Défense lui fit des obsèques solennelles, aux frais de la Nation.
Le même jour tomba Franchetti [Leone Guiseppe, 1834-1870 ; " Engagé volontaire en 1855 au 1er régiment des chasseurs d'Afrique, Léon joseph Franchetti était sous-officier au début de la guerre d'Italie. [...] il donne sa démission pour se marier. Une vie nouvelle s'offre pour lui, il devient père de famille et s'associe aux grandes affaires industrielles, quand soudain éclate la guerre. Fin août Franchetti se rend au Louvre où il est très chaleureusement accueilli par le gouverneur de Paris et par MM. de Chabaud-Latour qui approuvent son idée de monter un corps de cavalerie. Le général Trochu lui dit : " Amenez-moi dans la cour du Louvre un peloton de volontaires monté et équipé, et je vous donnerai sur-le-champ un service d'honneur." Le lendemain, 27 août 1870, grâce à une publicité dans la presse, il y avait déjà dix inscriptions reçues. [...] Bref, le 30 août, l'escadron des Volontaires à cheval se réunit pour la première fois, à 9 heures du matin, derrière le Palais de l'Industrie. [...] [il] put réunir, le 4 septembre, quarante-huit cavaliers montés, armés et à peu près en tenue militaire. [...] est tué le 1/12/1870 lors de la bataille de Villiers... " ; source] le chef des éclaireurs qui ont porté son nom. C'était une troupe d'élite, montée et formée en grande partie de jeunes gens ayant quelque fortune, qui avait payé leur équipement et fourni leur cheval. Le gouvernement reconnaissant les services qu'ils rendaient pour éclairer l'armée et pour combattre avec elle, leur avait accordé, par exception, une subvention de trente mille francs. Ils avaient un joli uniforme : dolman noir, képi et culotte écarlate : le carabine Snider à l'épaule ; le sabre et les pistolets. Ils ont été forts utiles.
Leur chef était tout jeune, d'une belle et crâne figure de cavalier, très brun, très mince. Il est tombé d'une balle au front [autre version : " Bientôt les munitions manquent à notre première ligne de tirailleurs embusqués dans un plis de terrain à petite distance des murs du parc de Villiers. Le général en chef envoie quelques éclaireurs de son escorte avec le commandant Franchetti pour prendre des cartouches dans les caissons près du village de Bry. Placées dans des sacs sur l'arçon de la selle, les cartouches sont rapidement distribuées par ces intrépides cavaliers aux tirailleurs les plus avancés. C'est en revenant d'accomplir cette mission que le brave Franchetti est atteint d'un éclat d'obus au moment où il entrait dans le chemin creux qui descend de Villiers vers Bry " : Ducrot, La défense de Paris]. Il a laissé une veuve et des enfants. Je crois que l'on s'est un peu occupé d'eux après sa mort. Mais la France a-t-elle payé toute sa dette? Je ne le pense pas.
Pierre Hippolyte Publius Renault, 1807-1870
Portrait de Léon Franchetti, 1834-1870, commandant des éclaireurs à cheval, 1872 ; sculpteur : David d'Angers, Robert, 1833- 1912. Source
Il faut que dans des circonstances les plus tragiques, toujours quelque incident inattendu vienne donner la note amusante. C'est au milieu de ces évènements de guerre et à la veille de se rendre au fort de Rosny [Rosny-sous-Bois, Seine-Saint-Denis ; devenu depuis le site emblématique de la Gendarmerie, il accueille, depuis 2018, l'Agence de la Sécurité des systèmes d’information, Anssi] pour suivre les premières opérations de l'armée, que le général Trochu fit à ses collègues la communication suivante, dont les journaux de l'époque firent, cela va sans dire, de nombreux échos et articles :
" On venait d'apporter au gouverneur de Paris, un faucon belge, comment savait-on qu'il était belge, qui s'était rendu coupable de l'assassinat de cinq pigeons voyageurs, pas un de plus, pas un de moins!, et qui, après les avoir tués, s'était repu de leur cervelle. "
Je ne sais ce que le gouvernement décida de faire du meurtrier ; s'il le mit à mort ou l'envoya au Muséum. un collectionneur l'aurait payé très cher...
L'a-t-on du moins fait empailler? — Mystère!
C'est à la même époque aussi que le gouvernement décida de payer aux femmes des gardes nationaux mobilisés qui prenaient part à la défense la somme de soixante-quinze centimes par jour. Leurs maris touchaient déjà 1 fr. 50 de solde quotidienne.
La guerre devenait un métier!... Qui sait de quel poids pesa cette question de solde à conserver sur les évènements qui suivirent la capitulation.
Aurions-nous eu la Commune, si cette masse énorme d'hommes armés et de ménagères alimentées par la Ville, ne s'étaient point vu menacés, du jour au lendemain, d'être privés de toutes ressources?...
Mais il est juste aussi de dire que la misère était bien grande, en ces ménages ouvriers que n'alimentait plus le travail de l' homme.
Toute industrie était naturellement arrêtée : il n' y en avait plus d'autres que celles qui avaient trait à la guerre.
Et ces femmes, ces malheureuses et admirables femmes de Paris, il fallait les voir, toujours vaillantes, après de longues stations aux portes des boulangers et des bouchers pour recevoir moyennant finances à peine de quoi empêcher leurs petits de mourir de faim, travailler encore, travailler sans cesse, pour assurer, s'il le pouvait, la maigre pitance du lendemain!...
X
" Ça commence! " — Les premières batteries prussiennes agissent contre les forts de l' Est et contre Avron. — Évacuation du plateau. — Effet produit sur la population. — À quand notre tour? — Emménagement dans nos casemates. — Le premier obus : " Vive la République! " — Histoire d'une dame et d'un curé.
C'est le 27 décembre, à l'aube, que commença le bombardement des forts de l' Est et surtout du Plateau d' Avron [le plateau est situé sur le territoire des communes de Rosny-sous-Bois, Villemomble et Neuilly-Plaisance. "...Nous dormions donc bien tranquilles sur l'assurance que le plateau d' Avron était une belle conquête, et que jamais les Prussiens ne l'arracheraient de nos mains. Le corps d'armée qui le gardait vivait également dans cette douce quiétude. Nos troupes y gelaient, car le froid était terrible, et le thermomètre, qui marquait huit ou dix degrés dans Paris, descendait à douze sur ce plateau ouvert à tous les vents ; mais de croire qu'on dût jamais être attaqué là, personne ne s'en fût avisé. Voilà qu'un matin, au petit jour, comme nos hommes se levaient innocemment pour vaquer à leurs occupations ordinaires, tout à coup retentit un bruit effroyable ; c'est une batterie, deux batteries, trois batteries qui tirent à la fois ; les obus se croisent dans l'air, avec ce sifflement particulier que les Parisiens ont appris à connaître, et ils tombent dru comme grêle sur le plateau ; ils éclatent sur cette terre durcie par la gelée ; c'est une trombe de fer et de feu qui passe, ravageant tout... " ; source ; raconté du côté prussien "... À l’aube du 27 Décembre ont été abattus les derniers arbres et buissons qui ont caché aux français les préparatifs, la constructions des batteries et la mise en place des canons. Malgré une forte chute de neige qui empêchait la visibilité , le Colonel Bartsch a donné l’ordre d’attaquer et d’ouvrir le feu . À 8h30 ,il y avait des éclairs tout au long de la ligne. Pour la première fois les lourds canons devant Paris ont élevé leur terrible voix et ont envoyé leurs obus aux défenseurs totalement surpris du Mont Avron. Bientôt ont répondu les batteries du Mont Avron, l’artillerie des Forts de Nogent, Rosny et du retranchement de Fontenay. Les conséquences étaient relativement insignifiantes pour nous, tandis que l’artillerie allemande qui pilonnait tout le haut du plateau du Mont Avron causait d’importants dégâts à l’ennemi. En haut de ce plateau était positionné la Division d’Hugues et dans leurs rangs éclataient nos obus et en peu de temps ils ont déchiqueté 10 officiers et plus de 100 hommes. La position était intenable pour les français et la division totalement dispersée cherchait la protection derrière les tirs du Fort de Nogent. Le bombardement a continué toute la nuit entrecoupé de quelques pauses. Le 28 Décembre le feu des Français diminuait pendant que les projectiles allemands éclataient sur le plateau du Mont Avron avec grand succès grâce à la précision des tirs rendue possible par un temps devenu plus clair... " ; source], que nous occupions depuis le 28 octobre. Les Allemands avaient enfin réussi, en deux mois, à traîner jusqu'à Paris et à monter sur plateformes leurs fameuses pièces d'acier de Krupp. Franchement, ils y avaient mis le temps! Et nous en aurions dit de belles, si les rôles avaient été renversés, à des ingénieurs et à des généraux qui n'auraient pas été plus expéditifs que les leurs!
En bombardant Avron, ils voulaient rendre intenable une position qui attestait le demi-succès que nous avions remporté dans la grande sortie vers la Marne. Ils voulaient aussi empêcher que nous puissions trouver là un point d'appui pour les opérations subséquentes. En fait, ils ne pouvaient songer à s'y établir à leur tour solidement [en fait, les Prussiens ont bien essayé d'occuper le plateau, après le départ des Français mais, pris sous les tirs des forts de Nogent et de Rosny, ils y renoncèrent].
« Batterie française abandonnée sur le Mont Avron ». On y reconnaît parmi les corps enchevêtrés, des uniformes de zouaves et d’infanterie ; gravure peu connue. Source
C'est Trochu lui-même qui a raconté au conseil de gouvernement [article du côté prussien : « Le gouverneur de Paris , le Général Trochu , est venu en personne sur le Mont Avron pour se convaincre que la position n’était plus tenable. Il donna alors l’ordre aux troupes françaises d’abandonner la place. Le Colonel Stoffel, connu pour son action contre l’armée prussienne, fit exécuter cet ordre avec énergie. Les chevaux emportaient péniblement les lourdes pièces d’artillerie sur des chemins gelés bombardés par nos obus. Les soldats de la marine s’attelaient également devant les canons et pour les emmener. Le matin du 29 décembre tout le matériel avait été évacué par les français et notre division de l’armée de la Maas, s’étant avancée sur le haut de la colline y trouvèrent un grand nombre d’obus de modèles différents et seulement un canon inutilisable... " ; source], deux jours plus tard, le 29, quels effets avaient produits cette première manifestation de la grosse artillerie de l' assiégeant.
"... Il est tombé sur les trois forts visés et sur le plateau, dit-il à ses collègues, des obus de cent kilos et il a été lancé plus de quinze mille projectiles sur Avron ; mais toutes les pièces qui se trouvaient sur cette position ont été sauvées dans la nuit, sauf une seule... "
Le pieux général se rendait coupable, en disant cela, d'un léger mensonge par exagération. la vérité, que le bon sens à lui seul indique, c'est que les pièces Krupp, qui tiraient encore assez lentement, n'ont guère pu, en douze heures, envoyer plus de quinze cent obus — et non quinze mille. C'était déjà beaucoup, j'en conviens, étant donné surtout qu'il gelait alors à douze degrés environ au-dessous de zéro et que, sur le sol extrêmement dur, toutes les fusées percutantes des Prussiens éclataient correctement, ce qui ne leur est guère arrivé chaque fois qu'ils tiraient par un temps de dégel, le petit bouton de cuivre fileté qui terminait la pointe trouvant alors noyé dans la boue et le percuteur ne fonctionnant plus.
Quoiqu'il en soit, on dut, en effet, évacuer le plateau et je me rappelle l'impression produite sur la population fut des plus tristes. Parmi les soldats blessés en cette circonstance était un de mes amis, Alfred Boas [1846-1909, ingénieur de l'École centrale des Arts et Manufactures], devenu par le suite un grand industriel parisien, et qui eut l'omoplate fendue par un éclat d'obus.
"... L’Est de ces fortifications est encore dans le territoire efficace du feu au milieu de cette chaîne s’élève la colline du Mont Avron qui domine la vallée de la Marne . Sa surface supérieure était couverte sur environ 400m par des maisons de campagne . Uniquement la partie nord-ouest était bâtie.". Source
Je n'ai pas rapporté ici les délibérations maintenant fort connues qui accompagnèrent, pour nos gouvernants, l'ouverture bruyante de cette phase finale du siège.
Il est bien plus intéressant de regarder, dans la ville même et surtout dans les faubourgs directement exposés au feu de l'ennemi, comment les plus simples citoyens, les femmes et les enfants, accueillaient la pluie de fer si longtemps attendue.
Justement, j'eus le 30 décembre une occasion de faire en détail cette observation. Envoyé à la porte d' Italie et ensuite à la porte Bel-Air, à deux pas, comme on voit : je partais du Point-du-Jour et il n' y avait pas d'omnibus, pour porter aux commandants des secteurs du Sud et de l' Est des communications du colonel Hellot, je parcourus à pied, pendant toute la journée, des quartiers où il était tombé des obus.
À suivre
Charles Laurent, Ce que Paris a vu, Souvenirs du Siège de 1870-1871, Albin Michel, 1914, pp. 92- 112.
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