LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DE L'U.E. SERA CHINOISE OU NE SERA PAS

 La démarche de l'U.E. pour s'éloigner des produits chinois dans sa " course à l'armement " vert, visant à réussir sa transition, avance de façon chaotique, semblable à un canard sans tête, et concerne des secteurs déjà très désavantagés.
  Cela me rappelle les paroles d'un entraîneur de football qui affirmait, à propos des progrès de ses joueurs : " À un certain âge, il est inutile de se concentrer sur les points faibles; il vaut mieux renforcer les points forts. "
  À bon entendeur !...
 
  " La Commission européenne a annoncé l'ouverture d'une enquête sur des subventions illégales présumées accordées à des producteurs chinois d'éoliennes, alors que l'on craint que l'industrie nationale ne soit décimée par des importations bon marché. "
 
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Faciliter la transition écologique ou protéger les industries cleantech, un dilemme très européen






  Il est devenu commun d’en appeler à la mobilisation générale pour la réindustrialisation et la protection de la souveraineté européenne en utilisant l’impératif de la transition écologique pour subventionner les méga-usines de produits verts et les protéger de la concurrence « déséquilibrée » avec l’économie chinoise par des barrières douanières. Alertée par le doublement des importations de véhicules électriques venant de Chine, la Commission européenne a décidé depuis fin 2023 de réagir en lançant une première enquête antidumping concernant les fabricants chinois des véhicules électriques à batteries. Deux autres enquêtes ont suivi, sur les turbines d’éolienne terrestre en février 2024 et les panneaux photovoltaïques en avril 2024. Elles sont toutes centrées sur les estimations des subventions reçues par ces fabricants en vue de définir des droits de douane compensatoires.  D’autres mesures protectionnistes — norme de performance environnementale conditionnant l’attribution de subventions à l’achat, bonus écologique, norme de contenu local, permise par le récent Net Zero Industrial Act — NZIA — qui vise 40% d’un tel contenu en 2030, quotas d’importations — sont aussi envisagées.
  Mais toutes ces mesures vont contraindre la transition vers le « net zéro » en 2050, dont l’Union européenne, UE, se veut la championne. Elle se trouve confrontée à un dilemme fondamental entre, d’un côté, réaliser sa transition de la façon la plus rapide et efficace, ce qu’elle peut faire en privilégiant les importations chinoises de produits verts bien moins chers et, de l’autre côté, subventionner les productions locales et limiter l’accès aux produits chinois par des mesures protectionnistes qui renchériront le coût du processus de transition. La question est alors de savoir si on peut concilier les objectifs de la transition avec les impératifs de relance de l’industrie européenne ? Pour répondre à cette question, on s’appuiera sur les recommandations pragmatiques du récent rapport Draghi “ EU competitiveness[i] à propos de la poursuite de la décarbonation tout en promouvant la compétitivité de l’industrie européenne, en prenant deux cas emblématiques, le photovoltaïque solaire et les véhicules électriques à batteries.

Quid d’une politique radicale à « l’américaine » ?
  Seule une politique protectionniste vigoureuse et de subventions généreuses pourraient permettre d’endiguer efficacement le développement de ventes d’équipements verts, cleantech, d’origine chinoise dans l’UE. C’est la politique qu’ont choisie les États-Unis en 2024 en remontant à 100% les droits de douane sur les véhicules électriques et les batteries, et à 50% sur les cellules et les panneaux PV, tout en subventionnant largement les méga-usines par les crédits d’impôt prévus dans l’Inflation Reduction Act, IRA, d’août 2022. Cette détermination à sortir des règles de l’OMC Organisation mondiale du commerce ] et à ralentir la transition bas carbone résulte clairement de la priorité accordée à la géopolitique devant le double enjeu de contrer la puissance montante de la Chine et de découpler l’économie américaine de la sienne.
  Cette solution en noir et blanc est inadaptée à l’Union européenne qui n’est pas une puissance géopolitique. Ne cherchant pas le découplage de son économie avec la Chine, elle préfère se focaliser sur le de-risking, [ " La réduction des risques renvoie au phénomène des institutions financières qui terminent ou restreignent les relations d'affaires avec les clients ou les catégories de clients pour éviter, plutôt que de gérer, les risques. " Source ] en réduisant sa trop forte dépendance vis-à-vis de l’économie chinoise par la diversification de ses approvisionnements à l’aide de nouveaux partenariats et le contrôle des investissements dans les secteurs stratégiques. De même quand elle veut mettre des protections douanières pour « rééquilibrer la concurrence », elle s’en tient strictement les règles de l’OMC en lançant une enquête antidumping sur les subventions reçues par chaque entreprise chinoise exportatrice vers l’Europe pour définir ensuite une taxe douanière spécifique à chacune.
  De plus, compte tenu de la fragmentation politico-juridique de l’UE — considérée à plusieurs reprises par le rapport Draghi comme un frein à l’efficacité compétitive —, sa nature institutionnelle ne permet pas de mener une politique déterminée qui contourneraient les divergences d’intérêt et de conception des États-membres pour en décider. On vient de le voir avec la proposition de la Commission de hausse de la taxe douanière sur les VEB qui, avant d’être adoptée par le Conseil européen du 4 octobre, avait suscité l’opposition d’une quinzaine de pays menés par l’Allemagne et la Hongrie, ceux-ci voulant ménager les intérêts de leurs entreprises pour conserver l’accès au marché chinois et pour attirer les investissements des entreprises chinoises sur leur sol. Il a été finalement adopté après la défection d’une grande partie des pays réticents[ii].

Différencier l’approche selon les domaines
  Toutefois ne rien faire, quel que soit le domaine, revient à accepter les menaces sur l'emploi, l’activité industrielle et la sécurité économique. Mais, comme le propose le Rapport Draghi, partie A, p. 37, à propos des stratégies à développer dans le domaine des cleantechs, il faut différencier les secteurs de façon pragmatique en identifiant pour chacun le bon objectif et les moyens pertinents pour y parvenir sans rechercher la ré-industrialisation à tout prix dans chaque domaine et utiliser des moyens protectionnistes radicaux. Plusieurs cas de figure sont considérés par le rapport, dont deux concernent le photovoltaïque solaire et les véhicules électriques à batteries.
  Si, dans un domaine cleantech comme le photovoltaïque solaire, l’économie de l’UE est trop en retard industriellement pour rattraper son retard, autant profiter des importations de Chine si le domaine considéré n’est pas crucial en termes d’emploi, de cohésion industrielle et de sécurité, plutôt que s’entêter à développer des méga-usines qui ne seront jamais compétitives.
  En revanche s’il y a des tels enjeux, une stratégie pragmatique doit être considérée. « Dans un tel cas, lit-on, la combinaison efficace de politiques consiste à encourager les investissements de producteurs étrangers performants [ici les Chinois] à l'intérieur de l'UE tout utilisant les taxes douanières sur les importations s’ils bénéficient de subventions publiques ». C’est cette approche qui serait à appliquer au secteur automobile confronté au risque d’un déclin rapide résultant du passage accéléré à la motorisation électrique d’ici 2035.
  Il faut accepter que la Chine ait un avantage concurrentiel important dans les différents domaines d’équipements « verts ». Elle a pu développer cet avantage grâce à une politique industrielle de longue haleine. Les subventions ou les avantages que les producteurs chinois reçoivent de l’État central et des régions ne sont qu’un élément second de leur avantage concurrentiel actuel. Les droits de douane qui pourront être définis après estimation des subventions reçues par les producteurs chinois de véhicules électriques et de panneaux solaires par les enquêtes anti-dumping engagées en 2023 et 2024 ne peuvent être que modérés. Ils sont ou seront de l’ordre de 20%[iii], ce qui est loin d’être suffisant pour combler le fossé entre coûts chinois et européens.

Que faire dans le domaine du PV solaire ?
  Alors que la politique de transition de l’UE met l’accent sur le photovoltaïque solaire en visant un doublement de la capacité totale en parcs solaires et installations individuelles pour atteindre 600 GW en 2030, l’industrie européenne a une présence négligeable dans la production de cellules et de panneaux photovoltaïques alors que sa part du marché mondial était de 30% vers 2010.  Actuellement, les panneaux chinois arrivent en Europe à des prix deux fois moins chers que les prix de revient des producteurs européens. C’est d’abord le reflet des performances d’une industrie bien intégrée sur toute la chaîne d’approvisionnement à la suite d’une politique industrielle efficace. Elle assure en amont la maîtrise des approvisionnements en matériaux critiques et leur raffinage. Plus en aval, les entreprises chinoises combinent les bienfaits de l’intégration verticale depuis la production de silicium et des lingots jusqu’aux cellules et aux panneaux, avec les économies d’échelle permises par des productions dans des usines de très grande taille : de 3 à 10 GW-an.
  En face l’UE cherche depuis 2021 à reconstituer une industrie du photovoltaïque en encourageant le développement de grandes capacités de production, via les subventions autorisées dans le cadre du PIIEC — Projet important d’intérêt européen commun, plus connu sous le nom d’Alliance — qui lui est consacré[iv]. Une quinzaine de méga-usines représentant une capacité totale de production de 30 GW-an sont en projet ou en cours d’installation dans plusieurs pays[v]. En tout cas, aucune taxe douanière définie de façon raisonnée ne permettra de combler le fossé entre les coûts des producteurs chinois et ceux de ces nouvelles entreprises européennes. Si toutes les conditions idéales sont réalisées —installation rapide, coordination du développement des différents maillons de la filière [ce que ne permet pas PIIEC], prix préférentiel de l’électricité, coût de financement réduit, apprentissage rapide, etc. —, les coûts de fabrication de cellules et de panneaux en Europe seront encore à long terme de 25 à 35% plus élevés que les coûts des entreprises chinoises, selon les comparaisons effectuées dans un rapport de l’AIE de 2022[vi]. Ces conditions idéales ne pouvant être jamais atteintes, le surcoût restera très largement au-dessus de ces niveaux hypothétiques.
  Les méga-usines en projet ou en cours d’installation doivent recevoir des subventions à l’investissement de 25 à 30% de leur coût par les États-membres et les fonds européens, soit un total de 10 milliards d’euros environ si toutes sont réalisées[vii]. C’est sans parler des subventions qui seront associées aux marchés publics qu’il faudra réserver aux panneaux produits en Europe, et du bonus écologique dont pourront bénéficier les ménages et les entreprises pour équiper leurs installations individuelles de panneaux européens. Mais ne serait-il pas temps de s’interroger sur l’intérêt d’une telle politique et de réévaluer les objectifs du PIIEC[viii] ? Le photovoltaïque solaire est l’illustration la plus marquante de l’absence de mise en cohérence de la politique climatique ambitieuse de l’UE avec des objectifs industriels, que le rapport Draghi souligne à plusieurs reprises à regret. Il est bien tard pour regretter de ne pas avoir protégé l’industrie du photovoltaïque lorsqu’on a retiré en 2013 la taxe douanière de 50% qui avait été mise un an plus tôt, sous la pression de l’Allemagne qui voulait préserver ses exportations de machines-outils et de véhicules haut de gamme.

Véhicules électriques, vers des rapports équilibrés avec la Chine ?
  Dans ce domaine, les constructeurs chinois proposent des véhicules présentant un rapport qualité/prix attractif, résultat à la fois de l’efficacité d’une chaîne d’approvisionnement bien intégrée, de la productivité des méga-usines de batteries ou d’assemblage de VEB, et de leur capacité d’innovation en matière de conception et de fabrication de véhicules. Partis en retard sur les grands fabricants de batteries coréens et japonais, ils les avaient déjà largement rattrapés dès la fin des années 2010. Ils dominent désormais le marché mondial des batteries avec 80% de parts de marché, ainsi que celui des des matériaux et composants, cobalt raffiné, graphite, anode, cathode, cellules, en proposant des prix les moins chers. BYD, le premier producteur chinois de véhicules électriques à batteries, vient lui-même de la production de batteries.
  Les coûts des véhicules électriques à batteries qu’ils produisent sont inférieurs de 25 à 40% à ceux des producteurs européens dans l’UE, ce qui leur permet de proposer des prix bas à l’export. Par exemple le modèle MG4 du chinois MG, groupe SAIC, le modèle Dolphin de BYD et l’ Omoda de Chery coûtent en Europe environ 10 000 euros de moins que la Megan E-Tech de Renault : 30 000 euros contre 40 000. Leapmotor va proposer un petit modèle, le TO3, qui est assemblé en Pologne, à un prix de 18 000 euros, ce qui fera sans doute de l’ombre à la nouvelle Renault 5 proposée à 33 000 euros.
  Les hausses des droits de douane proposée par la Commission de 17 à 20,7% selon les constructeurs — et de 36,3% pour le groupe public SAIC et sa marque phare MG — contribuera sans doute à « ré-équilibrer la concurrence » au regard des subventions reçues. Mais, comme beaucoup le soulignent, elles ralentiront fort peu les importations de VEB, car les constructeurs chinois font d’importantes marges sur leurs prix de vente en Europe. En revanche, étant donné leurs gammes beaucoup plus diversifiées, les classes moyennes européennes pourront avoir un accès à de nombreux modèles de véhicules électriques légers à des prix en dessous de 20 000 euros, ce qui est très positif pour la transition.
  Les relations commerciales avec la Chine ne devraient pas être mises en question. Les menaces de représailles brandies par principe par la Chine ne concernent pas les exportations de véhicules construits en Europe vers le marché chinois, notamment ceux de haut de gamme de marque allemande[ix]. Le maintien des marques européennes sur ce marché n’est pas menacé, de même que l’implantation d’usines d’assemblages de constructeurs chinois dans l’UE qui est déjà bien engagée[x]. À l’instar de l’accord qui avait été passé avec les grands constructeurs japonais dans les années 1980 dont la compétitivité menaçait les productions européennes, un accord avec les constructeurs chinois pourrait être passé, qui porterait sur l’autolimitation de leurs ventes et la pratique de prix minimaux comme celui qu’ils ont proposé en septembre à la Commission et qu’elle a refusé. Si le principe d’un tel accord est repris après le conflit actuel, il pourrait inclure des mesures facilitant le développement des usines d’assemblage dans l’UE, dans le cadre de co-entreprises entre constructeurs chinois et européens. Il en existe déjà plusieurs en Chine où les Européens peuvent bénéficier des innovations de leurs partenaires. « La collaboration des acteurs européens et chinois sera cruciale, lit-on dans le rapport Draghi, partie A, p. 48, pour que les premiers puissent être à niveau dans le domaine technologique sur les nouvelles batteries, la digitalisation des véhicules et la conduite autonomes. » Une telle relation de concurrence-coopération permettrait sans doute de limiter efficacement le déclin prévisible de l'industrie automobile localisée dans l'UE.
  En conclusion, s’il semble important de réindustrialiser et de rattraper la Chine dans les domaines de technologies vertes pour limiter une dépendance massive, il faut le faire avec discernement quant aux possibilités réelles de rattrapage et aux coûts qui seraient entraînés pour la transition vers le « net zéro » en 2050. La source des problèmes rencontrés par l’Europe dans bien des secteurs, notamment dans les domaines cleantech, est l’absence de véritable politique industrielle. Les recommandations pragmatiques du rapport Draghi permettraient de concilier la poursuite efficace de la transition et préserver au mieux les chances de l’industrie européenne face à la concurrence chinoise là où c’est jouable.


[i] Rapport Draghi, “ EU competitiveness: Looking ahead ”, Bruxelles, septembre 2024.

[ii] La proposition de taxe supplémentaire a été finalement adoptée à la majorité qualifiée, du fait de l’abstention finale de douze pays, Espagne en tête, qui étaient réticents, cinq pays ayant voté contre, l’Allemagne, la Hongrie, la Slovaquie, la Slovénie et Malte.

[iii] Dans le cas des véhicules électriques à batterie, ils s’ajouteront à la taxe actuelle de 10%.

[iv] Les PIIEC sont le premier instrument effectif de politique industrielle de l’UE. Ils offrent un accès plus facile et plus rapide aux différents fonds européens et aux aides des Etats-membres pour les projets d'investissement après un examen accéléré de leur compatibilité avec le maintien d'une « concurrence loyale » sur le marché européen. Le principe est de constituer des chaînes de valeur intra-européenne en favorisant la création de consortiums européens entre acteurs privés et publics, et entre laboratoires et entreprises industrielles. Ils sont donc plus connus sous le nom d’Alliances.

[v] Deux sont prévues en France, celui de 3,5 GW-an de la start-up Carbon sur le site de Fos-sur-Mer, et celui de 5 GW-an du consortium Holosolis en Lorraine

[vi] International Energy Agency, Special Report on Solar PV Global Supply Chains, décembre 2022.

[vii] En France, un total de 800 millions à un milliard d’euros devraient être accordé aux deux projets.

[viii] Certains initiateurs de projets commencent à s’interroger. C’est le cas de 3Sun, la filiale de l’électricien italien ENEL qui ralentit le développement de son projet de 3 GW-an sur un site sicilien, pour donner sa préférence à un projet d’usine de 6 GW-an en Oklahoma aux États-Unis pour profiter des crédits d’impôt de l’IRA et des prix de l’électricité deux fois moins importants qu’en Europe.

[ix] Elles concernent les industries agro-alimentaires — produits laitiers, viandes porcines — et les alcools de luxe.

[x] Leapmotor a ainsi installé une ligne d’assemblage en Pologne dans une plateforme de Stellantis, BYD est en train d’installer une usine d’assemblage en Hongrie qui entrera en service en 2025. Chery prévoit de construire une usine d’assemblage en Espagne et Dongfeng en Italie.
 

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