UNE NOUVELLE ÉTUDE SUR LE BRUIT DES ÉOLIENNES QUI TOMBE À PIC POUR LA FILIÈRE ET... L'ÉTAT

  Le 8 mars 2024, le Conseil d'État a annulé plusieurs dispositions, notamment celles concernant l'approbation du protocole de mesure de l'impact acoustique d'une usine éolienne, ainsi que les différentes versions de ce protocole. En mai de la même année, deux chercheurs renommés publient une étude qui propose de « repenser les nuisances sonores spécifiquement pour les éoliennes ». On ne peut s'empêcher de remarquer à quel point la nature est bien faite, n'est-ce pas ?
  Cette nouvelle approche, au-delà d'être une tentative de contournement de la décision du Conseil d'État ?, a eu pour effet de redynamiser la filière ainsi que son principal soutien financier, l'État. En effet, en s'appuyant sur cette étude, le lobby peut raisonnablement espérer que " si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change.  "* et ainsi, espérer réenclencher la marche avant. Pour l'État, ce serait l'opportunité d'éviter de mobiliser ses services pour élaborer un nouveau protocole et toutes les contestations qui ne manqueraient pas de se constituer, de la part des associations de riverains et du patrimoine. En somme, cette étude arrive à un moment tout à fait opportun !
 
DI LAMPEDUSA Giuseppe Tomasi, I896-I957, Il Gattopardo, [ Le guépard ] Milano, Feltrinelli, I ed. novembre I958.
 
 
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Les fondements du bruit éolien : faut-il vraiment changer la règlementation ?


  Nuisance sonore des éoliennes ? Le débat, relancé depuis peu, est l’occasion pour Bruno Ladsous et Fabien Ferreri, du Groupe expert bruit éolien, de rappeler la réglementation française et d’estimer si elle paraît à la hauteur des enjeux. 

   En mai 2024, deux chercheurs ont publié sur le site numérique The Conversation[1] un article « Nuisances sonores des éoliennes : faut-il changer de sonomètre ? », appelant à « repenser les nuisances sonores spécifiquement pour les éoliennes » et à remettre en cause la notion d’émergence sonore.
  Le « Groupe expert bruit éolien », signataire de la présente, regroupe les différentes compétences — acoustique, droit, médecine, normalisation, représentants d’associations de riverains — nécessaires pour avancer des propositions robustes afin d’apporter des solutions durables aux gênes dont témoignent les riverains.

De la démarche scientifique
  Une démarche scientifique se construit par une méthode permettant de comprendre et d’expliquer le monde qui nous entoure, généralement en plusieurs étapes : à partir de l’observation d’un phénomène et de la formulation d’une problématique, différentes hypothèses sont émises, testées puis infirmées ou confirmées, permettant alors de construire un modèle ou une théorie. Observation et expérimentation se conjuguent pour tester les hypothèses émises.
  Dans le domaine de l’acoustique environnementale, les émissions sonores et les niveaux de pressions acoustiques qu’elles génèrent se mesurent. En revanche l’émergence sonore, indicateur qui permet de caractériser l’apparition d’un bruit particulier dans l’environnement, ne peut qu’être calculée.
  Ce qui pose question, c’est la méthode de calcul proposée pour cet indicateur. Le manque de consensus sur cette méthode et les lourds enjeux, tant sanitaires pour les riverains que financiers pour les exploitants, ont fait échouer toutes les discussions depuis le 26 août 2011, bloquant l’élaboration d’une norme Afnor d’évaluation et de contrôle de l’impact acoustique des parcs éoliens.
  Pourtant, l’essentiel figure déjà dans une norme de référence, la NFS 31-010 « Acoustique —Caractérisation et mesurage des bruits de l'environnement — Méthodes particulières de mesurage » [2].

L’objectif à poursuivre doit-il être la protection des riverains ?
  La compétence des auteurs de l’article à émettre une nouvelle proposition n’est pas en cause, puisque l’un est professeur d’acoustique à l’université de Trondheim, Norvège, après avoir passé 15 ans au Céréma, agence d’État — conseil du ministère de la transition écologique, et son co-auteur continue d’exercer au Céréma, qui a contribué au retentissant échec de la mesure du bruit éolien en France[3].
  Cet article affiche pour objectif de limiter la gêne ressentie par les riverains d’éoliennes, mais l’on comprend à sa lecture que si ces riverains sont des êtres sensibles doués de raison, ils sont également en capacité d’intenter des recours au titre d’un trouble anormal de voisinage. Ce trouble pouvant être reconnu quand bien même le parc éolien serait conforme à la règlementation[4], l’objectif des opérateurs est de parvenir à une norme leur évitant de perdre du productible et des revenus par le jeu de bridages acoustiques.
  Retenons à ce stade que les auteurs ne contestent pas la réalité du bruit éolien, qui se caractérise notamment par l’importance des basses fréquences.
  Bénéficiant d’une révélation soudaine, les auteurs proposent de changer de thermomètre, ou plutôt de sonomètre, au motif que l’indicateur de référence appelé émergence sonore est « difficile à mesurer, mais aussi à modéliser pour prévoir la gêne ressentie par les riverains en amont des projets ». Pourquoi entendent-ils limiter cette proposition spécifiquement à l’éolien est un mystère, dès lors que l’émergence sonore est parfaitement définie dans la norme NFS 31-010, applicable à toutes les installations classées pour la protection de l’environnement, ICPE, émettant des bruits dans l’environnement, une norme qui fait ses preuves depuis plus de 60 ans.
  Une lecture attentive de l’article comportant notamment la mention que « le respect des valeurs limites d’émergence sonore ne garantit pas, à long terme, la conformité d’un parc éolien pour l’exploitant du parc, car le niveau de bruit résiduel peut varier au cours du temps » permet de comprendre qu’en réalité l’objectif de cette remise en cause est de faire accepter aux riverains un environnement sonore plus impactant pour leur santé et leur tranquillité.
  On n’ose imaginer que cette innovation pourrait constituer aux yeux du ministère une « porte de sortie » après l’annulation par le Conseil d’État des protocoles de mesure du bruit éolien.

La règlementation en vigueur est rationnelle et objective
  La règlementation en vigueur — code de l’environnement et code de la santé publique — repose sur un bouquet d’indicateurs comportant trois composantes cumulatives : le respect d'un niveau sonore global maximum sur le périmètre délimitant une propriété, le respect d'un seuil d’émergence en dB(A) dans la zone à émergences réglementées, et la recherche de tonalité marquée du bruit de la centrale éolienne par mise en évidence de la prépondérance éventuelle d’une composante fréquentielle.
  L’émergence elle-même est la modification temporelle du niveau du bruit ambiant, ou bruit de l’environnement, induite par l’apparition ou la disparition du bruit particulier de l’ ICPE. Cette modification porte sur le niveau global, mais également sur le niveau spectral du bruit mesuré dans une bande précise de fréquence.
  Le code de la santé publique a, de son côté, fixé des valeurs limites d’émergences en niveau global et en niveau spectral[5], selon des fréquences permettant de faire la part entre un bruit naturel, tel qu’un chorus d’oiseaux matinal, et un bruit industriel et, ainsi, de qualifier l’incidence de ce dernier pour la protection de la santé de l’homme et la tranquillité du voisinage.
  Les auteurs regrettent que seules l’Italie et la France aient retenu comme indicateur central des valeurs limites d’émergence sonore. Pourtant, cet indicateur, mentionné dans les directives de la Banque mondiale, est au cœur des recommandations de l’OMS et de la direction générale de la Santé en France, étant rappelé qu’il n’est pas unique quoiqu’au cœur du bouquet d’indicateurs évoqué plus haut[6].

Une étude rudimentaire, reposant sur des faiblesses méthodologiques
  Certes le contexte d’environnement sonore à l’origine de la gêne est propre à chaque individu, comme le reconnaît l’Académie de médecine[7]. Ainsi les sensations acoustiques varient-elles selon l’âge et la situation de santé de la personne. De même, son sentiment de gêne diffèrera selon sa situation contextualisée : à l’intérieur de sa maison ou bien dans son jardin ou encore sur son balcon, en période diurne ou nocturne, et en fonction des paramètres topographiques et climatiques de toutes natures de l’environnement dans lequel elle vit.
  Il reste toutefois indispensable de caractériser et dissocier objectivement et scientifiquement ce que l’on entend, quand on l’entend et dans quel contexte on l’entend. Ainsi, le bruit « réglementaire » d’une éolienne dans la nuit d’une zone rurale calme sera bien plus impactant pour le voisinage que dans une zone péri-urbaine ou sur le bord d’une autoroute, qui pourtant sont soumis aux mêmes réglementations.
  Or, à l’exception de l’âge et de la situation de santé, les paramètres cités ci-dessus imprègnent la règlementation en vigueur en ses trois composantes cumulatives. Cette règlementation répond à tous les cas de figure et à tous les biais associés aux matériels de mesure.
  Notre règlementation prend également en compte les caractéristiques techniques du bruit mesuré : permanent, cyclique, fluctuant, apparitions imprévisibles, sans oublier les éventuels bruits impulsionnels tels que le « wouff » au passage de la pale devant le mât qui crée une modulation d’amplitude ajoutant au bruit ambiant, toutes caractéristiques techniques essentielles qui n’entrent pas dans le questionnement subjectif réalisé en laboratoire exposé par les auteurs de l’article, c’est leur première faiblesse.
  La norme NFS 31-010 ne laisse aucune place à l’interprétation, en cela elle diffère de la tentative des auteurs visant à substituer aux notions objectives de bruit dans l’environnement et d’émergence acoustique le concept subjectif de sensation acoustique et de gêne associée à un niveau sonore total.
  Autre faiblesse, il ne peut être inféré la moindre conclusion robuste à partir d’études aussi rudimentaires, menées en laboratoire dans des situations hors sol, par surcroît sur une population numériquement limitée et dont on ne connaît pas la composition : âges, santé, niveau de stress courant.
  Enfin, corrélation ne vaut pas causalité ni même explication logique, surtout lorsque l’une de ses composantes est parfaitement subjective.

Respecter le droit en vigueur
  La France est un État de droit, qui a parfaitement défini d’une part ce que recouvre un trouble anormal de voisinage, d’autre part la méthodologie de mesure d’un bruit particulier distinct du bruit de l’environnement habituel.
  Ce serait donc fantaisie, sur un sujet aussi complexe, d’une grande sensibilité sociale, que de prétendre changer le thermomètre sur la base d’une étude subjective et somme toute rudimentaire, face à des méthodes éprouvées reposant sur une norme officielle et objective.

[1] David Ecotière et Guillaume Dutilleux, « Nuisances sonores des éoliennes : faut-il changer de sonomètre ? », The Conversation, 30 mai 2024 : ici.

[2] NFS 31-010, version 1996, en révision prévue fin 2024.

[3] Arrêt du Conseil d’État n° 465036 du 8 mars 2024, annulant avec effet rétroactif différents protocoles de mesure successifs : ici.

[4] Voir à ce propos le jugement de la Cour d'Appel de Rennes — 1ère Chambre—12 mars 2024 — N° 17/03596 : ici.

[5] L’absence des mesures spectrales revêt ici un caractère discriminatoire pour la préservation de la santé des personnes exposées aux bruits éoliens, dès lors que le ministère de la santé impose des limites d’émergences à ne pas dépasser pour les fréquences de 125Hz à 4000 Hz.

[6] Indépendamment du caractère exorbitant, non justifié, des seuils d’émergence définis pour l’éolien par rapport aux autres ICPE.

[7] Avis de l’Académie de médecine — 9 mai 2017 : ici.
 


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