Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XXII

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  Deux citoyens étant dans le café qui fait le coin de la rue des Bons-Enfants et de la rue Saint-Honoré voulaient chanter une chanson patriotique. Le limonadier, qui est aristocrate, n'a pas voulu qu'ils chantent chez lui ; ces citoyens lui ont dit : " Mais c'est du patriotique que nous chantons! - Cela m'est égal ; vous ne chanterez pas chez moi. " Ce qui a fâché ces citoyens, et, de paroles en paroles, ils se sont pris au collet ; mais d'autres citoyens les ont séparés. Ces deux citoyens lui dirent en s'en allant : " Va! aristocrate, tu mériterais bien que nous allions te dénoncer. "

Rapport de Perrière, W 112

  Viande. —[ "...La Révolution introduit avec la loi d’ Allarde du 2 mars 1791 et la loi Le Chapelier du 14 juin de la même année la liberté totale du commerce de viande. La corporation, c’est-à-dire le droit exclusif des maîtres bouchers, reconnus et patentés par leurs pairs, d’acheter, de tuer et de vendre, dans la capitale, les bêtes et tout ce qui en est issu, disparaît. Tout un chacun peut alors tuer des animaux où et comme il l’entend, et vendre la viande ou les peaux aux prix qu’il souhaite. En conséquence, de 1789 à 1802, le nombre d’étaux de bouchers passe de 300 à presque 1 0002, sans compter le développement désormais légal des marchands de viande à la sauvette, mercandiers, déjà présents illégalement avant la Révolution, et qui font pénétrer dans la ville des morceaux de chair prédécoupés à la qualité plus que douteuse3. Immédiatement aussi les prix renchérissent. On peut estimer qu’en deux ans, de 1791 à 1793, la livre de viande passe de 6 ou 7 sols à presque 304. La libéralisation est donc vécue en 1791 par la population parisienne, mais aussi et surtout par les bouchers parisiens comme une catastrophe, cause première de la pénurie et de la cherté... " ; source] L'autre jour, rue de la Montagne Sainte Geneviève, presque toute occupée par des bouchers, une femme se présenta chez l'un d'eux, faisant partie de la foule qui assiégeait son étal. Lorsque son tour vint d'être servie, elle demanda ce qu'il lui fallait de viande, et, calculant à quelle somme s'en élevait la quantité sur le pied du maximum, elle remit cette somme au boucher, et lui demanda si c'était son compte. " Non, dit l'homme. - Hé bien, répliqua la femme, si ce n'est pas le tien, c'est celui de la loi. " Et là-dessus elle se retira, malgré les cris du marchand de viande qui fut bien obligé de prendre son parti. Ce qui prouve que les nombreuses et criantes infractions à la loi du maximum viennent bien plus de la faiblesse des acheteurs que de la friponnerie et de l'audace des vendeurs, et que les uns ne doivent pas paraître moins coupables que les autres aux yeux de la loi.


1794 : repas républicain à Paris. Lesueur, Jean-Baptiste, 1749 -1826, dessinateur. Source

  Les hommes, de leur nature, n'étant malheureusement que trop moutonniers, et ne s’élevant au sentiment même de leurs droits et de leur intérêt que par l'exemple, la foule qui fut témoin de la fermeté et surtout du succès de notre héroïne, voulut absolument avoir la viande au même prix ; le boucher résista ; il y eut du bruit ; on envoya chercher la garde, et mon homme fut emmené et mit en prison. J'ignore quelle suite aura son affaire ; il faudrait pourtant intimider l'audace mercantile.
  Spectacle. — Pour rendre les spectacles ce qu'ils doivent être, disaient quelques citoyens, c'est-à-dire accessibles au plus grand nombre, utiles pour les mœurs et à l'esprit public et dignes en tout du peuple souverain qui les fréquente, il faudrait d'abord les purger de tout cet ancien attirail de police qui a survécu au régime avilissant des despotes, et, non content de régénérer les anciennes pièces, et dans les nouvelles, de n'en présenter que de dignes à la République, il faut encore en faciliter l'accès au plus grand nombre de citoyens possible par la diminution des prix, d'une part, et, de l'autre, en économisant le local, ce qui s'exécuterait en étendant la loi contre les accaparements jusque sur la location des loges, car assurément quand une loge de huit personnes est louée à des muscadins qui n'y viennent qu'au nombre de deux, quatre ou six personnes, je prive du spectacle six, quatre ou au moins deux personnes, et peut-être celles à qui ce genre d'instruction serait le plus salutaire.
  Gardes à monter. — Il s'élève à ce sujet, dans quelques sections, des plaintes amères de la part des malades que l'on veut forcer à se faire remplacer, ne pouvant faire eux-mêmes le service. Mais la situation d'un malade est déjà assez triste, assez dispendieuse, sans l’assujettir encore à de nouvelles dépenses. " D'ailleurs, disent les réclamants, je dois mes bras à la Patrie quand je me porte bien ; mais quand je suis malade, c'est la Patrie elle-même qui me doit des ménagements. " Et certes, ce serait donner peu d'encouragements à l'amour de la Patrie, que de prétendre que les citoyens lui doivent tout, et qu'elle ne leur doit rien. Oui, la Patrie doit ses plus tendres égards et ses premiers soulagements d'abord à ceux qui la défendent, et ensuite aux faibles, aux infirmes, aux vieillards, aux pères de famille. Des maximes contraires tendent à la subversion de la République.
  Enfin, en supposant que l'on obligeât les riches malades à se faire remplacer dans leurs gardes, ne devrait-on pas excepter de ce règlement un père de famille qui, ne vivant que de son travail et ne possédant pas un seul liard de rente ou de bien-fonds [immeuble, terre ou maison ; Larousse] se voit privé par le mauvais état de sa santé de ses moyens ordinaires de subsistance, sinon totalement, au moins en grande partie? Et, d'un autre côté, pour suppléer à ce vide d'hommes ou de moyens de remplacement, y aurait-il rien de plus juste que d'obliger les filles et les veuves aisées des sections à payer pour la sûreté et la tranquillité dont elles jouissent sans aucuns frais ou incommodité de leur part? Car enfin, c'est le riche surtout qui doit payer pour le maintien de l'ordre auquel il est plus intéressé que personne.
  C'est une question qu'il importe, plus qu' on ne pense, de décider au plus tôt, car les frais des gardes, [s'ajoutant] à ceux des maladies et à la misère occasionnée par la cherté excessive des denrées les plus communes, aggravant d'une manière terrible la situation du pauvre, et, comblant enfin la mesure, peuvent faire éclater un mécontentement contenu jusqu'ici par l'amour ardent de la Patrie et par l'espoir d'une prochaine amélioration.

Rapport de Pourvoyeur, W 112
Saint-Huruge428 [Victor Amédée de La Fage, marquis de, 1738-1801 ; "Après avoir renoncé à la carrière militaire il est enfermé par lettre de cachet au château de Vincennes et à Charenton puis se réfugie en Angleterre en raison d’un conflit d’ordre personnel avec l’intendant de Bourgogne. En 1789, il devient un des meneurs populaires de la Révolution. Se surnommant lui-même le « généralissime des sans-culottes », il participe à la guerre contre l’Autriche. Après l’été 1794, il devient nettement plus conservateur et participe à la chasse aux Jacobins. " ; source] était ce matin dans un café de la rue de la Comédie-Française, et disait que le comité révolutionnaire de son endroit était venu pour saisir ses propriétés à Saint-Huruge [village de Bourgogne, dans le département de la Saône et Loire, 71, au nord de Cluny ; il compte, aujourd'hui, 51 habitants], et il ajoutait que tous les comités révolutionnaires étaient tous remplis d'aristocrates, et qu'ils incarcéraient souvent bien des patriotes.


Victor-Amédée de La Fage, 1739-1801, marquis de Saint-Huruge

  Dans un groupe, au Palais, l'on observait qu'au moment où l'on avait arrêté Ronsin et Vincent429, plusieurs sans-culottes l'avaient été aussi. Ce n'est pourtant pas que ces deux citoyens jouissent d'une très bonne réputation dans l'opinion du peuple, notamment Vincent, depuis que les Jacobins ont refusé de le recevoir430 : l'on dit qu'il faut qu'il y ait quelque chose sur son compte. En général tous les individus chassés de la Société des Jacobins ont perdu la confiance publique.
  Un citoyen, dans un groupe, ce soir, disait qu'il n'était pas juste que les restaurateurs il leur soit permis d'avoir, malgré la disette de viande, chez eux, la moitié d'un bœuf, d'un veau, d'un mouton, tandis que des pères de famille ne peuvent point mettre le pot-au-feu chez eux lorsqu'ils ont leurs femmes malades, tandis que l'on ira faire une partie et manger les meilleurs morceaux chez les traiteurs. Ce citoyen demandait qu'il ne fût pas permis à un restaurateur d'avoir plus de viande qu'un autre particulier, et, s'il veut donner à manger, qu'il donne des haricots, des pommes de terre ; quantité d'honnêtes citoyens sont bien obligés d'en manger dans ce moment-ci. Tous ceux qui l'écoutaient l'approuvèrent très fort ; il n'y a que les gens aisés qui vont manger chez les traiteurs ; l'on y va souvent avec des filles pour se régaler ; tandis que le pauvre sans-culotte ne mange que du pain ; ils disaient que les sections de Paris devraient prendre cela en considération, et le demander à la Commune de Paris. Un citoyen disait que sa section avait pris un arrêté pour faire tomber toutes les marchandises, mais que, lorsque l'on a demandé l' exécution de cet arrêté, les procès-verbaux et les adhésions des autres sections se sont trouvés perdus, parce que la plupart des sections soutiennent les marchands : c'est du moins ce qu'observe le peuple.
  Les aristocrates, dit le peuple, ressemblent à une multitude de pigeons qui dévastent un champ ; il leur faut un épouvantail, et cet épouvantail est la guillotine.

Rapport de Prevost, W 112
  Un citoyen, passant sur le quai de l' École, fut attrapé dans les reins par le timon d'une charrette [longue pièce de bois ou de métal située à l'avant-train d'un véhicule ou d'un instrument agricole et à laquelle on attelle une ou plusieurs bêtes de trait]. Il tomba à terre, et à l'instant fut relevé par des citoyens qui passaient ; sans cela il eût été écrasé. Les charretiers ont actuellement l'habitude de monter dans leurs charrettes, et quelquefois de faire courir leurs chevaux tant ils ont des jambes ; il serait très urgent d'empêcher qu'ils puissent monter dans leurs charrettes, car journellement il y a des citoyens d'écrasés par l'imprudence des charretiers.
  Les ouvriers se plaignent fort de ce qu'ils ne peuvent plus aller dans les auberges y prendre leur repas ; les aubergistes renchérissent journellement de prix ; il y a quelques jours ils avaient à dîner pour 10 sols, et à présent il leur faut donner 15 sols, y compris le pain.

Premier rapport de Rolin, W 112
   On se plaint qu' Hébert soit encore revenu dernièrement431 sur les prêtres déprêtrisés. " Il semble, dit-on, qu'il prenne plaisir à révolter les esprits contre cette classe d'hommes dont il est auteur des désordres. Après les avoir contraints à se déprêtriser, il cherche à les faire détester pour avoir été ses dupes. " Mais on ajoute que sous peu on pourra dire, parlant de sa personne : Ecce homo [" Voici l'homme ", représentation de Jésus-Christ comparaissant devant Pilate ; Larousse] ; que le voile dont il s'est revêtu, que le masque qu'il a emprunté sont usés, qu'ils ne pourront résister à la lessive qu'on lui prépare ; et qu'il sera connu pour ce qu'il est, et non pour ce qu'il devrait être. [" Paris, le 24 mars [4 germinal] Le plus grand désarroi règne chez les patriotes parisiens. Ils ne savent plus à qui faire confiance après la mort des Hébertistes, accusés d'avoir trompé le peuple. Une foule nombreuse était venue assister à ces exécutions. Elle n'a pas hésité à huer Hébert, qui était tellement chancelant qu'il a fallu le soutenir pour l'aider à monter sur l'échafaud. [...] La mort sur l'échafaud du tonitruant Hébert dont les articles orduriers du " Père Duchesne " commençaient à fatiguer le peuple, a inspiré cet " Impromptu sur le raccourcissement du Père Duchesne et de ses complices ", qui se chante sur l'air de Cadet Roussel :
Le père Duchesne est juré
D'être ma foi guillotiné,
Comme il sacre, jure et tempête,
De voir tomber sa pauvre tête,
Ah, ah, ah, mais vraiment,
Le pèr' Duchesne n'est pas content!
Son f..tu mâtin de journal,
Nous a bougrement fait de mal,
Qu'on le foute à la guillotine,
Et toute sa clique coquine.
Ah, ah, ah, mais vraiment,
Guillotinez-les proprement.
Le pèr' Duchesne était normand,
Il n'est pas éloigné de Caen.
Il se disait bon " sans-culottes ",
Mais ma foi, ce faux patriote
Prit, prit, prit le chemin
De la machine à Guillotin.
Source : Chronique de la Révolution, 1788-1799, Éditions Chronique, 1988, Paris, p. 411.]

  Les assemblées de sections sont toujours très tumultueuses ; mais, en dépit des intrigants, dont il y a toujours quelques graines de semées parmi les vrais amis de la Liberté, ces derniers vaincront, et écraseront ces insectes venimeux.
  Toujours la paix. De tous les côtés, les vrais patriotes et les aristocrates, tous voient approcher cette déesse, les premiers avec des transports de joie, et les autres avec des transports de rage et de colère. Ceux-ci traitent nos ennemis, émigrés et autres, de lâches, de traîtres, enfin de tous les épithètes diffamantes, au lieu que les premiers les considèrent comme des êtres faits pour dévoiler à l'univers entier la force et l'énergie des républicains français.
  On n'est pas du tout satisfait de la soi-disant rupture entre nos frères les Cordeliers [principaux membres : Danton, Desmoulins, Chaumette, Hébert, Marat,... ; battu par les Jacobins, le Club des Cordeliers devint une filiale de celui-ci, mais lui survécut ; il ne ferma que le 20 pluviôse an III : 8 Février 1795] et nos frères les Jacobins [principaux membres : Brissot, Laclos, Robespierre, Couthon, Saint-Just, Dumas,... ; le Club fut dissous en novembre 1794 : brumaire an III] ; mais on espère que les premiers sentiront le besoin d'une union parfaite sans laquelle il n'y aurait plus de République.

Dernière séance du Club des Cordeliers : [estampe] / [non identifié]. Source

     

 Clôture de la Salle des Jacobins. © Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
  
  On assure que nos troupes, tant de terre que de mer, se signalent en tout genre, que les pertes de nos ennemis sont incalculables, et que sous peu nous aurons lieu de crier : Vive la République!
  On a fait courir le bruit que Pitt est disgracié, que sa tête a été portée en effigie dans la ville de Londres432, et que bientôt les choses seront changées.
  On a donné pour note, il y a six semaines, que le citoyen Harant433, boulanger, rue des Vieux-Augustins, après avoir fait quelques fanfaronnades avec un bénitier et un goupillon, avait le lendemain trouvé sa maison nette de meubles, et ornée d'un pot de chambre et d'un goupillon ; mais cela est faux. Le citoyen Harant prit un ciboire [latin ciborium, du grec kibôrion, fruit du nénuphar ; Vase sacré, où l'on conserve les hosties consacrées, dans le tabernacle ; Larousse] dans la ci-devant église de sa paroisse, dans lequel il y avait des hosties qu'il donna à un chien. Le lendemain il était de noce. Le soir, son épouse sortit, et fut volée pendant sa sortie ; on ne lui laissa que ses meubles, mais point de pot ni goupillon.
  On se plaint toujours fort des sociétés fraternelles.

Deuxième rapport de Rolin, W 112
  Hier on a donné au théâtre de la République Charles et Caroline434. Cette pièce représente un M. de Verneuil épousant, sans l'aveu de son père, une demoiselle qu'il enlève et dont il a un enfant. Il vient à Paris, et un M. de Préval devient amoureux de Caroline, dont l'époux, sous le nom de Charles, s'est fait commissaire. Il découvre que Charles est le fils de M. de Verneuil. Il va trouver son père, et obtient son consentement pour le faire renfermer par le moyen d'une lettre de cachet, dont il a toujours une provision à son service ; etc. Cette pièce est plus digne que l'ancien régime que d'un régime républicain ; on n'y parle que de nobles ; les ministres sont censés surpris dans leur confiance, et par conséquent innocents du mal que l'on commet en leur nom, abusant de leur faveur ; etc. Le M. de Préval, nanti de lettres de cachet dont il sensé faire usage pour satisfaire ses plaisirs, etc., donna lieu à deux jeunes citoyens et à une citoyenne, tous trois bien couverts, d'assurer que, dans le moment présent, les Comités de salut public et de sûreté générale avaient des agents toujours bien fournis d'ordres en blanc, et signés des membres de ces deux Comités, avec lesquels ils arrêtaient qui bon leur semblait, et que souvent ils vendaient au dernier enchérisseur. Des citoyens prétendirent que cela ne se pouvaient pas ; mais ils assurèrent en connaître plusieurs, et dirent que, s'il fallait le prouver, ils n'iraient peut-être pas loin, ce qui fit beaucoup de sensation. Un citoyen ajouta qu'il y avait quelque temps qu'un de ces scélérats avait été condamné à vingt ans de fers pour faux témoignage, et qu'il lui avait été vu plusieurs ordres en blanc avec lesquels il trafiquait. J'ai fait l'impossible pour suivre ces deux citoyens, mais il ne me fut pas possible, vu la foule immense qui était au spectacle.
  Des citoyennes, épouses des ouvriers en armes de Maubeuge [au moment de la Révolution, cinq manufactures royales produisent des armes : Maubeuge, Charleville, Saint-Etienne, Tulle et Klingenthal, spécialisée dans les armes blanches. Ces ouvriers jouissent encore de " privilèges " , comme celui d'échapper à l'incorporation ou même d'avoir à loger les hommes de troupe ; la Révolution et l' Empire y mettront fin : les ouvriers seront soumis au même régime que tout citoyen, à la conscription, passibles de punitions militaires, etc. " Le Comité [ de Salut public] poursuivit avec une inlassable énergie l'exécution de ce vaste programme. Sa Section des armes, dirigée par Prieur, de la Côte-d'Or, coordonna les efforts. [...] La région du Nord prit une part active au grand mouvement national qui, sous l'impulsion du Comité de Salut public, devait sauver la Patrie en danger, et dont elle éprouva la première les heureuses conséquences. [...] Il fallait aux soldats des fusils. On avait résolu de créer à Paris des ateliers capables d'en livrer un millier par jour : chiffre supérieur à la production totale des nations ennemies ; quant aux fabrications déjà organisées en province, elles seraient conservées et même développées. Or, Maubeuge possédait une manufacture d'armes à feu, l'une des plus puissantes de France, et qui occupait naguère plusieurs centaines d'artisans. Mais, à l'approche des Autrichiens, la majeure partie des ouvriers s'étaient enfuis : quelques-uns s'étaient retirés à Paris ; la plupart avaient gagné les Ardennes et Charleville, dans l'espoir, vite déçu, d'y exercer leurs talents (2) ; ceux qui étaient restés dans la place, si l'on en croit un rapport du commandant au Ministre de la Guerre, poussaient à l'excès « l'ivrognerie et l'indiscipline » (3). [...] Dès le 23 août, il appelle de Maubeuge à Paris quatre canonniers, deux rémouleurs, un enculasseur, deux platineurs et deux monteurs, pour enseigner aux apprentie, de la capitale « les procédés reçus dans les manufactures établies ». Le 25, il réclame au Ministre de la Guerre la liste des armuriers de Maubeuge qui se trouveraient « à Paris ou ailleurs, et que Ton pourrait employer». Le 27, il décide que « 1.200 des ouvriers les plus instruits venus de Maubeuge à Charleville se rendront sur-le-champ à Paris... », en deux détachements qui recevront l'étape et le logement comme les volontaires nationaux (1)... ; source] établis ci-devant Carmes de la place Maubert, se plaignent de ne pouvoir point avoir de viande. Hier, elles assuraient être restées depuis trois heures du matin jusqu'à neuf sans en avoir pu obtenir un quarteron, ce qui paraît leur faire regretter d'avoir quitté leur pays. Aussi assurent-elles ne pas devoir rester longtemps à Paris.

Manufacture Royale de Maubeuge. Pistolet de Cavalerie et Dragon. Modèle 1763-66. Source

  La corruption, dit-on, est montée à son comble à la Salpêtrière ; les filles de cette maison ont banni toute pudeur ; on affirme qu'elles ne se donnent point la peine de se cacher du public ; les canonniers qui sont dans cette maison se corrompent au point que, s'il fallait s'en servir pour nos armées, sur cent on n'en trouverait pas trente capables de servir.
  Les jeunes gens appelés enfants de la Patrie, ci-devant la Pitié, sont aussi corrompus qu'on puisse l'imaginer. Hier, au jardin national des Plantes, ils se permirent d'y chanter des chansons les plus obscènes, ce qui fit murmurer le public. Leurs conducteurs n'en rougirent point. Des citoyens se permirent d'imputer la faute au citoyen Chaumette, de ce qu'il a obtenu qu'ils ne seraient plus corrigés435.

2 Ventôse an II436, 20 février 1794


Rapport de Bacon, W 112
  L'assemblée populaire de la section Guillaume-Tell, était extrêmement nombreuse, et il avait plus de quinze personnes à la porte, faute de places. On s'est occupé assez longtemps pour savoir quel nom la société prendrait dorénavant, sans que j'aie pu avoir le résultat. On a lu différents mémoires relatifs aux arts et à l'agriculture qui ont été unanimement très applaudis. L'esprit public m'a paru bon.
  L'assemblée populaire de la section de Bonne-Nouvelle était très nombreuse, et beaucoup de citoyennes aux tribunes. La séance a été un peu orageuse, relativement à des certificats de civisme, demandés par des hommes qui avaient leurs amis et leurs ennemis. Un membre du comité révolutionnaire a dit que, depuis quelque temps, les fédéralistes, qui avaient deux masques, cherchaient à payer du vin aux sans-culottes pour subtiliser leur bonne foi, et que ceux-ci n'avaient pas la force de leur reprocher leur scélératesse en pleine assemblée générale. " Méfiez-vous donc de ces vils aristocrates qui sont d'accord avec les agents des tyrans pour vous perdre. Croyez que Cobourg et Pitt ne guillotineraient pas les patriotes, mais les feraient écarteler. " Vifs applaudissements et on criait : Vive la République! Enfin il a été arrêté que, dans les assemblées générales, les patriotes formeraient une colonne pour repousser les modérés, et tous ceux qui ne disent mot dans la crainte de prendre part aux affaires républicaines, lorsqu'ils voudraient avoir des certificats de civisme : applaudi, applaudi. On a lu des arrêtés du Département, relatif aux jurés. J'ai observé qu'il y avait des hommes qui, sous le masque du patriotisme, cherchaient à mettre les citoyens de la société populaire en lutte avec d'autres citoyens du comité de surveillance.
  L'assemblée populaire de la section de l' Arsenal était très nombreuse. On a lu des mémoires pour le défrichement des terres, et pour occuper le malheureux, lesquels m'ont paru remplis de grandes vues : l'esprit public bon.
  On a arrêté ce soir un marchand de vin rue des Noyers, qui tenait tripot chez lui.
  À la porte Antoine, des ouvriers et des femmes, après avoir lu le Bulletin de la Convention, ont ensuite lu une affiche signée Pierre-Denis Rochez437, qui accuse Ronsin de le calomnier. Cette affiche lue, une femme a dit à une autre femme, devant tout le monde : " Que penses-tu de cela? que signifie ce linge volé à l' État-major? Cela signifie que c'est nous autres [pauvres] diables qui payons toujours tout ; car, lorsque ces citoyens employés à l'armée ont le ventre bien plein, ils son comme les chats, ils cherchent à s'égratigner ; et puis on finit par tout voir, par tout entendre. Convenons, disait toujours cette femme, que notre Convention et nous autres sont (sic) diablement trompés. " On lui a répondu : " Cela n'est que trop vrai ", et l'on s'est retiré. Telles sont les propres paroles que j'ai entendues.

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 214-224.

428. Cf. t. II, p. 117, note 2.
429. Cf. t. Ier, p. 281, note 2.
430. Allusion au débat qui venait de se dérouler aux Jacobins.
431. Semble-t-il dans son numéro 335.
432. Cf. t. II, p. 136, note 1.
433. Pierre-Denis Harant, demeurant 23, rue des Vieux-Augustins, était commissaire du comité révolutionnaire de la section du Mail. Il devait être emprisonné, comme ex-terroriste, du 6 prairial au 13 fructidor an III [25 mai-30 août 1795]
434. Charles et Caroline, ou les abus de l'ancien régime, comédie en cinq actes, en prose, de Pigault-Lebrun.
435. Visant précisément les enfants de la Patrie de l'hospice de la Pitié, Chaumette avait fait voter par le Conseil général de la Commune, le 27 septembre 1793 [6 vendémiaire an II], la suppression de la peine de fouet dans les établissements d'enseignement.
436. C. A. Dauban a publié dans Paris en 1794 et en 1795 des extraits des rapports du 2 ventôse de Charmont, appelé Charmant, Hanriot, Monic : non nommé.
437. Cf. ci-dessus, p. 135, note 2.

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