Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XXXII

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  Le café du théâtre de la Gaîté [" En 1789, Nicolet qui avait tenu haut son théâtre des Grands danseurs du roi meurt. Sa veuve le remplace et renomme le lieu : le théâtre de la Gaieté. La Révolution fait alors son œuvre. Dans la continuité de la fin des privilèges, l’Assemblée nationale décrète en 1791 la liberté des théâtres. Aussi, c’est une aubaine pour le le théâtre de la Gaieté qui saute sur l’occasion. Il reprend les grands classiques du répertoire français. Ainsi, les danseurs furent remplacés par les acteurs. En 1795, Ribié prit la direction du théâtre de la Gaieté. Il en profita pour changer le nom des lieux, en théâtre des émulations et lança le premier des grandes affiches pour annoncer ses pièces. Toutefois, cet exploitant de nombreuses salles et bals publics ne connut pas le succès sur le Boulevard du Temple. Il ne resta que quelques années... " ; source], sur le boulevard du Temple, est tous les soirs le repaire du libertinage, des escrocs et des tapageurs ; on ne peut y entrer sans être insulté, et il n'est pas de jour qu'on ne s'y batte, que des militaires fassent des dépenses considérables en liqueurs. Un gendarme nommé Dufour, y a pris dispute en présence d'un de ses officiers, a été tué rue de l' Antéchrist609.
  On ne peut se dissimuler, disaient quelques citoyens, qu'en général la viande, les légumes sont extrêmement rares ; mais les sociétés populaires, les assemblées générales des sections contribuent pour beaucoup à leur rareté, en ce que les membres y effrayent le peuple ; il en résulte que, le lendemain, les femmes, l'esprit frappé par la crainte de mourir de faim, parcourent les marchés, assaillent les portes des marchands grainetiers et épiciers, et enlèvent tout ce qui leur tombe sous la main. Le paisible casanier qui ignore tout ce qui se passe, et qui a reposé dans l'espoir de trouver sa subsistance, ne trouve plus rien, et est obligé, s'il ne veut pas tomber d'inanition, et voir pleurer ses enfants, est obligé de recourir aux traiteurs.
  Des citoyens arrivés du département de l' Aveyron ont dit que, s'il y avait 500 individus d'incarcérés, il y avait au moins parmi eux 450 patriotes ; que l'intrigue faisait mouvoir les autorités constituées ; et que, si on ne les renouvelait pas, l'aristocratie qui y régnait atténuerait les progrès que le républicanisme avait commencé d'y faire.

Rapport de Charmont, W 112
  Les portes des bouchers continuent d'être obstruées. Partout on se plaint de cette misère où les citoyennes paraissent réduites à se morfondre à ces portes dès les trois heures du matin, comme cela se fait aujourd'hui. On fut obligé de requérir la garde pour le marché à la volaille, où il y a eu de mauvais citoyens qui se sont permis de mettre le trouble.
  Un de ces ennemis qui a été vomi par soi-disant notre consul de Venise [" Au printemps 1793, le ministre des Affaires étrangères propose au Comité de salut public de fixer par une loi les modalités de recrutement et d’avancement des agents diplomatiques. Il en justifie la nécessité en ces termes : « Autrefois, les ambassades, les missions et les consulats appartenaient de droit aux favoris des ministres. C’est sur eux que se répandaient à pleines mains les gratifications et les indemnités, tandis que les agents subalternes avaient à peine de quoi subsister. Sous le régime de la liberté et de l’égalité, le mérite trouvera partout des chances favorables. Les services rendus, la probité, l’exactitude, le talent formeront des titres qu’il ne dépendra plus du caprice du ministre d’effacer » [...] Entre août 1792 et octobre 1795, sur les neuf nominations réalisées par le Gouvernement, cinq seulement furent effectives : Jean Tilly à Gênes, 10 mars 1793, François-Joseph-Michel Noël [1756-1841, préfet du Haut-Rhin] à Venise, 6 mai 1793, Jean-Baptiste Dorothée Villars à Gênes, 7 septembre 1794, Jean-Baptiste Lallement à Venise, 17 septembre 1794, et enfin, André-François Miot : 17 février 1795. Seul le remplacement à Gênes de Tilly, de sympathie montagnarde assumée, par le « thermidorien » Villars est une conséquence du coup d’État du 9 thermidor... " ; source], ayant, disait-il, des pouvoirs qu'il n'a jamais pu vérifier et portant le nom de Vincenti Formalioli610 et qui était détenu depuis deux à trois mois dans les prisons, a trouvé le moyen, pour la quatrième fois, de se sauver de la maison d'arrêt de Picpus, avait été réarrêté et conduit sur la section ci-devant Beaurepaire, s'est encore [évadé] cette nuit, en forçant la sentinelle qui était devant la porte du corps de garde de la rue des Mathurins. Toute la section est étonnée que le Tribunal révolutionnaire ne nous eût pas rendu justice de cette (sic) qui n'est autre chose qu'un espion, et dont toute la section va faire en sorte de le rattraper mort ou vif.


François-Joseph-Michel Noël, 1756-1841

  Encore un général611 de mandé à la barre, disait-on aujourd'hui au café Procope, pour avoir voulu rétablir les fortifications de Marseille. Comment est-il possible que cela soit autrement? C'est un ci-devant noble : c'est tout dire. Ce devrait être là le signal de chasser tous les ci-devants qui occupent encore des places dans nos armées, car, tant qu'il y en aura, ils feront, tout en faisant les patriotes, tout le mal qu'ils pourront. Tous les citoyens étaient de cet avis. Cela a donné l'occasion de faire en sorte que la Convention établisse dans chaque département une école d'instruction militaire et du génie, afin de ne plus avoir aucunement besoin des ci-devants.


Portrait de Jean François Cornu de Lapoype

  On répandait dans le public que sous trois mois l'ennemi du côté du Rhin aurait repris tout ce qu'il vient de perdre612, et qu'il serait maître d'une grande partie de l' Alsace, que nous avions encore dans nos armées des traîtres, qu'on les reconnaîtrait, mais qu'il serait trop tard. Chacun des citoyens qui écoutaient cela avait l'air de réfléchir et on répondait : cela pourrait bien arriver ; car, après tout ce que l'on voit, il semblerait que l'on veut nous reporter à l'ancien régime ; les trois quarts des habitants de la France disent qu'ils sont patriotes ; eh bien! ce n'est que de la langue, car à coup sûr, s'ils l'étaient comme ils disent, et surtout ceux qui font le commerce en tout genre, ils n'auraient point cherché à faire augmenter les marchandises et les denrées de toute nécessité comme ils l'ont fait, et le peuple ne serait pas à la peine où il est, au point, disait-on, que c'est une chose surprenante de ne le pas voir se soulever contre lui-même.
  Tels étaient les discours que l'on tenait aujourd'hui dans les groupes et dans plusieurs cafés. Le peuple attend en patience l'effet que produira sur l'esprit du marchand la nouvelle loi du maximum613.
  Deux charcutiers ont été mis en prison hier pour avoir vendu de la graisse mauvaise, et que plusieurs citoyens en ont été incommodés. Il est de fait qu'il faut que les ouvriers aient bien besoin de manger pour acheter chez les charcutiers qui, par leur saleté personnelle, annoncent directement de ne rien prendre chez eux.

Rapport de Dugas, W 112
  Le faux tarif du maximum614 qui a été vendu a induit plusieurs citoyens en erreur, en augmentant la difficulté des denrées. On n'a pas pu avoir, surtout, de la chandelle, parce que les épiciers ont cru qu'ils allaient la vendre à un plus haut prix ; il en a été de même de beaucoup d'autres objets.
  L'imprimeur de ce faux tarif a, dit-on, été arrêté dans la rue des Bons-Enfants, où il demeurait. On croit que les distributeurs le seront aussi.
  Les cuisinières les plus adroites se procurent journellement de la viande et en assez grande quantité. Les bouchers devraient être tenus de n'en délivrer que pour les malades sous la plus grande peine.
  Dans un groupe, à la Halle, on accusait la municipalité d'avoir acheté elle-même les haricots et les lentilles, et d'être cause qu'il n'y en avait plus.
  Dans les marchés, il y avait du poisson et des herbages, qui se vendaient toujours très cher.
  Rue Honoré, vis-à-vis celle des Frondeurs615, un boucher avait exposé de l'agneau à sa porte, il le vendait à raison de dix francs le quartier de derrière, et 9 livres celui de devant. C'était à raison, à peu près, de 50 sous la livre.
  La séance des Jacobins616 a été intéressante par l'arrivée en masse des députés de tous les départements, pour apprendre la fabrication du salpêtre. Fabre617, à la tête de cette députation, a fait un discours qui a réuni tous les suffrages.
  Une autre scène fort touchante s'est présentée. Une jeune citoyenne de quatorze ans, qui venait de l'armée du Nord, a raconté les actions de valeur qu'elle y avait faites. La manière dont elle s'est distinguée a été fort applaudie, et l'on a fait sur-le-champ une collecte qui lui a valu plus de 200 livres.
  Une députation des Cordeliers est venue renouveler dans le sein de la Société le serment du club de fraterniser toujours avec elle. Cette démarche, désirée par tous les bons Jacobins, a resserré de plus en plus l'union qui doit régner entre eux et les Cordeliers.
  On a annoncé que Robespierre et Couthon allaient de mieux en mieux618.
  Collot d'Herbois a pris la parole sur le décret rendu aujourd'hui, d'après le rapport de Saint-Just619, et toute la Société a exprimé sa joie d'un pareil décret. En général il a causé une sensation agréable dans Paris ; les patriotes, disait-on, sont à présents assurés de coucher dans leur lit.
  Le congrès des rois620, opéra en trois actes, attendu depuis longtemps, et joué sur le Théâtre lyrique de la rue Favart, a été sifflé d'un bout à l'autre, et, sans la bonne intention de l'auteur, la représentation n'aurait pas été jusqu'au second acte.

Rapport d' Hanriot, W 112

  C'est quelque chose de bien affligeant pour le patriotisme! Malgré toutes les précautions prises par la Convention et les comités sur les subsistances, les plaintes vont toujours en croissant. En parcourant les rues de Paris, je n'entendais que murmures de toutes parts. On reprochait aux bouchers de tuer des vaches et des brebis pleines. Quand on tue la mère et l'enfant, comment veut-on conserver l'espèce? disait une femme en courroux. Dans une autre rue, des poissardes assemblées élevaient la voix, criant beaucoup et allaient jusqu'aux menaces. Elles se plaignaient amèrement de ce que les voitures chargées de subsistances étaient toujours accaparées par les mêmes personnes à leur entrée dans Paris : " Nous connaissons là-dessus les arrêtés de la Commune, mais ils sont sans exécution ; témoin les œufs et le beurre envoyés dernièrement par la commune de Meréville621 : une seule section en a profité. "
  Un citoyen s'est approché en disant qu'il savait à n'en pas douter que les bouchers approvisionnaient pendant la nuit leurs bonnes pratiques, c'est-à-dire celles qui payent au-delà du maximum ; que c'était la cause principale du défaut de répartition, et que le moyen le plus sûr et le plus prompt pour déjouer une telle manœuvre, c'était que toutes les sections, à l'imitation de celle de l' Observatoire, fissent un recensement général des citoyens qui sont dans leur arrondissement, et de la quantité de viande que chaque boucher pouvait avoir chez lui.
  Un patriote liégeois disait dans un groupe, aux Tuileries, que les partisans du prince d'Orange [Guillaume V, prince d' Orange-Nassau, 1748-1802 ; "...Guillaume V assuma le poste de stathouder [chef du pouvoir exécutif d'une province ou de l'ensemble de l'Union] et capitaine général de l'armée des États néerlandais à sa majorité en 1766. [...] Une coalition d'anciens États-partis néerlandais régenten et démocrates, appelée Patriotes , défiait de plus en plus son autorité. En 1785, Guillaume quitta la Haye et transféra sa cour au palais de Het Loo en Gueldre , une province éloignée du centre politique. [...] a rejoint la première coalition contre la France républicaine en 1793 avec l'avènement de la Révolution française . Ses troupes combattirent bravement dans la campagne des Flandres , mais en 1794, la situation militaire se détériora et la République hollandaise fut menacée par des armées d'invasion. L'année 1795 fut désastreuse pour l' ancien régime des Pays-Bas. Soutenus par l'armée française, les révolutionnaires revinrent de Paris pour combattre aux Pays-Bas, et en 1795 Guillaume V s'exile en Angleterre. Quelques jours plus tard, la Révolution batave a eu lieu et la République néerlandaise a été remplacée par la République batave. [...] Guillaume V mourut en exil dans le palais de sa fille à Brunswick , aujourd'hui en Allemagne... ; source] pour mieux dire les ennemis de la République française, étaient très alarmés du décret de la Convention a porté, d'après le rapport sublime de Barère622, au sujet d'une paix plâtrée, dont ces messieurs se croyaient assurés, d'après les intelligences secrètes qu'ils entretenaient en France. Nos patriotes, en revanche, sont au comble de la joie, et leur dévouement à la cause de la Liberté se montre de plus en plus ; ils considèrent le décret de ne signer la paix que sur le tombeau des rois, et celui qui a rendu la liberté aux nègres623, comme des chefs-d’œuvres de sagesse et de justice.

Guillaume V, prince d' Orange-Nassau, portrait par Henry Bone, 1801

  Un patriote arrivant de l'armée du Nord vient de me donner les détails les plus satisfaisants sur nos armées dans toute cette contrée. Il m'a assuré que les troupes des tyrans coalisés n'étaient point de force à tenir devant la nombreuse armée républicaine ; son attitude fière et imposante, son ardeur pour la guerre, son serment de ne revenir du combat que chargée des dépouilles des rois, nous assurent d'avance les succès les plus brillants. " Sans doute que les Autrichiens, m'a-t-il dit, opposeront la plus vigoureuse résistance, qu'ils se battront par honneur pour rejeter ensuite leur défaite sur le sort des armes ; mais je les vois déjà lâcher le pied au premier signal du pas de charge et de la bayonnette en avant. D'ailleurs, l'impétuosité de nos braves républicains, cette irruption violente à la même heure et au même moment que l'on se propose, vaut infiniment mieux que cette guerre de tactique et de méthode qu'ils ont employée jusqu'à présent pour nous ruiner en détail. " Le langage de ce militaire, dans un café, n'a pas peu servi à nourrir la confiance.

Rapport de Le Breton, W 112
  Il y avait aujourd'hui, 8 ventôse, dans le jardin des Tuileries, beaucoup de groupes. Je me suis approché d'un, et j'ai demandé à un citoyen que voulait dire tout ce monde. Il m'a répondu que l'on discutait sur un décret prononcé par la Convention nationale624, qui exigeait que tous les membres des comités révolutionnaires dans l'étendue de la République, fussent des patriotes de 89, et que l'ont évinçât ceux qui ne produisaient des preuves de civisme depuis le 10 août 92. On allouait (sic) à ces mesures en disant qu'il était juste que ceux qui avaient suivi la Révolution pas à pas depuis son enfance fussent préférés à ceux qui s'étaient montrés plus récemment, en ajoutant que cependant les uns et les autres étaient susceptibles d'être examinés.
  Il a été amené beaucoup de femmes à la Mairie, que l'on dit avoir trouvées à la porte des bouchers et des marchands, faisant beaucoup de tapage, et tenant des propos inciviques. Plusieurs d'entre elles ont même continué d'en tenir dans le moment où on les conduisait.
  On disait du côté des Halles, dans un groupe, que ces jours passés on avait été sur le point de se battre, et que des femmes avaient crié : " Eh bien! puisqu'on veut du foutran [langue bretonne, pas de traduction en français], il n' y a qu'à commencer! ", et que la place s'était trouvée presque vide sur l'instant. Un autre ajoutait que la police se faisait trop bien à Paris, et que les sections étaient trop d'accord entre elles, pour ne pas aller au-devant des malheurs qui se préparent, et les administrations trop sages pour ne pas réprimer la fureur de ces femmes.
  Un citoyen, dans les cours de la Convention nationale, disait dans un petit groupe que tant que nous aurions du vin, le Parisien ne se plaindrait pas. Il ajoutait que l'on pouvait faire du vin, et que nous serions toujours contents ; que lui, du moins n'en demandait pas davantage. Les autres furent de son avis, et je les vis entrer dans un cabaret pour se maintenir dans leur satisfaction.

Rapport de Monic, W 112
  Dans un endroit où j'étais, l'on parlait de la société populaire de la section de la Halle-au-Blé. L'on disait qu'il y avait des membres qui influençaient si fort cette société, que c'en était dégoûtant. L'on disait que le nommé Fillion625, membre du comité révolutionnaire, en est un de ceux qui influencent beaucoup, et même un peu trop. Un de ses collègues ayant obtenu une place à l'administration des Postes, Fillion proposa à la société un citoyen pour le remplacer au comité révolutionnaire, et dit au président de mettre aux voix sans que la société eût pris aucune délibération. Le président mit aux voix ; le citoyen présenté par Fillion fut adopté. Ensuite Fillion dit à la société que le président et le vice-président de l'assemblée de la section devaient être nommés le lendemain ; il proposait Lefèvre626 pour président de la section, et Fleury627 pour vice-président ; ils furent de même adoptés par la société sans aucune délibération. Notez que le citoyen Fleury présidait la société populaire, et ne fit pas de difficulté de mettre aux voix les articles proposés par Fillion, puisqu'il devait être nommé vice-président, ce qui eut lieu le lendemain quintidi [cinquième jour de la décade, dans le calendrier républicain ; Larousse] ventôse. J'observe que de tels citoyens sont dangereux, surtout dans les comités révolutionnaires, ainsi que dans les sociétés populaires. L'on disait aussi que le citoyen Fillion était aussi despote qu'un intendant de l'ancien régime. Une citoyenne, malade depuis dix mois de la poitrine, fut au comité demander un certificat pour avoir de la viande pour se faire du bouillon. Le citoyen Fillion lui dit : " Fous le camp! Tu n'en n'auras pas. " Les voisins de cette citoyenne, indignés d'une pareille vexation, signèrent, au nombre de sept à huit, pour attester que la dite citoyenne était malade depuis bien longtemps, et une patriote irréprochable. À la fin on lui délivra un certificat pour trois livres de viande. Fillion demeure chez l'épicier, au coin de la rue des Deux-Écus et de la rue Mercier628.

Rapport de Perrière, W 112
  Vendée. — Un homme qui prétendait venir de ce département accusait de mensonges tout ce que ce jour là même les journaux avaient publié sur le nombre encore existant des rebelles. " Je ne sais, disait-il, comment on souffre à Paris de semblables faussetés ; ce matin même encore on avait l'effronterie de publier à la barbe de la Convention la prise de Cambrai629. " Un autre prétendait qu'il était à la Convention lorsque le représentant Carrier fit son rapport630 et qu'il avait réellement fait monter le nombre des rebelles à 20.000, la profondeur de ce cancer politique n'ayant jamais été bien connue. " Un troisième reprit : " Si ce mal est encore si grand, et si, par sa nature cachée, il peut le devenir davantage, comment peut-on donc, avec quelque sagesse, s'occuper de projets de conquêtes étrangères et prétendre anéantir les rois, lorsque leurs satellites occupent encore plusieurs de nos villes? Ce mouvement est beau, sans doute, mais il est déréglé, et c'est ici le cas d'appliquer le proverbe : Medice, cura te ipsum [locution latine : Médecin, guéris-toi toi même ] ; c'est un aveuglement de la part des gens simples, et une perfidie dans les gens plus éclairés. "
  Requête631 de Chaumette. — Sur la requête de cet agent national, que les citoyens propriétaires à Paris, qui occupent des maisons de campagne aux environs de Paris, soient obligés d'y rentrer, on a prétendu que le motif de cette réquisition était illusoire, parce que ces hommes sauraient bien se faire apporter les denrées de leurs maisons de Paris, comme ils savaient les retenir à la campagne ; qu'il serait cruel, sans une nécessité bien démontrée, de priver de leurs campagnes, pendant la belle saison, des citoyens pour qui elles étaient la récompense de leurs longs travaux et souvent un moyen de réparer leur santé délabrée, etc. On blâmait, dans Chaumette, une de ces opinions extrêmes qui affligent tant ses amis et donnent si beau jeu à ses ennemis [Jules Michelet disait de lui : " Fouine à museau pointu, propre à tremper dans le sang [....] parleur ingénieux et adroit, homme matériel et lâche qui n'eut jamais la force d'être un scélérat et garde un cœur. "] ; à côté de ce nouveau réquisitoire, on plaçait le règlement vexatoire632 sur les certificats de civisme, et les mesures cruelles contre les prêtres633, qui ôtaient à ces malheureux jusqu'à la ressource d'un art mécanique pour gagner leur vie. Les uns ne voyaient dans de telles propositions, à diverse époques, qu'un zèle ardent et indiscret ; les autres voulaient y trouver des desseins contre-révolutionnaires.



La déchristianisation de L'An II. Essai d’interprétation ;  , 1978, n° 233? pp. 341-371.


   Liberté de déplacement. — Deux jeunes ouvriers se plaignaient qu'ayant reçu une invitation de leurs parents de s' aller établir dans leur pays natal où ils trouveraient abondamment de l'occupation, et ayant, en conséquence, tout préparé pour leur départ, le Conseil général de la Commune leur avait refusé un passeport, quoiqu'ils fussent sans occupation à Paris et hors d'état de s'y tenir. Que veut-on faire de nous? disaient-ils . Quel droit a-t-on de nous retenir à Paris hors de notre pays natal, où nous pouvons être heureux, lorsqu’ici nous sommes dans l'indigence? On y craint donc quelques mouvements? On y appréhende donc l'arrivée de l'ennemi, ou du moins on se dispose à une nouvelle levée?
  Langage énergétique d'un citoyen. — La cuisinière d'une citoyenne lui étant venue annoncer, après son dîner, que l'on attendait dix-sept personnes à la guillotine634, [cette citoyenne] entra en fureur contre sa servante, lui disant qu'elle n'avait pas besoin de pareilles nouvelles ; si c'était pour lui aider à faire la digestion, ou pour l'amuser d'une semblable idée le reste de la soirée ; qu'elle ne prétendait point blâmer la justice nationale, mais qu'elle n'en voulait ni apprendre ni voir exécuter les arrêts.
  Un patriote vigoureux, qui se trouvait en sa présence, tire subitement son sabre, s'empare du plus jeune de ses enfants qu'il tient suspendu par le talon, et lève sur cet innocent l'acier homicide. La mère épouvantée pousse des cris. " Eh bien, dit le jeune homme, c'est le sort que préparaient à ton enfant les scélérats dont tu sembles plaindre la destinée, s'ils avaient pu avoir le dessus. " Cette femme fut si frappée de ce mouvement inattendu, et le danger de la Patrie lui rappela si bien le danger de ce qu'elle a de plus cher au monde, que loin de s'affecter du supplice des condamnés, elle en parut comme soulagée et rassurée dans les craintes qu'on venait de lui faire concevoir sur la vie de son enfant.

Rapport de Pourvoyeur, W 112


  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 343-355.

609. Sic. Nous n'avons pu identifier cette rue.
610. Formaleone ou Formaleoni, Vincent, né à Venise, âgé de 41 ans en l'an II, homme de lettres, venu en 1793 à Paris pour " coopérer à la Révolution ". Un dossier le concernant dans le fonds du Comité de sûreté générale, Arch. nat. F7 4709, renseigne sur ses incarcérations et inventions successives, dont la dernière est effectivement du 8 ventôse ; il n'était pas encore repris en prairial [mai-juin].
611. Lapoype [Jean-François Cornu de, 1758-1851 ; député du 9 mai 1822 au 24 décembre 1823 ; groupe extrême-gauche. ; source], mandé par décret du 7 ventôse [25 février] : Moniteur, réimp., t. XIX, p. 565.
612. Cf. t. III, p. 163, note 1.
613. Cf. ci-dessus, p. 325.
614. Cf. ibid.
615. Près l'ex Palais-Royal. Elle allait de la rue Saint-Honoré à la rue de l' Anglade.
616. Du 8 ventôse.
617. Il s'agit probablement du Fabre, officier d'artillerie, qui a joué un rôle de premier plan dans la fabrication révolutionnaire des armes : cf. C. Richard, Le Com. de sal. pub. et les fabric. de guerre sous la Terreur, à la table.
618. Cf. ci-dessus, p. 148, note 1.
619. Décret du 8 ventôse, des ennemis de la Révolution. relatif aux suspects incarcérés et au séquestre de biens des ennemis de la Révolution.
620. Par A. F. Eve, dit Maillot ou Démaillot, musique de Grétry, Méhul et deux autres compositeurs.
621. Seine et Oise. — Cet envoi avait donné lieu à une manifestation de solidarité au sein du Conseil général de la commune le 6 ventôse [24 février] : Journal de la Montagne du 7.
622. Il ne peut s'agir, semble-t-il, que de la première partie du rapport de Barère du 13 pluviôse [1 février] : cf. t. III, p. 273, note 2. Mais la Convention n'a rendu alors de décret ni contre une " paix plâtrée ", ni pour une signature de la paix sur le " tombeau des rois ".
623. Cf. ci-dessus, p. 7, note 1.
624. Allusion à la proposition faite par Danton, le 8 ventôse, de compléter le décret qui venait d'être voté sur le rapport de Saint-Just, cf. ci-dessus, p. 348, note 1, par un article additionnel prescrivant aux comités révolutionnaires d'envoyer au Comité de sûreté générale le tableau des membres qui les composaient ainsi que de leurs travaux révolutionnaires. La Convention décréta le renvoi, demandé par Danton lui-même, de cette proposition au Comité de salut public : Moniteur, réimp., t. XIX, p. 569.
625. Fillion, cordonnier, demeurant chez l'épicier Touvenin, rue des Deux-Écus, fut emprisonné à la Force, en même temps que Lefèvre, cf. ci-après, comme prévenu de menées séditieuses, le 3 germinal an III [23 mars 1795], par ordre du Comité de sûreté générale. Il fut remis en liberté, surveillée, le 19 thermidor [6 août] suivant : Arch. nat. F7 4707.
626. Lefèvre, revendeur rue des Vieilles-Étvuves, emprisonné à la Force, en même temps que Fillion, cf. ci-dessus, comme ex-terroriste, le 3 germinal an III, par ordre du Comité de sûreté générale. Il fut remis en liberté, surveillé, le 6 thermidor [24 juillet] suivant : Arch. nat. F7 477412.
627. Il ressort d'une pièce de ventôse an II [février-mars], Tuetey, Répertoire, t. XI, n°1504, qu'il était prénommé François-Marie, et faisait effectivement partie du comité révolutionnaire de la section de la Halle-au-Blé.
628. Donnant toutes deux rue de Grenelle-Saint-Honoré : rue Jean-Jacques Rousseau.
629. Par les Autrichiens, nouvelle sans fondement.
630. Le 3 ventôse [21 février].
631. Pus exactement : réquisitoire. Il avait été présenté à la séance du Conseil général de la Commune du 4 ventôse [22 février] : Journal de la Montagne du 6.
632. Allusion probable, à la réglementation compliquée, instituée par arrêté du Conseil général de la Commune du 12 frimaire an II [2 décembre 1793], pour la délivrance des certificats de civisme : cf. E. Mellié, Les sections de Paris pend. la Révol. franç., p. 206.
633. Allusion à l'arrêté du 3 frimaire [23 novembre 1793 ; ce jour ci, sur la recommandation de Chaumette, la Commune ordonne la fermeture de toutes les églises de la capitale] et à l'incident qu'il entraîna. Le rôle qu'y joua Chaumette a été, et pourrait être encore, l'objet de controverses entre historiens.

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