Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XXXI

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  Les inquiétudes sur les subsistances sont toujours les mêmes, mais on cherche en vain à tirer parti de cette circonstance pénible ; les malveillants se voient déchus de leurs criminelles espérances, leurs provocations séditieuses échouent contre l' attitude ferme et tranquille du peuple.
  On conduisait ce soir dix-sept criminels au supplice593, parmi lesquels on distinguait particulièrement un vieillard presque nonagénaire [quatre-vingt-dix ans], et si faible, qu'il a fallu, dit-on, le porter sur l'échafaud. Le peuple a paru très touché de ce spectacle. " Quel crime, disaient plusieurs personnes, a donc pu commettre un homme dans cet état de décrépitude? Pourquoi la caducité [état d'un acte juridique valable, mais privé d'effet par la survenance d'un fait postérieur à sa réalisation ; Larousse], qui approche si près de l'enfance, n'en partage-t-elle pas tous les privilèges? " Cette opinion m'a paru générale.
  On a été indigné de l'espèce de férocité avec laquelle l’exécuteur des jugements remplit ses fonctions. Il a saisi, dit-on, plusieurs de ces criminels avec une violence qui a révolté beaucoup de spectateurs.

Rapport de Le Breton, W 112
  Il existe actuellement, les soirs, dans le jardin des Tuileries, sous les fenêtres de la Convention nationale, des rassemblements ou des groupes qui, par la suite, pourraient devenir inquiétants. J'y ai entendu hier des motions faites pour alarmer l'esprit public, sur une disette prétendue. On se plaignait qu'à ce moment Paris manquait de tout, que c'était la faute des administrateurs qui mettaient la moitié du prix des denrées dans leurs poches, et qui haussaient les marchandises, ou au moins qui mettaient de la négligence aux approvisionnements de cette ville. D'autres prétendaient que la sécheresse de l'année dernière était cause de la disette des légumes et de la grenaille. Un autre, enfin, disait que le vin était ce que nous conservions le plus longtemps, en ajoutant : ils peuvent faire du vin avec du bois de teinture, du gayac [petit arbre résineux et odorant, zygophyllacée, des Antilles et de l'Amérique centrale, au bois très dur et très lourd employé en ébénisterie et pour faire des poulies, et dont on extrait le gaïacol ; Larousse] mais je leur défie de faire un bœuf. Un autre a quitté la scène comme moi en disant : " Toutes ces motions là sont faites pour inquiéter le peuple sur un avenir sinistre. " Il faudrait empêcher ces rassemblements.


Descourtilz, Jean Théodore, 1798-1855 ; Pérée, Amédée, 1799-1823 ; année de publication : 1833

  On travaille partout, et dans toutes les sections, à la fabrication du salpêtre. Chaque propriétaire ou locataire de cave se prête à ce travail et paye de sa bourse les ouvriers.
  On disait, dans un café, que l'intention des acteurs de l' Opéra était de faire tomber ce spectacle par un préjugé aristocratique qui était indestructible chez eux. Un citoyen nia cette dénonciation, en disant qu'il connaissait parfaitement l'esprit de tout ce théâtre, et qu'il n'y en avait pas un qui ne fût bon républicain.
   On disait aussi, dans la cour du Comité de sûreté générale, [que] à la levée des scellés chez Propagant594, notaire, qui avait été guillotiné pour émission d'argent dans le pays étranger, on avait encore trouvé beaucoup d'argent comptant chez lui.
  Il ne s'est rien passé de remarquable à l'assemblée générale de la section de la Fontaine-de-Grenelle.

Rapport de Le Harivel, W 112
  La proclamation faite aujourd'hui relativement à la fixation de l'époque où doit paraître le véritable maximum595 a détrompé beaucoup de monde induit en erreur par les crieurs de journaux, contre lesquels on appelait encore la surveillance de l'administration de police.
  Il y a eu des rassemblements, notamment au Palais-Égalité et sur le quai des Orfèvres : des femmes, en assez grand nombre, formaient dans ce dernier lieu des groupes où il se tenait des propos d'une telle indiscrétion que la garde appelée en a emmené plusieurs. Il y était question des subsistances, et des hommes et des femmes que l'on conduisait alors au supplice596. Les groupes du Palais-Égalité ont été dissipés assez adroitement.

Rapport de Mercier, W 112
  Des paysans s'entretenaient de la disette qui régnait à Paris comme partout ailleurs. Ils disaient : " Tant que Paris nous empêchera de ne rien pouvoir tirer de chez lui, nous serons de même à son égard, et nous n'apporterons pas même ce qui serait dans le cas de se gâter. " Ce discours avait lieu sur la place Maubert par des paysans qui avaient l'aire d'être de La Chapelle.
  Les citoyennes de la section de Mutius- Scævola crient beaucoup contre les commissaires qui composent le comité, vu la lenteur qu'ils mettent pour leur délivrer les bons nécessaires pour avoir du savon ou du bois ou du charbon. Elles disent qu'elles sont quelquefois six heures pour ne rien avoir.
  La foule était moins fatigante aujourd'hui dans les marchés et principalement au marché de l'Abbaye, où il a été distribué trois voitures de beurre et trois voitures d'œufs. Le peuple s'est rangé avec tranquillité et tenant en main leurs cartes de leur pain. L'ordre qu' y a mis le commissaire Déborde a fait que tout le monde a été content.
  Des citoyens s'entretenaient aujourd'hui de plusieurs maisons de détenus, entre autres celles d'Anglaises597, faubourg Antoine598, et de celle à Port-Libre599. Ils prétendaient que l'on ne surveillait pas d'assez près ces maisons que plusieurs s'y introduisaient en qualité de médecin ou de chirurgien600 ; tout en faisant leur visite prétendue, ils font le commerce d'intrigants en mettant le concierge dans leur confiance, qui les laisse passer adroitement tant qu'il leur fait plaisir de passer. Ce discours avait lieu au café Gibée601, sur les sept heures du soir.

Rapport de Monic, W 112

  Au café de la République, Jardin Égalité, plusieurs citoyens parlaient du manque de comestibles. Un citoyen dit : " La cuisinière du notaire qui demeure rue du Roule, près la rue Saint-Honoré, m'a dit que, si tout le monde faisait comme son maître, de bien payer les denrées, l'on n'en manquerait pas ; qu'elle venait de se procurer un cent d' œufs en le bien payant, qu'ainsi son maître disait que le maximum ne lui faisait rien du tout, qu'il payait la viande un bon prix : aussi il en avait toujours la même quantité et de la même qualité. "
  Un autre citoyen disait : " J'ai entendu dire à un restaurateur nommé Vauvilliers, qui demeure au Jardin Égalité, qu'il ne craignait pas de manquer de viande : il n'en manque pas non plus, car je viens chez lui, il en est fourni plus qu'un boucher. " Un autre citoyen dit : " J'ai vu un paysan venir proposer, dans une maison où j'étais, une liste d'un certain nombre de volailles, et autres objets, disant qu'il les lui fournirait, mais pour tel prix. Le maître de cette maison a dit qu'il n'avait qu'à les lui apporter, qu'il les payerait le prix qu'il y a sur sa liste. " Voilà, dirent plusieurs citoyens, comme les riches ne manquent de rien parce qu'ils payent le double du prix du maximum. Les traiteurs payent de même, et avec cela ils ont une nuée de monde chez eux qui vont chez les bouchers ; ils rapportent chacun ce qu'ils peuvent avoir, sans compter ce que les bouchers leur procurent en dessous main. C'est ce qui fait que les riches et les traiteurs sont bien fournis et que les sans-culottes manquent de tout.
  Sur les huit heures du soir, la force armée, avec des commissaires de la section de la Montagne, ont fait la visite de plusieurs caveaux où l'on donne à boire, au ci-devant Palais-Royal, tant pour les militaires, que pour les gens suspects. Ils ont emmené plusieurs particuliers ; ils auraient dû arrêter aussi les filles publiques qui vont là, car l'on ignore pas qu'elles y sont en assez grande quantité.

Rapport de Perrière, W 112
  Prix des denrées —Le riz vaut 24 sols la livre, et ne se trouve plus aisément. Une mère de famille en achetait six livres à une marchande, qui prétendait qu'il ne lui en restait pas encore la même quantité.
  La farine de gruau, nom commun du maïs, ou blé de Turquie, vaut aussi 24 sols le litron, et on l'avait pour 7 ou 8 sols.
  Ils ont fait une farine de pois sec qu'ils vendent également 24 sols, ce qui fait monter furieusement haut le prix de ce légume si commun.
  Le raisiné [confiture faite avec du jus de raisin ; Larousse], 24 sols ; les pruneaux longs à cuire, jadis 9 sols, actuellement 25 sols ; le miel ordinaire 32 sols ; le fromage de gruyère même prix ; les quatre mendiants ["...Les quatre mendiants sont tout simplement des fruits secs qui représentent les différents ordres religieux ayant fait voeu de pauvreté. Ces quatre ordres religieux, reconnus par le concile de Lyon en 1274 ont été également appelés "Ordres mendiants". Les quatre fruits secs disposés sur la table la veille de noël ont donc une signification religieuse mais même chez les non-croyants, il n'y a pas de fête de noël sans eux. Ils symbolisent la pauvreté, le jeûne, le carême. Ils sont là pour nous rappeler qu'une existence modeste est nécessaire pour profiter pleinement de la fête et de l'esprit de noël, pour être heureux des moments de bonheur simples que la vie nous offre et des personnes aimées qui nous entourent... " ; source], 40 sols. Je nomme tous ces objets, car enfin c'est par eux que le citoyen plus ou moins aisé doit suppléer à l'usage de la viande, et soutenir le carême républicain.


Les mendiants sont une partie des treize desserts de noël provençal. Source

  Soit que cette cherté vienne de la rareté de la chose, ou de la mauvaise foi du marchand, il faut pourtant convenir que le peuple en est lui-même un des principaux auteurs par la crainte des dangers de la famine qu'il s'exagère ou qu'on se plaît à lui exagérer, car il est bien certain que si, au moment où une denrée commence à renchérir ou à devenir rare, chaque citoyen, par la crainte d'en manquer, cherche à en faire des provisions, non seulement la distribution n'en sera pas égale parmi les particuliers, mais encore l'empressement et la foule des acheteurs et la quantité des demandes en fera arbitrairement hausser le prix par le marchand qui verra sa denrée ainsi recherchée. C'est une vérité qui vient d'être bien évidemment démontrée par la variation et l'augmentation subite du prix de la pomme de terre : dans l'espace de trois ou quatre jours, elle a valu, la blanche, 40 sols puis 30 sols et enfin aujourd'hui 3 livres le boisseau [ancien français boisse, mesure de blé, du gaulois bosta, creux de la main ; ancienne mesure de capacité pour les grains et autres solides granuleux, restée en usage au Canada et dans les pays anglo-saxons pour les céréales : bushel. Au Canada et en Grande-Bretagne, il équivaut à 8 gallons, soit 36,3 l ; aux États-Unis, il vaut 35,2 l ; Larousse] ; la rouge a suivi la même variation, mais toujours dans une proportion double ; le paysan, sa mesure à la main, dur comme un roc et fier comme un coq, semblable à un monarque au milieu d'une foule suppliante, a l'air d'accorder la vie aux imbéciles qui ont l'air de la lui demander. Il ne faudrait pourtant pas laisser le peuple se perdre ainsi lui-même par ses alarmes mal fondées, ni le marchand abuser de cette facilité à effrayer.
  Esprit des groupes. — Les propos étaient divers. Les uns parlaient de l'exportation des gens suspects : " C'était se donner bien de la peine ; il valait bien mieux en finir tout de suite par la guillotine ; d'ailleurs ils conjureront à la Guyane, ou serviront de renfort à nos ennemis. — Ne voyez-vous donc pas, disait un autre, que ce n'est que pour la forme, et qu'en route on les noiera? "
  D'autres parlaient de choses indifférentes ; mais les conversations roulaient principalement sur la cherté ou l'absence de denrées ; sujet heureux pour les aristocrates, parce que c'est un de ceux où le peuple oublie le plus aisément la gloire de sa Révolution pour ne s'occuper que de l'intérêt pressant de son existence, et parce que encore, au lieu de soupçonner des intentions perfides dans ceux qui lui parlent, il croit n'entendre que des frères qui le plaignent de sa détresse, et qui gémissent sur des maux qui lui sont communs avec lui.
  Le peuple s'attristait donc avec ceux qui l'attristaient ; mais il reprenait son courage et sa fierté avec ceux qui lui en parlaient le noble langage : " Que gagneront les aristocrates et nos ennemis, disait-il, par cette suite de difficultés qu'ils nous suscitent? Ils ne font que retarder leur chute et nous préparer un triomphe immortel, se rendre odieux à leurs partisans et nous attacher de plus en plus à notre but, que nous n'en devenons que plus ardents à poursuivre. "
  Plus loin, un malintentionné prétendait que sans viande l'ouvrier ne pouvait se soutenir. On lui répondit que les Pyramides d' Égypte, ouvrage immense, n'avaient été conduites à leur fin que par des ouvriers nourris de poireaux et d'oignons. Heureusement il ne sut pas faire la distinction du climat chaud de l' Égypte et de la température appétissante (sic) du Nord de l' Europe ; mais on pouvait toujours, et l'on n' y manquait pas, lui répondre victorieusement par l'observation contenu dans le rapport de Barère602 : que l'on pouvait bien, pour l'amour de la Liberté, et même pour son propre salut, se soumettre à des privations que l'on endurait sans peine, et pour un espace de temps double, par erreur et par superstition, et pour plaire à des saints sourds et muets ; et assurément ce n'était pas la classe des ouvriers qui respectait le moins les ordres insensés de la Cour de Rome. Mais il était visible que l'individu qui cherchait à rembrunir [devenir plus brun, plus sombre ; Larousse] l'imagination du peuple était un homme intéressé à tenir ce langage, car il étendait ses plaintes jusque sur le pain ; et, assurément il faut être de mauvaise foi pour ne pas convenir qu'il devient de jour en jour meilleur. Ce faiseur de mécontents se rejetait sur celui du faubourg Saint-Antoine, qu'il prétendait être très mauvais, et encore plus mal fabriqué. Et, sur ce qu'on lui objecta qu'il pouvait s'en plaindre au comité révolutionnaire de sa section, il fit une réponse qui achevait de le rendre suspect, à savoir qu'on serait loin de vouloir l'écouter sur cet article, puisqu'on n'avait pas même voulu lui changer sa carte de citoyen. Ce drôle portait en bandoulière un sabre qui, je suis bien sûr, ne lui servait pas ce jour-là, ni même d'autres jours, à monter la garde ; c'était, comme beaucoup de ces agents de contre-révolution, pour se donner un air plus national et en même temps plus imposant.

Pyramides : transport du colosse du nomarque Djéhoutihétep, bas-relief de el-Bersheh : XIIe dynastie. "... Une fois la pierre extraite du front de taille, les ouvriers devaient la poser sur un traîneau de halage en bois, acacia d'Égypte, chêne ou Cèdre du Liban, qu'ils faisaient ensuite glisser sur le sol à l'aide de cordes en chanvre, quel que soit l'éloignement du chantier de la pyramide. Le plus ancien traîneau connu date de la XIIe dynastie, découvert dans la nécropole royale de Dahchour, il est exposé au Musée égyptien du Caire), et servit, non pas à déplacer des pierres de taille, mais à transporter les grandes barques funéraires du complexe funéraire de Sésostris III. Un bas-relief datant du Moyen Empire et relatant le transport du colosse de Djéhoutihétep fixé sur un traîneau illustre parfaitement ce principe. Nul doute alors que les lourdes charges, barques ou blocs de pierres, devaient emprunter, d'une manière générale, ce moyen de transport pour les longues distances. Des voies devaient être aménagées afin de faciliter le glissement des traîneaux, comme le suggère la glissière de Mirgissa. Ces derniers étaient tirés par des hommes dont le nombre variait en fonction de la charge à tirer et de la pente. Ainsi le colosse de Djéhoutihétep, pesant une soixantaine de tonnes, est tiré par 172 hommes répartis sur quatre files... " ; source.

  Disette de pain. —Des campagnards disaient, à une table du café de Foy, que le blé avait manqué deux marchés de suite à Roanne, en Forez ; que les femmes et les enfants pleuraient, et que la coupe de bois ne pouvait s'exécuter dans ce département, vu que les ouvriers qui viennent des lieux voisins pour cette opération stipulaient dans leurs marchés qu'on leur fournirait du pain, ce qui est impossible, puisque les entrepreneurs et les gens de l'endroit en quant eux-mêmes.

Rapport de Prevost, W 112
  Tillet, marchand boucher, rue du faubourg Saint-Honoré, dit que les marchands de bœufs n'amènent plus aux marchés, qu'ils gardent leurs bœufs chez eux, qu'ils veulent contraindre les bouchers à les acheter chez eux pour les vendre ce qu'ils veulent ; qu'à l’instant où ils ont appris le nouveau maximum603, ils ont éloigné autant qu'ils ont pu leurs bestiaux ; dans la Normandie, ils ne veulent plus faire d'élèves pour les vendre au prix du maximum ; ils disent qu'ils aiment mieux faucher leurs prés que d'y mettre des bestiaux.
  Une laitière de la Plaine des Sablons [ " Aujourd’hui située à Neuilly sur Seine, non loin de la porte Maillot, la plaine des Sablons fut le lieu au XVIIIe siècle de revues militaires présidée par le roi en personne. Avec la Révolution, les temps changent, ainsi que l’usage de ce lieu encore loin des portes de Paris. En effet, la fête remplace les défilés militaires... " ; source] dit que, manquant absolument de tout, que dans un mois l'on verra bien du nouveau.

Source

  Un cocher de fiacre, du faubourg Saint-Martin, dit qu'aux Vertus604 les maraîchers laissaient perdre une quantité prodigieuse de légumes de toutes espèces, plutôt que de les apporter à Paris, et qu'on devrait les y contraindre. De plus, que toutes les nuits il y entre dans la capitale une quantité prodigieuse de porcs frais tués : cependant il ne s' y en trouve aucuns chez les charcutiers ; qu'ils les font venir de nuit, et qu'ils les font conduire chez des amis qui les sèchent ; qu'il serait très à propos de faire des visites domiciliaires, qu' on en trouverait des magasins immenses. Il dit qu'il ne peut avoir d'avoine pour ses chevaux, qu'il en perd journellement parce qu'il n'a rien à leur donner.

Rapport de Rolin, W 112
  Les plaintes se multiplient contre les charretiers des chantiers de bois. Ils ont l’infamie de faire payer leur transport jusqu'à 10 et 12 livres. Il arrive à chaque instant que des citoyens, après avoir eu beaucoup de peine à avoir leur tour pour le bois, après avoir fait corder, prêts à mettre dans la voiture, sont obligés de laisser passer un autre, et par conséquent ont travaillé pour leur voisin, et cela parce qu'ils veulent ou ne peuvent point payer 10 livres pour la voiture.
  Les marchandes de la place Maubert ne paraissent point contentes ; elles murmurent à haute voix, et quelques unes d'entre elles se permettent quelques propos inciviques. À la Halle, ce matin, plusieurs femmes se sont permis, dans leurs murmures, des termes peu propres à de vraies républicaines. Je crois que l'humeur y contribuait pour beaucoup mais, malheureusement il n' y a que trop d'êtres malfaisants qui profitent de tout pour calomnier les patriotes, et qui se croient en droit de juger de l'esprit public par quelques monosyllabes prononcées par des femmes que fait agir l'humeur — et un petit verre d'eau-de-vie.
  On assure que la Champagne, ci-devant, et Troyes en particulier, est bien éloignée d'être à la hauteur de la Révolution ; le fanatisme y réside dans toute la force du terme ; on dit que, pour peu que l'on néglige d'expulser les prêtres, ils parviendront encore à causer bien des maux.
  On trouve mauvais que des marchands d' orviétan [ "... faux antidote des XVIIe et XVIIIe siècles [son usage cessa au XIXe siècle]. Médicament de rencontre resté fameux dans les fastes du charlatanisme médical, l’orviétan était dû, dit-on, à l’imagination d’un certain Jérôme Ferrante, natif d’ Orvieto, d’où il tira son nom, et depuis son origine jusque vers la fin du XVIIIe siècle, il fut apporté en France en 1647 par un autre natif d’ Orvieto du nom de Christoforo Contugi, qui se fit d’abord appeler Lorvietano, puis Lorviétan ou l’Orviétan. L’apothicaire Pierre Pomel écrit en 1694 dans son Histoire des drogues : « L’orviétan étoit commun à Rome depuis longtemps, et c’est de là que le faisoient venir les épiciers avant que le sieur Contugi eût obtenu du Roi la permission de le débiter publiquement... " ; source] se permettent de sonner de la trompette dans les rues et carrefours de Paris, vu que les citoyens, croyant que cette trompette est une proclamation à faire, s'empressent à courir pour l'entendre et se trouvent trompés dans leur attente. Aujourd'hui, à la place Maubert, pareille chose arriva, et plusieurs citoyennes ont manqué de périr par la foule et les voitures qui se trouvaient sur leur passage. Aussi ont-elles juré tout leur content après les marchands d' orviétan.



Source

  Certains facteurs du Journal de la Montagne, soit par bêtise, soit par d'autres motifs ignorés, se permettent de détailler tout ce qui se passe aux Jacobins, et, comme la plupart se croient dignes d'être auteurs, ils brodent, composent et décomposent les faits de manière qu'ils réjouissent les aristocrates et affligent les vrais patriotes. Je crois qu'il serait bon de les obliger au silence sur ces manières.
  Un d'entre eux se flatte que son épouse est obligée d'assister trois fois par semaine au Tribunal révolutionnaire, et, sur quelques questions qu'on lui fit, il dit qu'il fallait qu'il y eut toujours au Tribunal de bons patriotes pour en imposer aux juges.

8 ventôse an II605, 26 février 1794


Rapport de Bacon, W 112
   L'assemblée populaire de la section de l' Indivisibilité était très nombreuse. On a lu le discours de Collot-d'Herbois, dont il a été parlé, aux Jacobins606, relativement au buste de Guillaume Tell. Ce discours a été très applaudi. On s'est occupé des certificats de civisme pendant longtemps. On a parlé des subsistances : des membres se sont plaints de ce qu'on ne donnait pas la nourriture nécessaire aux chevaux employés pour le service de la République. Une députation se rendra à cet effet chez le ministre de la Guerre : l'esprit public est bon.
  L'assemblée populaire de la section des Droits-de-l'Homme était très nombreuse, et beaucoup de femmes aux tribunes. Il s'est élevé une assez bruyante discussion relativement aux citoyens qui se font remplacer aux barrières. Des membres ont accusé des chefs de mettre l'argent provenant des remplacements dans leur poche : grand brouhaha. Enfin, sans rien conclure, le tout a été renvoyé au comité militaire. On a présenté à la société de jeunes tambours ["... Dans cette logique, les révolutionnaires légalisent aussi l’enfant-soldat. Si les enfants de troupe existaient dans les armées royales, l’ordonnance du 10 septembre 1677 défendait expressément de confier la fonction de tambour à un jeune de moins de 18 ans « quoi qu’il sache bien battre ». La propagande vient justifier cette innovation, exploitant des épisodes mineurs des combats pour en faire des exemples massivement exploités. Ces martyrs, dont l’entrée au Panthéon est demandée, doivent remplacer ceux de la « ci-devant religion » dans l’imaginaire populaire. Fêtes, processions, déclarations, tableaux, statues et hymnes visent à construire autour d’eux un véritable culte. Ainsi les enfants soldats Bara, Darruder et le tambour Stroh, ou Sthrau, réactualisent avec leur caisse la fonction céleustique ancestrale et sacrée de Roland soufflant dans son cor pour exalter l’ardeur patriotique. Ces légendes, car les faits réels contredisent leur présentation officielle, vont imprégner durablement l’imaginaire populaire. On comprend mieux alors pourquoi le jeune tambour devient un modèle de patriotisme : il est capable de conduire le peuple vers la liberté dans un avenir radieux et républicain... " ; source]. Les mères de ces jeunes citoyens ont répondu du civisme de leurs enfants : vifs applaudissements. On a lu des mémoires sur la culture des pommes de terre, et on a parlé des subsistances. Deux membres ont annoncé qu'hier très tard, il était entré un bœuf tout entier et tué, des moutons et des veaux à la maison d'arrêt ci-devant les Carmes, rue de Vaugirard ; qu'ils étaient tellement sûrs de ce qu'ils dénonçaient qu'ils allaient le signer sur le bureau ; qu'avec de tels abus, il était impossible qu'il n' y eût pas quelques autorités constituées qui s'entendissent avec les prisonniers riches pour faire entrer une telle quantité de viande dans les prisons, mouvement d'indignation, et près de moi des femmes disaient : " Voilà comme on nous berne! On donne de la viande aux prisonniers riches, et à nous autres pauvres diablesses, on ne nous fout rien du tout. Qu'a-t-on besoin de tous ces aristocrates? Est-ce que tous ces scélérats, qui affament Paris, ne devraient déjà pas être à la guillotine? " La société a arrêté que cette dénonciation serait envoyée à la police : l'esprit public m'a paru bon.

 
Edmond Lajoux : aquarelle : jeune tambour révolutionnaire ; au vu de son uniforme et de sa coiffure on pourrait penser à une représentation du jeune tambour Strauh, héros de Wattignies.

  L'assemblée populaire de la section des Lombards était on ne peut pas plus nombreuse, et il y avait considérablement de femmes à la ci-devant église607. La société a recommandé au comité révolutionnaire Imbert, ancien officier municipal, d'après ce qui a été écrit par le comité révolutionnaire de la section de la Réunion ; cet Imbert, depuis peu de jours de la section des Lombards, est accusé d'être un des plus grands ennemis du peuple [capitaine de la marine marchande, il sera exécuté dans l'année, 1794, pour contre-révolution]. On a parlé d'un capitaine-cannonier, destitué par le ministre de la Guerre ; comme cette affaire a été sur le point de mettre le trouble dans l'assemblée, sur l'observation d'un membre on a passé à l'ordre du jour. On a passé à la censure les remplaçants, pour les gardes ; plusieurs ont été rejetés, mais il y en a deux entre autres, pères de nombreuses familles et âgés, qui étaient très protégés par les femmes, et qui étaient furieuses de ce qu'ils étaient renvoyés. Le premier l'a été, jadis musicien aux ginguettes, pour avoir dit, d'après les questions du président, qu'il ne connaissait les Jacobins que depuis dix-huit mois, un an, et qu'il n'en pouvait rien dire. " Comment! a dit alors un membre, tu ne connais pas les vertueux Robespierre, Couthon et Danton? — Point d'éloge s'est écrié un membre. — Je sais bien que les Jacobins font le bien ", a répondu le postulant. Un tailleur-fripier, rue des Lombards, petit homme brun, figure pâle et allongée, car je n'ai pu savoir son nom, a parlé avec amertume contre ce pauvre remplaçant ; il en a fait de même avec l'autre candidat, chapelier de son état, accusé d'être paresseux. Ce tailleur-fripier a fait sentir que dans de pareils cas les pères de familles n'étaient rien. J'observe que cet être a parlé avec trop de feu pour être de bonne foi ; aussi devant, à côté et derrière moi, les femmes en masse, après le rejet des deux candidats disaient : " Mon Dieu! où en sommes-nous? Que vont devenir ces deux pères de famille, dont les états ne valent plus rien? Oh le chien de tailleur? Ce scélérat ne monte jamais sa garde en personne. Regardez bien sa coquine de figure : vous y verrez le plus grands de tous les hypocrites. " Les femmes répétaient toujours : " Quelle horreur! qu'est-ce donc que ce tripotage? Tous ces gens là qui ôtent le pain à ces malheureux, le bon Dieu les punira. " : je parle de cette conversation, d'après laquelle on jugera de l'esprit public.
  Une marchande à la Halle, qui avait fait une fressure [ensemble des gros viscères d'un animal de boucherie, cœur, rate, foie et poumons ; Larousse] et un foie 15 livres, a été sur le point d'être mise en morceaux par d'autres femmes. Une citoyenne a alors prêché l'exemple des lois, a réussi à apaiser le peuple. Sur ces entrefaites, la garde est arrivée, qui a conduit la marchande chez le commissaire.
  Dans un cabaret, à la Nouvelle-France608, on parlait de la viande, des carottes, navets et autres denrées. Une femme mal mise, et j'ai remarqué qu'elle avait une chemise fine, disait que le pauvre peuple était bien malheureux, que les gens riches ne manquaient pas de la viande, et qu'ils seraient toujours sûrs d'en avoir. Elle disait toujours : " On veut qu'on fasse un carême civique ; mais il n'y a ni lait, ni graisse, ni beurre. " Une autre femme, qui m'a paru être une revendeuse de tripes, et qui était à boire avec cinq autres femmes, a répondu à la plaignante : " Parbleu! vous avez bien peur de mourir, ma chère amie. On nous disait déjà, dans le temps, qu'on aurait pas de pain. Eh bien! en avons-nous? Moi je ne me plains pas, parce que je suis sûre que la Convention est après la recherche de tous les affameurs. Qu'en penses-tu, Jacqueline? disait cette citoyenne en se tournant vers ses amies. — Tu as raison! Allons, buvons un coup ; tout ira bien, et il ne faut pas jeter le manche après la cognée. " : l'autre femme, je veux dire la première, n'a plus rien dit.
  La Halle à la farine est bien approvisionnée. Le peuple disait, en voyant passer des voitures qui en étaient chargées : " Nous aurons du pain, si nous n'avons pas de viande. Vive la République! "
  Paris, tranquille, et j'ai couru.

Rapport de Beraud, W 112
  De toutes les sections qui s'empressent de fabriquer du salpêtre, la section du Temple est peut-être celle qui s'empresse le moins à en produire En effet, elle a déjà dépensé 1200 livres sans en avoir donné un seul grain, et cela parce que l'intrigue a fait nommer dans la société populaire la commission qui devait y travailler ; cependant on l'a renouvelé à la demande du comité révolutionnaire, dans l'assemblée générale, et il ya lieu de croire que cet établissement viendra au désir du Comité de salut public.

   À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 329-343.

593. Cf. ci-dessus, p. 328, note 1.
594. Sic. Ce nom ne figure ni sur les listes de notaires donnés par l' Almanach royal, ni sur celle des condamnés du Tribunal révolutionnaire.
595. Cf. ci-dessus, p. 325.
596. Cf. ci-dessus, p. 328, note 1.
597. Dans la rue de ce nom, sur la section du Finistère [n°48 ; au commencement, elle se nommait la " section des Gobelins " ; elle prit son nom définitif en 1792 ; son territoire se situait dans le sud-est de Paris ; ses assemblées générales se déroulaient en l’église Saint-Marcel, détruite en 1806 ; aujourd'hui, l'emplacement correspond au 27-29 avenue des Gobelins, Paris13eme].
598. Nous ignorons de quelle maison Mercier veut parler.
599. Ci-devant Port-Royal.
600. Le texte porte : sirurgien.
601. Pas de renseignements.
602. Du 3 ventôse [21 février], sur le maximum général ; cf. le Moniteur, réimp., t. XIX, p. 533.
603. Celui du 6 ventôse [24 février].
604. Aubervilliers, ainsi désigné par extension du nom de son église, Notre-Dame-des-Vertus.
605. C.A Dauban a publié dans Paris en 1794 et en 1795, p. 107-108 et 115-119, le rapport de Bacon du 8 ventôse, et des extraits de ceux de Dugas et de Perrière, même date.
606. Le 6 ventôse [24 février] : cf. Aulard, La Soc. des Jacobins, t. V, p. 662.
607. Saint-Jacques-de-la-Boucherie, où se tenait l'assemblée.
608. Cf. t. II, p. 20, note 2.

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