Nucléaire : 4 g de CO2 par kWh
Sylvestre Huet
L’électricité d’origine nucléaire est-elle vraiment climato-compatible ? C’est-à-dire n’émettant que très peu de CO2 et donc utilisable massivement et à long terme sans contribuer au réchauffement du climat. Une question déjà ancienne mais relancée par l’actualité énergétique et climatique : guerre en Ukraine, tensions sur les approvisionnements en énergies de l’Union-Européenne, relance – temporaire assurent les gouvernements – du charbon pour l’électricité en Allemagne, en Autriche et aux Pays-Bas, hausse des prix de toutes les énergies dont l’électricité… et, en France, cette vague de chaleur précoce à la suite d’une sécheresse printanière sévère selon Météo France.
Avant même toute étude, la réponse semble évidente. La chaleur utilisée pour générer la vapeur qui fait tourner turbines et alternateurs, et ainsi produire l’électricité, provient de la fission des atomes d’uranium. Pas de carbone la dedans. Donc pas de gaz carbonique à la sortie. Pourtant, la majorité des Français est persuadée que, si si si, les centrales électro-nucléaires participent bien au réchauffement climatique en émettant des gaz à effet de serre. Une opinion très largement majoritaire chez les moins de 35 ans. Cela vaut donc le coup d’y aller voir de près.
Sous la surveillance d’un panel d’experts indépendants, des ingénieurs de la direction des études et recherches d’EDF se sont penchés de très-très près sur les émissions de gaz à effet de serre des centrales nucléaires françaises actuelles. Avec une étude, publiée la semaine dernière, qui révèle, ou confirme pour les spécialistes, que le cas français est carrément extrême.
3,7 grammes exactement
Le résultat est particulièrement démonstratif du caractère climato-compatible de cette source d’électricité, puisqu’il affiche moins de 4 grammes d’équivalent CO2 par kWh produit. Très exactement 3,7 grammes tous gaz à effet de serre confondus dans cette unité d’équivalent CO2 qui permet de les compter ensemble (le chiffre pour le seul CO2 émis tombe à 3,1 grammes).
Pourquoi démonstratif ? Tout simplement parce qu’il s’agit d’un chiffre parmi les plus bas possibles relativement à n’importe quel autre moyen de production d’électricité.
Selon la base carbone de l’ADEME, les émissions par kWh produit en France avec du gaz sont de 418 grammes, de 730 g avec du fioul, de 1060 g avec du charbon, de 6 g pour l’hydraulique, 15 g pour l’éolien en mer, 14 g pour l’éolien terrestre, 45 g pour la géothermie et 43 g pour les panneaux photovoltaïques s’ils sont fabriqués en Chine, ce qui est souvent le cas, mais 32 g pour une fabrication en Europe et 25 g s’ils étaient fabriqués en France : … avec de l’électricité décarbonée majoritairement grâce au nucléaire. Cette base carbone affiche 6 g par kWh pour le nucléaire, les 3,7 g ne sont donc pas une surprise. Mais si l’ADEME prend le temps de vérifier que la qualité de cette nouvelle étude est meilleure que celle utilisée aujourd’hui, il sera utile de mettre à jour sa base de donnée.
Étude validée
Mais comment les auteurs de l’étude sont-ils arrivés à ce chiffre de 3,7 grammes de CO2 ? Se servir des études existantes au plan international est utile, mais très peu précis. Non par manque de données, mais parce que les résultats offrent une grande dispersion, liée aux conditions très différentes selon les cas. C’est ainsi que le rapport 2015 du GIEC rapporte des chiffres très variés, allant de 1 gramme à plus de 100 grammes avec une moyenne à 12 g équivalent CO2 par kWh. Et avec des études de qualités variables.
Pour réaliser une étude dont les résultats ne puissent être contestés, les auteurs ont scrupuleusement suivi les méthodes standardisées de l’Analyse en cycle de vie d’un produit, dite ACV, encadrées par des normes ISO. À l’aide du logiciel Simapro d’ ACV, lui aussi standard et non spécifique du nucléaire. Cette démarche très rigoureuse permet de s’assurer que l’on compte vraiment tout. Des mines d’uranium au futur enfouissement géologique des déchets les plus radioactifs, en passant par la fabrication des combustibles nucléaires, la construction des centrales, béton, acier, etc., leur exploitation, leur démantèlement et la gestion de tous leurs déchets. En comptant tous les gaz à effet de serre, et pas uniquement le CO2.
Leur étude a été validée par un panel d’experts indépendants. Vraiment indépendants puisqu’il comprenait notamment l’économiste Alain Grandjean qui a clairement manifesté son opposition à un nouveau programme nucléaire en France. Et vraiment experts puisqu’il comportait Philippe Osset, le représentant de la France à l’ISO où il anime le groupe d’experts ACV au sein de la Commission de Normalisation Environnement et Changement Climatique. Ces experts ont pu travailler durant six mois sur l’étude et interagir avec ses auteurs afin qu’ils prennent en compte leurs critiques et remarques.
Vraiment très bas
L’étude a examiné les émissions du parc d’EDF en prenant en compte tous les éléments passés et futurs et les a comparées à sa production de l’année 2019, une année « normale », sans événements type COVID qui aurait faussé la base de calcul en nombre de kWh produits. Puis rapportée à une durée d’exploitation calculée sur 40 ans. Parmi les résultats, il faut noter cette étude de sensibilité : si la durée d’exploitation des centrales passe de 40 à 60 ans, les émissions chutent encore, à 3,4 grammes par kWh produit.
Le détail de ces 3,7 g ? Le plus gros poste est celui des mines et du traitement du minerai, avec 1,3 g. Le calcul prend en considération toutes des dépenses énergétiques, dont le diésel des engins et des camions utilisés pour le transport ou ceux liés aux déchets miniers.
Les différentes mines affichent des émissions assez différentes, beaucoup plus basses pour la technique ISL de dissolution du minerai en sous-sol. Aussi, les auteurs ont-il utilisé la répartition suivante pour leur calcul, représentative de la moyenne des approvisionnements d’EDF : Lecture : l’uranium utilisé par EDF provient pour 16% d’Australie et le minerai australien provient pour 24 % de mines à ciel ouvert, de 50% de mines souterraines et de 26% de lixiviation souterraine : ISL.
La transformation de l’uranium en gaz exige 0,3 g. L’enrichissement en isotope fissile, l’Uranium-235, 0,4 g. La fabrication du combustible 0,1 g. Il faut noter un très gros effet « serpent qui se mord la queue » pour ces trois postes. En effet, comme ces opérations sont réalisées en France, l’électricité utilisée par les usines étant décarbonée à plus de 90%, nucléaire, hydraulique, éolien, solaire, cela contribue fortement à faire baisser les émissions totales de gaz à effet de serre.
La construction des centrales nucléaires représente 0,6 g, pour l’essentiel provenant du béton et de l’acier utilisés :
L’exploitation des centrales représente 0,3 g. L’essentiel des émissions de gaz à effet de serre liées à l’exploitation ne sont d’ailleurs pas du CO2, mais le gaz SF6, de l’hexafluorure de soufre, utilisé pour les postes à haute tension des centrales : nucléaires ou non d’ailleurs.
La déconstruction, une estimation puisqu’il s’agit d’une activité future, 0,1 g. Le traitement des combustibles usés, à l’usine de La Hague d’ Orano, qui permet de séparer les déchets ultimes, produits de fission et actinides mineurs, des matières nucléaires réutilisables, uranium et plutonium, émet 0,5 g. Et enfin le stockage des déchets, lui aussi une estimation pour ce qui concerne le projet CIGEO de l’ ANDRA pour les déchets de Haute Activité et à Vie Longue, HAVL, 0,1 g. Ce graphique résume les origines des émissions de gaz à effet de serre de la production d’électricité nucléaire par le parc de centrales d’EDF. La production elle-même compte pour 28% du total. L’approvisionnement en matières nucléaires, Aamont mines, la fabrication des combustibles, amont combustible, et le traitement des combustibles usés et des déchets, aval, est majoritaire.
Savoir si l’électro-nucléaire est climato-compatible est décisif puisque si ce n’était pas le cas, et que le nucléaire soit donc une électricité ne serait-ce que moyennement carbonée, il ne pourrait pas jouer un rôle important dans la décarbonation de l’électricité. Or, cette décarbonation est jugée indispensable à l’atteinte des objectifs climatiques de la Convention Climat de l’ONU. Et à un niveau de 80 à 90%, par les scénarios socio-économiques et technologiques cités par le dernier rapport du groupe-3 du GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui parviennent à ne pas dépasser les 2°C de réchauffement à la fin du XXIème siècle relativement au début du XXème siècle.
Méconnaissance massive
Ce sujet est, curieusement, très mal connu des Français. La 22ème enquête annuelle de l’ADEME sur les représentations sociales du changement climatique conduite en 2021 le confirmait une nouvelle fois. Pas moins de 53% des répondants sont persuadés que les centrales nucléaires font partie des secteurs responsables du réchauffement climatique par l’émission : de « beaucoup » ou « assez » de gaz à effet de serre par opposition à « peu » et « pas du tout ».
Ce chiffre monte à 67% chez les femmes, 66% chez les 15/24 ans, 72% chez les 25/34 ans… et 68% chez les sympathisants des mouvements écologistes qui se piquent pourtant d’être des connaisseurs, voire des spécialistes, du climat et de l’énergie et affichent là un score piteux, particulièrement révélateur du biais psychologique très répandu « je pense vrai ce que j’ai envie de croire ».
D’autres enquêtes antérieures ont découvert des réactions similaires. Avec des chiffres qui varient en fonction de la question exacte posée, mais beaucoup trop convergents pour qu’il y ait le moindre doute sur cette méconnaissance massive.
L’étude très rigoureuse et détaillée des ingénieurs d’EDF va t-elle modifier la donne ? Sa forme initiale n’est pas du tout conçue pour un usage en direction des citoyens et du grand public, comme l’ont souligné les experts indépendants qui ont validé la méthode utilisée et les résultats obtenus. Son objet essentiel était de permettre à l’entreprise de connaître avec plus de précision où se trouvent les émissions de gaz à effet de serre subsistants et comment les réduire encore. C’est ainsi que des actions ont été conduites pour diminuer les fuites de gaz SF6 des postes de haute tension.
Toutefois, son résultat d’ensemble est spectaculairement opposé à la méconnaissance massive des populations, des citoyens, voire d’élus et de responsables politiques, et notamment de ceux qui s’inquiètent des changements climatiques. Il serait donc souhaitable, pour que le débat public sur la politique climatique et l’énergie soit de meilleure qualité, que ce résultat soit partagé largement, en particulier par la presse et les réseaux sociaux.
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