INDRE-ET-LOIRE, REUGNY : NOBLESSE, STARTUPEURS, POLITIQUES, MONDAINS, PRESSE, IL Y A BAL AU CHÂTEAU DE LA VALLIÈRE...

  " Il faut faire des fêtes bruyantes aux populations, les sots aiment le bruit, et la multitude, c'est les sots "
  Honoré de Balzac, Napoléon et son époque, Au temps jadis, Édition Colbert, I943, p. 325.

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L’ancien monde, la start-up nation, le château et la Préfète

Joséphine Kalache

  Depuis deux semaines, la classe politique tourangelle bruisse de rumeurs au sujet du départ de la Préfète d’Indre-et-Loire, Mme Marie Lajus, arrivée il y a un peu plus de deux ans à Tours. Le Canard Enchaîné de la semaine dernière y allait même de ses révélations, affirmant que ce serait une fronde d’élus locaux auprès du ministre de l’Intérieur M. Gérald Darmanin qui aurait provoqué le limogeage de la Préfète, à cause d’un ambitieux projet d’incubateur de start-ups à Reugny qui était bloqué à la suite de l’avis défavorable de l’Architecte des Bâtiments de France, avis que la Préfète avait eu l’outrecuidance de suivre et de faire appliquer, le tout dans le somptueux parc classé du Château Louise de la Vallière et ses arbres remarquables.
  Drôle de séquence qui provoque pas mal de remous, la presse hormis la Nouvelle République, NR, ayant signalé le caractère choquant de ce départ précipité. La sénatrice de Charentes Nicole Bonnefoy a pris ouvertement la défense de Mme Lajus en demandant des explications à M. Darmanin, suivie localement par M. Franck Gagnaire, secrétaire du PS37. Une pétition en ligne était également déposée par une association d’éducation populaire en soutien envers la Préfète qui avait laissé de bons souvenirs lors de ses précédents postes, notamment en assumant un légalisme et une portée sociale pour son action de représentante de l’État.
  Difficile d’avoir une idée précise sur les véritables raisons du départ de Mme Lajus, tant les informations en off circulent, mais en tout cas le Canard Enchaîné aura eu le mérite de mettre la lumière sur le projet en cours à Reugny.

Le coup de foudre
  Le conte de fées commence en 2018, lorsque Mira Grebenstein visite le Château Louise de la Vallière, en vente pour 1,5 millions d’euros, et qu’elle dit de suite à son mari « ne cherchons plus, pas besoin de visiter les intérieurs, c’est lui que je veux (…) cette maison m’a choisie. Dès que je l’ai vue, j’ai su que j’allais y donner tout mon cœur, ma passion, que j’allais faire en sorte que ce lieu retrouve sa majesté et ses lettres de noblesse ». Après un tel coup de cœur couvert par la NR, tout va très vite et le couple acquiert donc le château de 941m² de surface avec ses plus de quarante pièces et son domaine de 19 ha qui comprend de nombreux arbres remarquables, des jardins à la française, une piscine, une orangerie et quelques autres menus plaisirs, dont un futur conservatoire de la figue, un peu à la façon du conservatoire de la tomate du château de la Bourdaisière, en Touraine également, un modèle sur le plan du marketing, visiblement.
  L’année suivante, en 2019, Mira Grebenstein annonce qu’elle va y créer un hôtel de luxe — « le rêve d’une vie » —, elle qui « est diplômée des plus grandes écoles de management hôtelier de Suisse », une référence. Et à l’automne 2022, le 25 octobre, le grand jour de l’inauguration arrive enfin après quatre harassantes années et plus de 13 millions d’euros dépensés, où chaque matin, Mme Grebenstein « est là à 9 h pour le briefing avec les artisans, tailleurs de pierre, charpentiers, couvreurs, électriciens, menuisiers (…) et l’après-midi, elle court les antiquaires, les salles de vente, elle achète absolument tout, les meubles, les tableaux, les bibelots, la vaisselle, chaque lampe a déjà sa place dans son esprit ».

Quelle soirée les amis !
  Tout le monde est là pour la soirée d’ouverture, même la presse mondaine parisienne par l’intermédiaire du média Say Who qui publie les photos de la formidable réception. On y retrouve François Sarkozy, le frère de, médecin passé par l’industrie pharmaceutique et Aventis pour finir dans le consulting, notamment chez Publicis dont la principale actionnaire est Elisabeth Badinter. Il y a Jean-Pascal Hesse, directeur de la communication de Pierre Cardin et élu Les Républicains à Paris, Frédéric Bouilleux, directeur général adjoint du Château de Chambord, Yves Mirande, consultant en communication et spécialiste du design, notamment dans la presse. N’oublions pas Fabien Vallérian, directeur des arts et de la culture chez Ruinart, la maison de champagne, Amin Jaffer, directeur international du département des arts asiatiques chez Christie’s et Marie-Christine Clément, spécialiste en gastronomie et membre du Conseil d’Administration, CA, de Relais et Châteaux qui répertorie les demeures de charme et la grande restauration, tout en éditant un guide annuel, assez couru par la visibilité qu’il donne aux établissements répertoriés. Côté artistes, on compte bien entendu le décorateur italien Nicola Pelucchi et surtout le cultissime Jacques Garcia, le « roi des décorateurs » qui se sont occupés du château de la Vallière, apportant leur notoriété au projet.

 Capture d’écran d’une des photos des convives prise par Michel Huard pour Say Who

La fondation Mansart et le château-business

  Jacques Garcia, visiblement très réputé et influent, est par ailleurs membre du CA de la Fondation Mansart, une association qui entend « préserver et faire vivre des patrimoines de grand intérêt, qu’ils soient historiques ou contemporains : sites naturels et paysagers, sites historiques ou architecturaux, collections et musées ». Bien entendu, « la première volonté de la fondation est de préserver le patrimoine de façon durable afin de transmettre aux générations futures des biens de qualité et conservés dans leur intégrité ». Sont justement invités à la soirée d’inauguration du château de la Vallière Alexis Robin, Directeur Général de la Fondation Mansart, mais aussi collaborateur du sénateur LR d’Eure-et-Loir Albéric de Montgolfier — de famille noble —. M. Robin est également adjoint au maire LR de Maintenon, en charge du patrimoine. Il y a aussi Audrey de Montgolfier, la fille de monsieur le sénateur. Elle travaille à la fondation et écrit des romans afin de faire vivre un peu plus la mémoire des vieux châteaux oubliés comme ceux de Bagatelle et de Maintenon. Notons d’ailleurs que depuis 2019 le président de la fondation Mansart n’est autre qu’Albéric de Montgolfier lui-même qui, en tant que châtelain dans le sud de la France, est depuis longtemps sensibilisé aux difficultés rencontrées par les amoureux du patrimoine.
  La présence en force d’autant de membres de la fondation Mansart n’est pas un hasard, c’est toute une conception de la sauvegarde du patrimoine qui est ainsi mise en avant. En 1983, les propriétaires du Château de Maintenon en Eure-et-Loir lèguent le bâtiment et les terrains à une association qu’ils créent et qui deviendra la fondation Mansart. Cette dernière cède en 2005 au Conseil Départemental d’Eure-et-Loir, CD28, la gestion, l’entretien, l’exploitation et l’animation du Château. À l’époque, le président du CD28 est d’ailleurs… Albéric de Montgolfier. À noter qu’un terrain de golf a été crée en 1988 dans une partie du parc de la propriété, revendu depuis 2019 à un investisseur chinois. Parallèlement, à partir de 2012, un projet d’hôtel quatre étoiles voit le jour dans une autre partie du parc, immédiatement accolée au château et tout proche du terrain de golf. C’est Jean-Marc de Margerie, passé par un école suisse d’hôtellerie, issu du groupe Taittinger et ancien gestionnaire de palaces parisiens, qui investit dans ce projet ambitieux qui mettra quelques années à se réaliser et fera couler pas mal d’encre, notamment à cause du recours à une boîte bulgare pour comprimer les dépenses du chantier, boîte indélicate qui n’honorait ni salaires ni locations de logement pour les ouvriers. Notons aussi que la rénovation des écuries du château qui sont intégrées en partie au projet hôtelier avait suscité l’émotion de l’architecte des Bâtiments de France, mais bon, tout était rentrée dans l’ordre rapidement, les affaires avant tout. Retenez bien ce schéma de fonctionnement mêlant conservation du patrimoine avec le soutien de la puissance publique et la diversification du business autour du château, cette fois par des acteurs du privé, c’est important pour la suite…

 Château de Maintenon à droite, Hôtel Castel Maintenon à gauche, face au golf

Le beau monde
  Revenons à notre sauterie et pour finir, comment ne pas parler de la comtesse Laurence Bizard-Hamilton, ancienne de Sciences Po Paris passée par Lagardère avant elle-même d’acheter en Touraine le Château de Champchévrier et d’en devenir directrice? Son mari, le comte Gustaf Hamilton, marchand d’art et de design suédois contemporain est là aussi, non loin du Baron Dominique de la Tournelle, issu de Sciences Po et passé par Oxbow, Christian Dior, Waterman, Newman, Yves Rocher et Thierry Mugler, tout en s’occupant d’un syndicat de patrons du textile. Une chambre de l’hôtel du Château Louise de la Vallière porte même le nom d’une de ses ancêtres. Émotion.
  Ah, et n’oublions pas les politiques. Sont présent à la soirée M. Vincent Morette, maire PS de Montlouis et président de la communauté de communes à laquelle appartient Reugny ainsi que le député de la circonscription d’Amboise, M. Daniel Labaronne. Ce dernier, cadre LREM assez influent et facilement réélu en 2022, avait une carrière politique plutôt en dents de scie du temps où il était étiqueté plus à gauche. Say Who nous confie qu’il « est venu célébrer l’importance de ce projet voyant le jour pour la mise-en-valeur du patrimoine culturel de la région ». Et en effet, le député mouille la chemise pour le projet, il apparaît même en costume d’époque récitant un texte dans la vidéo promotionnelle du château de la Vallière. Sympa.

 

 Le député Labaronne en costume, récitant un texte dans une vidéo promotionnelle du Château de La Vallière.

  En tout cas, tous les délicieux convives étaient là pour célébrer le Château, et « marcher dans les pas de Louise de la Vallière, flâner dans les allées du Château et se laisser transporter au temps des rois de France et de leurs favorites. ». Mieux, « à vivre une expérience à la fois sensorielle et temporelle, une véritable immersion au siècle de Louis XIV et de fait dans l’histoire de France, tant sur le plan culturel que patrimonial ». Car il est vrai que « cette maison d’exception trône au milieu d’une forêt ancienne de seize hectares qui abrite une réserve d’espèces animales protégées. Bercés par la nature environnante et les jardins d’agrément, il est infiniment doux de séjourner dans ce havre de paix de Touraine. Au restaurant gastronomique L’Amphitryon (…) le chef élabore le menu avec l’aide d’un historien de la gastronomie. Le temps d’un séjour romantique, les hôtes peuvent également s’offrir une dégustation inoubliable au bar à champagne Le Saint-Évremond ou se détendre dans la piscine extérieure, chauffée toute l’année ». Et ne passons pas à côté du « Spa « La Rosée » qui emprunte le surnom évocateur de Louise de La Vallière, incarnation de la beauté au XVIIème siècle, par sa grâce et la pureté de son teint. Détendez-vous en salle de soins, dans le jacuzzi, sous la douche sensorielle ». Et bien sûr, il y a les chambres, facturées entre 500 et 900 euros la nuit : « l’élégance du XVIIIème siècle qui se dévoile dans ce grand boudoir au nom de Madame du Barry, la favorite qui aimait Louis XV pour ses qualités d’homme et non pour sa couronne. Les teintes pastels et le mobilier d’époque Louis XV sont le reflet de la personnalité de cette femme, à la beauté sans pareille et aux goûts raffinés. L’intimité et le charme de la salle d’eau sont sublimés par le marbre de Carrare, le trumeau antique et les boiseries. Le boudoir de Madame du Barry s’ouvre sur la cour d’honneur et son rempart du XIIIème siècle ».
  Petit plus pour vivre le grand frisson de l’Ancien Régime, le personnel du Château est vêtu en costumes d’époque. En tout simplicité.

L’ancien monde rencontre la start-up nation

  Plus qu’une célébration du bon goût et du patrimoine, cette soirée du 25 octobre célèbre avant-tout le couple de propriétaires installés en Suisse : Miroslava Grebenstein — dite en toute simplicité Mira —, directrice d’une boîte grossiste en mode de luxe et Xavier Aubry, titulaire d’un prestigieux MBA à la Harvard Business School après des études de vétérinaire, désormais reconverti dans les start-up.
  Après ses études, M. Aubry s’oriente rapidement vers le consulting spécialisé dans l’innovation, le management et l’ingénierie de projets. Il est membre du CA d’une association-lobby à Bruxelles qui regroupe les consultants du secteur et il a fondé Zaz Ventures en Suisse, boîte réputée dans l’accompagnement, la coordination et la prise en charge de la rédaction des dossiers de demandes de subvention de labos ou de consortiums public-privé qui développent des projets de recherche en robotique, intelligence artificielle, big data, nanotechnologies, thérapies géniques et technologies issues du quantique. Les deux époux sont au CA de Zaz Ventures, mais c’est Xavier Aubry qui dirige le cabinet, du reste visiblement en bonne santé : plus de 900 millions d’euros de subventions et investissements publics levés depuis 2014 pour les projets accompagnés, avec en général 10% de l’enveloppe qui va à la rémunération du cabinet, soit probablement un chiffre d’affaires dépassant les 10 millions d’euros par an.
  En fait, l’implantation du couple en Touraine ne se résume pas à la vie de château et depuis peu, une autre dimension business est apparue. L’esprit hyper-actif des premiers de cordée, que voulez-vous.


  En 2021, Zaz Ventures monte une sorte de succursale française qui répond au nom de Da Vinci Labs dont la direction est donnée à Xavier Aubry. La première année, la petite boîte n’a pas d’activité, mais en 2022, elle change d’adresse et occupe les locaux d’une jolie bâtisse que le couple semble également posséder ou du moins louer à Nazelles-Négron, commune toute proche de Reugny. Da Vinci Labs se consacre, selon les statuts que j’ai pu me procurer, à faire de la « recherche et du support aux entreprises dans les secteurs de hautes technologies ; conseil en formation, recrutement, marketing, communication, et financement de l’innovation ; communication et gestion de projets scientifiques ; location de bureaux et de matériel de recherche ; investissements dans les startups de hautes technologies ; organisation d’événements et d’escape games; production vidéos et artistiques; mécénat artistique, scientifique et culturel ». Depuis septembre dernier, la boîte a également intégré la cité de l’innovation Mame, incubateur géré par Tours Métropole et présidé par M. Thibault Coulon, par ailleurs vice-président de la métropole, passionné de numérique… et de catholicisme conservateur. En 2022 donc, Da Vinci Labs a accompagné un consortium spécialisé dans les technologie de la thérapie génique — PAT4CGT— qui a obtenu des subventions européennes et suisses à hauteur de presque 4 millions d’euros, faisant entrer 300 000 euros dans les caisses de la petite entreprise gérée par M. Aubry. Du reste, Da Vinci Labs entend monter en puissance, la boîte est très présente sur les réseaux sociaux, notamment grâce à l’embauche d’un spécialiste de la communication, elle édite un magazine semestriel en ligne et organise des concours autour de « l’art quantique ».

Le château 2.0
  Là où les choses deviennent vraiment intéressantes et follement avant-gardistes, c’est que Xavier Aubry a une idée beaucoup plus ambitieuse en tête, celle de fonder un incubateur pour les deeptech, à savoir l’Intelligence Artificielle, les ordinateurs quantiques et la biologie de synthèse. Mieux, ce futur incubateur devrait voir le jour dans… le parc du Château de la Vallière, oui oui, celui « au milieu d’une forêt ancienne de seize hectares qui abrite une réserve d’espèces animales protégées », celui qui suscite l’admiration de la Fondation Mansart , celle qui entend « préserver et faire vivre des patrimoines de grand intérêt (…) les sites naturels et paysagers ».
  Attention, on ne parle pas d’une idée en l’air, ce n’est pas le style de Xavier Aubry. Le projet est avancé, le bâtiment est déjà dessiné et il participe même à un concours donnant lieu à des financements de l’Union Européenne — on ne se refait pas — grâce à ses caractéristiques écologiques présentées comme hors du commun, et il est soutenu par la fine fleur de la classe politique locale.

Plan du projet de bâtiment Da Vinci Labs

  Le maire de Reugny, M. Nicolas Toker, on l’imagine, peut être aux anges : pensez à la manne sous forme de taxes et de dépenses des futurs pensionnaires de l’incubateur : NDLR : depuis, la municipalité a démenti toute pression dans cette affaire. Le patron de la communauté de communes, M. Vincent Morette, membre du PS — pas de sa branche la plus gauchiste — voit clignoter en grand les mots magiques : développement du territoire. Le Conseil Départemental est aussi de la partie— avec par exemple une subvention de 50 000 euros votée il y a quelques mois —, notamment par l’intermédiaire de son président M. Jean-Gérard Paumier, très influent notable de la droite locale, proche de M. Labaronne, et que l’on donne candidat aux prochaines sénatoriales de 2023. On comprend alors que le projet et ses retombées positives dans nombre de petites communes rurales du coin, ça pourrait se traduire en votes de grands électeurs. Enfin, M. François Bonneau, président PS de la Région Centre depuis un bon moment, et là non-plus, pas le plus bolchévique, très distant par rapport à la Nupes, aux convictions écologiques tout en nuances et visiblement fasciné par le développement économique sauce high-tech, quitte aussi à soutenir l’ancien monde, par exemple en aidant fortement le maintien sous perfusion de l’aéroport de Tours. C’est le programme d’investissement public régional Dev’Up — dont Thibault Coulon est l’un des administrateurs — qui accompagne le projet d’incubateur. On retrouve même des articles à ce sujet dans la NR, mais sous la forme de contenus publi-rédactionnels, c’est à dire que Dev’Up a acheté au journal des espaces pour faire de la communication institutionnelle. On apprend donc que « ce lieu unique de 4000 m² mettra véritablement les technologies quantiques, l’intelligence artificielle et la biologie synthétique au service de la planète. L’enjeu de cette structure de recherche et d’incubation sera en effet de permettre aux startups de répondre de manière compétitive aux défis écologiques de demain, et de faire émerger les futurs champions de nos filières d’excellence (…) Sa concrétisation aura un formidable impact sur l’écosystème local d’innovation. Elle complétera l’offre d’accompagnement régional des Deeptech et sera aussi un nouvel élément d’attractivité du territoire ! ». De quoi avoir des étoiles dans les yeux et un petit goût de Silicon Valley[" vallée du silicium ", désigne le pôle des industries de pointe situé dans la partie sud-est de la région de la baie de San Francisco, Californie, USA] arrosée de Montlouis demi-sec.

Photo des élus cités ci-dessus réunis aux côtés du Da Vinci Labs : Morette, Labaronne, Aubry, Bonneau, Toker, Paumier et Coulon. Selon mes informations, il ne s’agit pas d’une réunion en non-mixité, rassurez-vous.

Les premiers de cordée

  Mais Xavier Aubry, il a aussi des amis dans le business, voyez plutôt. Pour 2023, Da Vinci Labs annonce accompagner deux projets, Swiftt et Equality, autour de l’intelligence artificielle. Mais ce qui aiguise l’appétit de nouveau monde de nos élus, ce sont les partenaires affichés du projet d’incubateur. D’un côté, Pasqal, boîte de recherche en informatique quantique — le grand fantasme actuel — crée en 2019 par M. Alain Aspect, devenu prix Nobel de physique en 2022 et M. Christophe Jurczac. De l’autre, Qubit Pharmaceuticals, créé par Robert Marino et dont Christophe Jurczac est administrateur. Le point commun entre ces deux boîtes porteuses d’espoirs d’innovation et de déferlement de cash-flow est d’être en partie financées par un fonds nommé Quantonation, dirigé par Charles Beigbeder et… Christophe Jurczac. Ce dernier est passé par Polytechnique, Normale Sup, l’ ESCP[École supérieure de commerce de Paris] puis la Stanford School of Economics avant d’intégrer des postes importants dans des ministères puis de partir pour Poweo, boîte créée par Charles Beigbeder pour tailler dans les croupières d’EDF après l’ouverture à la concurrence du secteur. Ensuite, il a été ou est encore administrateur d’une petite vingtaine de start-up partout dans le monde avant d’intégrer la direction de Quantonation en 2018. Charles Beigbeder, lui, est le frère de l’écrivain. Il a fait l’école Centrale avant de bosser pour Matra et de s’orienter vers l’activité bancaire chez BNP puis le Crédit Suisse. Il monte et revend des boîtes à toute vitesse et il est actuellement à la tête du fonds d’investissement Audacia, tout en mettant des billes aussi dans les start-up de l’aérien et dans les voitures autonomes. Cultivant plusieurs talents, Charles Beigbeder mène en parallèle une carrière politique. Il tente de prendre la tête du Medef sans succès et il se présente sous l’étiquette UMP à Paris, mais il se fait exclure du parti à cause d’une trahison. Depuis, il milite ouvertement aux côtés de Charles Millon pour l’union des droites, assumant vouloir nouer des alliances avec le RN et se faisant remarquer par ses rencontres sans complexes avec Éric Zemmour il y a quelques années, avec Marion Maréchal et Robert Ménard plus récemment.  D’ailleurs, il investit dans des médias et détient des parts des très réactionnaires l’Incorrect et Atlantico. Catholique très pratiquant et membre du Rotary Club, il se dit membre de l’Opus Dei, groupe très conservateur, longtemps compromis avec la dictature Franquiste en Espagne et avec Pinochet au Chili et lié à de nombreux scandales de corruption. Bref, les réseaux de Xavier Aubry sont puissants et influents, on l’aura compris.

Un grain de sable dans la mécanique quantique

  Petit bémol à ce projet mené de main de maître, c’est l’avis défavorable de l’architecte des bâtiments de France qui s’oppose à ce chantier qui détruirait et dénaturerait fatalement le site naturel du parc du Château de la Vallière. L’avis a donc été suivie par la Préfète d’Indre-et-Loire, Mme Marie Lajus, d’autant plus que le gouvernement d’Emmanuel Macron multipliait les discours à teneur écologique et portait une nouvelle législation sur le sujet.
  La nouvelle a douché les espoirs de pas mal d’élus engagés sur le dossier et c’est selon le Canard Enchaîné la raison pour laquelle nombre de notables locaux de la politique ont décroché leur téléphone pour alerter M. Gérald Darmanin du danger de cette Préfète par trop regardante et procédurière, et ce alors qu’il y a eu pas mal de tensions depuis 18 mois, les pratiques de pas mal d’élus locaux étant peu compatibles avec l’approche rigoureuse de Mme Lajus. D’ailleurs, un communiqué de presse du Da Vinci Labs du 25 novembre dernier citait le député Labaronne qui prenait ouvertement parti : « Ce projet ambitieux est conditionné à la modification du plan local d’urbanisme et l’obtention du permis de construire, qui font actuellement l’objet de procédures avec les services compétents. DEV’UP a joué un rôle prépondérant dans ces échanges et nous avons hâte que les discussions aboutissent. Le temps est compté, pour répondre à ces défis planétaires. Et il enfonce le clou auprès de la NR le 2 décembre : « il y a un décalage entre la perception de la préfecture avec l’écosystème qui soutient Xavier Aubry. Depuis le début, la DDT (direction départementale des territoires) et la préfecture ne croient pas dans le projet. Est-ce qu’on a peur que la France réussisse ? Chaque mois de perdu est un mois de perdu pour l’industrie française. Quand il y a un projet d’intérêt général, il existe des dérogations ».

L’incubateur du Da Vinci Labs en images de synthèse pour les Echos

  Quelques jours plus tard, le 7 décembre, au congrès de l’association des maires d’Indre-et-Loire, Jean-Gérard Paumier prenait la parole et tenait des propos interprétés comme une critique directe de la Préfète, considérant que la confiance entre les élus locaux et la représentante de l’État n’était pas au rendez-vous, et que cela ralentissait la Touraine, propos rapportés par la NR le 10 décembre dans un drôle d’article qui reprenait essentiellement les éléments de langage des élus de la droite et de la ruralité. En fait, à ce même moment à Paris, en conseil des Ministres, Gérald Darmanin démissionnait la Préfète Lajus. Chronologie que des élus de gauche et le Canard Enchaîné n’imputent pas au plus grand des hasards.
  À la place est nommé M. Patrice Latron, 61 ans, issu de la formation militaire de Saint Cyr, il devient d’ailleurs chef de groupe puis gravit les échelons chez les chasseurs parachutistes. Dans les années 90 il travaille auprès de Balladur puis Juppé et devient préfet. Il alterne ensuite avec des postes dans les ministères, et prend du galon sous Macron, devenant coordinateur du déploiement du SNU[Service national universel] puis est nommé directeur de cabinet de la ministre en charge des anciens combattants. Des militants de gauche dans des départements où il a exercé le qualifient de totalement déconnecté des sujets sociaux et plutôt porté sur le sécuritaire. Vu le contexte de crise et les enjeux politiques ces prochains mois, son profil inquiète pas mal les acteurs de la solidarité et de l’aide aux migrants qui appréciaient travailler avec Mme Lajus et ses services, notamment après les mauvais souvenirs laissés par la précédente Préfète — Mme Corinne Orzechowski — et sa gestion des flux migratoire et des manifs des Gilets Jaune.

Drôle de coin, la Touraine
  Voilà, ainsi va la Touraine, enchaînant les hommages permanents à Balzac et à ses histoires de notables ventripotents, mettant en scène la fusion des intérêts politiques et économiques, individuels et claniques, publics et privés, aristocratiques et bourgeois — version high-tech —, avec l’assentiment de certains élus, dans un entre-soi qui ne se dissimule même plus, le tout rendu encore plus explicite avec un décor d’Ancien Régime.
  Des hommes d’affaire suisses, un château, des élus, un prix Nobel, des investisseurs, des aristocrates, des subventions, des réseaux, des familles connues, des artistes renommés et l’espoir d’une jolie plus-value. On passe de Balzac aux Pinçon-Charlot tout à coup.

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