LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XXIII

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Son armée refluait en désordre vers Djindji, qui se trouvait très menacé par l'avance victorieuse des généraux d' Aureng Zeb. Ram Raja, qui voulait abandonner la forteresse, y fut retenu de force par les brahmanes. ["...  On eut avis de Gingy que le général Lacheminaïque avait été battu par les troupes du Mogol et qu’il se retirait à grandes journées. Tout était en consternation dans cette place ; plusieurs des habitants se retiraient ailleurs. Ram Raja fut sur le point d’en sortir ; les brahmes lui remontrèrent que tout était perdu s’il quittait, ce qui le fit rester. Le plus important était l’argent qui manquait au prince, ce qui porta le ministre d’écrire au brahme qui était chargé de la vente de la forteresse de Tevenapatam de conclure l’affaire., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. II3.] Le Grand Mogol avait choisi pour cette campagne ses meilleurs chefs : Asad Khan et son fils Zul Fikar Khan,[ou Muhammad Ismail, titré : Zulfiqar Khan, I649-I657-I7I3] Kasim Khan, Firud Jang,[ou Mir Shihab-ud-Din Siddiqi, titré : Ghaziuddin Khan, I649-I7I0; il a fondé une madrasa, école islamique, à Old Delhi, aujourd'hui connue sous le nom de Madrasa Ghaziuddin Khan, où il est enterré] Daud Khan, Nasrat Jang, Rao Dulip, — les uns Musulmans, les autres Hindous. Les lettres de l'empereur à cette époque nous montrent le prix qu'il attachait à la prise de Djindji, véritable clé du Dekkan oriental. Il traite son ennemi de diabolique et manifeste l'intention " d'arrêter son bras avant l' attaque. " Il se fait rendre un compte exact des exploits de ses officiers pendant le siège; il se désespère des tentatives infructueuses pour enlever la place, laquelle ne tombera qu'en I698, sous l'assaut victorieux de Fikar Khan. À plusieurs reprises, la trahison qui couvait dans les rangs des troupes mogoles, avait retardé le succès de cette importante conquête. Les habituelles rivalités entre les chefs mogols, qui, au cours des guerres afghanes, avaient eu de si funestes conséquences, exerçaient là aussi leurs ravages. Un exemple caractéristique est celui d' Asad Khan qui, en I694, refusait de porter secours à son propre fils, Zul Fikar Khan, alors en difficulté devant Djindji, où l'ennemi avait intercepté un de ses convois de ravitaillement. Avec une insistance presque menaçante, l'empereur rappelle à l'ordre le père coupable : " Un mandat royal vous avait été transmis, vous enjoignant de vous rendre dans le plus bref délai au secours de votre fils. Comme vous tardiez, j'ai écrit la lettre de ma plus belle plume. Vous clamiez bien haut votre amour pour votre fils; mais maintenant qu'il est en danger, pourquoi hésitez-vous à aller là-bas ? Manifester un sentiment est une chose, le prouver en est une autre ! " Quelques temps après, Aureng Zeb apprend qu'une partie des officiers qui servent dans l' armée de Rao Dulip fait cause commune avec " l' éhonté Rama " : " Ils ne comprennent pas qu'ils se font d'eux-mêmes la cible de la flèche qui les détruira dans le monde futur. " Une citation du Coran vient à l'appui de cet avertissement " Le blé engendre le blé; et l'orge engendre l'orge. Ne vous désintéressez pas de la récompense de vos actes. " Mais le coup le plus sensible pour l'orgueilleux mogol, fut la trahison d'un de se fils, Kami Bakhsah; il en est aussitôt informé par Asad Khan : " Le prince est prêt à se battre contre nous, avec l'aide de l'infidèle Rama; il cherche à entrer dans la forteresse... Il faut monter la garde autour du prince et prendre la forteresse... Il ne saurait être question de laisser le prince se joindre à nos ennemis et ruiner nos efforts. " Ici encore, le Coran fait entendre sa voix solennelle : " Dans un pays où ce sont les enfants qui font la loi, les droits acquis par des services séculaires ne sont que des jouets entre leurs mains. "
  Comment s'étonner qu'avec tant de complicités jusque dans le camp de son ennemi, Rama ait trouvé de s'enfuir de Djindji, avant la prise de la ville par Zul Fikar Khan, en I698 ? [ "... Après trois tentatives infructueuses de conquête, Jinji n'est capturée qu'au bout de sept ans, le 8 janvier I698. Rajaram réussit cependant à s'échapper grâce à l'intervention de la famille Shirke qui le cacha dans le camp moghol lui-même et lui fournit ensuite des chevaux pour se rendre d'abord à Vellore, puis à Vishalgad., ... "; sur le Web] Cette fuite honteuse ne le sauva pas. Traqué inlassablement par les Mogols, il se réfugia à Singhar [ou Sinhagad], où il mourut deux ans plus tard, épuisé par les excès de toute sorte. ["... Rajaram dirige une importante force marathe pour attaquer la ville moghole de Jalna, qu'il réussit à piller et à incendier. Pénétrant dans la vallée de la Godavari, il pilla Paithan, Beed et d'autres villes occupées par les Moghols le long des rives du fleuve. Au lieu de continuer à progresser, il fit demi-tour vers Sinhagad pour y déposer le butin accumulé lorsque son armée accablée tomba dans une embuscade tendue par Zulfikar Khan. Rajaram tenta d'évacuer les lieux à toute vitesse, mais ne parvint pas à se défaire de la poursuite moghole en raison des bagages. Dans cette retraite désastreuse, l'ingéniosité et le courage de Rajaram furent les seuls à sauver son armée. Bien qu'à moitié mort de fatigue, Rajaram mena une série ininterrompue d'actions d'arrière-garde sur cinquante miles et amena enfin son commandement, réduit mais non détruit, à l'abri bienvenu de Sinhgad. Les difficultés et l'exposition de la poursuite avaient aggravé la faiblesse des poumons de Rajaram, contractée à Jinji. Au bout de quelques jours, une forte fièvre s'installe, accompagnée de fréquentes hémorragies. Sachant que sa fin était proche, Rajaram réunit son conseil et lui ordonna de ne pas relâcher ses efforts dans la guerre de libération tant que le roi Shahu n'aurait pas été libéré et que les Moghols n'auraient pas été chassés du territoire des Marathas. Rajaram mourut d'une maladie pulmonaire en I700 à Sinhagad, près de Pune, dans le Maharashtra, laissant derrière lui des veuves et des enfants en bas âge. Les cérémonies funéraires de Rajaram ont été célébrées par Jivajiraje Bhonsle, descendant direct de Vithoji Bhonsle, frère cadet de Maloji Bhosale et grand-oncle de Chhatrapati Shivaji. Pour perpétuer la mémoire de Chhatrapati Rajaram, Ramchandra Bavdekar construisit un temple à Shiva à l'orée du fort de Sinhgad. Ce temple, richement doté en terres et en argent, est toujours visible dans sa splendeur intacte. Janakibai., ... "; sur le Web]

Mémorial marquant le lieu de la mort du Kshatriya Kulawantas Sinhasanadheeshwar Shreemant Chhatrapati Rajaram Raje Bhosle. Le mémorial se trouve au sommet du fort de Sinhgad, à Pune, en Inde; 20I5. Crédit photo : Amit20081980~commonswiki

  Mais en I690, au mois de septembre, le long siège de cette importante forteresse commençait à peine ["... Lorsque Rajaram se retira du Maharashtra pour se rendre à Jinji, il n'y avait pratiquement plus d'argent dans son trésor. Raigad, la capitale de l'empire Maratha, tomba aux mains d' Aureng Zeb. Il n'y avait plus d'armée ni de gouvernement Maratha centralisé. Dans ces circonstances défavorables, Rajaram et ses conseillers sont contraints d'offrir des domaines féodaux à leurs assistants afin de conserver leurs services et leur allégeance., ... "; sur le Web] et les Français de Pondichéry suivaient les évènements avec une attention inquiète. Aureng Zeb avait repris toute les positions conquises par les Mahrattes à la frontière du Carnatic. Devant son armée les populations des campagnes s'enfuyaient pour se mettre sous la protection des Européens; plusieurs riches brahmanes cherchèrent refuge auprès de nos marchands, qui ne les recevaient qu'avec circonspection, craignant d'attirer sur eux-mêmes la fureur de l'ennemi; ils se contentèrent de mettre à l'abri le bétail que les paysans avaient amené avec eux. François Martin s'efforçait de ménager la chèvre et le chou, le Mogol et le Mahratte; il se tenait difficilement en équilibre sur cette corde raide. Un général de l'empereur à qui il avait fait des ouvertures secrètes, promit de respecter les comptoirs français, si l'on voulait lui livrer Ram Raja, qui, forcé d'évacuer Djindji, ne manquerait pas de gagner la mer pour se sauver. François Martin demeurait perplexe; d'une part, il supputait les forces qui investissaient la place : I5.000 cavaliers, I5.000 " mousquetaires ", presque tous radjpoutes, plus quelques corps francs et une nombreuse artillerie, le tout sous le commandement de Jaloufar Khan. Cent éléphants, quatre mille chameaux et plus de 200.000 bêtes à cornes, qui n'avaient rien à voir dans les opérations du siège, encombraient ce camp en apparence plus pittoresque que menaçant, et auquel les tentes luxueuses des nombreux omrahs de qualité, qui suivaient l'armée, achevaient de donner une couleur féérique. Tous ces gens-là, d'ailleurs, semblaient s'installer pour longtemps, construisaient des cases et plantaient des jardins, comme s'ils prévoyaient une entreprise difficile et de longue durée. Mais de l'autre côté, il y avait six ou sept mille cavaliers mahrattes, qui tenaient la campagne et s'y livraient au pillage, inspirant aux paisibles marchands une terreur au moins aussi vive. ["... L'armée d'investissement est finalement devenue si faible que les commandants marathes ont décidé de lever le siège. Selon les chroniqueurs marathes, les forces marathes s'élevaient alors à près de I00.000 hommes. Dix mille d'entre elles se trouvaient avec Chhatrapati Rajaram à Jinji. 20.000 s'opposent activement aux troupes impériales mogholes dans l'ouest du Deccan. Le reste est divisé en 3 contingents de 20.000 hommes chacun, commandés respectivement par Senapati Santaji Ghorpade, Parsoji Bhonsle, honoré du titre de " Senasahibsubha " ou Patron de l'armée, et Siddhojirao Nimbalkar ; à qui Rajaram avait donné le titre de " Sarlashkar ", ou Chef de la cavalerie. Enfin, I0.000 hommes de troupe forment une colonne volante sous les ordres de Jaysinghrao Dhanaji Jadhav., ... "; sur le Web]
  Déjà les batteries étaient en place et de Pondichéry on pouvait compter les coups de canon, quand le vent était favorable. François Martin était d'autant plus embarrassé pour rendre à Jaloufar Khan une réponse nette, que le bruit courait avec persistance de la fuite de Ram Raja, abandonnant Djindji pour atteindre la côte. À une lieue [4 km] des Français, les Mogols avaient établi dans la pagode de Villenour un entrepôt où ils entassaient tout leur butin, et le chef de notre comptoir se sentait surveillé de près. Pour rendre sa situation encore plus délicate, ne voilà-t-il pas que Ram Raja s'adressa de son côté à lui ? Il s'était retiré dans une forteresse de montagne, à Carnate Dourgon; [située en haute montagne, presque inaccessible, à environ 40 km de Djindji] il y souffrait de froid, et priait le marchand français de lui envoyer quelques aunes de bon drap pour se vêtir, ayant tout abandonné dans sa précipitation de fuir. Martin envoya le drap, et quelques temps après, le raja regagna Djindji. [en février I69I] Trois mois plus tard, le Mahratte renouvela sa manœuvre : cette fois il demandait qu'on lui prêtât de l'argent, une somme considérable, mais sa demande était accompagné de menaces. On éluda pourtant cette trop pressante invite, en prétextant le dénuement de la colonie, qui attendait plusieurs vaisseaux en retard. Ce qui expliquait cette attitude insolente de Ram Raja, c'est qu'il pensait avoir repris l'avantage, les Mahrattes assiégés dans Djindji ayant fait plusieurs sorties heureuses au printemps de I69I. Il se crut assez fort pour expulser de la ville plusieurs de ses officiers et quelques brahmanes dont il se défiait et dont les continuelles intrigues étaient un danger pour la sécurité de la place.
  Le pauvre François Martin avait de plus en plus de mal à sauvegarder sa neutralité. Jaloufar Khan en était arrivé à lui demander ouvertement de s'emparer d'une citadelle mahratte, Valdaour, pour la lui remettre. ["... Les fils de feu Chir Khan Lodi qui avait gouverné une partie de la province de Gingy, dont il est parlé dans cette relation en tant d’endroits, étaient au camp du Mogol ; dans des entretiens qu’ils eurent avec le général, ils tombèrent sur les services que nous avions rendus à leur père dans la prise de Valdaour et encore après cette conquête ; ils dirent ensuite beaucoup de bien des Français. Le général les chargea et notre envoyé qui était présent à cette conversation de m’écrire qu’il nous aurait de l’obligation si nous voulions lui rendre un service semblable en prenant la même place et la lui remettre. Nous nous assemblâmes sur la réception de ces lettres ; on trouva qu’il nous était avantageux de ne point entrer dans cette guerre et de nous entretenir en intelligence avec les deux partis, outre que la conduite du général nous paraissait suspecte par son peu d’application à se rendre maître de Gingy. Nous nous excusâmes sur ce que nous étions en bonne intelligence avec Ram Raja et que ce n’était pas le génie de notre nation de rompre de même avec nos amis., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. I66.] La réponse fut plus généreuse que prudente : " Nous nous excusâmes sur ce que nous étions en bonne intelligence avec Ram Raja, et que ce n'était pas le génie de notre nation de rompre avec nos amis. " Le général mogol était exaspéré par la résistance de Djindji : plusieurs sommations adressées au raja étaient restées sans réponse. Dans la ville, on s'était résolu à un effort désespéré, avec plus d'énergie qu'on n'en pouvait attendre d'un prince si indolent. On renvoya les bouches inutiles, on rationna les vivres... L'avenir, il est vrai, devait bientôt montrer que, de part et d'autre, menaces et rodomontades n'étaient qu'une comédie concertée, Jaloufar Khan, au dire des témoins véridiques, poursuivant une politique personnelle et cherchant à s'entendre secrètement avec l'adversaire qu'il défiait ouvertement. ["...on eut avis que Sultan Camba et le premier ministre Asset Khan étaient arrivés à Carapet, dix ou douze lieues [40 ou 48 km] du camp, avec 4.000 chevaux, 6.000 Rajpoutes, d’autres troupes et un grand convoi de vivres, de munitions et d’argent et des ordres du Mogol de presser le siège et d’emporter la place. (...) L’approche de Sultan Camba continuait à mettre la consternation dans la province et chez les petits seigneurs gentils du sud. Le général des troupes du Mogol écrivit à Ram Raja qu’il n’avait plus de terres à perdre, qu’il fallait subir le joug de bonne heure, qu’il ne serait plus le maître de l’affaire après l’arrivée du prince, qu’il lui ferait encore un bon parti s’il voulait lui remettre Gingy et qu’il attendait sa réponse. Ram Raja, ses brahmes et ses principaux officiers résolurent pourtant de tenir ; ils attendaient un grand secours de Maga Raja. Les bouches inutiles furent mises hors de Gingy et l’on y prépara la défense. On crut pourtant que la plus grande espérance de Ram Raja et de ses brahmes ne consistait pas à ses propres forces ni au secours qu’il attendait, mais à l’intelligence qu’il avait avec le général que l’on ne croyait pas avoir dessein de prendre Gingy. Il avait des raisons pour lors et qui n’ont été connues que longtemps après, mais toute sa conduite était suspecte et la lettre qu’il avait écrite à Ram Raja, n’était qu’un tour de sa politique., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. I67-I70.]
  C'est alors qu' Aureng Zeb, inquiet de la longueur du siège, résolut de chercher ailleurs une diversion. Il envoya une partie de ses troupes vers le Sud, pour occuper la côte, de Congimer à Pondichéry, et même au-delà, jusqu'à la rivière Colerun. Le commandement de ce détachement renouvela la pression exercée sur les Français pour qu'ils joignissent leurs efforts aux siens afin de chasser les Mahrattes de ces parages. François Martin opposa à ses insistances la même réponse dilatoire, plus résolu que jamais à se renfermer dans une sage neutralité. Ceci se passait tout à fait à la fin de I69I.[décembre; "... On avait un avis qu’il y avait déjà du temps que les Mores s’attaquaient à Congimer pour venir au sud ; nous en fûmes mieux informés au commencement de décembre. Nous reçûmes une lettre du commandant de ces troupes ; il nous donnait avis qu’il était envoyé de ces côtés par ordre du général pour en chasser les Marates, qu’il nous invitait de nous joindre à lui, de rompre la correspondance que nous avions avec eux et de lui envoyer des munitions et des vivres. (...) Ce commandant continua par plusieurs autres lettres jusqu’au 23 du même mois ; il nous écrivit qu’il avait un firman du Mogol qui lui remettait toutes les terres depuis Congimer jusqu’à Pondichéry et des lettres du général pour les nations d’Europe établies dans cette distance de lui donner main forte et de l’assister d’argent, de vivres et de munitions. Nous eûmes aussi des lettres qu’il écrivait aux Anglais et aux Hollandais de Tevenapatam ; elles étaient fort cavalières, particulièrement celle pour le gouverneur de la forteresse où il lui mandait de le venir joindre avec des troupes et aux deux nations conjointement de lui envoyer de l’argent, des vivres et des munitions. , ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. I72.]
  Il serait trop long et sans grand intérêt de suivre dans le détail toutes les péripéties de cette guerre interminable. Les mêmes épisodes s'y répètent avec une fatigante monotonie. En I692, Mogols et Mahrattes arrivèrent jusqu'aux abords de Pondichéry, se disputant cette pagode de Villenour, dont les premiers avaient fait un entrepôt richement garni. L'habilité de François Martin parvint à écarter les plus menaçants, en achetant par des présents les officiers de Ram Raja. Mais malgré les ordres de Jaloufar Khan le chef mogol qui commandait à Congimer laissa ses hommes piller la concession européenne, sans que les Français acceptassent pour cela la dangereuse protection des Mahrattes. Le siège de Djindji traînait en longueur, à cause de l'entente secrète des deux chefs ennemis. De plus en plus, la guerre se limitait à un simple brigandage de part et d'autre; il n'y avait plus que de rares escarmouches entre les deux armées, et l'on ne tirait le canon que pour la forme. Les lettres d' Aureng Zeb à cette époque reflètent son dépit et son inquiétude de ne pouvoir emporter une place si mal défendue, en même temps que sa résolution d'en finir. Il envoya des renforts de cavalerie en avril, sous les ordres de Rasoul Khan. [juin I692 "... Le I5, je reçus une lettre d’un Rasoul Khan, deuxième fils de Chir Khan Lody ; il me donna avis qu’il venait de ces côtés- là pour commander les troupes des Mores, qu’il amenait avec lui de renfort, 250 chevaux, 200 Rajpoutes et 500 lascarins, qu’il arriverait au bois dans quatre à cinq jours, qu’il me viendrait voir avec toute la confiance que nous lui rendrions les mêmes services que son père avait reçus de nous autrefois.[en I673, Sher Khan Lodi, gouverneur de la région, cède le village de pêcheurs, Puducherry, à la Compagnie française des Indes orientales, fondée en I664 par Colbert], ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 2I5.] Mais tous les efforts du nouveau chef demeurent paralysés par la mauvaise volonté de son collègue qui laissait les assiégés se ravitailler : au cours de plusieurs sorties, ceux-ci enlevèrent dans le camp ennemi un convoi de trois mille bœufs. À chaque instant, l'empereur relevait de leur commandement des généraux incapables ou d'une fidélité douteuse, sans obtenir grand changement dans la situation. Même le bruit courut un moment que les Mogols renonçant à prendre Djindji, se disposaient à lever le siège. Pour pallier l'effet désastreux de cet échec, ils cherchaient la décision sur un autre point et s'efforçaient d'entraîner les Hollandais dans une action commune contre le Tanjore. [novembre-décembre I692 "... Le sieur Cordier nous donna avis qu’il était arrivé à Negapatam deux envoyés de Sultan Camba qui avaient été bien reçus, qu’on y publiait que c’était pour détourner les Hollandais de faire la paix avec Maga Raja, même de les engager à se joindre à un corps de cavalerie more et donner conjointement sur Tanjore d’où l’on envoyait tout le secours qui entrait dans Gingy et qui était la seule cause de la longueur du siège. Le voyage de ces envoyés avait peut-être d’autres causes, mais il est sûr que les Hollandais sont trop bons politiques pour avoir répondu favorablement à Sultan Camba dans l’assistance que ce prince leur demandait pour l’attaque de Tanjore. Il n’était pas de leur intérêt de s’attirer proche d’eux un voisin aussi puissant que le Mogol ; ils se tiraient mieux d’affaire avec un petit prince gentil ; les envoyés restèrent tout le mois à Negapatam., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 256.] Mais Ibrahim Khan se laissa surprendre au passage d'une rivière et essuya une grave défaite. ["... c’était à la sollicitation d’ Ibrahim Khan qui, ayant eu avis que l’ almamy [almami ou almaami, titre que portaient aux XVIIIe et XIXe siècles les chefs de guerre musulmans et monarques] était à quelques lieues des bois, il avait envoyé prier de le venir joindre et qu’il y avait un coup à faire. Pendant la nuit, nous vîmes les feux de leur camp. Darmogy était à Villenour assez embarrassé sur ce qu’il pouvait faire dans une conjoncture de même ; il prévoyait bien que si les deux corps se joignaient, qu’il ne pourrait leur résister ni les empêcher de passer au sud ; il prit pourtant sa résolution en homme de tête et de cœur ; il fit passer pendant la nuit 30 cavaliers et 200 fantassins de l’autre côté de la rivière, •ces gens se postèrent à couvert dans des fonds et à l’abri de quelques forts de bois et de haziers [hêtres] éloignés de 5 ou 600 pas du passage ordinaire de la rivière ; le commandement de ce détachement avait ses ordres. Darmogy avança aussi pendant la nuit avec le reste de ses gens et 50 cavaliers qui lui étaient venus de renfort, dans des masures d’un village ruiné et à couvert aussi de quelques bosquets, à 7 ou 800 pas du passage pour tenter quelque coup sur le parti, suivant les occasions qui lui paraîtraient favorables. (...) Le I5, l’ almamy avec ses gens arrivés de l’autre bord de la rivière, après avoir sondé le gué, ils se déterminèrent à passer, mais comme ils voulaient conserver leur bagage, les harnais de leurs chevaux, ils se dépouillèrent, ôtèrent les scelles, firent des paquets de tout jusqu’à leurs armes qu’ils lièrent en fagot pour les passer sur leur tête pour tâcher à ne rien mouiller. Un commandant qui aurait eu un peu d’expérience aurait fait reconnaître les lieux d’autour avant que de s’engager au passage ; l’ almamy, quoiqu’en réputation parmi les Mores de bon capitaine, ne prit point cette précaution. (...) Darmogy voyant l’occasion belle partit de la main avec ses gens et donna sur les ennemis qui étaient de son côté, pendant que le détachement qui était de l’autre bord donnait sur ceux qui restaient à passer. Il y eut d’abord un grand désordre parmi les Mores, plusieurs de tués et de blessés avant que d’avoir pu se mettre en défense. Quantité de ceux qui étaient dans la rivière, voyant un péril égal à avancer ou à retourner, abandonnant ce qu’ils portaient sur leur tête et se laissant entraîner au courant pour gagner la rive plus bas, furent emportés et beaucoup de noyés. (...) Ibrahim Khan et Naropendit sortirent des bois dans le même temps avec leurs gens, mais un peu tard pour assurer le passage de la rivière au secours qu’ils avaient sollicité ; cependant ils empêchèrent qu’il ne fut défait entièrement., ..."; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. 26I-262-263.] Une armée de secours qui arriva de Djindji à la fin décembre acheva de jeter le désarroi dans le camp des assiégeants, où les fausses nouvelles semaient la panique : le bruit de la mort d' Aureng Zeb courait avec persistance. Partout les Mogols se virent réduits à la défensive. Ram Raja relevait la tête et augmentait sa pression sur les Européens, avec une orgueilleuse insolence : il demandait une fois de plus aux Français un prêt important, et se croyait en droit de leur vendre Pondichéry avec tout le territoire avoisinant.
 
 
Tanjore, Palais royal : Le Darbâr est la salle où les nayaks et les rois marathes recevaient la cour et la population. Sur le Web

   Enfin, en janvier I693, les Mogols se résignaient à négocier avec les Mahrattes : ils se décidaient à lever le siège; ["... Les Mores devant Gingy étaient resserrés dans leur camp par la cavalerie des Marates qui battait la plaine et qui les empêchait de sortir. Plusieurs personnes s’échappaient pourtant les nuits et se retiraient à San Thomé et à Madras ; les vivres manquaient ainsi que le bois et le fourrage ; on tirait la paille qui servait de couverture aux cases du camp pour donner aux chevaux et aux bestiaux et le bois, en achevant de les mettre à bas, pour la cuisine à ceux qui avaient de quoi.(...) À la troisième sortie, Jaloufar Khan passa jusqu’à Vandavachy, éloigné de huit ou dix lieues [32 ou 40 km] du camp et en tira quelques milliers de bœufs, chargés de vivres ; il fut attaqué des Marates au retour, mais continuant toujours sa marche, et tenant les Marates éloignés par le feu de sa mousqueterie, il rentra au camp avec une partie du convoi. (...) Cependant ce léger secours ne pouvait les faire subsister que quelques jours ; il n’y avait plus à penser à la prise de Gingy ; il fallait songer à retirer et conduire en sûreté tant de gens de différentes professions qui étaient dans le camp. On fit passer des envoyés à Gingy pour traiter avec Ram Raja., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. 277-278.] mais l'évacuation d'un camp aussi disparate et encombré que le leur était une opération délicate, qui ne pouvait être conduite avec succès sans les dispositions conciliantes de Ram Raja. Pressenti, celui-ci refusait de donner une réponse nette. Il fallut encore les concessions habituelles de Jaloufar Khan et l'effet de son accord personnel avec le raja pour obtenir des conditions favorables. ["... Les Mores ne pouvant plus subsister devant Gingy sans vivres, sans bois, sans fourrage dans leur camp, les tentatives pour en avoir n’ayant pas réussi, on nous donnait avis que les envoyés de Jaloufar Khan ayant passé à Gingy, ils avaient traité avec Ram Raja et son ministre moyennant I00.000 roupies d’or, qu’ils auraient la liberté de se retirer avec tout ce qui était dans le camp sans aucun empêchement dans les terres du Carnate, que le traité signé et les assurances réciproques, la somme avait été portée à Gingy. Outre cette somme Jaloufar Khan avait fait présent à Ram Raja de plusieurs joyaux, qu’il y en avait 60.000 pagodes, que ce prince par reconnaissance avait envoyé au général des joyaux de la valeur de I5.000 pagodes, un éléphant, deux chevaux, plusieurs chameaux et 2.000 bœufs pour servir à porter le bagage. (...) Par un article du traité, les Mores ne devaient rien entreprendre sur les terres de Gingy et les Marates réciproquement ne devaient point faire de courses sur les terres du Carnate,... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. 285-286.] Le 3 février l'armée mogole commença sa retraite.
  Ce n'était pas le seul échec qu' Aureng Zeb eût éprouvé au cours de cette guerre contre un ennemi irréductible autant qu' insaisissable, qui ne fut jamais complètement vaincu. Plusieurs de ses armées avaient dû capituler dans le Carnatic, abandonnant au vainqueur les éléphants, les armes, les bagages et le trésor. Une brusque inondation du Bhima, en I695, lui fit perdre I2.000 hommes et tout le matériel de son camp. Lorsque l'empereur, malgré son âge, se décida à prendre lui-même la tête des opérations, il était trop tard pour redresser une situation irrémédiablement compromise par la mésintelligence de ses généraux ou leurs trahisons successives. ["... Tout ce ménagement réciproque de l’un et l’autre était une suite de l’intelligence qu’il y avait entre eux. On a su depuis que le ministre Asset Khan et son fils Jaloufar Khan, voyant le Mogol extrêmement âgé et son esprit un peu altéré, à ce que l’on rapportait, prévoyant, suivant les apparences ou peut- être suivant qu’ils le souhaitaient, qu’il ne vivrait pas longtemps, envisageant ensuite les guerres qui arriveraient entre les sultans ses fils pour s’emparer de cette belle succession, ainsi que je l’ai remarqué, avaient formé le dessein de profiter de ces troubles en se cantonnant dans quelques parties de ses états et s’y établir en souverains. Ils avaient de grandes richesses, des troupes à leur dévotion et le corps des Marates qu’ils avaient en vue de mettre de leur côté pour faire par là un parti considérable. Ce dessein où l’on a été confirmé par la suite de la conduite de Jaloufar Khan en ménageant encore Ram Raja dans plusieurs irruptions qu’il a fait encore depuis dans les terres de Gingy, de Tanjore et de Maduré et même jusqu’à fournir des moyens à ce prince pour sa subsistance, n’en pouvant tirer de ses terres entièrement détruites, n’a plus laissé à douter de leur intelligence., ... " MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 287.] C'est en vain qu'il réussit enfin à s'emparer de Djindji, dont il avait repris personnellement le siège : lorsque la place tomba en I698 sous les coups de Zul Fikar Khan, stimulé par la présence de son maître, elle n'avait plus pour lui aucune valeur stratégique, et sa possession n'était plus qu'une satisfaction d'amour-propre. Ram Raja s'était enfui une fois de plus avant l'assaut,[lire ci-dessus] pour s'enfermer dans Satara, [le Vasota fort, dans l' État du Maharashtra, à l'ouest de l' Inde; "... Lorsque le conseil chargé de planifier la prochaine action s'est ouvert à Satara, Hukumatpanah Ramchandrapant, soutenu par ses lieutenants, Parashuram Trymbak et Shankar Narayan, a accédé au siège de Chhatrapati et a été félicité pour son administration pendant l'exil de Rajaram. Rajaram a loué les services des maisons marathas d'Atole, Dabhade, Pawar et Patankar et leur a distribué, ainsi qu'à d'autres, des robes d'honneur correspondant à leur rang et à leurs réalisations, tout en dévoilant sa stratégie. Rajaram avait l'intention de laisser Aurangzeb épuiser son armée en assiégeant les forts du Deccan, tandis que lui et ses lieutenants envahiraient avec de grandes troupes de chevaux les territoires moghols plus loin qu'ils n'avaient été envahis depuis de nombreuses années. Ainsi, tandis que l'empereur moghol tentait de détruire les bases marathes, les Marathes ripostaient en détruisant les siennes. Rajaram déclara : la puissance de l'ennemi est faible : "La puissance de l'ennemi est affaiblie, nos troupes ne craignent plus de rencontrer celles de l'empereur. Notre tâche touche à sa fin. Par la bénédiction et le mérite de mon père, le divin Shivaji, la fortune couronnera nos efforts par la victoire, ... "; sur le Web] dont Aureng Zeb ordonna l'investissement l'année suivante. Il commanda en personne les travaux du siège, s'exposant en première ligne avec un parfait mépris de la mort. Satara tomba à son tour au printemps de I700, et cet éphémère succès coïncida avec la disparition de Ram Raja. [lire ci-dessus]


Vue panoramique du fort de Gingee, 2007 : vue de la citadelle de Rajagiri, au sommet de la colline, du Kalyana Mandapam, tour blanche, et de la mosquée de Mohabatkhan, à droite. Source : CC-by-sa PlaneMad/Wikimedia

Le fort Vasota est délabré et envahi par la végétation. C'est aujourd'hui, une réserve naturelle protégée. Auteur : Ccmarathe

   Débarrassé de son ennemi, le Grand Mogol n'en avait pourtant pas fini avec cette famille qu'il qualifiait de démoniaque. Au contraire, la veuve de Ram Raja, Tara Baï, [ou Tarabai Bhosale; elle a épousé Rajaram Maharaj à l'âge de 8 ans en I682, devenant ainsi sa seconde femme], exerçant le pouvoir au nom de son fils, un enfant de quatre ans, [" Shivaji Bhonsle II de l'empire Maratha, plus tard Shivaji Bhonsle I de Kolhapur, I696- I726; son cousin, Shahu Ier, libéré des Moghols en I707, défie avec succès Tarabai pour devenir le prochain Chhatrapati. Tarabai établit alors une cour rivale à Kolhapur. Shivaji II occupe le poste de Raja de Kolhapur de I7I0 à I7I4; à cette époque, il est à nouveau déposé par sa belle-mère Rajasbai qui installe son propre fils, Sambhaji II, sur le trône de Kolhapur. Shivaji Bhonsle I meurt de la variole le I4 mars I726., ... "; sur le Web] se montra encore plus énergique et redoutable que son mari. ["... Tarabai était douée pour les mouvements de cavalerie et effectuait elle-même des mouvements stratégiques pendant les guerres. Elle dirigea personnellement la guerre et poursuivit le combat contre les Moghols. Une trêve fut proposée aux Moghols de telle manière que l'empereur moghol la rejeta rapidement, et Tarabai poursuivit la résistance des Marathas. En I705, les Marathas ont traversé la rivière Narmada et ont fait de petites incursions dans le Malwa, battant immédiatement en retraite. En I706, Tarabai a été capturée par les forces mogholes pendant une brève période de quatre jours, mais elle s'est échappée après que le camp moghol, — dans lequel elle était détenue, — soit tombé dans une embuscade tendue par les Marathas., ... "; sur le Web] Elle reprit une à une toutes les places qui restaient encore aux mains des Mogols, rassembla des armées considérables et ordonna une dévastation complète du Dekkan. En sorte que, lorsqu' Aureng Zeb mourra en I707, on peut dire que cette terre si longuement convoitée et si âprement disputée devait être son tombeau et que les Mogols furent ensevelis dans leur illusoire conquête.

Statue équestre de Tarabai à Kolhapur. Auteur : Pradeep717

  Dans une lettre qu'il écrivait à son dernier fils, Kam Bakhsha, son préféré, quelques semaines avant sa mort, Aureng Zeb, faisant un retour mélancolique sur ce passé encore proche de lui écrivait : " Le souci de mes officiers et de mon armée est une cause de chagrin pour mon cœur... Il ne faut pas que les Mahométans soient massacrés à la guerre, et que le blâme encouru pour ce massacre retombe sur les épaules de cette inutile créature que je suis. " Et à son petit-fils : " Conquérir le cœur des soldats est la plus grande part du succès. " Ces accents d'humilité sincère pèseront aussi lourd dans la balance que les cris de victoire, les récriminations contre les chefs coupables ou les défis orgueilleux à ses ennemis, dont sont remplis les lettres des années précédentes.

***

  Si la lutte contre les Mahrattes est le chapitre le plus important de l' histoire du Grand Mogol dans la dernière partie de son règne, elle n'absorbe pourtant pas toute son activité politique et militaire durant cette période. Bien qu'il ne semble pas avoir pris clairement conscience de cet autre danger, les progrès des Européens dans l' Inde représentaient pour lui une pressante menace, dont il ne pouvait pas se désintéresser complètement. Les Anglais surtout ne cessaient d'exercer une pression envahissante sur divers points de son empire.
   En I687, un grave conflit éclata au Bengale, où la Compagnie des Indes anglaises jouissait d'un privilège en vertu duquel, moyennant une redevance annuelle de trois mille roupies, elle ne payait aucun droit d'entrée ou de sortie sur ses marchandises. Mais elle se prétendait victime de toute sorte d'avanies et d'injustices, de la part des fonctionnaires mogols. La cour de Delhi, de son côté, reprochait à la Compagnie d'abriter sous son pavillon des vaisseaux étrangers et même hindous, pour les faire bénéficier de ses avantages. À Surate, les Anglais étaient fortement suspectés de prêter la main aux entreprises des corsaires, et même d'en tirer profit. Par représailles, les troupes mogoles pillaient leurs comptoirs, notamment ceux de Vizagapatam. [ou Visakhapatnam; dans l'État fédéré de l' Andhra Pradesh; novembre I689; "... Les Anglais avaient un comptoir considérable à Vizagapatam, un port de la même côte ; il y a apparence que le gouverneur de la province reçut des ordres du Mogol de les arrêter ; cet officier chargea de cette commission un Citaram Raja, gentilhomme de main. On dit que le chef du comptoir eut avis de ce que l’on brassait contre eux. On ajoutait que leur loge était dans une situation à pouvoir parer un coup de main des gens du pays ; cependant, ou que les Anglais ne crurent pas que l’avis fut sûr ou manque de conduite, le raja Citaram entra dans la loge sans aucune résistance avec une suite de gens armés, demandant à parler au chef. Cet homme fit encore une autre faute, il parut avec les autres personnes du comptoir sans être armé que de quelques pistolets que des Anglais de sa suite tenaient à la main. Sur l’ordre que le raja dit qu’il avait de les mener au gouverneur de la province, le chef qui tenait un pistolet coucha en joue ce commandant, l’arme manqua le raja et ses gens firent main basse sur les Anglais ; le chef, le second et un autre furent tués sur la place, un pilote [eut] les deux poignets coupés d’un coup de sabre. Quelques Anglais trouvèrent lieu de se sauver et de gagner la mer avec le fils du chef ; il en resta d’autres dans la loge avec des dames anglaises qui furent arrêtés et renfermés. On fit ensuite un inventaire des effets que l’on trouva qui monta à plus de 800.000 livres en or, en argent et en diverses sortes de marchandises., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 62.] S'il faut en croire François Martin, ce furent les Anglais qui cédèrent les premiers, en I689, et dans les plus humiliantes conditions, Aureng Zeb avait fait occuper l'île en face de Bombay, et arrêter un grand nombre de notables en concession. ["...Les Anglais avaient rompu absolument avec le gouverneur de Surate au point que l’on croyait les affaires terminées. Les deux partis s’accusaient réciproquement de mauvaise foi, les Mores pour se disculper d’une entreprise qu’ils avaient formée d’enlever le général des Anglais, qui ne leur avait pas réussi, pendant que l’on traitait à Soualy ; l’accusation des Anglais était dans la justice, leur conduite dans les formes ; ils s’étaient tenus sur leur garde et ils avaient raison ; cependant le général, ne voyant plus d’apparence ni suite à continuer la négociation, se retira avec ses vaisseaux. Il était resté ... personnes, gens du commerce, dans la loge de Surate ; ils y furent arrêtés par le gouverneur, mis aux fers, les effets saisis ; le pavillon qui était arboré fut tiré du mât et mis en pièces et la guerre ouverte ensuite. Les navires des marchands de Surate furent arrêtés aussi par l’ordre du gouverneur, dans la vue de les armer pour les faire passer à Bombay, sur l’avis qu’on avait eu que les troupes du Mogol, après avoir rendu tributaires les états de Cañara et de Cranganor et s’être emparés de la forteresse de Ponda, à cinq ou six lieues [20 ou 24 km] de Goa, continuaient leur marche pour entrer dans les états de Ram Raja, deuxième fils de Sivagy Raj a, et qui avait été élevé au trône après la mort de son frère Sommagy Raja » Le gouverneur de Surate ne doutait point du succès de cette expédition et que les troupes pousseraient ensuite jusque devant Bombay, d’où elles pourraient passer dans l’île sur les vaisseaux qu’il avait entrepris d’armer et d’y envoyer et apparemment aussi suivant les ordres qu’il avait du Mogol., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 38.] Pour obtenir le retrait de cette garnison et la libération des leurs, les Anglais envoyèrent une ambassade au Grand Mogol : les parlementaires se présentèrent devant lui " les mains attachées d'un mouchoir par les poignets " et se prosternèrent, le visage contre terre, " criant plusieurs fois en langue more : miséricorde ! " L'empereur, magnanime, finit par accorder son pardon, et la paix fut provisoirement rétablie. [mars-avril I690; "... Nous reçûmes au commencement d’avril des lettres du sieur Suarez qui était à la cour du Mogol ; il donnait avis de l’accommodement des Anglais avec ce prince. Les envoyés avaient paru devant lui les mains attachées d’un mouchoir par les poignets mais seulement par forme et prosternés jusqu’à donner du front à terre en criant : miséricorde. Asset Khan, premier ministre, qui les conduisait, demanda aussi pardon pour eux, que le Mogol leur accorda. Ils se levèrent ensuite ; on leur tira après le mouchoir qui leur attachait les mains. On écrivait que les présents étaient de I50.000 roupies, sans compter les curiosités d’Europe, de la Chine et du Japon qui n’entraient point dans cette somme. Le Mogol promit d’écrire au général de l’armée qui était devant Bombay pour le faire retirer et aussi à Surate pour élargir les Anglais qui étaient aux fers dans leur loge et gardés à vue, sous cette condition qu’il n’en resterait pas un d’eux dans cette ville mais qu’on pourrait y en mettre d’autres à leur place, cette condition ne fut pourtant pas observée, les droits à l’ordinaire trois et demi pour cent (...) Voilà la fin de la guerre des Anglais contre le Mogol, honteuse pour eux et qui a coûté des millions à leur Compagnie, car quoiqu’ils aient fait de riches prises en perles, or et argent comptant, elle y a eu la moindre part. Les Anglais firent de grandes réjouissances à Madras pour cette paix., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, p. 86.]
  Cette même année I689, le Hollandais à leur tour essayèrent de tourner à leur avantage ce recul de leurs plus anciens rivaux dans la concurrence des nations européennes pour le commerce de l' Inde. Ils firent savoir à Aureng Zeb que " leur république s'était emparée de l' Angleterre et qu'elle y avait établi un roi de leur nation. " [Guillaume III, I650-I702; roi d'Angleterre, d'Irlande et roi d'Écosse, sous le nom de Guillaume II, de I689 jusqu'à sa mort; "... Petit-fils par sa mère du roi Charles Ier, décapité au cours de la Grande rébellion, Guillaume épousa en I677 sa cousine germaine la princesse Marie d'Angleterre, fille aînée de l'héritier du trône anglais Jacques, duc d'York. Lorsque ce dernier devint roi en I685, son catholicisme et ses politiques impopulaires lui aliénèrent l'opinion anglaise majoritairement protestante. Dans ce qui fut appelé la Glorieuse Révolution de I688-I689, Guillaume renversa Jacques II et obtint les couronnes d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande., ... "; sur le Web] L'astucieux Mogol répondit aussitôt qu'il les félicitait de leurs succès, mais, puisqu'ils étaient maîtres de l' Angleterre, il leur demandait trois points : " le premier, de leur faire remettre Bombay, le second, de lui livrer le général Child, président de la Compagnie anglaise à Surate,[Sir Josiah Child, I630-I699; commerçant et économiste; maire de Portsmouth, I658; c'est en I674, qu'il prend la direction de la Compagnie] le troisième, de satisfaire à toutes les pertes que les Anglais avaient causées à ses sujets. " L'ambassadeur, prit de cours, ne jugea pas opportun d'insister il se retira l'oreille basse, avec ses seize compatriotes et ses trois cents porteurs indigènes, chargés de palanquins, de tentes, de présents et de provisions. Les Hollandais se consolèrent de cet échec en intriguant avec les Mahrattes pour essayer d' expulser les Français de Pondichéry. [" Si persistante fût-elle, l’hostilité des Hollandais à l’égard de la France ne s’était pas affirmée dans l’Inde depuis la paix de Nimègue, avec autant d’acuité qu’elle fit à partir du mois de juillet I689. Alors, fiers du succès de la révolution d’Angleterre, nos ennemis n’hésitèrent pas à dénaturer la portée véritable des faits qui venaient de se passer en Europe ; ainsi pensaient-ils se donner plus d’autorité auprès des princes indigènes et ruiner plus complètement dans leur esprit des Compagnies de commerce rivales de la leur. Ils n’hésitèrent pas davantage à se targuer auprès d’eux de chasser très vite de Pondichéry les Français. Effectivement, dès cette époque, Martin apprenait par différentes voies que les Hollandais, non contents de fortifier leur comptoir de Négapatam à la côte de Coromandel, montaient une attaque contre cette même loge que lui-même travaillait le mieux possible, et avec toute son activité, à mettre en état de défense. Ils employaient aussi quelques-unes de leurs créatures à obtenir l’assentiment formel ou, tout au moins, la connivence tacite de la cour de Gingy à ce coup de force. (...) Dès le mois d’août I689, sous la pression des principaux brahmes de son conseil, gagnés par nos ennemis, il [gouverneur général de la province de Gingy] écrivait personnellement à Martin pour lui exposer « les propositions que lui faisaient les Hollandais, le besoin qu’il avait d’argent pour entretenir les troupes, et qu’il serait forcé d’abandonner Pondichéry à leur discrétion, à moins que nous ne lui fissions un prêt de 5 à 6.000 pagodes à compte de douane ». (...) A force d’habileté, de bonnes paroles, d’explications, et en tirant le meilleur parti de toutes les circonstances, Martin essaya toutefois de gagner du temps et de retarder le plus possible le moment où les Hollandais, passant des paroles aux actes, exécuteraient leur dessein « de tirer la Compagnie de Pondichéry et de ne rien épargner pour y réussir »., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. 20-2I-22.]

Guillaume III par Thomas Murray, I69I. 

  Aux deux extrémités de son empire, le Grand Mogol rencontrait à peu près les mêmes difficultés : à Surate, les incursions des pirates, les violences des corsaires, le trouble jeté dans les affaires par l'arbitraire et les malversations des gouverneurs, les abus des courtiers et des agents des douanes, — sans compter les ravages endémiques de la peste. Au Bengale, les rivalités des commerçants de toute provenance, les marchandages incessants avec les étrangers pour la concession des firmans; l'un d'eux se tient trop heureux, après six mois de pourparlers, d'avoir obtenu son privilège moyennant 40.000 roupies et fait cette judicieuse réflexion : " La somme paraîtra considérable aux personnes qui ne connaissent pas les Indes; outre qu'il semble qu'un prince devrait faire des gratifications aux nations qui s'établissent sur ses terres, au lieu d'en tirer de l'argent pour leur accorder la permission. " C'est pourtant vers ce souverain de Delhi que se tournent les Européens de l' Hindoustan, quand ils se sentent en danger; et c'est ce que fera François Martin lui-même en I693, quand il verra Pondichéry menacé par les Hollandais et Ram Raja. Malheureusement ses démarches furent trop tardives, la diplomatie mogole était trop lente, trop encombrée de pièges à bakchichs, pour qu'on pût espérer un succès. ["... L’escadre des navires hollandais que nous avions avis avoir jeté l’ancre devant Colombo, vint mouiller à Negapatam dans le même mois de mai ; quatre de ces vaisseaux jetèrent l’ancre devant Tevenapatam le 28, un autre le 29 et quatre le 3I. Le sieur Laurens Pit vint les joindre quelques jours après avec plusieurs petits bâtiments ; cette escadre pendant son séjour à la rade de Tevenapatam a été de II navires, plusieurs bots, un demi-bot et des bâtiments du pays. Le voisinage de cette escadre à quatre lieues [I6 km] sud de nous ne nous laissa plus à douter que les Hollandais en voulaient à Pondichéry; (...) Notre application pendant les mouvements des Hollandais à Tevenapatam fut de nous fortifier autant que nous le pourrions. Nous fîmes rétablir nos anciennes barrières, on en fit de nouvelles en d’autres endroits, on ouvrit un grand fossé des côtés du nord, du sud et de l’ouest de la place en forme de fausse braye ; nous levâmes des soldats du pays, des Rajpoutes et des Mores ; nous fîmes abattre des maisons qui étaient proches du fort. (...) Nous ne rencontrâmes que trop juste dans la pensée que nous avions des Hollandais ; nous eûmes des avis sûrs que le sieur Laurens Pit avait reçu des ordres de Batavia de tirer la Compagnie de Pondichéry, que pour rendre Faction immanquable on lui envoyait cinq vaisseaux chargés de troupes, européens, macassars et boughis pour joindre ces forces à celles de l’escadre, que ces bâtiments aussi chargés de munitions étaient prêts à mettre à la voile, qu’on avait fait partir aussi un petit navire pour Colombo et des ordres au gouverneur général de l’île de Ceylan d’envoyer aussi un détachement de troupes européennes et un corps de Chingalais pour être employés dans l’action. (...) Nous ne négligions rien de ce qui pouvait contribuer à conserver Pondichéry à la Compagnie sur les assurances que nous avions que les Hollandais devaient venir. J’écrivis au sieur Guesty, qui est établi à San Thomé, afin de chercher des voies de nous ménager la protection du général du Mogol qui était toujours à Vandavaehi avec son armée et, lorsque nous sûmes certainement que la cour de Gingy écoutait les propositions des Hollandais, j’écrivis à Jaloufar Khan. La lettre fut envoyée au sieur Guesty pour la faire tenir ; elle fut bien reçue ; nous l’informions par là du dessein des Hollandais, de la jonction de Ram Raja avec eux pour nous tirer de Pondichéry ; nous offrions d’arborer le pavillon du Mogol. Il voulait envoyer une personne de qualité pour le faire valoir, étant bien persuadé que nos ennemis n’oseraient pas insulter une place qui serait sous la protection de ce grand prince. Jaloufar Khan écouta ces propositions ; il demanda seulement que l’on envoyât un homme pour traiter. Il était difficile pour lors de faire passer de Pondichéry à San Thomé ; nos ennemis avaient des soldats du pays et en nombre sur toutes les routes. (...) pourtant les choses suivant le génie des Mahométans et sur des vérités appuyées sur quantité d’expériences, il n’y avait pas d’apparence au succès de cette négociation ; les prétentions de Jaloufar Khan auraient été extrêmement haut; il aurait aussi fallu faire des présents à beaucoup de personnes de qualité qui étaient de sa cour; (...) Le détachement des Hollandais campa au bord de la mer au lieu où ils avaient résolu de faire leur descente ; le 25 août et les deux jours suivants furent employés au débarquement des troupes, du canon, des mortiers, des munitions, de planches, de soliveaux pour leurs bateaux, d’outils à remuer la terre, etc. Ram Raja, suivant le traité, y envoya des gens pour y servir et des brahmes pour faire apporter au camp les denrées des villages voisins. Les Hollandais formèrent leur grand camp au même lieu où ils faisaient leur débarquement, ils le formèrent de palmistes de Jaffnapatam et des pièces de campagne autour pour la défense. Lorsqu’ils se virent en état de s’avancer vers le fort, ils firent leurs approches par le vallon dont j’ai parlé et à couvert des dunes. Nous n’étions pas assez forts pour les aller chicaner dans leurs approches, leurs forces trop supérieures aux nôtres. (...) L’état où nous étions pour lors était extrêmement embarrassant ; nous nous voyons à la veille d’être enlevés de force, la consternation parmi les soldats de la garnison qui criaient hautement qu’on les voulait faire égorger, point de secours à espérer d’aucun lieu, les ennemis animés et rendus plus fiers par la prise du poste de l’église. Nous ne déterminâmes pourtant rien. (...) Sur les quatre heures du matin du 6, le Conseil fut assemblé, on envisagea l’état de la place qui n’était plus tenable, la consternation de la garnison qui attendait avec impatience de voir ce que nous ferions pour prendre apparemment leur parti. (...) cependant j’écrivis une lettre au sieur Laurens Pit, général des troupes et qui était au grand camp, je la donnai à un de nos gens pour la porter ; il fut arrêté au poste avancé, d’où l’on en donna avis au général. Les ordres vinrent ensuite de le laisser passer ; la lettre ne contenait autre chose que nous demandions de traiter, que nous envoyions des otages et que nous en demandions à leur place. La réponse du sieur Laurens Pit fut fort civile, il acceptait les conditions; (...) Le traité fut signé le 7 septembre et la place rendue le lendemain. Tout le monde prit les armes et fut au bord de la la mer. J’étais fort mal depuis deux jours, je restai au fort avec les R. P. Jésuites et le R. P. Capucin dans l’appartement ordinaire et que j’avais toujours occupé jusqu’au 24. Pendant la marche de la garnison et l’embarquement, les Hollandais prirent possession du fort, les officiers des troupes qui y entrèrent mirent des sentinelles partout, particulièrement au magasin., ... "; MARTIN François, Mémoires, fondateur de Pondichéry : I665-I696. Tome III, Société française d' histoire des outre-mers, I934, pp. 3I0 à 358.]

***

  N' y avait-il pas dans cet immense empire, au moment où il commençait à se désagréger, une armature solide capable de le maintenir debout ? Bien des fois, au cours de cette histoire, nous avons mentionné le nom des Radjpoutes, la plus ancienne noblesse de l' Inde, " ces fils du héros légendaire Rama, ces orgueilleux descendants du Soleil et de la Lune, dont le glorieux rang, par tant d'unions, était passé dans les veines des Grands Mogols. " Nous avons vu cette fine fleur de chevalerie au premier rang de leurs armées; nous avons rencontré plus d'un général célèbre dans leurs états-majors... Ce fut la grande faute d' Aureng Zeb, faute définitive, irrémédiable, de s'aliéner pour toujours ces précieux alliés.
  La rupture s'était produite en I679, quand l'empereur prétendit mettre la main sur l'héritage de Jaswant Singh, un des plus riches rajas du Radjpoutana et un des plus habiles et des plus fidèles chefs de l' armée mogole. C'était une figure de notre Moyen âge et l'on trouve dans sa vie des épisodes qui rappellent nos chansons de geste, par exemple celui-ci : après une bataille malheureuse, il s'enfuit pour chercher refuge sur ses terres; mais sa femme fit fermer devant lui les portes de son château, refusant obstinément de les ouvrir, parce qu'elle ne voulait pas reconnaître son mari dans la personne d'un vaincu et d'un lâche déserteur. Ajoutons aussitôt que cette défaillance est exceptionnelle dans la carrière d'un homme qui fut un des principaux artisans des victoires d' Aureng Zeb au début de son règne.
  Jaswant Singh mourut près de Kaboul en I978. En février I679, le Grand Mogol envahie le royaume de son fidèle serviteur, le Marwar. Pour éviter une conversion forcée à l' Islam, la famille du raja se dispersa. Les autres grands États radjpoutes, Udaipur, Chitor, le Mewar, qui avaient eu le tort de laisser anéantir l'un des leurs sans intervenir, furent attaqués à leur tour. En quelques mois, Aureng Zeb allait détruire l'œuvre séculaire de son ancêtre Baber. Mais il rencontra devant lui une résistance inattendue. Tous les Radjpoutes, menacés en même temps dans leur indépendance et dans leur foi, se dressèrent contre lui et formèrent un seul corps de 25.000 cavaliers; aveuglé par son fanatisme non moins que par son ambition, l'empereur se trouva engagé dans une vaste expédition, qui prit bientôt le caractère de guérilla sans merci, à cause de l'état morcelé du pays qu'il avait envahi. Et cela, à l'heure même où il n'aurait pas eu de trop de toutes ses forces pour contenir les Mahrattes au Dekkan. Une fois de plus la trahison accomplit sa besogne néfaste. Mais cette fois, elle fut plus cruellement sensible au Mogol. Après avoir vu passer à l'ennemi l'un de ses généraux, Taharwour Khan, il eut la douleur d' assister à la révolte de son propre fils, Akbar.

 

Les Rajputs représentent la deuxième caste de l'Inde. Sur le Web


  À suivre...

  BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 277-288.
 
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