LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XXIV

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  En I679, Akbar, d'abord gouverneur de Malwa, était vice-roi du Multan. C'était, au dire de Bernier, un homme " agité, turbulent, arrogant et malsain. " Au début de la campagne du Radjpoutana, il avait exercé un commandement dans l'armée impériale. Mais s'étant laissé battre, il rallia bientôt le camp de ses adversaires. ["... Dans la seconde moitié de l'année I680, après plusieurs mois de revers, Aureng Zeb décida de lancer une offensive générale. Niccolao Manucci, un artilleur italien de l'armée moghole, raconte : " pour cette campagne, Aureng Zeb a mis en gage l'ensemble de son royaume ". Trois armées distinctes, dirigées par ses fils, Muhammad Akbar, Azam Shah et Mirza Muhammad Mu'azzam, pénètrent dans les Aravallis à partir de différentes directions. Cependant, leur artillerie perd de son efficacité lorsqu'elle est traînée sur les collines accidentées et Azam Shah et Mirza Muhammad Mu'azzam sont tous deux vaincus par les Rajputs et battent en retraite. (...) Muhammad Akbar et son général Tahawwur Khan avaient été chargés d'essayer de soudoyer les nobles rajputs pour les faire passer du côté moghol, mais dans leurs tentatives, ils se sont eux-mêmes fait piéger par les Rajputs. Les Rajputs incitèrent Muhammad Akbar à se rebeller contre son père et lui offrirent tout leur soutien. (...) Muhammad Akbar prête une oreille attentive aux Rajputs et promet de restaurer la politique d' Akbar., ... "; sur le Web] Il ne craignit pas de marcher contre son père, avec des forces radjpoutes, conduites par Durga Das. [Durgadas Rathore, I638-I7I8; " On lui attribue le mérite d'avoir préservé le règne de la dynastie Rathore sur le Marwar, en Inde, après la mort du Maharaja Jaswant Singh. Pour cela, il a dû défier Aureng Zeb. Il a commandé les forces de Rathore pendant la guerre des Rajputs, I679-I707, et a joué un rôle majeur dans la rébellion des Rajputs, I708-I7I0. Élu chef de la révolte avec Raja Jai Singh II de Jaipur, il remporte plusieurs victoires contre les Moghols et contraint de nombreux officiers moghols à lui rendre hommage sous la forme d'un impôt ou un tribut régulier, appelé : chauth., ...; sur le Web] Akbar, chez qui l'incapacité semble avoir égalé la bassesse du caractère, essuya une nouvelle défaite, grâce à la présence d'esprit et à la ruse d' Aureng Zeb. Craignant de tomber entre les mains de l’empereur, et sachant le sort qui l'attendait, il rejoignit Sambadji au Dekkan, lui-même. entraînant avec lui un grand nombre de Radjpoutes. ["... Voyant que Muhammad Akbar n'avait pas tenté de trahison et qu'il pouvait être utile, le chef des Rathores, Durgadas Rathore, emmena Akbar à la cour du Maratha Chhatrapati Sambhaji, en quête de soutien pour le projet de le placer sur le trône de Delhi. Muhammad Akbar resta cinq ans auprès de Sambhaji, espérant qu'on lui prêterait des hommes et de l'argent pour s'emparer du trône moghol. Sambhaji est occupé par des guerres contre les Siddis de Janjira, Chikka Devaraja de Mysore, les Portugais de Goa et Aureng Zeb., ..."; sur le Web] Si bien que les seules forces sur lesquelles le Mogol aurait pu compter pour tenir en respect les Mahrattes, se trouvèrent désormais conjurées avec ses plus terribles ennemis. Un témoin a constaté que si le prince Akbar " eut assez de hardiesse pour se soulever, il n'eut pas assez de conduite pour profiter des conjonctures qui lui étaient favorables; il prit le commencement de l'affaire pour la fin. Il ne pensa qu'à se faire, couronner et à des actes de réjouissance, pendant que son père, avec sa célérité ordinaire, assembla des troupes et tomba tout d'un coup sur ce fils révolté; son armée se dissipa et ce prince n'eut pas d'autre parti à prendre que la fuite. " [ "... Le Ier janvier I68I, il se déclare empereur, publie un manifeste déposant son père et marche vers Ajmer pour le combattre. En tant que commandant d'une division moghole, Akbar dispose d'une force de I2 000 cavaliers, de l'infanterie et de l'artillerie. Le maharaja Amar Singh II de Mewar y ajoute 6 000 cavaliers rajputs, soit la moitié de sa propre armée. Lorsque cette armée combinée traverse le Marwar, de nombreuses bandes guerrières de Rathores la rejoignent et portent ses effectifs à 25 000 cavaliers., ... "; sur le Web] ["... Aureng Zeb écrit alors une fausse lettre à Muhammad Akbar et s'arrange pour qu'elle soit interceptée par les Rajputs. Dans cette lettre, il félicite son fils d'avoir enfin fait sortir les guérilleros Rajputs au grand jour, là où ils pourraient être écrasés par le père et le fils ensemble. Les commandants rajputs soupçonnent cette lettre d'être fausse mais l'apportent au camp de Muhammad Akbar pour obtenir une explication. Ils y découvrirent que Tahawwur Khan avait disparu. Soupçonnant le pire, les Rajputs s'en vont au milieu de la nuit. Le lendemain matin, Akbar se réveilla et découvrit que son principal conseiller et ses alliés avaient disparu et que ses propres soldats désertaient d'heure en heure au profit d'Aureng Zeb., ... "; sur le Web]
  Nous possédons une lettre d' Aureng Zeb, datée de I703, et qui peut servir d'épilogue à ce triste épisode; lettre amère, désabusée, où ce vieillard de quatre-vingt-cinq ans fait figure de prophète : " Le méchant Akbar, dans l'espoir de recevoir du secours du Démon de la forêt , le roi de Perse, s'est retiré en Irat, Perse, près de Kandahar, et à la suggestion du gouverneur de cette province y demeure confiné attendant ma mort. Je n'ai pas oublié les paroles de ce musicien, qui au moment d'appliquer son archet contre les coupes, ce qui les mettait en danger, avait coutume de dire : Je ne sais qui la pierre du destin brisera en premier, de vous ou de moi : les coupes ou l'archet. " Les dernières phrases sont un souvenir d'un poète persan, et renferment effectivement un avertissement prophétique. Après la mort de Sambadji, Akbar n'avait pas attendu l'armée que son père avait envoyé contre lui sous les ordres de son frère Mouazzam. Sa fuite le sauva d'une lutte fratricide qui aurait fait revivre le plus sombre épisode de la jeunesse du Grand Mogol. En I682, le fugitif accepta l' hospitalité du roi de Perse, Shah Husain Safavi, [ou Soltan Hossein, I668-I726; "... neuvième et dernier grand séfévide. Il régna sur la Perse de I694 à I722 avant d'être destitué par les rebelles afghans. Son règne marque la chute de la dynastie séfévide qui régnait sur l'Iran depuis le début de XVIe siècle., ... "; sur le Web] qui le prit sous sa protection. Il mourut en I706, à Gasmir, dans le Khorasan, [ou Khorassan : « là d'où vient le soleil »; région située dans le nord-est de l'Iran] un an avant son père, dont il justifiait ainsi la prédiction; l'archet avait été plus fragile que les coupes entre les mains du destin.

 

Peinture de Durga Das devant le Maharaja Ajit Singh de Marwar. Bikaner, début du XIXe siècle.

  I707... C'est l'heure où Aureng Zeb, parvenu lui-même au terme de sa course mortelle, reste seul face à lui-même. Écoutons-le encore dans ce suprême entretien : " Toute l'armée royale du Dekkan est dans la confusion et l'abandon. L'armée est inquiète comme moi qui ai choisi la solitude loin de Dieu, moi qui suis dans le trouble, et instable comme le mercure. Mais l'armée ne comprend pas qu'il y a un maître tout-puissant. Je n'ai rien apporté avec moi; j'emporte tous les fruits de mes péchés... " Songe-t-il encore à " battre le tambour de la victoire ", comme après la prise de Sattara, dans le Konkan, sept ans auparavant ? C'était une des rares victoires de cette triste époque; selon une manie invétérée, il avait changé le nom hindou de cette ville contre un nom arabe qui signifie " la plus grande étoile ". Et dans ses derniers rêves, il revoyait cette importante citadelle, perchée sur le sommet d'une haute montagne et si près du ciel qu'un poète l'avait en effet comparée à une étoile.
  La mort le prit, sans le surprendre, et telle qu'il avait souhaitée. Il était dans son camp, à Ahmednagar, au milieu de ses soldats. Il venait d'écrire à son fils, Kam-Bakch, le seul dont il pût se souvenir avec une tendresse sans mélange : " Âme de mon âme, maintenant que je suis seul et je m'éloigne. De quelque côté que je porte mes regards, je ne vois plus que Dieu. " À ses yeux, les Mahrattes, les Radjpoutes, les Portugais de Goa, les Anglais de Bombay, n'étaient plus que les rêves d'une ombre. Seuls restaient les péchés qu'il avait commis et les supplices qu'il avait infligés.
  Il s'éteignit subitement le 3 mars I707. Près d' Ahmedabad où il fut enterré, le lieu de sa sépulture, Khouldabad, [ou Khuldabad; ville du district d' Aurangabad dans l'État indien du Maharashtra. Elle est connue sous le nom de Vallée des Saints, ou de Demeure de l’Éternité, car au I4ème siècle, plusieurs saints soufis ont choisi d'y résider] lui donna son dernier nom mortel et Abouz Zafar Mouhi ad-Din Mohammed Aureng Zeb Alamguir, accablé sous le poids de tant de titres humains, ne fut plus devant Allah que Khouldmakan, l' Habitant du pays de l' Éternité.


Tombe d'Aureng Zeb, Khuldabad. " La tombe d'Aureng Zeb se trouve à l'angle sud-est du complexe de la tombe de Zain-ud-din, mort en I370 après J.-C. Elle est remarquablement simple, conformément aux souhaits d'Aureng Zeb. On dit qu'Aureng Zeb a financé son lieu de repos avec seulement I4 roupies et I2 annas [I/I6e de roupie] en tricotant des bonnets pendant la nuit, lors des dernières années de sa vie. Il ne reste qu'un morceau de terre avec une petite plante sabza au sommet et il n'est couvert que par la voûte céleste. Cette modeste tombe en plein air exprime la profonde dévotion d'Aureng Zeb à ses croyances islamiques. Le portail et le porche à coupole existants ont été ajoutés en I760 après J.-C. Le sol est en marbre, une balustrade en marbre perforé se trouve sur trois côtés et le mur de la dargah [sanctuaire] du saint soufi Shaikh Burham-u'd-din Gharan, mort en I33I, forme le quatrième côté; il est aussi en marbre. Une plaque de marbre située dans l'un des coins indique l'épithète d'Aureng Zeb, comme Al-Sultan al-Azam wal Khaqan al-Mukarram Hazrat Abul Muzaffar Muhy-ud-Din Muhammad Aurangzeb Bahadur Alamgir I, Badshah Ghazi, Shahanshah-e-Sultanat-ul-Hindiya Wal. Il a été érigé par le Nizam d'Hyderabad.[titre du monarque de l'État d'Hyderabad; Nizam est une forme abrégée de Niẓām ul-Mulk qui signifie administrateur du royaume] Ce grand complexe funéraire comprend également les tombes du fils d' Aureng Zeb. Azam Shah, et de son épouse., ... "; sur le Web.


ÉPILOGUE


LE GRAND MOGOL DEVANT DIEU


  Et maintenant, il n'y a plus de Grand Mogol. Il n'y a plus qu'un homme qu'il faut essayer de comprendre pour le juger équitablement. L'histoire, et plus encore la littérature, lui ont été souvent sévères. De Voltaire à Leconte de Lisle, [Charles Leconte, dit, I8I8-I894; poète et auteur dramatique; académicien; élu le II février I886 au fauteuil de Victor Hugo, qui ne cessa de le soutenir, il est reçu le 3I mars I887 par Alexandre Dumas fils] ni le sarcasme, ni l'invective ne lui ont été épargnés. L'auteur des Poèmes Barbares [I862] n'y va pas de main morte : non content de le qualifier d' ascétique assassin, ce qui n'était déjà pas mal trouvé, il a représenté Aureng Zeb, " vêtu de sa robe grossière...assis à la place où son père a siégé ", sur un trône usurpé, ce qui, en somme, est le fait de quelques douzaines de souverains, tant occidentaux qu'orientaux :
  Pour atteindre plus tôt à ce faîte sublime,
  Aureng a tout fauché derrière et devant lui.
  Ses deux frères sont morts; il est seul aujourd'hui.
  Il règne, il a lavé ses mains chaudes du crime :
  Voici que l'œuvre est bonne et que son jour à lui...

  Les poètes, c'est entendu, ont tous les droits, même lorsque, comme Leconte de Lisle, ils ne sont pas tout à fait ignorants de l'histoire dont ils prétendent s'inspirer. Mais les historiens sont sans doute moins excusables de négliger, derrière l'apparence des faits, les nuances d'un caractère et les subtilités d'une conscience.
  Mieux connue, la grande figure d' Aureng Zeb peut être dégagée de quelques légendes absurdes qui lui ont fait du tort et de nombreuses contradictions, dans sa conduite et dans ses mœurs, qui en dénaturent le vrai sens. C'est cette complexité qui déconcerte l' historien. Malgré soi, et quelles que soient les différence de race et de milieu, on songe au beau portrait de Cromwell par Bossuet. [Oliver, I599-I658; militaire et homme politique anglais; Lord-protecteur d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, à partir de I653. Cromwell mourut d’une fièvre ordinaire, causée probablement par l’inquiétude attachée à la tyrannie ; car dans les derniers temps, craignant toujours d’être assassiné, il ne couchait jamais deux nuits de suite dans la même chambre., ... "; sur le Web https://www.france-pittoresque.com/spip.php?article6502] Une partie des traits convient aux deux personnages. "... Bossuet était loin de penser sur Cromwell comme le cardinal Mazarin : « Que si vous me demandez, dit-il, comment tant de factions opposées, et tant de sectes incompatibles, qui se devaient apparemment détruire les unes les autres, ont pu si opiniâtrement conspirer ensemble contre le trône royal, vous l’allez apprendre : « Un homme s’est rencontré d’une profondeur d’esprit incroyable, hypocrite raffiné autant qu’habile politique ; capable de tout entreprendre et de tout cacher ; également actif et infatigable dans la paix et dans la guerre ; qui ne laissait rien à la fortune de ce qu’il pouvait lui ôter par conseil et par prévoyance ; mais, au reste, si vigilant et si prêt à tout, qu’il n’a jamais manqué les occasions qu’elle lui a présentées ; enfin, un de ces esprits remuants et audacieux, qui semblent être nés pour changer le monde, etc. »., ... "; sur le Web]

 

CROMWELL Oliver, par Robert Walker

  À suivre...

   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 277-292. 

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