L' AGONIE D'UNE ARMÉE, METZ I870, JOURNAL DE GUERRE D'UN PORTE-ÉTENDARD DE L' ARMÉE DU RHIN, ÉPISODE I


LE COMMANDANT FARINET


  Alexandre Farinet est né le 29 juin I835 aux Riceys, chef-lieu de canton de l' arrondissement de Bar-sur-Seine.
  Fils d'un commissionnaire de roulage [transport de marchandises par la route], il sait à peine se tenir sur ses jambes que déjà le voici jouant entre les pieds des chevaux, gambadant sur la paille fraîche de l'écurie, accompagnant les bêtes à l'abreuvoir, et rentrant, pimpant et ivre de gaieté, juché sur le dos d'une jument débonnaire où l'a hissé la poigne complaisante de quelque roulier [voiturier] au service de son père. À huit ans, il a son poney à lui, et ce sont, entre les heures de classe, des galops à travers champs, des haies sautées, des fossés franchis, l'ivresse des courses éperdues au grand air, par vent et par bise, pluie ou soleil. Puis avec les années la passion s'affirme, la vocation s'éveille : Alexandre sera cavalier. Et, comme il est haut, robuste à souhait, taillé enfin pour porter armure, il s'engage au 8e cuirassiers : février I856. [ou 8e RC; " Monarchie : régiment de Villequier, Ier régiment à porter la cuirasse complète, plastron et dossière, créé en I665, devient régiment royal et prend le nom de « Cuirassiers du Roi ». C’est le seul régiment à porter ce nom et sera le futur 8ème Régiment de Cuirassiers sous le Ier Empire. Révolution : à partir de I79I, la numérotation des régiments de grosse cavalerie est adoptée sous l’appellation « Régiments de Cavalerie ». (...) Premier Consul, Bonaparte, crée les « Régiments de Cuirassiers » : les 5 premiers par ordonnance du I7 décembre I802, puis les 7 suivants; Consulat et le Premier Empire : par décret du Ier Vendémiaire an XII, 24 septembre I803, Bonaparte remplace les régiments désignés anciennement par le nom de « Régiment de Cavalerie » par celui de la nouvelle subdivision d’arme : Les Cuirassiers. (...) Cuirassiers du Roi, créé en I665, devient le 8ème Régiment de Cuirassiers, (...) Pour Napoléon les cuirassiers sont une véritable force de frappe de I2 000 sabres articulés en 3 ou 4 divisions de « grosse cavalerie » susceptibles de charger « à fond », au galop, en rangs serrés, par masses successives dans les moments décisifs de la bataille, capables de tout renverser chez l’adversaire. Ils seront sur tous les fronts et leurs faits d’armes restent dans les mémoires : I805, AUSTERLITZ; I806, IÉNA; I807, EYLAU, HEILSBERG, FRIEDLAND; I808, campagne d’Espagne; I809, ECKMÜL, ESSLING, WAGRAM I812; MOSKOVA,I8I3; DRESDE, I8I4; CHAMPAUBERT, MONTMIRAIL, MONTEREAU, NANGIS, VALJOUAN; I8I5, WATERLOO. (...) Les Cuirassiers (...) Guerre Franco-allemande : I870-I87I (...) Division DUHESME : Brigade MICHEL : 8ème et 9ème RC. Les régiments sont décimés lors de la charge dans le village de MORSBRÖNN le 6 août I870. Le reliquat participe à la défense de Paris puis aux combats de l’Armée de la Loire., ... "; sur le Web]


Exemple de cavalier de régiment des cuirassiers : Ernest Théodore Tissié, I834- I904. Photo : le Roch : Saumur.

   Il est rapidement brigadier, rend ses galons pour entrer dans la garde; le voici maréchal des logis, puis élève à l'école de Saumur ["... en I763 le roi Louis XV confie au Duc de Choiseul la réorganisation totale de la cavalerie Française. " La plus belle École du Monde " est alors construite sur le Chardonnet pour accueillir les officiers et les sous-officiers chargés de l'instruction dans les régiments de cavalerie. (...) L’École de Saumur voit le jour en I8I4 elle comprend un manège militaire et un manège d'académie dans lesquels on enseigne les principes d'équitation militaire. Les écuyers du manège académique se réclament dès lors de la tradition de Versailles. En I825 Charles X fonde l'École royale de Cavalerie de Saumur. Le corps des instructeurs d'équitation, ou écuyers, est alors réparti en deux manèges l'un militaire l'autre académique. Dès le début du XXe siècle ce corps est communément désigné sous le nom de Cadre Noir.,... "; sur le Web] où il reste deux ans, faisant avec maîtrise de la haute école. Il revient ensuite à Paris. Alexandre Farinet est adjudant aux cuirassiers de la garde; c'est un gaillard de belle prestance, svelte, à l'œil froid, aux reins cambrés, portant coquettement le claque sur l'oreille.[chapeau claque ou gibus : haut-de-forme] Il excelle au manège, fait l'admiration de ses chefs, les conquiert par sa crânerie et sa science d'homme de cheval. Bientôt les plus beaux noms de l' Empire, le prient de dresser leurs chevaux. On le voit au Bois de Boulogne, à l'heure fashionable, [adjectif et synonyme, 2 genres. Qui appartient à la fashion; Tout en un, Encyclopédie illustrée des connaissances humaines, Librairie Hachette, I92I] accompagnant dans leurs promenades les commandements Cools, [Amédée-Alfred, baron de Cools, I830-I904] Friant : ce dernier officier d' ordonnance de l' Empereur et qui plus tard à Metz sera " l'âme du parti impérialiste ". [Louis-Gilbert-François-Léon Friant, I822-I899; il devient officier d'ordonnance de Napoléon III en I858]
   Le prince Murat, [Joachim Joseph Napoléon, 4e prince Murat, I834-I90I; général du Second Empire, I852-I870] colonel des guides de la garde, [nommé à la guerre d' Italie, I859], le remarque, les généraux de Berins, Morris, Marion, le maréchal Magnan [Bernard Pierre, I79I-I865; il est nommé Maréchal de France en I852] lui confient leurs montures qu'ils trouvent trop " raides ", et l'adjudant Farinet des cuirassés de la garde les assouplit par un savant dressage.
   En I864, il est promu officier au choix, " hors tour de l'Empereur ". En I867, il est sous-lieutenant au 7e cuirassiers sous les ordres de ce même comte Friant, son protecteur, devenu lieutenant-colonel. En 70, il est porte-étendard, au début de la campagne. Puis ce sont les marches et contre-marches, la charge héroïque sur la brigade Bredow, l'agonie de la cavalerie sous Metz, la mort du dernier cheval, la capitulation, la débâcle, l' exil ! [" où " La bataille de Mars-la-Tour, également appelée bataille de Rezonville ou bataille de Vionville, I6 août I870.[le sous-lieutenant Farinet Alexandre y fut blessé d'un coup de lance à la main gauche et d'un coup de sabre à la main droite] (...) Après avoir essuyé de multiples défaites en Alsace et en Moselle, notamment lors de la bataille de Forbach-Spicheren, l’armée du Rhin bat en retraite vers l'ouest en direction de Metz, considérée comme la plus importante place-forte d'Europe. Napoléon III, malade et discuté, rejoint Châlons-sur-Marne et abandonne le commandement au maréchal Bazaine [François Achille, I8II-I888; "... En I867, Bazaine revient en France (…) retrouve le commandement du 3e corps d'armée de Nancy où il remplace le maréchal Forey. (…) Pourvu d'un commandement en France, il pressent que la guerre est inévitable et estime que le pays n'est pas prêt à l'affronter. Il adresse au ministère des rapports sur l'incohérence des approvisionnements des magasins de son armée, la mauvaise instruction et l'indiscipline des recrues. Il est nommé commandant du camp de Chalons et commandement en chef de la garde impériale, puis commandant du 3e corps d'armée du Rhin. Les revers commencent : Wissembourg, le 4 août, Forbach, le 6 août et l'écrasement de Mac-Mahon. Bazaine n'est pas mêlé à ces opérations ; six jours après Forbach, il est nommé par l'Empereur commandant en chef et généralissime des armées impériales. L'Empereur estime qu'il est le seul capable de sortir l'armée française du bourbier dans lequel elle s'est enfoncée et l'opposition notamment Jules Favre l'acclame : on ne parle plus unanimement que du « glorieux Bazaine »., ... "; sur le Web] le I2 août I870. Il lui ordonne au préalable de s'occuper du repli de l'armée française sur Châlons. Mais Bazaine n'est pas de l'avis de Napoléon III. Il souhaite en effet livrer bataille rapidement, car il a confiance en la puissance de la place de Metz et omet l'incapacité de celle-ci à tenir un siège. Il ne met donc aucun empressement à exécuter l'ordre reçu et emprunte lentement la route de Verdun. (...) Frédéric-Charles [Prince de la Prusse, dit le " Prince rouge ", I828-I885] franchit la Moselle le 15 août à Novéant. En fin d'après-midi, les avant-gardes de son armée atteignent Mars-la-Tour et barrent la route de Verdun. Les Français sont contraints de livrer bataille le lendemain. Le I6 août I870, la bataille de Mars-la-Tour débute. Vers I0 heures, le corps du général Canrobert [François Marcellin Certain de, I809-I895] est attaqué à Vionville par le 3e corps d'armée prussien commandé par Von Alvensleben.[Constantin, I809-I892, général] Le corps du général Le Bœuf [Edmond, I809-I888] est engagé à son tour vers midi. Les Français se regroupent et font face aux unités prussiennes. La bataille tourne alors en mêlée confuse. Les assauts prussiens sont contenus par l'artillerie française. (...) Les troupes prussiennes sont à bout et la bataille semble tourner à l'avantage des Français. Mais des renforts allemands arrivent en fin d'après-midi. Ces derniers lancent alors le 7e régiment de cuirassiers, le I9e régiment de dragons et le I6e régiment d'uhlans, équivalent des lanciers, de la I2e brigade de cavalerie d'Adalbert von Bredow [Friedrich Wilhelm, I8I4-I890, lieutenant-général] dans la bataille, dans le but de faire taire l'artillerie de Canrobert. Dans ce qui allait devenir la « chevauchée de la mort » de von Bredow, les cavaliers qui se lancent des lignes prussiennes à I4 heures profitent de l'état du terrain ainsi que de la fumée pour dissimuler leur progression aux observateurs français. Apparaissant alors à moins de I 000 mètres des lignes françaises, la cavalerie prussienne perce à deux reprises les lignes françaises, y causant un vent de panique dispersant les soldats de Canrobert. Le général Frossard [Charles Auguste, I807-I875] lance à son tour les cuirassiers de la Garde impériale sur la partie gauche du champ de bataille. Dans la confusion, les cuirassiers français sont partiellement dispersés par l'infanterie de Canrobert qui fait feu sur tout cavalier à portée de tir. Il s'agit là du dernier grand affrontement de cavalerie d'Europe marqué par de célèbres charges comme celle de la brigade du général Joseph Bachelier. [I8I0-I886] La charge fantastique de von Bredow sonne néanmoins le glas d'une grande partie de l'élite de la cavalerie prussienne. (...) L'armée française reste maîtresse du champ de bataille et dispose d'un avantage numérique. Bazaine peut alors choisir, soit de poursuivre les combats le lendemain avec l'appui de renforts venus de Metz, et avec de bonnes chances de battre l'armée du prince Frédéric-Charles; soit de profiter de l'avantage de son camp pour rejoindre Verdun puis Châlons. Mais contre toute attente, il ordonne le repli de tous les corps sur le flanc ouest de Metz entre la Moselle et l'Orne, affluent de la Moselle, prétextant un manque de vivres et de munitions. Il laisse ainsi aux Prussiens la possibilité de continuer vers le nord-ouest et de barrer la route de Verdun. Le I8 août, l’armée du Rhin est confrontée à une nouvelle bataille, celle de Saint-Privat, où la défaite lui coupe définitivement la route vers l'ouest, l'enfermant à Metz., ... ; sur le Web]


Carte allemande de la bataille. Les forces françaises sont en haut de celle-ci, les forces allemandes en bas. Sur le Web
 
  Le lieutenant Farinet, tête basse, part pour l' Allemagne; il languit à Marbourg [Marburg en allemand; länder de Hesse] trois longs mois et ne rentre en France qu'une fois la paix signée.
  Il rapporte de sa captivité son " Journal de guerre " que les Allemands n'ont pas saisi lors de la visite de ses bagages, au jour du départ pour l' Allemagne. " Mes notes sur la campagne étaient ficelées en un paquet, au fond de ma cantine, dit lui-même le lieutenant Farinet. ¨Par bonheur, les Prussiens ne les ont pas prises. "
  C'est qu'il les aime ses " notes ", son " mémorial ", ses " fascicules ", ainsi qu'il les nomme. Il y crie son indignation de patriote trahi par Bazaine; il y affirme sa foi en notre " belle armée ", en son " incomparable cavalerie "; il n'a que ces notes pour justifier cette armée du Rhin qu'il a connue grande, belle, forte. Il les fera éditer plus tard, beaucoup plus tard...
  Et le temps passe.
  Alexandre Farinet est lieutenant au 9e cuirassiers, il fait partie de l'état-major du général Lartigue, [Marie-Hippolyte de, I8I5-I893] est promu capitaine, commande un escadron, puis prend sa retraite, en I886, comme commandant et officier de la Légion d' honneur. Il ne laisse derrière lui, dans l’armée, que des regrets et de solides amitiés.
  Depuis bientôt près de treize années, retiré à Amélie-les-Bains, [Pyrénées orientales, Perpignan] le commandant Farinet achève dans le calme une vie toute d'honneur, partageant ses heures entre la lecture et les soins que réclame son jardinet. Sa verte vieillesse se plaît encore à agir et, bien qu'il ait dépassé soixante-dix-huit ans, l'ancien officier de cavalerie se dépense encore sans compter, prodiguant aux " jeunes " ses conseils éclairés.

***

  Comment sommes-nous entrés en relations, le commandant et moi ? Mon Dieu, bien par hasard. Un ami commun m'apporta son " Journal de guerre " en me priant de le lire.
  Le commandant Farinet avait déjà heurté à de nombreuses portes. Bien accueilli partout, encouragé par de hautes personnalités militaires ou littéraires, voir Appendice, il allait sans cesse, plein de foi en son œuvre, cherchant, chose bien dure à trouver par le temps qui coure, un éditeur. Son manuscrit était un registre relié en toile noire, près de cinq cents pages de texte, touffues, écrites d'une écriture soignée, presque sans ratures. J'y trouvai, à côté de redites nombreuses, des passages de tout premier intérêt, de l'émotion vraie, rien de truqué, d’apprêté, mais souvent des longueurs, des lignes parfois fastidieuses, et soudain, au détour d'un feuillet, de véritables morceaux de maître.
  Lisez par exemple, pour n'en citer que trois : les " adieux du lieutenant Farinet à sa jument Biche ", l'héroïque " chevauché de la mort ", et la scène de la " reddition de nos cuirassiers aux Allemands "; et dîtes-moi si, malgré vous, l'émotion ne vous empoigne pas ? Le dernier tableau surtout, si sobrement brossé, est d'un effet saisissant. C'est après l'avoir lu que j'allai rendre visite un éditeur ami et lui remis le " manuscrit Farinet. "
  Il ne balança pas, et, après avoir pris connaissance des " fascicules ", décida de les éditer, trouvant qu' " ils en valaient la peine ".
  Chargé par lui de la mise au point des pages qui vont suivre, je pensai qu'il serait intéressant de les confier à la science d'un spécialiste qui les annoterait au point de vue nettement historique. En effet, je n'avais, moi, jugé l'œuvre qu'en littérateur; restait la question histoire. C'est mon ami Pierre Davaud dont je connais la remarquable érudition, qui va dire lui-même au lecteur en un avant-propos, la réelle valeur historique de l' Agonie d'une Armée.
  Quant à moi, je n'ai fait que d'indispensables et minimes retouches, je me suis borné à élaguer parfois de-ci de-là, à effleurer pour le redresser tel ou tel passage qui fléchissait un peu. Partout j'ai agi avec prudence. Quant au style lui-même j' n'y ai pas touché; je voulais en effet que l'œuvre du commandant Farinet fût bien son œuvre à lui et non point je ne sais quel mélange de sa pensée et de la mienne, et qu'elle conservât sa rude saveur militaire et son émotion première.
  Charles Robert-Dumas [I875-I946; auteur de livres pour enfants, de romans policiers et d'espionnage. (...) Professeur d'allemand au collège de Saint-Germain-en-Laye avant la Première Guerre mondiale. (...) Il participe à la Grande Guerre en qualité d'officier interprète de Ire classe de l'état-major de la 3e armée. Sa conduite lui vaut la croix de guerre avec deux citations à l'ordre de l'armée en I9I6 et en I9I8, et la croix de chevalier de la légion d'honneur, le 6 juillet I9I9. Maintenu au service comme indispensable par décision du ministre de la guerre, il poursuit sa carrière au Service de Renseignement. Il est nommé en divers postes en France et en Allemagne. En I940, l'autorité occupante inscrit douze de ses ouvrages sur la liste Otto des livres à retirer des librairies et de la vente. Arrêté à Paris par la Police militaire allemande, le I2 janvier I94I, il est relâché le même jour faute de preuves. Arrêté à nouveau à Paris par la Geheime Feldpolizei, le I8 juillet I942, sur ordre de Berlin, il est écroué à Fresnes puis transféré à Francfort où il est détenu au secret par la Gestapo du I5 août au 5 octobre I942. Libéré, il est tenu sous surveillance à Paris jusqu'en juillet I944. Il est rappelé à l'activité le I2 octobre I944. Il meurt à Reims le I9 août I946. Il est enterré au cimetière de Cayeux-sur-Mer, une commune de la Somme où ses parents avaient une maison.,... "; sur le Web]
  Décembre I9I3.


Contes d'or de ma mère-grand. Illustrations en noir et en couleurs. I929. Sur le Web.

APPENDICE

  Nous avons cru être agréable à nos lecteurs en rassemblant ici quelques documents appartenant à M. le commandant Farinet et qu'il a bien voulu nous communiquer. Ce sont des lettre à lui adressées à de hautes personnalités littéraires ou militaires, des appréciations de généraux et d'officiers supérieurs à propos de son " Journal de campagne ". On verra quel vif intérêt avait éveillé chez tous sans exception la lecture de ce manuscrit et quels encouragements autorisés il reçut à le publier.

Janvier I872.Général DE LARTIGUE. — " Aucune lecture sur l'armée du Rhin ne m'a autant intéressée, il y a intérêt à faire imprimer ces mémoires, qui renferment des documents historiques précieux provenant de jugements sérieux pris sur le vif... "

Même date.Colonel RÉGNIER, chef d' état-major. [Joseph Mondésir, I822-I902] — " Vos souvenirs sont émouvants, attachants, très curieux. Ces pages inédites font revivre ce terrible drame de Metz, dont l'auteur devrait être fusillé sans pitié. "

I873.Général DE GRAMONT, duc DE LESPARRE, [Antoine-Léon-Philibert-Auguste, I820-I877] mon ancien général de brigade. — Le régiment quitta Limoges pour tenir garnison à Paris; mon premier devoir fut de rendre visite à mon général, à son hôtel, rue de Miromesnil; je fus reçu à bras ouverts. La conversation s'engagea; le général me dit : — Friant m'a parlé de votre intéressant ouvrage; Wolff m'en avait déjà entretenu : Wolff, capitaine d'état-major, son officier d'ordonnance, vieil ami retiré comme colonel retraité à Orléans. Quelle paix désastreuse ! Si Murat avait voulut nous écouter, et entraîner le maréchal Bazaine, nous n'en serions pas là. Vous avez été témoin dans nos réunions de généraux, de l'enthousiasme qui s'empara de tous, en faveur du Prince impérial, après la catastrophe de Sedan; [Ier septembre I870 : défaite des troupes françaises par les Prussiens qui entraîna la capture et la chute de Napoléon III, la proclamation de la république à Paris, et termina la première phase du conflit. Larousse] ... ce fut de l'exaspération quand on apprit la révolution du 4 septembre, [... Dès l'annonce de la capitulation de Sedan, connue à Paris le 3 septembre, les députés républicains demandent à l'Assemblée la déchéance de la dynastie, mais aucun vote n'intervient. Le lendemain, dimanche 4 septembre, alors que le Corps législatif examinait deux autres projets : celui de Cousin-Montauban, prévoyant une lieutenance générale, et celui de Thiers, proposant la création d'un comité de Défense nationale, la foule envahit le palais Bourbon. Gambetta, monté à la tribune, fait acclamer par cette assemblée la déchéance de la dynastie. À la tête des manifestants, avec Jules Favre et Jules Ferry, il se rend ensuite à l'Hôtel de Ville, où est proclamée la république et institué un gouvernement provisoire de Défense nationale, ... ; Larousse] acte inouï en présence de l'ennemi ! C'est alors qu'il fallait proclamer Napoléon IV, toute l'armée se serait prononcée pour le Prince. Les opposants, s'il s'en était trouvé, n'auraient pas osé s'y opposer à ce moment précis, dans la crainte d'être accusés de pactiser avec les agitateurs.
  — Mon général, cet acte était de la plus haute gravité, il eût provoqué la guerre civile. Comment s'entendre avec l'ennemi ?
  — La guerre civile aurait été promptement vaincue avec nos belles troupes, c'était un coup d'audace que l'ennemi aurait approuvé, ne voulant pas traiter avec les chefs de l'émeute. Dans les grandes crises il faut déployer un grand courage; on peut dire avec certitude, que la France n'aurait pas subi d'aussi cruelles exigences du vainqueur, si l'on avait procédé comme nous le désirions tous ardemment. Friant ni moi, ni les généraux n'avons pu déterminer Murat, qui ne voulut pas faire de politique, croyant, m'a-t-il dit, que le maréchal s'en chargerait. Bazaine a louvoyé, ne sachant s'il ferait servir son armée à la défense nationale ou au rétablissement de l' Empire; se sentant compromis, il s'est livré au prince Frédéric-Charles. On sait le reste.

Même année. — Je connaissais particulièrement le colonel de Cools, ayant été maréchal des logis chef de son frère pendant plus de trois ans, lui ayant dressé deux chevaux, à son retour dès la première campagne de Chine, I860 à I862, alors qu'il était commandant d' état-major.

I873. — Le colonel DE COOLS était, à cette époque, organisateur des chemins de fer au Ministère de la Guerre. Je l'avais revu lieutenant-colonel à Metz; dans la conversation, je lui parlai de mes notes sur la campagne; il manifesta le désir de les lire. En me les remettant quelques temps après, il me prescrivit quelques rectifications; il fut surpris, me dit-il, de l'exactitude de mes renseignements, il me proposa d'en informer le général de Cissey,[Ernest Courtot, I8I0-I882] ministre de la Guerre. [I873-I876] J'en fus effrayé et m'y opposai ! Il me confirma que " l' Empereur avait toujours eu l'intention de prendre l'offensive; qu'il regrettait l'inaction du maréchal le 6 août. S'il avait agi autrement nous remporterions une grande victoire, ce qui enrayait la marche envahissante de l'ennemi, et peut-être provoquait l'alliance de l' Autriche et de l' Italie, qui attendaient un premier succès pour se décider ". Telles furent ses paroles exactes, notées en rentrant chez moi. Le colonel me confia encore que l'action juridique allait s'engager contre le maréchal Bazaine, qui réclamait lui-même des juges, en présence de la rumeur persistante qui se faisait autour de son nom.

 En garnison à Lyon, I880 à I886. Le duc d' AUERSTAEDT, [" Le titre de duc d' Auerstaedt est un titre de noblesse français, créé le 2 juillet I808 par Napoléon Ier au profit de Louis-Nicolas Davout, I770-I823, maréchal d'Empire, à la suite de la brillante victoire de ce dernier à la bataille d' Auerstaedt, le I4 octobre I806; ici, il s'agit de Léopold Claude Étienne Jules Charles Davout, I829-I904, 3e duc d' Auerstaedt et neveu du maréchal Davout., ... "; sur le Web] général gouverneur, fit l'éloge de mon ouvrage : " Oui, telle est bien la vérité. Quel triste passé angoissant ! Votre mémoire est empreint de la plus exacte vérité, il ne faut pas tarder à le publier. "

I888. — J'étais en relation avec Mgr CORTET, évêque de Troyes; [Pierre-Louis-Marie, I8I7-I898; en poste de I875 jusqu'à sa mort] il entendit parler de mon journal de guerre, il voulut en prendre connaissance. En me remettant mes fascicules, il m'ouvrit ses bras : " Venez, mon cher commandant, venez que je vous embrasse. Vus avez remué le cœur du vieil aumônier, des larmes ont mouillé mes paupières. Je voudrais être assez puissant, pour faire un extrait de votre précieux ouvrage, et le mettre entre les mains de la jeunesse de nos écoles; nos enfants y puiseraient des leçons de courage, d' énergie et de patriotisme. "

Même année. — Étant conseiller municipal et premier adjoint de ma localité, je fus présenté par le préfet de l' Aube, M. Mastier, au général HERVÉ, [Félix Jean Marie I837-I904]  à l'occasion du conseil de révision. Après les opérations, pendant le déjeuner, le général Hervé me demanda si j'avais fait la campagne. Je lui parlai de mes cahiers; il manifesta le désir de les lire. Or, comme ils étaient tout disloqués, je voulus y mettre un peu d'ordre; ce n'est que l'année suivante, que je les lui portai à Nancy où il commandait la division. Je restai à Nancy quelque temps, ayant été convoqué par l'autorité militaire. Le jour de mon départ, je fis au général Hervé ma visite d' adieu, et je rencontrai chez lui le général Hugo. La conversation roula sur l'armée du Rhin; je restai deux heures avec mes chefs sans pouvoir retrouver ma liberté. Je manquai le train le général Hervé nous retint à dîner. En me remettant mes cahiers, il m'en fit compliment et me dit " qu'il avait pris le plus vif intérêt à la lecture de mon journal qu'il contenait des renseignements inédits, qui intéressaient l'histoire; que l'on disait jamais assez la vérité; qu'il fallait le publier. " Je revis le général Hervé quand il était membre du Conseil supérieur de la Guerre; [CSG; en poste de I896 à I899] il me demanda ce que j'avais fait de mon mémorial. Il m'encouragea de nouveau, croyant au succès de cette publication et persuadé de son utilité historique.

Général GERDER. — [Michel Alfred, I826-I904] C'était un des plus ardents convaincus de la culpabilité de Bazaine. Je l'ai connu à Amélie-les-Bains; et pendant cinq années nous avons vécu dans une intimité toute cordiale. Il répétait souvent : " Mais publiez donc vos notes; tous les officiers de l'armée de Metz les signeraient des deux mains; elles sont le reflet de nos misères vécues, de nos désespoirs ! Vous manquez de nerf pour clouer au pilori ceux qui sont nos causes de nos désastres. " Il écrasait de son mépris les généraux Metman [Jean Louis, I8I4-I899] et de Castagny, [Armand Alexandre, I807-I900] qui auraient pu et dû marcher au canon, n'étant qu'à une quinzaine de kilomètres du 2e corps, le 6 août. " C'était, disait-il, par jalousie contre Frossard, qu'ils s'étaient entendus pour le laisser écraser. " : le général Gerder était le chef de bataillon au 2e corps, à Spickeren [la bataille de Forbach-Spicheren]

Du général SAUSSIER, [Félix Gustave, I828-I905] député de mon arrondissement. [du I6 novembre I873 au 7 mars I876, Aube]
  Peu de temps avant le procès du maréchal Bazaine, [dit le " traître de Metz ", par les Messins eux-mêmes : I873; " ... Bazaine est donc traduit devant un conseil de guerre siégeant au Grand Trianon. Le duc d'Aumale, président, le condamne à la peine de mort avec dégradation militaire pour avoir capitulé en rase campagne, traité avec l'ennemi et rendu la place de Metz avant d'avoir épuisé tous les moyens de défense dont il disposait. Mais le même tribunal, qui vient tout juste de le condamner, signe à l'unanimité et envoie au président de la République, et au ministre de la Guerre, une demande en grâce de M. le maréchal Bazaine. Sa peine est alors commuée en 20 années de prison, sans cérémonie de dégradation, par le nouveau maréchal-président Mac-Mahon, qui lui aussi avait été battu à Sedan. Cette décision inspirera la littérature contemporaine. Pour Victor Hugo, « Mac-Mahon absout Bazaine. Sedan lave Metz. L’idiot protège le traître "., ... "; sur le Web] mon régiment étant à Versailles, je déjeunais à l'hôtel des Réservoirs avec le général Saussier, mon compatriote et député de notre département. En me remettant mes cahiers, il me dit : " Il faut publier vos notes sur cette triste campagne. Ah ! Forton, [Henri de, I809-I876, général de cavalerie] c'était une nullité (sic), quelle lourde faute il a commise le I5 août ! Rien ne l'arrêtait, s'il avait continué sa marche sur Verdun, le maréchal était forcé de mettre son armée en mouvement et de le suivre; tel était le pressant désir de l' Empereur. " Il n'avait rien à redouter de l'ennemi, encore trop éloigné et épuisé par un surmenage; sa cavalerie était exténuée et il devait s'estimer heureux de ne pas être inquiété dans sa marche de flanc, aussi téméraire qu'audacieuse. Forton est la cause que l'armée a perdu une journée précieuse, en restant immobilisée le I5 août sur le plateau de Gravelotte. "
  Il y a trente neuf ans que j'ai écrit cette note en rentrant chez moi, comme j'avais l'habitude de le faire, pour tout ce qui émanait d'une autorité sérieuse. Presque chaque jour, en sortant de la Chambre des députés à Versailles, je reconduisais le général Saussier à la gare de la rive droite; et bien souvent il me disait de lui rendre visite dans son petit appartement du 5e étage de la rue Saint-Lazare. Il était loin de prévoir alors qu'il serait un jour gouverneur de Paris et généralissime de l'armée française. Il ne trouvait rien à retrancher à mes notes, si ce n'est qu'il me conseillait de rayer ce qui concernait le hommes et la révolution du 4 septembre qu'il approuvait; tel n'était pas mon avis. Je n'y changerai rein certainement.

De FRANÇOIS COPPÉE : [François Édouard Joachim, I842-I908, poète, dramaturge et romancier; membre de l' Académie française : I884-I908]
  " Cher Monsieur,
  C'est avec le plus vif intérêt que j'ai lu votre journal de guerre, et cette lecture ne tardera pas à m'inspirer la meilleure sympathie pour l'excellent patriote, pour le brave officier qui écrivit ces pages — et les vécut... Aussi suis-je disposé à trouver le moyen d'aider à leur publication.
 
FRANÇOIS COPPÉE "

De M. JULES CLARETIE : [Arsène Arnaud Claretie, dit, I840-I9I3, romancier et dramaturge; administrateur général de la Comédie-Française, I885-I9I3; membre de l' académie française : I888-I9I3]
  Viroflay, 24 août I908.
  " Monsieur et Honoré Commandant,
  Je serai heureux de lire votre mémorial sur le siège de Metz, François Coppée était bon juge; si vos pages l'ont ému, elles me toucheront.... Cette plaie de I870 n'est point fermée...
  JULES CLARETIE.
"

Également de M. JULES CLARETIE, I6 mars I909 :
  " Monsieur et Honoré Commandant,
   J'ai lu votre mémorial, cela est sincère; saisissant, cette chevauché de la mort; le malheur est que les éditeurs hésitent à publier de nouveaux livres de guerre... Le récit de votre rôle personnel dans la charge sur la cavalerie de Bredow est poignant, tout est intéressant... À bientôt, je vous demande du crédit, car je suis débordé.
  JULES CLARETIE.
"

   Son fils, M. GEORGES CLARETIE, [Georges Adelson Henri Arnaud Jean Jules, I875-I936] avocat, a écrit à M. le commandant Vallecalle, [greffier lors du procès d'Alfred Dreyfus devant le Conseil de Guerre de Paris, le I9 décembre I894; défini alors comme " intelligent, sournois, qui en pensait plus qu’il n’en disait."] un de mes amis, qui s'intéressait à la publication.
  Lajonchère, par Rueil, Seine et Oise, 7 octobre I909.
  "... Mon père a écrit à M. Le commandant Farinet. Son journal est des plus intéressants, mon père sera heureux de lui être utile. Vous savez combien les écrivains militaires lui sont sympathiques; un peu de patience... En ce moment plus que jamais, il est utile d'entretenir dans notre patrie le culte de l' armée.
 
GEORGES CLARETIE "

Du docteur TARTIÈRE, lauréat de l'Institut et de l' Académie de médecine, médecin principal de l'armée, retraité :
  " Cher Ami,
   Nous sommes enthousiasmés de votre mémoire sur l'armée du Rhin; mes fils et ma femme l'ont lu et relu, nous avons versé des larmes. Faites-le donc imprimer, il est très, très intéressant; tous nos compliments.
  Docteur TARTIÈRE.
"

Du colonel NITOT :
  7 mai I9I0.
  " Mon bien cher Ami,
  M. Carayon m' a apporté votre journal de guerre, je n'ai pas besoin de vous dire tout l'intérêt que j'ai pris à le lire, cette lecture me reportant à un temps, hélas ! bien éloigné et dont le souvenir est toujours poignant... Votre journal si vrai, et si triste dans son ensemble, m'a fait tout de même plaisir, car je retrouve dans ce récit la droiture et la loyauté... Mon cher Ami, pour les moments que vous venez de me faire passer... Avec mon meilleur souvenir et ma très sincère affectueuse amitié.
  Colonel NITOT.
"

Du général GALLIMARD, [Paul-Édouard, I837-I907] ancien commandant des 9e et 3e corps d' armée : [... Commandant le 9° C.A. en I899 et le 3° C.A. en I900, il est noté : « lisant, parlant et traduisant l’allemand avec un dictionnaire. Vigoureux, bon cavalier, très actif, très capable, très considéré dans sa résidence, entretient les meilleures relations avec les autorités civiles. Représente dignement. Officier général du plus grand mérite »., ... "; sur le Web
  " Je n'étais pas à l'armée du Rhin, ton ouvrage est conforme à tous les récits que j'ai entendus en haut lieu; j'ai été vivement impressionné à la lecture, pourquoi hésites-tu à le publier ? "

Lettre de PAUL DÉROULÈDE, [I846-I9I4, écrivain et homme politique; Après avoir participé à la guerre franco-allemande, il publia des poèmes, Chants du soldat, I872, pour cultiver l'idée de revanche. Fondateur de la Ligue des patriotes, I882, il en fit un instrument électoral au service du boulangisme. Député de la Charente, I889-I893 et I898-I90I, il se posa en chef du parti nationaliste à la Chambre et tenta un coup d'État pour renverser la république parlementaire : 23 février I899. Arrêté, acquitté puis condamné à dix ans de bannissement, I900, déchu de son mandat de député, I90I, il fut amnistié en I905. Larousse
  II février I909.
  " Mon cher commandant et confrère,
  Je vous félicite, encore une fois, d'avoir écrit ces pages toutes de tristesse et toute émouvantes d'esprit patriotique et militaire, etc...
"

De M. GERMAIN BAPST :
  Radepont, Eure, I6 janvier I9II.
  " Mon commandant,
  J'ose espérer que vous excuserez mon indiscrétion. Je m'occupe depuis vingt ans d'un travail sur l'armée du Rhin et en particulier sur les batailles de Rezonville et de Saint-Privat,
["... Le I8 août I870, 1'armée du maréchal Bazaine et celle du prince Frédéric-Charles de Prusse se heurtent à Gravelotte en une sanglante mêlée : I25 000 Français rencontrent 285 000 Allemands. L’après-midi, un combat s’engage entre le 94e régiment de ligne français, 6e corps commandé par le maréchal Canrobert, retranché dans Saint-Privat, et l’infanterie ennemie. Après une heure de combats acharnés, la garde royale est décimée. L’artillerie prussienne prend alors la relève, et quatre-vingts pièces de canon pilonnent le village. Les derniers défenseurs français abandonnent Saint-Privat en flammes à la tombée de la nuit. Mais la défaite du 6e corps seul coûta à l’armée prussienne I0 400 hommes; et le lendemain, le roi Guillaume télégraphiait à la reine Augusta : « Ma garde a trouvé son tombeau devant Saint-Privat. »"; sur le Web] et c'est à ce sujet que j'ai recours à vous. Vous étiez au 7e cuirassiers et le général Friant, qui commandait votre régiment, m'a dit de votre vaillante conduite à la charge Bredow où vous avez eu un duel avec un officier allemand et où vous avez ramené plusieurs prisonniers. Permettez-moi de vous demander si vous avez gardé des notes ou un carnet de campagne et si vous m'en autoriseriez (sic) la communication, ou bien si, à défaut de notes, vous voudriez bien me donner un récit détaillé de votre rôle le I5, I6, I7 et I8 août 70. Surtout le I6. Comment avez-vous passé la nuit du I5 au I6, — les avants-postes, — la surprise... La retraite sur Villers-aux-Bois, — la charge Bredow. Votre duel, — le plus détaillé possible, — les incidents, — vos prisonniers. Pouvez-vous me donner aussi des détails sur la soirée du I6 août... Sur la retraite le I7... Sur l'emploi de votre journée et vos souvenirs de Longuet pendant la bataille de Saint-Privat... J'espère, mon commandant, que vous voudrez bien m'excuser et répondre favorablement à ma requête, et en vous remerciant d'avance, j'ai l'honneur, etc...
  GERMAIN BAPST.
"
 

Le cimetière de Saint-Privat, le I8 août I870. Auteur : Alphonse Neuville, I88I. "... Inspiré de témoignages d’officiers présents à Saint-Privat, l’épisode choisi par l’artiste est le moment critique où la bataille va basculer définitivement en faveur de l’ennemi., ... ". Sur le Web.


  À suivre...

  COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l' Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. VII-XIII.  

 

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LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, DERNIER ÉPISODE

Précédemment
https://augustinmassin.blogspot.com/2023/08/le-dernier-des-grands-mogols-vie_19.html

  Banalités, dira-t-on, monnaie courante de la sagesse conformiste. Mais il est frappant, — et beaucoup d'historiens en ont fait la remarque, — qu' Aureng Zeb se soit plaint sans cesse de la difficulté qu'il éprouvait lui-même à trouver des ministres ou des généraux loyaux, honnêtes et capables. Au lieu d' attribuer cette constante préoccupation à sa nature méfiante ne serait-il pas plus équitable d' y voir le souci de discerner le vrai mérite ? Terminons par ce trait de véritable humanité : l'empereur insiste maintes fois auprès des gouverneurs de provinces ou des chefs de districts pour qu'ils exigent de leurs subordonnés, répartis sur les différents points du territoire qu'ils commandent, viennent régulièrement leur rendre un compte exact de leur administration. Mais il est des cas où il faut savoir comprendre les choses et se montrer indulgent : " L'officier de police de Dohud, qui est vieux et malade, n'a pu venir en votre présence, en raison de ses infirmités physiques. Il ne doit pas être renvoyé de son poste et doit être maintenu jusqu'à la fin. "
  Qu'il s'agisse des biens ou des affaires de ce monde, d'argent ou de droit, de finances ou de justice, nous avons toujours vu le Grand Mogol invoquer la loi religieuse pour justifier la loi humaine. Toute sa politique se résume dans ce mot : " Celui qui manque à son devoir néglige Dieu comme il se néglige lui-même. " Que penser de ce dernier aspect de son caractère, de beaucoup le plus important et le plus connu ? L' ascétique assassin de notre poète n'était-il qu'un fourbe hypocrite ? A-t-il joué la comédie d'une dévotion profonde pour tromper le autres et leur imposer plus facilement son autorité ? Tous ceux, — et ils sont nombreux, — qui l'ont accusé d'hypocrisie, pensent que ce grand réaliste était au fond de lui-même persuadé du néant de toutes choses, mais trop avisé pour ne pas comprendre en même temps la nécessité de cacher au vulgaire son scepticisme désenchanté. Ses actes d'honnêteté ou d'humanité auraient été à ses yeux une faiblesse, sinon une absurdité. Mais est-il possible d' étouffer complètement en soi la conscience ? On triche aisément avec l'or, avec la loi. On ne triche pas avec Dieu.
  Bien des fois, au cours de cette histoire, nous avons surpris Aureng Zeb dans les manifestations extérieures d'une piété ardente, en posture de dévot ou d' ascète. Nous l'avons vu prier à la mosquée, dans son palais et dans son camp, parmi ses armes ou ses chevaux, et jusqu'en pleine bataille. Nous l'avons accompagné dans sa retraite mystique, quant il se retranchait volontairement de la vie, comme s'il était las du pouvoir ou accablé sous le poids de ses péchés. Et nous avons noté enfin ses scrupules de conscience lorsqu'il cherchait à justifier par les commandements de Dieu ce qui, aux yeux de son peuple, paraissait une insoutenable iniquité ou une cruauté monstrueuse.
  Ce qui est hors de doute c'est l'importance primordiale que le Grand Mogol accordait en toutes choses à la religion. Dans ses rapports avec les derviches, ce qu'il demande essentiellement à ces saints personnages, dont les mérites sont tout-puissants devant Allah, c'est de prier pour la sécurité et le triomphe de la vraie foi. N'était-elle pas sans cesse menacée, non seulement par la masse des infidèles qui entouraient l'empire musulman et en compromettaient l'équilibre, mais par la tiédeur ou le scepticisme de ceux qui auraient dû en être les premiers défenseurs ? Avec quelle sévérité Aureng Zeb n'a-t-il pas dénoncé, jugé, puni les fautes contre l' orthodoxie qu'il reprochait à ses frères ? Il les livre à la justice des Kazi avant de les abandonner à la justice de Dieu. Même implacable rigueur avec ses fils. La moindre complaisance envers les religions étrangères lui paraît plus que suspecte; c'est une dangereuse trahison, un véritable crime de lèse-majesté, un attentat contre la sûreté de l'État. " J'ai appris, écrit-il à l'un d'eux, par le rapport d'une personne désintéressé, que vous aviez observé la fête du Nowroz [ou Norouz; fête traditionnelle des peuples iraniens qui célèbrent le nouvel an du calendrier persan : premier jour du printemps. La fête est célébrée par certaines communautés le 2I mars et par d'autres le jour de l'équinoxe vernal, dont la date varie entre le 20 et le 22 mars] à la manière des Persans de nos jours; pour l'amour de Dieu, gardez votre foi intacte ! Qui vous a fait adopter cette coutume hérétique ?... Selon la croyance des Hindous infidèles, cette fête est le jour où fut couronné le maudit Vikramagir et le commencement de l'ère hindoue. Donc, vous ne devez pas l'observer, ni réitérer pareille folie ! "



La tradition principale de Norouz est la mise en place des Haft Sîn : les sept " S ". Photo : Pejman Akbarzadeh / Persian Dutch Network.

  Évidemment, un tel rigorisme ne pouvait pas aller sans intolérance et il n'est pas question de justifier ici ce que nous avons condamné ailleurs, ces persécutions inspirées par le fanatisme et qui ont entraîné la déségrégation de l'empire mogol. Cette politique a ses petitesses, de même que la foi la plus pure n'est pas toujours à l'abri de superstitions mesquines. C'est une petitesse, chez Aureng Zeb, que cette habitude, quand il nomme un Hindou, et particulièrement un mahratte, de retrancher de son nom le suffixe ji, qui marque le respect; pour lui, Sivaji, Santaji, — ces démons ! — sont simplement Siva et Santa. Petitesse encore d'exclure un fonctionnaire hindou de la place qu'il occupait pour le remplacer par un Mahométan. Mais peut-on lui donner tort quand il s'indigne en apprenant qu'un homme du Pendjab a profané le tombeau d'un saint musulman en s'y rendant en état d'ivresse et quand il exige un châtiment exemplaire ?
  Ce qui donne à réfléchir sur l'hypocrisie si souvent reprochée à Aureng Zeb, c'est le soin qu'il a pris en maintes circonstances de distinguer les pratiques d'une vaine superstition des sentiments et des actes inspirés par un zèle sincère.
  S'il a en horreur les simagrées des fakirs, il ne se montre pas plus indulgent pour celles des faux derviches; il n'est pas dupe des pieuses démonstrations sous lesquelles certains dissimulent leur cupidité. L'un d'eux est venu présenter à la cour une requête pour sa famille. L'empereur remarque : " Qu'a donc à faire ce derviche avec les désirs de ce monde ? Il devrait en être libéré et n'avoir rien à lui. " Un autre de ces faux ascètes, qui a sollicité une audience, lui a paru un homme prétentieux et non un saint homme, un vrai saint des anciens temps. Aussi juge-t-il peu utile de visiter et d'honorer ces charlatans qui ont laissé perdre la foi de leurs ancêtres et qui compromettent par leur exemple les intérêts de la vraie religion. Aussitôt après, pourtant, il se repent d'un jugement un peu rapide et se demande si son refus de recevoir le derviche n'est pas inspiré par un manque de charité. Il se frappe la poitrine, il est torturé de remords et il s'écrie, avec un étrange mélange de sentiments contradictoires : " Je dois supplier tous les hommes pieux de prier pour que je sois bon, heureux, et que j'échappe aux entraves de la passion. Le saint homme mentionné plus haut est un Saiyade [ou Sayed; descendants du noble prophète de l'islam. Ils sont répartis dans les deux principales écoles islamiques chiites et sunnites] vertueux et noble d'esprit, un vrai descendant de Mahomet. S'il prie sincèrement, ce sera bien. O, Dieu, faites que je vive moi-même comme un saint, faites que je meure saintement, et au jour du Jugement, faites-moi revivre parmi les Saints ! " Mais pas de remords, pas de pitié non plus pour un autre de ces pieux personnages qui a les apparences d'un religieux orthodoxe, mais qui est un ignorant illettré et, sans doute, un fourbe hypocrite : " Beaucoup de ses paroles et de ses actions, dont l'une était contraire à la doctrine de la charité, sont ennemies de la vrai foi "; aussi mérite-t-il d'être puni comme les hérétiques " qui inventent quelque chose et qui l'attribuent à la religion ".
  Sous le règne d' Aureng Zeb, on compte un grand nombre de saints authentiques, dont l'histoire a retenu les noms : Muhammad Varis, Shikh Batyazeed, Shikh Burhan, Abdul Latil, Mir Arab, Mir Nasrudin Harvi, Saiyad Sa'ad Allah... Avec la plupart, l'empereur entretenait des relations étroites. Il visitait scrupuleusement les tombeaux des plus anciens. Il envoie ses fils accomplir les mêmes pèlerinages ou saluer en son nom certains derviches particulièrement renommés pour leur sainteté. Toutefois, il entend conserver à leur égard son indépendance, et surtout les tenir en dehors des affaires de l' État. Un historien, Khafi Khan, rapporte à ce sujet ce trait caractéristique : le saint homme Saiyad Sa'ad Allah, qui résidait à Surate avait écrit au Mogol en I693 en faveur de deux fonctionnaires de la ville; Aureng Zeb donna satisfaction à sa requête, mais il fit répondre à Saiyad de ne plus intervenir désormais dans les choses de ce monde; de plus, à partir de ce jour, il cessa de correspondre avec un homme dont il estimait hautement la sagesse et la vertu.
  Plus que la vertu et la sagesse des saints, ce qui compte à ses yeux, c'est la Loi de Mahomet, même sous ses aspects les plus formels et dans ses pratiques le plus routinières. Il est toujours aisé d'imputer à la superstition le respect d'une vérité, d'un dogme, d'un pieux usage. Les exemples n'en manquent pas chez le Grand Mogol. Il surveille attentivement, dans son entourage, le respect des rites traditionnels. Il recommande à son petit-fils, pour écarter les maladies et les dangers, de continuer la prière matinale, " qui est acceptée de Dieu. Tous les érudits et savants s'accordent sur ce point que souffler sur l'eau en récitant Surati-i-Ikhalas et Surat-i-Shafa'a, et ensuite boire l'eau, est un grand et immédiat remède. " Dira-t-on que l'âme est nécessairement absente de telles pratiques ? Comment pénétrer avec une discrétion suffisante dans un pareil mystère ? Il faut nous contenter de noter les faits et de les laisser parler. En voici deux encore, l'un relatif à la prière, l'autre au pèlerinage de La Mecque, qui nous paraissent essentiels.
  Ce pèlerinage, acte essentiel dans la vie de tout bon Musulman, Aureng Zeb, malgré son ardente piété, ne put jamais l'accomplir. Pendant toute sa vie, il ne cessa d'encourager les siens à visiter les lieux saints et de leur donner les moyens de s'y rendre. Ce qui fait la valeur de cette démarche, ce n'est pas la curiosité du voyage, mais la volonté de chercher Dieu; il l'a dit expressément, et l'un de ses historiens déclare qu'il s'est acquis autant de mérites en facilitant aux pèlerins cette lointaine expédition et en les y accompagnant par ses prière qu'en faisant lui-même le pèlerinage. De même, il attachait moins de prix au sens littéral d'un verset du Coran qu'au symbole profond dont il est l'expression. Avec une inquiétude passionnée, en récitant chaque jour la même prière, il ne cessait d'en méditer le sens : " O Dieu ! Créateur du ciel et de la terre, vous êtes le maître de notre vie présente, aussi bien que de notre vie future; faites que je meure en bon Musulman et que je sois digne de me joindre aux vertueux et aux âmes pieuses... L'homme qui meurt en Dieu avant d'arriver à Lui, rencontrera les Prophètes et les Saints. "
 
  
   Enfin, dans une sincère humilité, cet orgueilleux, ce fanatique, était capable d'entendre la leçon d'une justice supérieure. Comme il avait voulu attribuer à un saint homme, Abdul Latif, le revenu de quelques villages pour contribuer à l'entretien de son monastère, le derviche lui répondit : " Si le roi m'accorde des villages, je lui aurai une obligation; mais je n'ai point d'obligation à Dieu quand il m'accorde ma nourriture. " Sans se montrer offensé, l'empereur réplique aussitôt : " Cela est vrai, mais je m'associe à la cause des mendiants et des hommes pieux, pour le bien et le bonheur de ce monde, pour mon propre bonheur; ce n'est point pour les assujettir à une obligation. " Puis, à la demande de l'ascète, qui lui conseille avant tout d'être agréable à Dieu, il note aussitôt, pour s'en inspirer, ces préceptes de la vraie charité qu'il a recueillis de sa bouche : " Ne percevez que la moitié du revenu que vous touchez annuellement de vos sujets, et ne prenez même pas la moitié de ce que vous doivent les paysans surchargés de labeur et sans secours. Accordez des pensions mensuelles aux moines qui mettent leur espoir en Dieu, ne mendient pas et vivent dans les déserts; soyez attentif à rendre la justice aux opprimés, afin que nul ne soit frustré de ses droits. Ne souffrez pas que les faibles soient opprimés par les tyrans. Alors, vous verrez s'accroître votre bonheur. "
  Parvenus au terme de la route, nous voici bien loin des champs de bataille de Samugarh et d' Ajmir, des farouches citadelles d' Agra et de Golconde, des marais empoissonnés d' Assam ou d' Arrakan, et de ces prisons sans espérance où agonisent dans de lentes tortures les princes rebelles et les ennemis vaincus.
 Deux images nous restent du Grand Mogol : celle d'un monarque absolu, offert à l'adoration de tout un peuple, assis sur le légendaire trône de paon, au milieu des richesses féériques de son palais, et promenant autour de lui le regard soupçonneux de ses yeux sombres; puis celles d'un vieillard vêtu du simple manteau de laine qu'on tissé ses mains ridées, d'un homme inquiet de son passé, anxieux de son avenir et qui cherche dans l'amitié des " saints " l'oubli et le pardon de ses fautes.
  Laquelle de ces deux images est celle du véritable Aureng Zeb ?

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

  Nous ne pouvons prétendre donner ici une bibliographie complète d'un si vaste sujet. Nous nous contenterons d'indiquer les sources principales auxquelles nous avons puisé; ces documents sont de nature et de valeur fort inégales. Parmi eux, il convient de distinguer :
 
I° Les témoignages des voyageurs européens au XVIIe siècle :
J. THÉVENOT. — Voyages en Europe, en Asie, en Afrique : I664-I684. Cf. tome III.
BERNIER. — Histoire de la dernière révolution des États du Grand Mogol : I670. — Il existe une excellente traduction de cet ouvrage en anglais par Constable et Smith, 2è édition, I9I6, qui comporte une introduction historique et des notes critiques.
J.-B. TAVERNIER. — Voyages en Turquie, en Perse et aux Indes : I676-I679.
François MARTIN, fondateur de Pondichéry. — Mémoires : I665-I694, publiés par A. Martineau : I9I2.
MANUCCI. — Mémoires, dans l' Histoire générale de l' Empire du Mogol du P. Catrou : I705.
Gemelli CARRERI. — Voyages autour du monde : I7I9.
Sur ces différents ouvrages, cf.- Z. BAMBOAT : Les voyageurs français aux Indes aux XVIIe et XVIIIe siècles : I933.

2° Les chroniqueurs et les historiens de l' Inde contemporains d' Aureng Zeb :
Mohammed KAZIM. — Alamguîrnâma, sur les dix premières années du règne.
Khafi KHAN. — Histoire complète de la maison Timour, dont H.-M ELLIOT donne de nombreux extraits, accompagnés de notes critiques, dans son History of India as told by its own historians, I867-I877, tome VII.
Hamidoud-DIN. — Anecdotes sur Aureng Zeb, publiées par Sarkar : I9I7.
La traduction des Anecdotes est précédée d'une courte notice biographique et accompagnée de notes critique.

3° Les correspondances :
Parmi plusieurs recueils de Lettres d' Aureng Zeb, le plus intéressant est Ruka'al'Alamgiri, or Letters of Aureng Zeb, traduction anglaise sur l'original persan par Jamshid H. Bilimoria, avec de notes historique : I908.

4° Les historiens modernes :
Th. PAVIE. — Tarith-i-Assam, Expédition de l' Assam sous Aureng Zeb, traduit de l'indoustani : I845.
Quelques observations sur les Gouzerati et les Mahratti : Extrait du Journal Asiatique I84I.
H.-M ELLIOT. — History of India as told by its own historians, révisé et continué par J. Dowson, I867-I877, tome VII.
William IRVINE. — The emperor Aurengzeb Alamguir : I9II.
SARKAR. — History of Aureng Zeb : I9I2. L'ouvrage est accompagné d'une Chronologie détaillée du règne.
L. BOUVAT. — L'empire Mogol, deuxième phase, dans l' Histoire du monde, publiée sous la direction de E. Cavaignac, tomme VIII : I927.
The Cambridge History of India, Vol. IV : The Mughul Period : I937.

5° Les voyageurs modernes :
L. ROUSSELET. — L'Inde des Rajahs. Voyage dans l' Inde centrale : I875.
P. LOTI. — L'Inde sans les Anglais.
BRIEUX. — Voyage aux Indes.
Charles MULLER. — Cinq mois aux Indes. De Bombay à Colombo : I924.


   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 302-3I2.

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AUSTRALIE, TRANSITION ÉNERGÉTIQUE : LES CAMPAGNES PASSÉES AU " KARCHER " DES ENR, ICI... COMME AILLEURS !

   " La politique, c'est pas compliqué, il suffit d'avoir une bonne conscience, et pour cela il faut juste avoir une mauvaise mémoire ! "
  Michel Colucci, dit Coluche, I944-I986

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L'environnement ne peut pas se permettre d'être sacrifié pour la sauvegarde de la planète


  De plus en plus de gens se rendent compte que détruire l'environnement pour sauver l'environnement n'a pas vraiment de sens. Les habitants des zones rurales et régionales d'Australie le savent depuis un certain temps, mais les citadins sont de plus en plus nombreux à se rendre compte que le processus de décarbonisation impose des coûts élevés qui ne sont pas répartis de manière égale.

 " Dégage Ausnet ! " Revendication de fermiers s'opposant à la construction de nouvelles lignes de transport d'électricité nécessaires pour raccorder les installations éoliennes et solaires au réseau, portée par la société australienne AusNet Services, anciennement SP AusNet, entreprise de services de fourniture d'énergie, qui possède et exploite des réseaux d'électricité et de gaz d'une valeur de plus de 11 milliards de dollars.


   En l'absence d'un dévouement zélé à l'objectif du zéro net d'ici 2050, et en reconnaissant que les principaux émetteurs mondiaux ne sont pas à bord, — on pense ici particulièrement à la Chine, mais il y en a d'autres, — il est difficile de se rallier à la vision d'Alan Finkel, ancien scientifique en chef. " Pensez à des forêts d'usines éoliennes recouvrant les collines et les falaises de la mer au ciel. Pensez à d'interminables réseaux de panneaux solaires disparaissant comme un mirage dans le désert. Ce que nous avons aujourd'hui doit être multiplié par 20 ".
  Si nous pouvons lui pardonner sa prose fleurie, — c'est un scientifique, après tout, — la dure réalité est que beaucoup d'entre nous n'ont pas envie de voir leurs paysages pillés et ruinés par l'intrusion de monstrueuses turbines mesurant jusqu'à 250 mètres de haut, près de trois fois la hauteur de la Statue de la Liberté, et de champs de panneaux solaires inesthétiques générant une chaleur ambiante non désirée pour le quartier environnant.
  Les habitants des villes de Kooyong, [banlieue de Melbourne, située au sud-est du centre-ville] Warringah [située au nord du centre-ville de Sydney, la commune est en bord de mer] ou Wentworth  [village du sud du Far West australien en Nouvelle-Galles du Sud, situé à 570 km de Melbourne et à I034 km de Sydney] seraient-ils heureux de voir leurs parcs, leurs terrains vagues et leurs cours d'eau attenantes, — peut-être même leurs grandes arrière-cours ?, — soient cédés à des promoteurs d'énergies renouvelables, principalement étrangers, pour qu'ils y construisent des installations intrusives et parfois bruyantes dans le cadre de la décarbonisation ?
  Nous connaissons tous la réponse à cette question. Mais les députés de ces circonscriptions, et d'autres, sont plus qu'heureux d'imposer les coûts externes à leurs cousins de la campagne et de créer des divisions regrettables au sein de communautés rurales autrefois harmonieuses.
  Il est utile de rappeler quelques faits, car les faits sont souvent absents du débat émotionnel sur la sauvegarde de la planète. La première chose à noter est la grande quantité de terres nécessaires pour accueillir les énergies renouvelables par rapport aux combustibles fossiles à haute densité énergétique et à l'énergie nucléaire. Pour chaque mégawattheure produit, l'énergie éolienne nécessite sept fois plus de terrain que les centrales au charbon et dix fois plus que les centrales au gaz, par exemple.
  Le deuxième facteur est le faible rendement de capacité de l'énergie éolienne et de l'énergie solaire. La production moyenne des installations éoliennes ne représente qu'un peu plus d'un tiers des capacités nominales ; elle est d'un quart pour l'énergie solaire. Il s'agit d'un point important car les promoteurs de nouveaux projets d'énergie renouvelable citent souvent les capacités nominales et affirment ensuite de manière fallacieuse qu'ils alimenteront un nombre donné de milliers de foyers, tout en ignorant les sources de production d'électricité d'appoint et de secours nécessaires et coûteuses.
  Un autre point important concerne les cycles de vie des installations d'énergie renouvelable et leur comparaison avec les centrales au charbon/gaz et le nucléaire. La durée de vie des turbines terrestres varie de I5 à 25 ans ; elle est plus courte pour les turbines offshore. Les panneaux solaires ne durent généralement pas plus de 20 ans et leur efficacité diminue chaque année. Il n'y a pratiquement aucune possibilité de recycler les turbines ou les panneaux solaires, ce qui soulève la question délicate de leur élimination finale. Les centrales au charbon, au gaz et nucléaires peuvent durer cinq décennies ou plus.

[Commentaire du blog Stop These Things à Judith : les éoliennes ne durent pas 25 ans, leur durée de vie économique est inférieure à I5 ans, et leurs principaux composants, — générateurs, roulements et pales, — sont souvent remplacés plusieurs fois au cours de cette période. Aux États-Unis, un opérateur remplace toutes ses éoliennes après moins de I2 ans : une " performance " coûteuse et pathétique : Thousands of Wind Turbines Being Replaced After 12 Years. La durée de vie des turbines offshore est encore pire : l'augmentation des coûts de construction et de maintenance fait exploser le fantasme de l'éolien offshore bon marché]

  L'une des caractéristiques du paysage des énergies renouvelables que M. Finkel a oubliées dans sa description fleurie est le nombre de kilomètres de nouvelles lignes de transport d'électricité nécessaires pour raccorder les installations éoliennes et solaires au réseau. Il s'agit d'énormes pylônes en acier pouvant atteindre I00 mètres de haut et nécessitant des servitudes de 50 mètres de chaque côté.
  Le fait est que personne ne considère ces nouvelles lignes de transmission inesthétiques qui traversent les terres agricoles, les parcs nationaux et les communautés régionales comme une amélioration de l'environnement. Elles peuvent également constituer un risque d'incendie supplémentaire. Pour les personnes concernées, il est tout à fait rationnel de s'opposer à leur construction, de chercher d'autres chemins ou de plaider en faveur d'une transmission souterraine.
  Nous savons que les habitants de Kooyong, Warringah et Wentworth le feraient. Tenter de soudoyer les personnes concernées par des rentes annuelles substantielles, — elles s'élèvent actuellement à plus de 200 000 dollars par kilomètre, — risque de diviser les communautés, car ceux qui n'ont pas droit à une indemnisation peuvent encore subir des conséquences négatives.

[Commentaire du blog Stop These Things à Judith : le chiffre de 200 000 dollars d'annuité par kilomètre de ligne de transmission est largement exagéré. Dans l'État de Victoria, le montant proposé est d'environ 8 000 dollars par kilomètre et par an pendant 25 ans ; en Nouvelle-Galles du Sud, il est de I0 000 dollars par kilomètre et par an pendant 20 ans ; ces montants sont soumis à l'impôt sur le revenu. Les chiffres réels sont nettement moins généreux que les 200 000 dollars par km et par an vantés par Ausnet et Chris Bowen].

  Les dommages environnementaux potentiels causés par les projets d'énergie renouvelable ont été mis en évidence par un certain nombre d'affaires récentes. Un projet d'usine éolienne au nord de Point Fairy, dans l'ouest de l'État de Victoria, a été approuvé sous réserve de restrictions strictes, notamment la réduction du nombre de turbines de 59 à I8. Cette mesure s'explique par la sensibilité du terrain à la nidification des brolgas et des chauves-souris à ailes arrondies. La construction sera également interdite de juillet à novembre. Selon toute vraisemblance, ce projet ne sera pas réalisé.
  Un projet éolien sur l'île de Robbins, au large de la côte nord-ouest de la Tasmanie, a été autorisé à fonctionner seulement sept mois par an en raison de la menace qui pèse sur les perroquets à ventre orange qui vivent sur l'île. Là encore, il est peu probable que ce projet aboutisse.
  Le projet de l'usine éolienne de Chalumbin, dans l'extrême nord du Queensland, fait l'objet d'une vive controverse. De vastes étendues de terre, — jusqu'à I 200 hectares, — seront défrichées à proximité d'une forêt tropicale classée au patrimoine mondial de l'humanité, à l'ouest de Cairns. Une usine éolienne antérieure, de petite taille, a entraîné la rouille de plusieurs turbines désaffectées, restées sur le terrain. Il est difficile de concilier ce développement avec un véritable souci de l'environnement, d'autant plus qu'il existe de sérieux doutes quant à la capacité de la région à résister au vent.
  Au cas où vous penseriez que les éoliennes offshore sont la solution à ce dilemme, la réalité est tout autre. Des éoliennes situées à une distance de I0 à I5 kilomètres de la côte peuvent encore être vues de la terre. Là encore, la réaction rationnelle des riverains, y compris des marins retraités, est de s'opposer à ces développements. En outre, il est de plus en plus évident que ces éoliennes, qui nécessitent d'énormes quantités de béton pour les fixer, peuvent perturber la vie marine, y compris les baleines en migration.
  L'opposition aux usines éoliennes en mer pourrait s'avérer sans objet, car l'économie de ces projets se détériore massivement. La grande entreprise suédoise spécialisée dans les énergies renouvelables, Vattenfall, a récemment interrompu deux grands projets, dont l'un au Royaume-Uni, en invoquant la hausse de l'inflation et des coûts d'investissement. Les pertes énormes subies par la division éolienne de Siemens Energy méritent également d'être soulignées. Les projets offshore ne pourront être réalisés en Australie que si les opérateurs reçoivent des subventions encore plus importantes que celles qui sont actuellement proposées, ce qui se traduira par une hausse des prix à la consommation.
  Le ministre de l'énergie, Chris Bowen, et un certain nombre de gouvernements d'État se trouvent maintenant dans une situation critique. Il est clair que le rêve d'une augmentation des énergies renouvelables, d'une réduction des émissions et d'une baisse des prix de l'électricité est inaccessible, si tant est qu'il l'ait jamais été. L'abandon de la liaison Marinus entre la Tasmanie [État situé à I99 km de la côte sud-est de l'Australie continentale, dont il est séparé par le détroit de Bass; elle doit son nom à Abel Tasman, qui la découvrit le premier en I642; plus d'un tiers de son territoire est classé en réserves naturelles, parcs nationaux et sites du patrimoine mondial de l' UNESCO] et le Victoria a définitivement mis un terme à la vision de l'île aux pommes ["Apple Island " ou " Apple Isle ", surnom souvent donné à l'île] en tant que batterie de la nation ; en effet, elle est désormais elle-même à court d'énergie.
  Le plan B ne peut pas arriver assez vite, y compris l'option nucléaire - pensez à l'environnement.


The Australian


TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, SOLAIRE : ET SI ON PARLAIT DES COÛTS INDIRECTS ?

  " Pour rendre la vérité plus vraisemblable, il faut toujours y ajouter un peu de mensonge. Les gens, ils ont toujours fait ça. Il y a peut-être quelque chose, là, qui nous échappe. "
  DOSTOÏEVSKI Fiodor, I82I-I88I, Les démons.

 

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Les mystères des coûts cachés de l’énergie solaire dévoilés par le MIT


  À une époque où l’énergie solaire est devenue incontournable pour notre transition énergétique, des chercheurs de l’institut du MIT [Massachusetts Institute of Technology;  institut de recherche américain et une université, spécialisé dans les domaines de la science et de la technologie] jettent un nouvel éclairage sur le rôle crucial de la technologie douce dans la réduction des coûts.
  Selon les recherches publiées dans Nature Energy, l’amélioration des fonctionnalités technologiques non matérielles s’impose comme une priorité pour continuer à réduire les coûts de l’énergie solaire.
  Même si le coût d’installation des systèmes d’énergie solaire a considérablement diminué depuis I980, la technologie douce, notamment les pratiques de délivrance de permis, la gestion de la chaîne d’approvisionnement, et les processus de conception des systèmes, n’a contribué qu’à I0 à I5 % de cette baisse.
 
 

La dure vérité sur les coûts indirects
  Cette recherche montre que la technologie douce domine de plus en plus le coût total des installations solaires, ce qui pourrait limiter les économies futures.
  Les chercheurs ont observé que ce que l’on appelle les “ coûts indirects ” de la construction d’une centrale solaire, — les coûts de conception et d’installation de la centrale, — représentent une part de plus en plus importante des coûts totaux. En fait, la part des coûts indirects varie aujourd’hui entre 35 et 64 %.
  “ Nous voulions examiner de plus près l’origine de ces coûts indirects et la raison pour laquelle ils ne diminuaient pas aussi rapidement que les coûts matériels “, explique l’auteure principale de l’étude, Jessika Trancik, professeur à l’Institut pour les données, les systèmes et la société, IDSS, du MIT.
  Dans le passé, les scientifiques ont modélisé l’évolution des coûts de l’énergie solaire en divisant les coûts totaux en composantes additives,— composantes matérielles et composantes non matérielles, — et en suivant ensuite l’évolution de ces composantes dans le temps.
  “ Mais si l’on veut vraiment comprendre d’où viennent ces taux de changement, il faut aller plus loin et examiner les caractéristiques de la technologie. Les choses se répartissent alors différemment “, explique M. Trancik.

Une approche quantitative révélatrice
  Les chercheurs ont mis au point une approche quantitative qui modélise l’évolution des coûts de l’énergie solaire au fil du temps en attribuant des contributions aux différentes caractéristiques technologiques, y compris les caractéristiques matérielles et immatérielles.
  Par exemple, leur cadre permettrait de déterminer dans quelle mesure la baisse des coûts d’installation des systèmes, — un coût non technique, — est due aux pratiques normalisées des installateurs certifiés, — une caractéristique technologique non technique. Il permettrait également de déterminer comment ce même coût indirect est affecté par l’augmentation de l’efficacité des modules photovoltaïques,— une caractéristique matérielle de la technologie.
  Cette nouvelle approche a permis de constater que les améliorations matérielles avaient eu le plus grand impact sur la réduction des coûts.
  Le modèle a également mis en lumière des écarts importants entre les pays en matière de coûts non matériels. Par exemple, en Allemagne, ces coûts sont inférieurs d’environ 50 % à ceux des États-Unis.

Deux stratégies pour une optimisation
  Face à ces constatations, deux stratégies se dessinent : 
  • Se concentrer sur l’amélioration matérielle pour influencer les coûts non matériels.
  • Cibler directement les caractéristiques de la technologie douce, par exemple en optimisant les processus d’installation ou en automatisant les procédures d’autorisation.
 “ Dans la pratique, les ingénieurs adoptent souvent les deux approches, mais en les séparant dans un modèle formel, il est plus facile de cibler les efforts d’innovation en tirant parti des relations spécifiques entre les caractéristiques technologiques et les coûts “, explique Magdalena Klemun, professeure adjointe à l’université des sciences et technologies de Hong Kong.
  “ Souvent, lorsque nous pensons au traitement de l’information, nous laissons de côté les processus qui se déroulent encore d’une manière très peu technologique, par le biais de la communication entre les personnes. Mais il est tout aussi important d’y réfléchir en tant que technologie que de concevoir des logiciels sophistiqués “, fait remarquer Mme Trancik.
  À l’avenir, les chercheurs souhaitent appliquer leur modèle quantitatif à l’étude des coûts indirects liés à d’autres technologies, telles que le chargement des véhicules électriques et la fission nucléaire. Ils souhaitent également mieux comprendre les limites de l’amélioration des technologies douces et la manière dont on pourrait concevoir de meilleures technologies douces dès le départ.

En synthèse

  Les coûts non matériels représentent un défi majeur pour l’industrie de l’énergie solaire. En se penchant sur cette question, les chercheurs de l’institut MIT soulignent l’importance de la technologie douce dans la poursuite des réductions de coûts et la transition énergétique.

Pour une meilleure compréhension
  - Qu’entend-on par “ technologie douce ” ?
  La technologie douce se réfère aux pratiques de délivrance de permis, à la gestion de la chaîne d’approvisionnement, et aux processus de conception des systèmes liés à l’énergie solaire.
  - Quelle est la part des coûts de la technologie douce dans l’énergie solaire ?
  La technologie douce contribue de I0 à I5 % de la baisse totale des coûts depuis I980.
  - Pourquoi est-il crucial de s’intéresser à la technologie douce ?
  Car elle représente une part croissante du coût total de l’installation solaire, influençant ainsi l’économie future de cette énergie.

  Sur le Web

LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XXV

Précédemment
https://augustinmassin.blogspot.com/2023/08/le-dernier-des-grands-mogols-vie_11.html

  Dans cet esprit " remuant et audacieux, qui semble être né pour changer le monde ", tous les contraires sont réunis : l'orgueil et l' humilité; les plus odieux calculs de la fourberie et les plus imprévus élans d'une évidente sincérité; la froide cruauté et les scrupules d'une humanité inquiétante; l' hypocrisie raffinée et la foi sans détours devant Dieu; l'ambition et la simplicité, l'avidité et le mépris des richesses; des folles et furieuses entreprises jointes aux lentes démarches d'un profond politique. Comment démêler la véritable nature d'un homme, au milieu de tant de passions contradictoires ? Comment le saisir, tel qu'il aurait voulu se voir lui-même, tel qu'il s'est cherché désespérément à l'heure de la mort, en présence de l'ange funèbre envoyé par Allah ?
  Pour éprouver une âme qui se dérobe et résiste à l'examen il existe trois pierres de touche qui, en général, ne trompent guère : la fortune, la justice et la foi. Comment Aureng Zeb a-t-il réagi devant la tentation des richesses, les appels de sa conscience et les commandements de son Dieu ?
  Des Grands Mogols, l'histoire a surtout retenu leurs fabuleux trésors; leur nom seul évoque les splendeurs d'un palais scintillant de joyaux et les cachettes profondes, où ruisselle tout l'or du monde pour n'en plus jamais ressortir. Au centre de ce décor féérique, rayonne de tout son éclat le merveilleux trône du paon, chef-d'œuvre d'un artiste français, Augustin Hiriart, de Bordeaux; ["... Les rapports entre l’Inde et la France sont séculaires. Le premier contact entre les deux pays, passé l’ère portugaise et l’arrivée de Vasco de Gama, est profondément ancré dans les récits de nombre de Français intrépides qui bravèrent les mers en quête de cet Orient légendaire. Un courant de pensée considère Pierre Malherbe, un breton originaire de Vitré, comme l’un des premiers explorateurs français du sous-continent. Il commença son voyage en I58I par l’Espagne et le Mexique, avant de rejoindre l’Inde portugaise. Par la suite, Augustin Hiriart, joaillier originaire de Bordeaux, vint à la cour de l’empereur moghol, Jehangir. [le grand-père d' Aureng Zeb; règne : I605-I627] Une documentation riche témoigne de leurs fréquentations. A. Hiriart était à la fois joaillier et ingénieur de l’armée. Il est surtout connu pour avoir réalisé le célèbre trône de Jehangir, en forme de paon.[Le trône original a été pris comme trophée de guerre en I739 par le Roi persan Nader Shah, et, depuis, a été perdu...] Ses initiatives en matière d’utilisation novatrice de la technologie militaire de l’époque l’ont rendu cher à l’empereur, et nombre de ses machines de guerre ont contribué à la « modernisation » des capacités militaires indiennes., ... "; sur le Web] les jours de grande parade, sur le souverain impassible l'oiseau de feu, composé des mille facettes d'une mosaïque faite de diamants, de rubis, de saphirs et de topazes, semble déployer sa queue comme un splendide chasse-mouches.
  Un autre trait pittoresque, qui a frappé tous les voyageurs européens à la cour de Delhi, symbolise à lui seul ce luxe féérique : la scène de la pesée. Chaque année, a raconté Tavernier, l'empereur se fait peser en présence de la cour, et l'on met son poids d'or sur le plateau qui lui fait équilibre. Mais la plupart des écrivains qui ont recueilli après lui cette anecdote, parfois en y ajoutant des détails moins dignes de l' histoire que la cérémonie turque du Bourgeois gentilhomme,[comédie en 5 actes entrecoupés de ballets;  la " marche pour cérémonie des Turcs " a pour auteur Molière et pour compositeur Jean-Baptiste Lully; elle intervient à la fin du 4e acte; première représentation, devant le roi, avec Molière en M. Jourdain et Jean-Baptiste Lully en Grand Muphti, le I4 octobre I670 au château de Chambord, par la troupe de Molière, sur une chorégraphie de Pierre Beauchamp, avec des décors de Carlo Vigarani et des costumes du chevalier d’ Arvieux; "... Après Chambord, la Comédie-ballet est représentée en public, à Paris, pour la première fois, au théâtre du Palais-Royal, le 23 novembre I670 par la Troupe du Roi. La pièce résulte d'une commande du roi lui-même qui souhaitait un " ballet turc ridicule ". Pour la savoureuse anecdote, la visite à la Cour de l'envoyé de la Porte en novembre I669 avait laissé un souvenir cocasse. Croyant avoir affaire à l'ambassadeur du Grand Turc en personne, Louis XIV s'était présenté dans le plus grand faste possible pour impressionner son hôte : son brocart d'or était tellement couvert de diamants " qu'il semblait environné de lumière "; son chapeau était orné d'un " bouquet de plumes magnifiques ". Les gentilshommes étaient à l'image du monarque de Droit divin, groupés dans la salle d'audience, où un trône d'argent avait été dressé sur une estrade. C'est alors que le chevalier d' Arvieux, interprète pour cette occasion auprès du Roi Soleil, apprend en relisant la lettre du Grand Seigneur, que le mot " Elchi ", qui veut dire " ambassadeur ", ne s'y trouvait pas et que Soliman Aga n'était pas du tout ambassadeur mais un émissaire sans lettre de Crédit. Tout le luxe déployé à cette occasion se trouva alors totalement injustifié! Afin d'échapper au ridicule qui le guettait, Louis XIV eut l'idée de commander à Lully " un ballet turc ridicule " transférant ainsi les moqueries sur les turcs., ... "; sur le Web] en ont dénaturé le sens. Écoutons l'empereur expliquer gravement à son petit-fils la vraie signification de cette étrange coutume : " Bien que l'usage de faire l'équivalence du poids d'une personne en or, argent, cuivre, blé, huile et autres choses de valeur, ne se pratique pas dans le pays de nos ancêtres et des Mahométans de l'Inde, bien des pauvres gens et nécessiteux en retirent un grand bienfait. Nous devons donc aussi l'observer. Sa majesté Chah Jahan avait l'habitude de peser deux fois par an son corps auguste et de distribuer l'or et l'argent correspondant à son propre poids parmi les indigents. "
  Puis Aureng Zeb conseille à son petit-fils de se faire peser quatorze fois par an pour répandre ses aumônes parmi les misérables, sûr d'éloigner ainsi de lui les calamités physiques et morales.

 
 
Le Bourgeois gentilhomme, estampe. Gallica-BnF

  Une cérémonie où la plupart des témoins n'ont vu que la manifestation publique d'une orgueilleuse richesse, était donc en réalité un rite religieux et un acte de bienfaisance. Notons bien que les Mogols, et Aureng Zeb lui-même, malgré sa répugnance fanatique pour tout ce qui n'était pas musulman, ont empruntés aux rajas hindous cette " pesée de la charité ", tola dana. Dans une autre lettre à son fils Muazzam, l’empereur lui reproche avec indignation d'avoir observé des fêtes persanes ou hindoues. Mais quand il s'agit d'une pratique d'une vraie piété, il n'hésite pas à faire taire ses scrupules; peu importe que Sivaji, ce démon, pratique aussi cet usage : Aureng Zeb lui-même se fera solennellement peser au jour anniversaire de sa naissance et ses trésoriers distribueront aux pauvres l'or et l'argent du plateau. Il n'a cessé de prêcher la charité aux siens et d'en donner l'exemple : " Les seules choses que nous aurons laissés derrière nous, en souvenir de nous et pouvant nous être utiles, ce sont nos bonnes et charitables actions. Vous devez savoir qu'il vous faut quitter ce monde et par conséquent vous acquérir des mérites de vos aumônes. " Celles de l'empereur, — nous l'apprenons par une chronique de son règne, — se montaient à I50.000 roupies par an. Il envoyait régulièrement à La Mecque une somme d'argent considérable; mais il en surveillait avec soin l'emploi; il n'était pas dupe des flatteries intéressées que lui prodiguaient le chérif de la ville sainte, pour lui soutirer chaque année un don plus important; aussi donne-t-il des instructions aux marchands de Surate chargés de faire passer ses roupies en Arabie, pour qu'elles soient réellement distribuées aux pauvres et non gaspillées par le Sharil-i-Mecca. Et avec une délicatesse singulière, il ajoute à ses recommandations cette réserve : " Cependant, en matière de religion, la charité pratiquée par le souverain doit être ignorée du public. Mon désir est de plaire aux âmes saintes des prophètes. " Pour leur plaire aussi, il jugeait qu'il n'y avait pas de dépense plus urgente, ni d'argent mieux employé que l'entretien des sanctuaires. Sur ce point, jamais il ne lésinait. Apprenant que, dans la mosquée de son palais, les tapis sont usés et le mobilier détérioré, il réprimande sévèrement l'intendant chargé de cette surveillance et exige que le mal soit réparé sans retard.
  Comment accorder avec ces détails l' insatiable avidité et les traits d'économie sordide qu'on rencontre aussi dans la vie de l'empereur ? L'usage qu'il faisait de ses biens terrestres et le souci de ne les employer que selon la volonté de Dieu justifient-ils les confiscations et les rapines que ses ministres et fonctionnaires pratiquaient par son ordre ? Un jour, il prend la peine d'écrire à l'un de ses fils, — un billet de trois lignes, fort sec, — pour lui reprocher un désintéressement intempestif : " Le refus des présents que les nobles vous apportent est une perte pour le trésor royal. Bien que je vous pardonne pour cette fois par bonté, ne recommencez pas à l'avenir. " Un autre jour, il n'accepte, à la requête d'un de ses parents, de maintenir un fonctionnaire dans un poste avantageux, qu'à condition que celui-ci augmente chaque année les revenus de son district; mais cela était-il possible sans exercer aucune pression sur les habitants, ni ruiner les campagnes, comme il l'exige d'autre part ? Fort scrupuleusement, l'empereur envoie ses condoléances pour la mort d'un noble de haute qualité, très estimé de Chah Jahan; mais il n'oublie pas cette recommandation essentielle au ministre qui lui a fait part de la nouvelle : " Vous devez confisquer les biens du défunt avec le plus grand soin, de manière que non seulement il ne reste pas la moindre pièce de monnaie, mais pas même un brin de paille. " Et voici le motif à l'appui : " Les biens d' Ameer Khan appartiennent à ses sujets. Quand le roi traite, à tort ou à raison, un personnage avec plus de faveur que n'en exige le Coran,les droits des vrais Croyants se trouvent frustrés. " Soit. Mais il ne fallait pas ajouter cet aveu qui gâte tout : " Pendant sa vie, je lui ai toléré ce crime, — est-ce la jouissance de ses biens ? — afin de gagner son cœur. Mais maintenant, pourquoi ne prendrais-je pas possession de sa fortune ? " Certain autre seigneur de marque " riche et extravagant ", a dilapidé l'argent équivalent à l'amende qui lui avait été infligée. Qu'à cela ne tienne ! On remboursera le trésor de son dû en prélevant la somme sur les revenus de ses domaines. Il est grand temps que nous trouvions une justification plus acceptable de ces abusives confiscations : " Écrivez à l'administration de confisquer soigneusement, et honnêtement, les biens du Khan. Car le trésor royal appartient à tous. Le roi est le trésorier de son peuple et les officiers sont nommés par le roi. Seuls les nécessiteux et les faibles peuvent revendiquer une part de ces biens. "
  Le souci d'une stricte économie n'a pas d'autre cause. Aureng Zeb est choqué lorsqu'un de ses officiers l'a reçu avec le déploiement d'un luxe, dont l'origine lui paraît suspecte et dont l'insolence est une insulte à la dignité royale. D'où vient l'argent pour payer tant de chevaux et d'éléphants caparaçonnés de soie et de pierres précieuses ? Il se fâche quand son fils, couvert de dettes, prétend soutenir un train au-dessus de son rang et de sa fortune. Plutôt que de lui accorder le gouvernement d'une riche province dont le revenu le tirerait d'affaire, il fera saisir ses bijoux et ses meubles...
  Pourquoi faut-il que les nécessités de la politique et de la guerre fassent perdre au Grand Mogol le sentiment d'une équitable mesure ? L'expédition du Dekkan a englouti des sommes énormes. En I702, le trésor public se trouve lui-même endetté. Mais de fabuleux trésors gisent encore sous cette terre à demi conquise. Alors, la raison d' État intervient : il faut s'emparer par la force d'un bien que les Infidèles ont injustement usurpé. À eux seuls, les revenus du Carnatic, estimés à huit millions de roupies, paieront les frais de guerre.
  C'est surtout dans la politique financière d' Aureng Zeb, dans ses rapports avec les fonctionnaires chargés de percevoir les impôts et les tributs ou de régler le budget de l' État, qu'apparaît la valeur réelle de l'argent pour cet esprit si complexe. Les bakhashi, [ou bakshi; dérivé du mot persan signifiant " payeur "] agents payeurs des troupes, les amaldar,[ou amildar] ordonnateurs de toutes les dépenses publiques, sont l'objet de sa constante attention. De loin comme de près, il les surveille et les rappelle à l'ordre avec sévérité. Rien n'échappe à sa vigilance. Il a dans tous les districts des " observateurs " qui lui rendent compte de tout. Dans une province, il a appris que les droits de péage s'élevaient annuellement à seize mille roupies. Mais le trésorier n'envoie au trésor royal que mille ou deux milles roupies ! Il prescrit une enquête rigoureuse et si la culpabilité du trésorier est établie, il saura ce qui lui reste à faire. Car " la moitié du produit de la terre revient au propriétaire et l'autre moitié est la propriété du roi ". Passent encore que les fonctionnaires prélèvent 5% sur les revenus ! Mais si le roi s'approprie le bien du peuple et l'utilise à ses dépenses personnelles, c'est illégal. Et aux yeux du peuple, c'est le roi qui porterait la faute des concussions [substantif féminin, sf. Lat. : malversation dans le maniement des finances publiques] commises par des serviteurs. Ce scrupule d' Aureng Zeb, inspiré par les commandements de sa religion, lui dicta une des clauses les plus curieuses de son testament : il voulut que les frais de ses funérailles fussent amortis par le produit de la vente des manteaux qu'il avait tissé de ses mains.
  Ce sont aussi les maximes du Coran qu'il rappelle à l'un de ses fils, coupable d'avoir laissé au trésorier, dans son gouvernement, un pouvoir absolu dont celui-ci abuse sans scrupule : " Pourquoi accorder à cet homme tant de confiance que nul n'a la possibilité de s'élever contre sa manière d'agir et que vous-même ne vous inquiétez pas des affaires les plus importants ? " Il l'avertit qu'au tribunal de Dieu il sera responsable des injustices commises par son subordonné, même si sa bonne foi a été surprise par de faux rapports : " La malhonnêteté ne consiste pas seulement à prendre, à arracher le bien d' autrui, mais à présenter ce qui est vrai comme faux, et ce qui est faux comme vrai. "
  Presque partout nous apparaît, chez le Grand Mogol, la préoccupation de justifier sa recherche de l'argent par les intérêts de son peuple ou de l' État, et de fonder sur des règles équitables sa politique financière. Il a été souvent poussé par le besoin de l'or, mais il n'en a pas eu l'amour et il ne s'en considérait que comme dépositaire. Jusque dans cet aspect le plus réaliste de son gouvernement, il garde au moins les apparences d'une scrupuleuse justice.
  Et pourtant, comment pouvons-nous parler de justice, après le récit de toutes les violences, de toutes les cruautés, de toutes les exécutions sommaires qui ensanglantent son histoire, surtout dans la première partie de sa vie ? Or, même les historiens du temps qui nous ont rapporté ces criminels excès et qui ne montrent aucune faiblesse particulière pour le Grand Mogol, citent plus d'un trait d'humanité dans ses rapports avec son peuple et reconnaissent qu' Aureng Zeb avait une notion exacte de la Loi, un souci presque constant non seulement d'en respecter les formes, mais de la faire appliquer dans son esprit.
  Manucci, dans son Gouvernement et Police du Mogol, a noté qu'aucun tribunal, si puissant soit-il, n'avait le droit de prononcer de sentence de mort, sans en avoir référé à l'empereur : " Il faut que le souverain ait agréé lui-même trois fois, à trois jours différents, l'arrêt de condamnation avant qu'on l' exécute. " Précaution naturelle contre la possibilité d'une vengeance personnelle ou d'une erreur, mais aussi scrupule d'une conscience qui se sent responsable devant une justice supérieure. Cependant la tradition voulait que la procédure fût débarrassée des vaines formalités qui, dans d'autres pays, à la même époque, en ralentissaient le cours, quand elles ne l'entravaient pas. " Chacun expose son droit, ou le fait exposer par les omrahs; on entend les témoins et sur-le-champ on rend un jugement presque toujours aussi équitable que prompt. " La corruption des juges et la subordination des témoins étaient deux crimes punis de mort. En dehors des vice-rois et des gouverneurs investis, chacun dans sa province ou dans sa ville des fonctions judiciaires, deux tribunaux suprêmes, le Kotwal [ou Cotwal, ou Kotval; "... Les fonctions de Kotwal sont décrites dans le livre Ain-i-Akbari. Il était essentiellement un officier de police municipale, mais dans certains cas, il était responsable du maintien de l'ordre dans la ville, il jouissait de pouvoirs magistraux. Il veillait la nuit et patrouillait dans la ville. Il tient un registre des logements et fréquente les immeubles. Il regarde le poids et les mensurations et remarque les voleurs. Il dresse la liste de ceux qui n'ont pas de successeur, des morts et des disparus. Il devait veiller à ce que, selon le sati pratha, aucune femme ne soit brûlée contre son gré., ... "; sur le Web] et le Kazi,[ou qāżī "... Dans le sultanat de Delhi comme plus tard dans l’empire moghol, le souverain peut administrer directement la justice, et le fait souvent à la cour, de manière généralement expéditive ; mais il nomme aussi qāżī en chef, qāżī al-qużāt, un savant religieux,ʿālim, singulier de ʿulamā’, dont la fonction se confond parfois avec celle du ṣadr-i jahān, maître du monde, ou ṣadr-i ṣudūr, maître des maîtres, en charge des affaires religieuses. Ce qāżī en chef, qui rend la justice dans la capitale, recommande au sultan les juges destinés à exercer dans les diverses villes et casbahs placées sous la tutelle directe du pouvoir central, ainsi que les qāżī responsables de la justice au niveau de chaque province : qāżī-i ṣūba., ... "; sur le Web] ; le premier réprimandait particulièrement les délits d'ivresse, en surveillant les cabarets et les distillateurs d' arak,[ou arrack; boisson alcoolisée distillée principalement en Asie du Sud et du Sud-est, à partir de la fermentation de fruits, de riz, de canne à sucre, de sève de palmier ou de la sève du cocotier; l' arrack est incolore] pour en limiter le nombre; le second avait surtout des attributions religieuses, poursuivait les impies et les sacrilèges, punissait les divorcés et les attentats aux mœurs.

 
 
Niccolò Manucci prenant le pouls d'un patient. Peinture vers I700.

  Ces détails étaient nécessaires pour donner leur véritable sens aux principes dont Aureng Zeb paraît s'être fait une loi, dans la dernière partie de sa vie, et qu'il a souvent rappelés aux princes de sa famille, comme à ses ministres.
  Le prince A'azam Bahadur, avait pour mère nourricière Zahedeh Banu,, dont les petits-fils s'étaient révoltés contre lui. Par représailles, il laissait cette femme vieillir dans la plus noire misère. Son père lui adresse cette sévère et juste leçon : " Fils très haut, combien de temps la vieille dame Zahedeh Banu demeurera-t-elle dans une misérable condition ? Ses petits-fils ont été châtiés pour leurs crimes. Ses droits ne doivent pas être méprisés. Avez-vous oublié comment un jour que l'éléphant de Fateh Jang Khan vous attaqua, Mir Badu, le fils de Zahedeh, se montra aussi brave que Rustam, le héros légendaire de la Perse. Il calma la fureur de la bête. Mais il n'accepta pas la robe d'honneur que je lui offris, disant : " J'ai accompli mon devoir, comme un homme né dans votre maison; pourquoi recevrais-je une récompense pour cela ? " Pour l'amour de Dieu et de moi-même, déracinez le vieux sentiment de rancune de votre cœur. Secouez cette vieille dame qui n'a près d'elle personne de bienveillant qui lui témoigne de l'affection. Car il est écrit : " Montrez plus de bonté envers les vieux membres de votre famille parce que ceux que vous obligez ne se montreront jamais infidèles. "
  Notons que nous n’avons pas là une anecdote édifiante, plus ou moins légendaire, mais un document authentique où se montre la conception scrupuleuse d' Aureng Zeb en matière de justice; tout y est : le salaire dû à chacun selon ses mérites ou ses fautes, — les coupables ont été punis, les services ne doivent pas être oubliés; — la solidarité des membres d'une même famille pour le bien, non pour le mal; le respect de la vieillesse; la loi divine en accord avec la loi humaine. C'est également à son fils A'azam que le Mogol rappelle cette maxime d'après le livre d'un sage : " La stabilité de l'édifice souverain dépend de la justice. "
  Mais laisser impunis les désordres qui compromettent la sécurité de l' État est une faute aussi grave que les excès arbitraires de l' autorité. " Pourquoi demeurez-vous indifférent à la tyrannie des oppresseurs et négligez-vous le châtiment qui est dû ? " L'empereur énumère avec tristesse les violences, les attentats qui désolent chaque jour une riche province et s'indigne de la faiblesse du gouverneur qui la tolère. N'est-ce pas pis que de la faiblesse, puisque les victimes n'osent pas se plaindre à celui qui devrait les défendre ? " Hélas ! hélas ! s'écrie-t-il; le temps passe comme une épée, et les reproches des peuples de ce monde, ainsi que la crainte de Dieu puissant et glorieux, désertent les cœurs. " Le mal est que le gouverneur responsable confie ses pouvoirs à des subordonnés indignes.
  Plus que personne, l'empereur lui-même doit se montrer prudent dans le choix de celui à qui il délègue le droit terrible d'apprécier la faute et de la punir. Quand un membre du redoutable tribunal des Kazi vient de mourir, Aureng Zeb rend hommage à l'intégrité, la loyauté de ce fidèle serviteur. Puis il s'enquiert des mérites de son successeur éventuel : possède-t-il à la fois " le savoir, le désintéressement et la bonté ? " C'est qu'il n'est pas de mission plus grave et plus noble que celle dont il veut l'investir, puisque " les créatures de Dieu, pouvant être emprisonnées ou condamnées à mort par décision du tribunal des Kazi, il faut que celui-ci soit assisté de la grâce divine pour distinguer le bien du mal. " ["... Ces derniers à leur tour recommandent au ṣadr ou au qāżī en chef les candidats au poste de qāżī au niveau des chefs-lieux des cantons, pargana, de la province I0. Le qāżī a censément en charge la justice civile et criminelle du territoire sur lequel s’étend son autorité, ainsi que la surveillance de l’administration des biens des mineurs, des absents, des défunts et des fondations pieuses : waqf. Il a le droit d’agir comme parent le plus proche pour ceux qui se trouvent sans parenté, de recevoir la profession de foi de ceux qui embrassent l’islam et, dans une certaine mesure, il s’occupe de veiller à l’ordre public et à la moralité. Comme le qāżī est juge unique, sa sentence est exécutoire. Le condamné peut, toutefois, faire appel en adressant une requête au souverain, qui préside le tribunal dit de « redressement des abus » : radd-i maẓālim. Le qāżī ne peut accepter de faveurs de ceux qui se trouvent sous sa juridiction ni s’adonner au commerce. Mais de tout temps et en tout pays, les plaintes contre des qāżī corrompus ont été monnaie courante, au point que les hommes honnêtes ont souvent manifesté leur répugnance à accepter une telle charge, — non seulement à cause du danger de corruption, — mais aussi en raison des immixtions abusives des princes étaient chargés de la police des mœurs.,... "; sur le Web] Surtout, jamais de hâte pour frapper et infliger une peine irréparable, même quand il s'agit d'une faute grave et d'un flagrant délit; le Mogol reproche à son fils d'avoir appliqué la loi du talion dans un cas où il semblerait avoir agi par vengeance personnelle plus que par un sentiment réfléchi de la justice.
  Dans tout ceci, nulle considération d'intérêt personnel. Là-bas, à l'autre extrémité du monde, un moraliste avait laissé tomber de sa plume cette maxime désenchantée : " L'amour de la justice n'est pour la plupart des hommes que la crainte de souffrir l'injustice. " Chez Aureng Zeb, à cette même époque, il ne semble plus y avoir d'autre crainte que celle de Dieu. C'est elle, et nul autre sentiment, qui a dicté ces sages paroles : " Il est contraire à la religion d'emprisonner les plaignants. Défenseur et plaignant doivent rester libres. Le juge principal doit pouvoir se prononcer suivante l' éblouissante loi mahométane sans qu'aucune pression ait lieu de s'exercer en faveur de l'un ou de l'autre. Que Dieu soit loué ! notre cadi est honnête, bon et pieux; il ne considère pas tel ou tel; mais dans ses décisions, il n'a 'égard qu'aux faits établis. " Même quand le coupable le touche de près, même quand la faute paraît légère, l'empereur entend que justice soit faite : l'un des siens a fait tort à un officier placé sous ses ordres; le père prescrit fermement à son fils la réparation légitime : " Le prince est devenu orgueilleux; il a perdu la dignité royale. Que Dieu lui pardonne ! Il sera bon de sa part de présenter des excuses personnelles, d'aller à la maison de Nasrat Jang, de demander le pardon du Khan et de se reconnaître le subordonné de son père. " Il n'y a pas d'humiliation qui tienne devant le droit offensé.
  Notons enfin que, chez l'empereur, ce souci de la justice ne se maintenait pas dans de vagues et lointaines généralités, mais descendait jusqu'au contrôle personnel des plus humbles détails de l'administration. Sa conception du droit dû à chacun, et que l'on doit observer non seulement pour le repos de sa conscience, mais pour préserver l'ordre indispensable au gouvernement d'un vaste empire, est d'un caractère essentiellement pratique. Citons encore quelques exemples typiques de cette politique réaliste.
  Dans sa capitale, qu'il ne quittait guère dans les dernières années de son règne, Aureng Zeb restait en contact permanent avec tous les gouverneurs et tous les hauts fonctionnaires des provinces; en outre, il avait de tous côtés des " observateurs " qui le tenaient au courant des moindres faits et dont il ne craint pas d' invoquer le témoignage, quand il distribue le blâme et l'éloge, à chacun selon son dû. À l'un de ses gouverneurs qui s'étaient acquitté scrupuleusement de sa tâche et qui se croyait en droit de solliciter de l'avancement, l'empereur fait répondre qu'il n'a pas autant de provinces à distribuer qu'il y a de quémandeurs qualifiés. Toutefois, comme il sied que le vrai mérite soit récompensé et encouragé, il enverra au gouverneur la différence en argent entre le revenu de sa place actuelle et celui de la place qu'il ambitionnait. En revanche, un officier de police d' Ahmedabad a abusé de sa situation pour caser toute sa famille et ses amis dans les postes qui dépendent de lui; ces subordonnés malhonnêtes s'abattent comme une nuée de vautours sur les villages du district, dont ils se partagent les dépouilles. Le gouverneur, qui est un des fils de l'empereur, laisse faire, parce qu'il est mal informé par des rapporteurs infidèles. Mais à Delhi, Aureng Zeb reçoit les rapports de sa police personnelle; des ordres impératifs partent aussitôt pour Ahmedabad; il faut d'abord changer les " observateurs ", puis révoquer l'officier indigne et sa dangereuse clientèle. Le prince n'a-t-il pas agi avec la même coupable légèreté quand il a préposé à la surveillance d'un port important un marchand malhonnête ? Ici le père se permet de railler sans pitié le fils présomptueux : " Il apparaît que nonobstant votre parfaite sagesse, votre sagacité et votre profonde considération, vous avez désigné un voleur pour monter la garde. Il ne faut plus agir si follement à l'avenir. "
   Le Mogol revient sans cesse sur cette nécessité absolue de s'entourer de collaborateurs à la fois qualifiés par leur compétence et recommandables par leur valeur morale : " L’honnêteté et le savoir jouent le plus grand rôle dans le maniement des affaires publiques, politiques et financières; les incapables et les égoïstes sont nombreux, tandis que les gens méritants et sincères sont rares. "
 

"... Le Qazi-e-Sarkar présidait le principal tribunal civil et pénal du district. Ce tribunal était habilité à juger les affaires civiles et pénales. L'appel du Qazi-e-Sarkar auprès de ce tribunal était le principal officier de justice du district. Daroga-e-Adalat, Mufti, Mir Adil, Muhtasib, Pandit et Vakil-e-Sharayat étaient nommés à ce tribunal qui comptait six officiers., ... "; sur le Web.

  À suivre...

   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 292-302.

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