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https://augustinmassin.blogspot.com/2023/08/l-agonie-dune-armee-metz-i870-journal.html
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I
LA DÉCLARATION DE GUERRE
Les causes de la déclaration de guerre sont trop connues pour que je les rappelle ici; le I5 juillet ce fut une explosion de joie au régiment, quand on apprit que l'on devait se préparer à la mobilisation. ["... I5 juillet : les crédits de guerre sont votés par le Corps législatif. S’y oppose Adolphe Thiers : « Vous n’êtes pas prêts, cette guerre que vous vous apprêtez à faire est une folie ». Son hôtel est caillassé le soir même. Sur les 32 députés républicains, 20 ne votent pas contre les crédits de guerre mais s’abstiennent. Thiers est le seul à s’y opposer, lors de 4 votes; I7 juillet : la France déclare la guerre à la Prusse, notification officielle, le I9 juillet, Napoléon III prend la tête du commandement des armées, le maréchal Le Bœuf en est le major-général., ... "; sur le Web]
Le 7e cuirassiers avait un détachement à Châteaudun,[Eure-et-Loir, 28] mais tenais garnison à Chartres. Nous nous rappelons l'effervescence qui régnait à cette époque; sans être consignés en ville, nous n'osions pas nous éloigner, dans la crainte qu'un ordre de départ toujours attendu vînt nous surprendre.
Ce fut avec un joyeux élan que notre régiment fit ses préparatifs pour la mobilisation. Enfin, on allait donc combattre, aborder l'ennemi. Aucun de nos soldats ne se préoccupait des motifs du conflit entre France et Allemagne; ["... Les tensions déjà considérables entre la Prusse et la France sont exacerbées lorsque Napoléon III apprend la candidature de Leopold von Hohenzollern-Sigmaringen, I835-I905, lointain cousin du roi Guillaume Ier, au trône d’Espagne. En effet, le gouvernement espagnol lui propose la couronne après l’abdication de la reine Isabelle II en I868. Pressé d’accepter par le chancelier prussien, le prince Leopold se retrouve placé sous la pression de Napoléon III, — qui ne peut concevoir d’être encerclé par deux Hohenzollern, — et de Guillaume Ier, — qui ne voulait pas envenimer davantage les relations avec la France pour le moment. Malgré la renonciation publique du prince Leopold, ni Bismarck, ni Napoléon III ne veulent en rester là : le ministre-président cherche à pousser la France à la guerre, sûr de ses forces et convaincu qu’il pourrait enfin unifier toute l’Allemagne, tandis que l’Empereur craint qu’en dépit de l’abandon officiel, les Hohenzollern ne soient malgré tout décidés à s’emparer de la couronne délaissée. Le 2 juillet I870, Bismarck fait une déclaration publique dans laquelle il annonce à nouveau la candidature du prince Leopold. Cette nouvelle suscite un véritable tollé en France et toute la presse s’embrase. Le gouvernement d’Émile Ollivier ne peut rester longtemps sans réponse, et le ministre des Affaires étrangères Agénor de Gramont réplique à travers un discours belliciste que la presse française soutient, — quasi, —unanimement. Le 9 juillet, sur ordre de l’ambassadeur de l’Empire français en Prusse, le diplomate Vincent Benedetti est envoyé à Ems où se trouve le roi Guillaume Ier. Au terme de l’audience, le roi accepte de retirer officiellement la candidature de son cousin le prince Leopold. Néanmoins, se méfiant d’un énième calcul politique des Prussiens, Gramont prie le comte Benedetti d’exiger formellement un engagement écrit du souverain, lequel refuse catégoriquement une telle demande. L’histoire prend une tournure dramatique. Au soir de l’entrevue avec Benedetti, Guillaume Ier écrit un télégramme à son ministre-président Bismarck pour lui rapporter les nouvelles exigences des Français. Flairant l’opportunité « d’exciter le taureau gaulois » et de le pousser à commettre une erreur lourde de conséquences, Bismarck prend le loisir de reformuler la dépêche de manière provocante et outrageuse, et de la publier sous le nom de « Dépêche d’ Ems » dans les journaux allemands. Certains journaux français titrant le recul de la Prusse devant les pressions françaises, le ministre-président rédige une seconde version, « condensée », de la dépêche qu’il transmet à tous les ambassadeurs : de cette manière, toutes les parties concernant la renonciation à la couronne sont volontairement omises. Dernier coup de maître de Bismarck, l’utilisation, subtile, d’un faux-ami, la dépêche précisant que le roi, en dépit de l’insistance de l’ambassadeur, refusa de recevoir l’ambassadeur et qu’il manda un Adjutant [officier d’État-major en allemand] pour le lui dire.,... "; sur le Web] un seul désir les animait : faire campagne.
L' Empereur avait assumé le lourd fardeau du commandement en chef et choisi pour chef d'état-major le maréchal Lebœuf qui devait quitter le ministère de la Guerre où sa présence était si utile à la tête de ce serviceI. Les aides-majors généraux étaient les généraux Lebrun et Jarras. [Barthélémy Louis Joseph Lebrun, I809-I889 / Hugues Louis Jarras, I8II-I890, auteur de l'ouvrage : " Souvenirs du Général Jarras, chef d'état-major général de l'armée du Rhin, I870, publiée par Mme Jarras, E. Plon, Nourrit, I892]
On annonçait les grands commandements sans donner encore le nom de leurs titulaires.
Edmond Lebœuf, général, devenu Maréchal de France. Photo : Léon Crémière, I850.
Expédition de la dépêche d’ Ems " corrigée ". Sur le Web.
L' Empereur devait rester à Paris jusqu'au 27 juillet. Il confia provisoirement la direction de l'armée, qui devait se former aux environs de Metz, au maréchal Bazaine. Celui-ci se trouvait comme désigné au choix du souverain par le parti de l'opposition. Napoléon n'osa pas aller contre ce courant d'opinion, et, malgré son antipathie instinctive contre le maréchal, antipathie que tous ceux de son entourage connaissait bien, il sut prendre sur lui de dissimuler; il signa donc la nomination de Bazaine. Celle-ci, à l'époque, fut très bien accueillie2.
Après l'organisation, on s'aperçut vite qu'aucun commandant de corps d'armée ne semblait satisfait de servir sous les ordres du maréchal. Cet état d'esprit est toujours regrettable et préjudiciable à l'armée, mais il n'était plus le temps d'y revenir.
Chez l'officier, l'amour de la carrière des armes entretient le patriotisme et le dévouement à la patrie. En garnison il anime ses soldats du feu sacré dont il est embrasé, il leur inculque l'esprit de sacrifice et toutes les vertus qui font les armées fortes et disciplinées. Le soldat ainsi préparé aime son chef, il est fier de son uniforme.
La confiance était absolue, nous étions convaincus que nous passerions sur le corps des Prussiens pour atteindre Berlin d'une seule traite. Personne n'aurait osé émettre un doute à ce sujet sans être considéré comme un mauvais soldat.
Seules, quelques personnes osèrent timidement signaler le désarroi qui se faisait sentir dans la concentration des corps d'armée à la frontière3. D'autres se montraient inquiets en présence des irrégularités indiscutables signalées par les journaux.
Les généraux ne trouvaient pas leurs troupes aux emplacements désignés. Des détachements erraient à travers champs à la recherche de leurs régiments sans pouvoir les rencontrer.
Ces bruits inquiétants étaient répandus par des pessimistes qui signalaient d'autre part toute l'activité déployée par l'ennemi. Heureusement, l'armée était étrangère à ces alarmes; rien ne pouvait ébranler sa confiance.
Il faut cependant avouer que notre surprise fut grande au régiment, quand on apprit que les magasins centraux de Paris n'étaient pas en état de nous fournir les objets de campagne indispensables à une entrée en campagne, ni les cartouches réglementaires pour pistolets4.
Cela fit une impression fâcheuse, bien vite dissipée d'ailleurs quand on apprit que nous toucherions à Metz ce qui nous manquait.
II
DE CHARTRES À PONT-À-MOUSSON, 2I juillet
Le régiment était commandé depuis huit ans par le colonel Nitot, ancien soldat d' Afrique, adoré de tous, officiers et soldats; l'esprit de corps était parfait, les punitions rares.
Un détachement de deux escadrons était à Châteaudun sous les ordres du commandant Bouthier.
Nous devions faire partie d'une division de cavalerie indépendante, commandée par le général marquis de Forton. Cette division comprenait deux brigades : la première, formée de notre régiment et du I0e cuirassiers, colonel Junker [ou Juncker ou Yuncker], la deuxième, composée des Ier et 9e dragons, plus nos deux batteries d' artillerie, la poste, le trésor et la prévôté, les services sanitaires et administratifs.
Ces deux brigades étaient commandées : la première par le général de Gramont, duc de Lesparre, frère du ministre des Affaires étrangères, la seconde par le prince Murat.
Les escadrons de guerre, en deux colonnes, s'embarquèrent en chemin de fer le 2I juillet, pour Pont-à-Mousson, [Meurthe-et-Moselle, 54] où toutes les fractions de la division devaient se réunir pour former la 3e division de cavalerie indépendante5.
Les préparatifs du départ avaient été surveillés avec l'intérêt que comporte une mobilisation.
Notre colonel, homme d'expérience, et plein de sollicitude pour ses officiers, nous obligea à déposer au magasin d'armement nos cuirasses de fantaisie pour revêtir des armures d'ordonnance. Cette précaution a été très appréciée ensuite sur le champ de bataille, lorsque les projectiles allemands venaient s'aplatir contre nos plastrons à l'épreuve des balles.
Toutes les dispositions bien arrêtées, on reçut l'ordre de départ avec une indescriptible joie. Le régiment tout entier était en fête.
Je passerai sous silence l’émotion poignante et bien naturelle qui nous étreignit, lorsqu'il fallut nous séparer de notre famille et des amis venus nous souhaiter bonne chance à l'heure du départ. L'amour de la patrie, le sentiment du grand devoir à remplir donne le courage nécessaire quand l'âme est forte et la constitution bien trempée.
Pâles, le cœur gros, nous montâmes à cheval, quelques camarades et moi, entourés de nos amis. Nous partîmes d'un seul trait, au galop, suivis par nos ordonnances, pour nous soustraire à ces scènes attendrissantes; nous arrivâmes au quartier de cavalerie, souriant à nos cavaliers qui attendaient la sonnerie " à cheval " . Nous étions calmes, le sentiment du devoir nous donnait la force de dissimuler les émotions qui nous agitaient à ce moment.
Sans faiblesse, le cœur joyeux, plein d'espoir, rempli de fierté et de noble orgueil, le régiment sortit du quartier vers midi au son d'une fanfare entrainante. La population l'accompagnait, enthousiaste, faisant cortège à " ses cuirassiers ". Sur tous les visages se lisait l'espoir de la victoire et la joie de marcher au combat. Quel beau jour ! Le cœur était à la gloire et à l'espérance.
L'embarquement eut lieu vers une heure après midi, il faisait un soleil splendide. Cette opération s'acheva avec rapidité. En trente-cinq minutes, hommes, chevaux, bagages et armes, voitures régimentaires, forges, etc., tout fut placé dans les wagons. Des voitures de première classe avaient été réservées pour les officiers; avant de prendre place dans nos compartiments, nous nous assurâmes de la bonne installation de nos hommes et des chevaux. Le service de police, les gardes d'écurie à leur poste, rien ne laissait à désirer : on n'attendait plus que l'heure fixée pour le départ.
La satisfaction se reflétait sur les traits de nos soldats, malgré les larmes versées par les spectateurs, qui pensaient peut-être à un fils, à un parent qu'ils craignaient de ne plus revoir. Toute la ville de Chartres était là.
Seuls, quelques officiers montraient un visage attristé; c'étaient ceux de nos camarades qui, désignés par le sort, devaient demeurer à Chartres, sabre au fourreau, pour commander le dépôt du régiment. Ils étaient inconsolables et regardaient les partants avec des larmes dans les yeux. Tous auraient voulu faire campagne ! Nous les regardions, nous aussi, nous comprenions leur peine, nous leur disions des paroles d'encouragement, mais nul n'aurait voulu prendre leur place.
Notre départ fut, on peut le dire, réellement triomphal, et son souvenir a dû se graver dans la mémoire de tous ceux qui en ont été les témoins. Quelle effusion, que de chaleureuses et sincères étreintes ! que de souhaits, de touchants espoirs ! Ce sont là des émotions difficiles à exprimer et impossibles à concevoir pour ceux qui ne les ont pas ressenties.
Enfin l'heure sonna, on serra une dernière fois les mains tendues, les mains amies, puis le sifflet de la locomotive retentit, le train se mit en marche, quitta très lentement le quai d'embarquement. Nous partions !
En route pour Berlin !
7e cuirassiers, commandé par le colonel Nitot. Sur le Web.
Que d'agréables souvenirs me reviennent, en recopiant ces pages qui me semblent écrites hier ! Et plus tard, que d'amertume, de désillusions ! Qui aurait osé prévoir, alors !...
La foule compacte garnissait les quais et la gare; on fit un arrêt de quelques minutes à la station de la ville. Comment décrire ce patriotisme exubérant , les cris nourris et sonores, les " Vivent les cuirassiers ! — Vive l'armée ! — Vive la France ! — à Berlin ! " poussés par cette foule en délire ? On trépignait, on se bousculait pour parvenir à nous serrer les mains6. Toutes ces démonstrations ne ressemblaient en rien aux ovations ordinaires; on sentait que le cœur de la population entière battait à l'unisson de celui de l'armée.
Les dames de la société, coude à coude avec les ouvrières, pleuraient, agitaient leurs mouchoirs, montaient sur les marchepieds pour embrasser les soldats; les hommes, citadins, campagnards, journaliers entraînés par un même élan patriotique, brandissaient leurs chapeaux, jetaient dans les wagons des pièces d' argent, criaient à nos cuirassiers des paroles encourageantes, des souhaits.
Et, du fond des villages perdus dans la Beauce, des paysans en caravanes étaient venus pour " voir partir les soldats ". Beaucoup portaient de pleins paniers de provisions, bourrés de volailles rôties qu'ils distribuaient à nos cuirassiers, leur tendant ces victuailles jusque dans les wagons.
On sentait que ces manifestations sortaient avec élan de toutes les poitrines. C'était un enthousiasme inouï et réconfortant. Pendant cette inoubliable journée, les plus durs, les plus indifférents sentirent une larme d'attendrissement mouiller leur paupière. Nous croyions, au milieu de ces ovations interminables, ne plus pouvoir sortir de la gare; toutes les voies ferrées étaient envahies, l'encombrement ne permettait plus de circuler; les spectateurs étaient portés par cette foule compacte, grisée de patriotisme.
Les autorité civiles, préfet en tête, le conseil municipal, le clergé, la magistrature, les corporations avec leurs bannières, étaient venus des points les plus éloignés.
Je ne puis me lasser de dépeindre ces adieux tant j'ai, vif encore, au cœur, leur émouvant souvenir. Les musiques jouaient des morceaux de circonstance : Le chant du départ et la Marseillaise que chantaient les orphéons [Société chorale de voix d'hommes ou de voix mixtes d'enfants; Larousse] et les spectateurs; cet hymne national si prodigué depuis, nous remua, ce jour-là, jusqu'aux fibres.
Mais tout chose doit avoir une fin : notre train se mit en marche vers Paris.
Le convoi très chargé, allait lentement. À la sortie de Chartres un grand silence régna dans nos compartiments; nous étions comme recueillis après ce coup de grosse émotion : chacun pensait aux êtres aimés laissés derrière lui, à l'avenir, au retour glorieux, à la mort peut-être, là-bas, on ne savait où, quelque part en face de l'ennemi. Ce silence n'était troublé que par le sifflet de la locomotive, à la traversée de chaque gare. On ne s'arrêtait pas, mais le train ralentissait, on entendait les acclamations saluant notre passage.
Partout, sur tout le parcours, notre train, que les drapeaux dont il était pavoisé signalaient à l'attention des populations, fut ainsi accueilli par des vivats.
Enfin, nous arrivons à Paris; nous entrons en gare de la Villette à 4 heures du soir. La chaleur du jour avait été accablante, l'approche de la nuit fut un soulagement pour tous, cavaliers et chevaux.
Le convoi se remit en marche vers 4 heures et demi; les conversations reprirent peu à peu et naturellement portaient sur les sujets d'actualité. Cette partie du voyage s'accomplit gaiement : nous étions si heureux de faire campagne !
Le 22 juillet, vers 5 heures du soir, nous arrivâmes en gare de Pont-à-Mousson; il serait difficile de décrire l'encombrement des voies ferrées. Il fallut attendre plusieurs heures avant de pouvoir aborder le quai de débarquement, après des man6uvres compliquées7.
De nombreux officiers arrivés avant nous étaient venus à notre rencontre; il est agréable de retrouver des camarades dispersés dans tous les régiments à la sortie des écoles. On se jetait dans les bras l'un de l'autre, on riait, on se regardait longuement, puis les conversations continuaient, fraternelles.
Au moment d'aborder le quai, l'adjudant-major vint prévenir le lieutenant-colonel Friand, qui commandait notre colonne, que la municipalité n'étant pas avisée de notre arrivée, rien n'était préparé pour nous recevoir. Le maire expliqua à notre colonel que Pont-à-Mousson logeait déjà un nombre exagéré de soldats. " Toutes les maisons sont encombrées, dit-il, il doit y avoir erreur, vous ferez bien de vous diriger ver Metz. " Notre colonel sourit à cette invitation du maire, qui d'ailleurs se montra très poli et fort contrarié; mais il lui répondit que la feuille de route portant une destination, il ne pouvait la changer sans de nouveaux ordres8.
Le maire comprit qu'il n'avait pas à insister; il se prêta de bonne grâce à procurer aux escadrons ce qui leur était indispensable et conduisit lui-même le colonel au logement qu'il lui destinait. Le débarquement se fit ensuite en bon ordre. Hommes et chevaux bivouaquèrent dans une prairie. La nuit était belle, les hommes acceptèrent joyeusement cette nouvelle installation en attendant les distributions.
Le déjeuner était loin; la nature ne perd pas ses droits, il fallait songer au repas du soir. Tout fut commandé sans que nous puissions prévoir à quel moment de la nuit nous pourrions nous restaurer. Quelques jeunes camarades, croyant être reçus comme à une étape ordinaire, étaient un tantinet désillusionnés; c'était peu de chose, ils furent les premiers à en plaisanter le lendemain.
Ce qui nous frappa le plus, ce fut cette impression de désordre annoncé déjà par quelques pessimistes avant notre départ de Chartres. Il y avait évidemment, en ce qui nous concernait, une omission regrettable; nous ne pouvions comprendre comment l'administration de la Guerre avait pu négliger un avis aussi important. Naturellement, aucune notification n'étant parvenue à la municipalité, celle-ci ne pouvait faire préparer les denrées sur lesquelles nous comptions à notre arrivée.
Les escadrons de la deuxième colonne avec l'état-major du régiment débarquèrent peu de temps après nous; le colonel Nitot fut mis au courant de ce qui se passait. Avec son grand bon sens, sans s'inquiéter de savoir si on lui avait trouvé un logement, il se contenta de répondre : " À la guerre comme à la guerre. " Ces simples paroles furent un enseignement pour quelques camarades de la jeunesse dorée qui, d'abord interloqués, finirent par rire de l'aventure.
Quand nous arrivâmes à l’hôtel où le diner nous attendait, il était plus de dix heures du soir. Nous n'avions pu quitter nos escadrons avant d'avoir tout organisé. Notre réunion avec nos camarades de la deuxième colonne venant de Châteaudun, que nous n'avions pas vu depuis quelque temps, fut pour tous pleine de gaieté; et nous fîmes honneur à un repas copieux, arrosé de ce bon petit vin de Tiaucourt ["... Ce vin dont on retrouve déjà la trace au Moyen Âge, « était commercialisé dans les pays frontaliers de la Lorraine et jusqu’en Angleterre au XIX e siècle », on servit même le breuvage sur le paquebot Normandie. La légende veut que le vin de Thiaucourt, dont les vignes couvraient à l’époque 200 ha du village, « figurât sur la carte du Titanic, réservé aux passagers de 3e classe et au personnel ». La vigne de Thiaucourt disparut au début du XXe siècle, victime d’une épidémie de phylloxera qui toucha toute l’Europe du Nord., ... "; sur le Web] dont nous reparlions quelquefois, quand nous n'avions que de l'eau à boire, pendant le siège de Metz.
Nous voilà dans cette installation provisoire, en attendant l'arrivée des autres régiments de la division annoncés pour le lendemain.
III
BIVOUAC ET ATTENTE, 23 juillet
À suivre...
I. LEHAUCOURT,[Pierre, 1852-1931] la Guerre de I870, II, p. I50.
2. Voir LEHAUTCOURT, loc. cit., I52 et 267.
3. Au sujet du désarroi qui règne, voir CHUQUET, [Nicolas, 1853-1925] la Guerre de I870-7I, I6, I7, I8. — LEHAUTCOURT, I58 à I65, id., I72. — Lieutenant-colonel ROUSSET,[Léonce, 1850-1938] la Guerre de I870-7I, I, 111-114, 122-138, et 146, 147.
Sur l'impression de malaise chez certains officiers, voir LEHAUTCOURT, 170-171. On peut rapprocher de la phrase du commandant FARINET : " Heureusement l'armée était étrangère à ces alarmes; rien ne pouvait ébranler sa confiance ", le passage suivant : " La jeunesse dans l'armée évoquait les souvenirs d' Iéna,[1806] rappelait les faciles victoires de l' Algérie [1830-1871] et les douteuses victoires de Magenta [1859] et de Solférino. [1859] Moins sujets aux illusions, les officiers supérieurs et les généraux jetaient un regard inquiet sur l'avenir. " LEHAUTCOURT, 71, note 3.
4. Sur cette pénurie du matériel, voir CHUQUET, loc. cit., 18,19, 20. — LEHAUTCOURT, loc. cit., 175, 176, 177.
5. Il devait y avoir trois divisions de cavalerie de la réserve générale, la première ne fut jamais entièrement constituée. Voir lieutenant-colonel ROUSSET, loc. cit., 120.
6. Sur l'enthousiasme à Paris et dans les départements, voir CHUQUET, II. — LEHAUTCOURT, 50 à 55. — DICK DE LONLAY, [pseudonyme de Georges Hardouin, 1846-1893] II, 232.
7. Sur l'encombrement des voies ferrés, voir LEHAUTCOURT, 160-161-162. — Lieutenant-colonel ROUSSET, I, 71-72. — F. JACQMIN, [Frédéric, 1820-1889] les Chemins de fer pendant la guerre de 1870.
8. Autre exemple du désarroi qui préside à la concentration, désarroi dû : I° à l'absence de préparation; 2° à la simultanéité de la mobilisation et de la concentration: 3° aux changements successifs apportés au plan de campagne.
COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l' Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. I-I2.
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