" La vision du cargo de bananes nous induit en erreur : la part du transport dans les émissions de l’agriculture est extrêmement faible. Oui, c’est la petite barre rouge. "
Or faire pousser des citrons à Lille plutôt qu’à Menton, c’est très peu efficace. Et le bilan d’une tomate bretonne, sous serre chauffée, est beaucoup moins bon que celui d’une tomate espagnole. "
Cobra effect, X
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Le vrai danger du “ consommer local ”
Le “ consommer local ” est à la mode. Quoi de plus naturel en effet que
de favoriser dans ses achats les producteurs situés dans sa ville et
dans sa région ? Naturel, peut-être, mais dangereux, certainement. Revue.
Sophie Dubois est productrice de pommes à Dardilly, charmante petite
ville à côté de Lyon. Elle vend ses pommes dans toute la France mais a
un peu de mal à joindre les deux bouts. La mairie de Dardilly veut
l’aider et décide de promouvoir les producteurs locaux, donc Sophie est
contente : elle va vendre plus de pommes. Les écologistes et les amis de
la nature sont également contents. Au lieu de faire venir des pommes
d’Espagne en camion, la Mairie les fera venir du champ d’à côté, ce qui
évidemment est excellent pour le bilan carbone. Autre bénéfice, cela
renforce l’économie locale : Sophie gagne plus d’argent, paie donc plus
d’impôts et, qui sait, songera peut-être à embaucher un apprenti l’année
prochaine.
Et puis la mairie de Caen, dans le Calvados, découvre les bonnes
pratiques des autres mairies, et décide elle aussi de favoriser les
producteurs locaux de pommes pour ses cantines. D’autant que les pommes,
à Caen, on en produit un paquet. Mise à jour des contrats. Or Sophie
vendait 8% de sa production à la mairie de Caen. Elle perd donc ce
contrat au profit des producteurs caennais. Du coup Sophie est beaucoup
moins enthousiaste quant au “ consommer local ”. Et ce d’autant que la
mairie de Sarreguemines vient à son tour de décider de favoriser les
producteurs locaux, et c’est un nouveau contrat de perdu pour Sophie.
Pomme de discorde. Source: Wikipedia.
Il en va ainsi du “ consommer local ” comme de beaucoup d’autres choses en économie : il y a ce qu’on voit, et il y a aussi ce qu’on ne voit pas. Mais il y a surtout la différence entre un gain local, et une réaction systémique qui laisse tout le monde perdant.
Pourquoi tout le monde est-il perdant ? Au début nous avons Sophie, qui produit ses 40 tonnes à l’hectare. Mais le développement de la préférence locale lui ferme peu à peu des marchés, et ses ventes diminuent. D’un autre côté, la préférence locale permet bien-sûr à d’autres producteurs de la remplacer. Mais elle les empêche en même temps de grandir en vendant dans d’autres villes. À l’extrême, chaque ville a son producteur de pommes, solidement soutenu localement, mais minuscule et incapable de
grandir car les autres marchés “ locaux ” leur sont fermés. Au lieu
d’avoir quelques gros producteurs économiquement efficaces, ce qui
permet d’abaisser le prix des pommes pour le consommateur final, on se
retrouve avec une myriade de tout petits producteurs, dont beaucoup ne
sont pas viables tout simplement parce qu’ils n’ont pas la taille
critique nécessaire, sauf s’ils augmentent leurs prix. L’augmentation
des prix, qui est un moyen de sous-traiter la conséquence de son
inefficacité, pénalise bien-sûr le consommateur. Celui-ci risque alors
de diminuer sa consommation de pomme en se tournant vers d’autres
fruits.
Ce risque de passer d’un petit nombre de producteurs de taille
critique amortissant leurs coûts sur un gros volume à une myriade de
petits producteurs non rentables n’est pas illusoire : le verger français
moyen fait en effet seulement I2 ha contre… 200 ha en Argentine.
La préférence locale, loin de favoriser les producteurs de pommes,
mine donc leur rentabilité et sacrifie la filière française face aux
concurrents étrangers. On ne s’étonnera pas que peu après de
développement des politiques de préférence locale, les institutions
publiques commencent à faire face à des demandes… de subventions,
poursuivant un cycle infernal bien connu en France où l’État, par ses
subventions, essaie d’être la solution aux problèmes qu’il crée. À la
pénalisation du consommateur s’ajoute donc la pénalisation du
contribuable, qui n’avait rien demandé. On a donc trois perdants de la
préférence locale: les producteurs, les consommateurs, et les
contribuables. Beau résultat.
Naturellement, l’affaiblissement de la filière française par son
émiettement favorise la concurrence étrangère. Place aux pommes argentines. Qu’à cela ne tienne en ce cas : interdisons les pommes
étrangères ! Bonne idée, mais l’effet se reproduira à nouveau, cette fois
au niveau international. Si nous interdisons l’importation de pommes
étrangères, les autres pays répliqueront en fermant leur marché à nos
exportations. On aura donc un gain, substitution des pommes françaises
aux pommes importées, mais aussi une perte directe, disparition des
exportations, ainsi qu’une perte indirecte, plus insidieuse : une
nouvelle baisse de rentabilité liée à l’impossibilité de grandir, qui
minera le secteur, et donc la poursuite du cycle infernal évoqué
ci-dessus.
Plus généralement la préférence locale pose un autre problème, celui
de remettre en cause les bienfaits de la division du travail. Ces
bienfaits ont tellement été décrits qu’on est presque embarrassé d’avoir
à les rappeler, mais cela reste apparemment nécessaire. En gros,
l’échange est créateur de valeur parce qu’il est plus efficace pour
chacun de se spécialiser dans ce qu’il sait faire. Par exemple, je peux
faire mon pain moi-même. La recette est facile à trouver, les
ingrédients disponibles et il y a même des machines spécialisées pour
pas trop cher. Mais y ai-je intérêt ? Ce n’est pas certain. Une baguette
coûte I€, et si je tiens compte du temps passé, en plus des ingrédients
et de la machine, un pain fait moi-même me coûtera beaucoup plus : et
sera sûrement moins bon. Pourquoi la baguette coûte-t-elle seulement I€ ? Parce qu’elle est produite par un acteur économique spécialisé, le
boulanger. Il en produit beaucoup, ne fait que ça toute la journée, son
expertise et sa spécialisation assurent sa performance économique, c’est
à dire sa capacité à produire une bonne baguette à I€ seulement. Son
four est amorti plus facilement car il produit une grande quantité.
Il en ira de même des pommes. Déplaçons-nous cette fois à Agen.
Jacques est un producteur local, et la mairie d’Agen décide de l’aider,
car il est inacceptable d’importer des pommes de l’autre bout de la
France. Jacques reçoit donc une commande, et il doit augmenter sa
production. Mais le sol d’Agen ne convient pas bien à la pomme, et le
rendement n’est que de 20 à 27 tonnes à l’hectare. Pour atteindre son
objectif de production, Jacques doit investir dans des engrais,
travailler plus longuement la terre, bref : produire un kilo de pomme va
lui coûter I5% de plus que Sophie à Dardilly. Là encore, la logique de
consommation locale amène à soutenir des productions intrinsèquement non
rentables. Dans une autre logique, celle de la division du travail, Jacques abandonnerait le marché des pommes et ferait des prunes.
Agen vendrait donc ses prunes à Dardilly, qui en échange lui vendrait
ses pommes. Les prunes d’Agen seraient produites au meilleur coût, les
pommes à Dardilly aussi, il en résulterait un gain net pour les deux
parties, ainsi que pour la communauté. L’argent ainsi économisé par la
mairie de Dardilly grâce au gain en efficacité, prunes moins chère,
pourrait dès lors être consacré, par exemple, au ramassage des
poubelles.
Il y a naturellement également un argument écologique. Car on pourra
rétorquer : “ On s’en fiche d’être plus efficace économiquement si ça nous
évite un camion de pommes partant à Agen et un camion de prunes pour
Dardilly ”. Mais là encore l’argument ne porte pas, car l’efficacité
n’est pas seulement économique. Adapter les cultures au sol et au climat
permet aussi de diminuer l’empreinte écologique.
En conclusion, une nouvelle fois l’enfer est pavé de bonnes
intentions : la consommation locale est une aberration économique et
écologique, et ignorer les principes de la division du travail, c’est
s’exposer à de graves déconvenues. On mentionnera l’exemple historique
de l’empire romain, longtemps irrigué par le commerce mondial et qui peu
à peu s’est replié dans des villas autarciques, asséchant les échanges
commerciaux et s’appauvrissant. La fin est connue.
Note : je ne connais rien à la culture de la pomme, les exemples
sont donc fictifs et à but d’illustration seulement. Mes excuses aux
experts du secteur.
Sur la même question, on lira mon article précédent “ Pourquoi produire français est un slogan stupide et dangereux “.
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