Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XIII

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   On distribue gratuitement un pamphlet271 intitulé : Le citoyen Dedon [François-Louis Dedon-Duclos, 1762-1830 ; carrière d'officier d'artillerie à partir de 1777, général de brigade d'artillerie, lieutenant général des armées. - Commandant de la légion d'honneur et obtint la croix de Saint-Louis. - Son nom est attaché à l'histoire des régiments de pontonniers ; il est inscrit parmi les 660 noms portés sur l’Arc de triomphe de l'Étoile, côté Est ; source], ci-devant commandant en chef l'artillerie à Landau, à la Convention nationale, aux Comités de salut public, de sûreté générale, et à ses concitoyens. Cet officier, fort de son innocence, et sûr de confondre, dit-il, ses calomniateurs, ne prend la plume que pour éclairer les mandataires du peuple sur les causes des troubles qui ont agité la garnison de Landau [Archives parlementaires : demande de rapport sur les troubles de Landau, Bas-Rhin, lors de la séance du 6 frimaire an III, 26 novembre 1794], troubles dont il a été témoin, sans jamais y avoir participé...272. Au surplus, dans cet écrit, le citoyen Dedon justifie Dentzel [Georges Frédéric, 1755-1828, baron ; "... il s'engagea comme aumônier militaire dans le régiment de royal Deux ponts et participa à la Guerre d'indépendance américaine : 1780-1783. À son retour, il épousa la fille du maire de Landau, fut naturalisé français en 1784 et succéda rapidement au doyen et président du consistoire. De son union avec Sybille-Louise Wolff naquirent sept enfants : l'ainé, Louis, devint colonel du 6e régiment de Hussards sous l'Empire, puis général de l'armée de la Grèce occidentale ; Caroline fut la mère de Georges Eugène Haussmann. Dentzel s'enflamma pour les idéaux révolutionnaires. À Landau, il fonda la Société des amis de la Constitution. Il renonça à ses fonctions ecclésiastiques, fut nommé adjoint du général Kellermann, chargé de la correspondance, puis, par la Convention, commissaire des départements de Moselle et du Bas-Rhin : 1792. Son nom est lié à la défense de la garnison de landau : 28 juillet - 28 décembre 1793, encerclée par les Autrichiens et les Prussiens. Injustement accusé d'être un indigne représentant du peuple, il fut incarcéré, échappa de justesse à la guillotine et fut libéré et réhabilité après la chute de Robespierre. À Paris, en 1795, il fut chargé d'organiser la défense de l'arsenal. Colonel en 1776, il acquit à Versailles un ancien domaine de madame de Pompadour, l'Hermitage. À partir de 1806, il prit part à presque toute les campagnes du Premier Empire, fut commandant des places de Weimar, où il rencontra Goethe et Wieland, Varsovie et Vienne, reçut la mission de veiller au sort des prisonniers. Créé baron de l'Empire en 1806, décoré de la légion d'honneur en 1813, il fut promu général de brigade en 1814. Avec son fils Louis, il fut présent à Waterloo. Il fut " admis à la retraite " sous la Restauration. Dentzel s'éteignit à Versailles le 7 mai 1828. Sa tombe se trouve au cimetière Notre-Dame ; source], représentant du peuple, et il prouve, en même temps, que nos braves soldats des armées du Rhin et de la Moselle sont arrivés fort à propos pour débloquer Landau, puisque cette place allait être obligée de se rendre.

Illustration de la page François-Louis Dedon-Duclos (1762-1830).

Le général François Louis Dedon-Duclos



Baron Georges Frédéric Dentzel : acte de décès

  On était si persuadé que le rapport de l'affaire Basire et de Chabot274 se ferait aujourd'hui, que plusieurs personnes sont allées à la Convention pour avoir la curiosité de l'entendre. Cependant il n'a pas eu lieu. Cela n'a pas empêché beaucoup de personnes de s'entretenir le soir dans les cafés de ces deux députés. Leurs voix étaient partagées sur Basire, mais Chabot ne trouvant point de défenseurs ; son mariage, la mauvaise réputation de la famille où il est si brusquement entré, les cent mille livres qu'il n'a rapportés qu'après avoir été dénoncé aux Jacobins, son luxe insolent, tout lui a été reproché, et l'on a peine à croire qu'il puisse se tirer du bourbier où des fripons et des scélérats l'ont jeté.
  On a parlé d'un schisme qui doit éclater parmi les officiers de l' état-major de l' Armée révolutionnaire. Grammont et quelques autres, dit-on, déjà destitués275. Différents placards vont nous apprendre l'objet de leurs divisions.
  On a assuré que d' Eprémesnil276 était arrivé et qu'il a été traduit à la Conciergerie.
  L'arrivée277 dans nos ports de huit bâtiments venant, richement chargés, de l' Ile de France, a causé une joie générale. Cette heureuse nouvelle, étant d' ailleurs accompagnée de celle d'une descente infructueuse des Anglais dans l' Île de Corse, d'un avantage remporté à l'armée du Nord, et de la déroute complète des débris de l'armée des rebelles, a produit le meilleur effet.
   La cherté des denrées provient tout à la fois et de leur rareté et de la malveillance ; on ne peut avoir ni bois, ni viande, ni poisson, et les légumes sont à un prix excessifs. Malgré cette pénurie totale, l'esprit du peuple est bon ; sa patience ne se décourage point, et l'on voit qu'il est mûr pour la République.

Rapport de Grivel, W 191
  L'espère de guerre que se font dans ce moment le club ci-devant Évêché, présidé par Dufourny [Louis-Pierre Dufourny de Villiers, 1739-1796 ; "... était ingénieur en chef de la ville de Paris lorsque la Révolution éclata. Mû par des convictions démocratiques avancées, il s'engagea énergiquement dès la première heure dans la vie politique révolutionnaire. Il fut nommé, en 1789, président du district des Mathurins. En 1790, il fut un des fondateurs du « Lycée » : D.B.F. Membre du club des Cordeliers, à partir de 1790?, il défendit avec force les principes de liberté et d'égalité. Électeur de 1792, La Grande Encyclopédie, il fit partie, sous la Convention, du directoire du département de Paris et présida même cette assemblée en 1793 : Walter et Martin. Membre de l'administration des poudres et des salpêtres, il rédigea une brochure, Instruction pour tous les citoyens qui voudront exploiter eux-mêmes du salpêtre, qui fut envoyée dans toutes les municipalités par le Comité de salut public : D.B.F. Il fit partie du Comité des Six qui, prenant prétexte du discours d' Isnard contre la Commune de Paris, organisa l'insurrection du 31 mai 1793 contre les Girondins : Furet et Ozouf. Les hébertistes l'ayant chassé du club des Cordeliers, il déposa contre eux dans leur procès, mars 1794, mais eut le courage de défendre Danton quelques jours plus tard. Exclu du club des Jacobins auquel il s'était rallié, il fut arrêté et traduit au Comité de sûreté générale sur l'ordre de Robespierre. La chute et l'exécution de ce dernier, 9 thermidor an II - 27 juil. 1794, lui permit d'échapper à la répression et de recouvrer la liberté. Accusé de terrorisme par Cambon, 6 frimaire an III [26 novembre 1794], il fut arrêté à nouveau, puis libéré grâce à l'amnistie du 4 brumaire an IV [26 octobre 1795] La Constitution de 1795 rétablit l'exclusion des pauvres. " ; source], et celui des Cordeliers, dirigé par Vincent et présidé par Momoro, attire l'attention d'une grande partie du public.

Le 31 mai 1793, estampe gravée par Jean-Joseph-François Tassaert d'après une esquisse de Fulchran-Jean Harriet, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, vers 1800.


        

Pétition de Louis-Pierre Dufourny : L’homme libre aux hommes dignes de l’être ; " ...Libre de penser et de délibérer, d’exercer ses droits de citoyen « actif », il s’adresse à ceux qui ne le sont pas encore puisqu’ils n’ont pas de droits politiques : une portion de Français exclus et les étrangers. Il se propose pour être ce Grand Proclamateur national... " . Source

  Il paraît que les causes de cette guerre sont une animosité et une opposition de sentiments et de prétentions prononcée, entre Vincent et Momoro, d'une part, et Dufourny, de l'autre. Chacun des deux partis s'est d'abord étayé du suffrage et de l'appui de ses amis et de sa société ; chacun cherche maintenant, pour le soutien de sa cause, à attirer dans la querelle, l'un des comités révolutionnaires, l'autre, les clubs de section. Ils se prodiguent de part et d'autre les inculpations les plus graves, les qualifications les plus injurieuses. Leur haine et leur ressentiment réciproques paraissent si animés, qu'on ne peut douter que, pour parvenir à détruire ses adversaires, chaque partie ne se porte aux dernières extrémités, si l'on ne trouve pas le moyen d'étouffer cette querelle envenimée. Il est d'ailleurs à craindre que cette dissension entre particuliers ne prenne de l'extension et ne devienne un germe de division et de discorde générale à Paris ; les sociétés populaires peuvent se ranger d'un côté, les comités révolutionnaires de l'autre, et une grande partie du reste des citoyens, entraînés diversement par leurs opinions, par leurs intérêts et par leurs liaisons, se partager entre les deux partis, et soutenir exclusivement et avec passion celui qu'ils auront embrassés.
  J'ai déjà, dans un rapport précédent278, rendu compte des premières hostilités qui ont eu lieu dans le sein des Sociétés de l' Évêché et des Cordeliers. Dans la première, la discussion avait roulé sur les questions de savoir s'il n'était pas utile, nécessaire même, de supprimer les clubs sectionnaires. Dufourny avait parlé fortement pour l'affirmative ; mais il n'avait rien dit nommément contre aucune société ni contre Vincent. Il paraît que Vincent regarda cette discussion, et l'opinion de Dufourny, comme une attaque indirectement dirigée tant contre lui que contre la Société des Cordeliers. À la première séance que tint après cette dernière Société, Vincent dénonça l'objet de la délibération de la Société de l’Évêché, et, comme Dufourny avait parlé en faveur des comités révolutionnaires au préjudice des clubs de section, Vincent, pour faire la contre-partie, proposa de demander la suppression de ces comités, et l'attribution de leurs pouvoirs aux sociétés sectionnaires. Cette proposition fut adoptée. Il ne fut pas question de Dufourny mais, dans la séance des Cordeliers qui suivit immédiatement, la colère de Vincent ne garda plus de mesure. Dufourny était depuis longtemps du club des Cordeliers. Vincent fit proposer la radiation de Dufourny, et celui-ci fut en conséquence rayé sur la liste des membres de cette Société.
  Dans la séance des Cordeliers du 24 pluviôse [12 février 1794], plusieurs membres demandèrent : qu'attendu l'affinité des principes et des sentiments des Cordeliers avec ceux des Jacobins, il fût donné communication à la Société des Jacobins de la radiation de Dufourny, pour lui démasquer tous les intrigants.
  Vincent et les Cordeliers avaient alors un nouveau grief contre Dufourny. Vincent avait demandé son admission à la Société des Jacobins ; les Cordeliers l'avaient appuyé. Dufourny s'y était opposé, d'après l'arrêté de la Société portant qu'il n'y aurait point d'admission jusqu' après l'entière épuration de ses membres ; il avait aussi présenté comme une intrigue les démarches qu'on faisait auprès de la Société des Jacobins pour obtenir l'admission de Vincent.
  Cette opposition de Dufourny et de ceux qui avaient embrassé son opinion paraissent à plusieurs cordeliers des manœuvres d'intrigants, qui craignent la surveillance de Vincent.
  Momoro attribue cette opposition à un système astucieux de machination combiné contre les meilleurs patriotes. Il accuse Dufourny d'agir d'après ce système contre Vincent.
  Celui-ci fait son apologie. Il dit que ce sont les ennemis de la chose publique qui empêchent son admission. Il ne s'est pas présenté aux Jacobins depuis cinq ans ; mais son patriotisme est assez prouvé pour qu'on doive l'y admettre. Il a fait divers ouvrages qui prouvent qu'il est patriote ; une partie a été brûlée ; mais par le reste, qui est dans un carton, on peut juger de ce qu'il est. Il demande des commissions, on les nomme.
  Un membre dit que l'épuration des Jacobins est purement illusoire, qu'elle n'est favorable qu'aux intrigants, qui s'entourent de leurs créatures et de leur protecteur.
  Hébert parle dans le sens de Momoro. Il dit que la résistance à l'admission de Vincent tient au vaste plan de conspiration qu'il a dénoncé ; Le peuple, depuis la Révolution, a eu à lutter contre les traîtres de toute espèce ; il les a renversés, et nous renverserons encore ceux-ci. Nous avons vu la faction royale, celle de La Fayette, et celle de la Gironde ; elles sont détruites. On ose dire que les auteurs de la mort de Brissot étaient les agents de Pitt. Mais qui peut débiter de telles calomnies? Ce sont ceux qui, avides de pouvoirs, qu'ils accumulent, mais toujours insatiables, ont inventé et répètent pompeusement dans de grands discours le mot d' ultra-révolutionnaire, pour détruire les amis du peuple qui surveillent leurs complots, comme s'il était permis à quelqu'un de mettre des bornes à la volonté nationale...279.
  Après plusieurs discussions, la Société a arrêté que des commissaires se transporteront au comité des Jacobins, pour s'expliquer sur la pureté de Vincent et sur les causes qui traversent son admission.
  Sans vouloir prendre parti dans cette querelle, on peut dire que c'est une lutte d'ambition et d'amour-propre, mais lutte dangereuse pour les effets qu'elle peut produire. On voit déjà que les Cordeliers regardent comme une espèce d'affront pour eux la non-admission de Vincent, et, en étant très offensés, ne se contentent pas de s'en prendre à Dufourny, mais s'expliquent de manière à faire sentir qu'ils en veulent à la Société des Jacobins, et à ceux surtout qui ont parmi eux le plus de crédit. Le mot de protecteur, qu'ils emploient, indique bien le personnage qu'ils n'osent nommer ; mais, de peur qu'on ne s'y trompe, ils le désignent sous d'autres termes. Hébert dit que ces hommes en crédit sont insatiables de places, et que pour appuyer leurs calomnies contre les patriotes qu'ils appellent des intrigants, ils ont inventé pour les noter le mot d' ultra-révolutionnaires : or on sait fort bien quel est l'inventeur de ce mot, et qui sont ceux qui en font usage.
  C'est au Comité de salut public à voir ce qu'il a à faire à cet égard.

Rapport d' Hanriot, W 191
  La situation des Etats-Unis contre la France280 fait toujours le principal objet des conversations.


Affaire du citoyen Genêt, (1793), incident précipité par l'aventurisme militaire du citoyen Edmond-Charles Genêt ; ses activités ont violé une proclamation américaine de neutralité dans le conflit européen et ont fortement embarrassé les partisans de la France aux États-Unis. Source

   Un citoyen, arrivant de l' armée du Nord, disait que les Puissances coalisées contre la liberté des peuples, effrayées des progrès de la philosophie, autant qu'abattues par leurs défaites, ignoraient ce qu'elles avaient le plus à craindre, des murmures de leurs sujets ou des armes de France. Elles désespèrent, avec raison, du succès d'une guerre qui, jusqu'à présent, n'a fait que les ruiner en hommes et en argent et indisposer leurs peuples.
  Cependant, ajouta-t-il, par crainte ou par orgueil, elles nous menacent encore ; mais, si l'ennemi a profité de notre sommeil pendant la campagne dernière, notre réveil ouvre aujourd'hui son tombeau. Il ne s'attend pas au coup terrible qui doit l'abattre. Le bouillant courage des Français, tel qu'un volcan, fera une explosion terrible, et les despotes et leurs esclaves seront anéantis. - Bravo! s'écria-t-on. Vive la République!
  Sa verve ne fit que s'enflammer, et, traçant avec rapidité le tableau de chaque Etat en particulier, il nous assura qu'en Allemagne le peuple non seulement murmurait, mais que les grands, sur qui les subsides sont tirés, se lassaient aussi d'une guerre qui les ruine. Tous les petits princes ne peuvent se dissimuler que depuis longtemps la maison d' Autriche cherche à les abaisser et à s'emparer de leurs petits Etats. Aussi l'intrigue agit de concert avec la crainte ; une insurrection se combine à Vienne ; les ennemis de l'oppression travaillent dans les souterrains à l' édifice de la Liberté. Le gouvernement effrayé stipendie à grands frais une armée d'espions ; les arrestations sont fréquentes ; la terreur est aussi mise à l'ordre du jour, mais elle n'empêchera pas l'orage d'éclater.
  Quand à la Prusse, toujours en continuant, elle est sans moyens, agitée de plus par des changements récents dans le ministère ; elle ne peut plus être d'un grand secours pour la coalition ; la Pologne, secouant déjà ses nouveaux fers, donne des craintes au successeur de Frédéric [Frédéric II de Prusse, dit Frédéric le Grand, 1712-1786 ; "... Agrandissant notablement le territoire de ses États aux dépens de l'Autriche, Silésie, 1742, et de la Pologne, Prusse-Occidentale, 1772, il fait entrer son pays dans le cercle des grandes puissances européennes... " ; source], et lui fait songer à conserver la partie de ce royaume qu'il a usurpée, avec toutes les formalités requises, plutôt qu'à concourir aux fais immenses d'une troisième campagne.   

                                                        

Frédéric II, âgé de 68 ans, 1780, par Anton Graff.

  Mais l'Espagne, qu'en pensez-vous? - L'Espagne, répondit-il, déjà épuisée, n'a pour ainsi dire d'autre force que le désir de la vengeance ; ce sentiment la lie malgré elle à l' Angleterre, dont elle se défie ; et l' Espagne, dont on nous menaçait tant, craint beaucoup aujourd'hui pour ses possessions en Amérique.
  Enfin tous lui demandèrent unanimement son avis sur la Turquie. Sa conduite à l'égard du citoyen Sémonville [Charles-Louis Huguet de Montaran, marquis de, 1759-1839 ; Pair de France ambassadeur dans l'Empire ottoman, 1792-1796, puis aux Pays-Bas, 1799-1805 ; Sénateur, 1805 ; nommé comte, 1808, puis marquis : 1819 ; "... Bientôt après, 1792, l'ambassade de Constantinople lui fut confiée, La frégate qui devait l'y transporter avait ordre de relâcher d'abord en Corse ; c'est là que Sémonville eut occasion de connaître le capitaine Bonaparte. Il se trouvait encore en Corse lorsqu'il fut l'objet d'une dénonciation : il se rendit sur le champ à Paris pour se justifier et y réussit si bien que Danton lui confia, dit-on, une mission secrète qui avait pour but de sauver la reine et le Dauphin, encore détenus au Temple.... " ; source], l'envoyé de la République281, n'est pas, répliqua-t-il, d'un augure bien favorable ; mais je sais, à n'en pas douter, qu'il s'y fait des préparatifs considérables de guerre, pour mer et pour terre. La Turquie veut absolument arrêter l'ambition de la Russie, qui bientôt sera le théâtre d'une grande insurrection, dont le foyer est à Moscou.

Sémonville, caricaturé par Honoré Daumier : 1835.

Rapport de Jarousseau, W 191
  La section des Gardes-Françaises a fait des visites de son arrondissement, ce qui devrait se faire partout ; elle a ramassé soixante et cinq personnes, tant hommes que femmes, dans lequel nombre il y avait des gendarmes ; le tout a été conduit à l'Oratoire.
  Il est arrivé, sur les midi, deux chaises de poste, à la Conciergerie, dans lesquelles il y avait trois femmes qui paraissaient être, par leur costume, des ci-devant.
  Le tribunal de Paris a condamné quatre femmes à six années de détention et à deux heures d'exposition au poteau [Code Pénal du 25 septembre – 6 octobre 1791 : "... article 28 : Quiconque aura été condamné à l'une des peines des fers, de la réclusion dans la maison de force, de la gêne, de la détention, avant de subir sa peine, sera préalablement conduit sur la place publique de la ville où le jury d'accusation aura été convoqué. Il y sera attaché à un poteau placé sur un échafaud, et il y demeurera exposé aux regards du peuple, pendant six heures, s'il est condamné aux peines des fers ou de la réclusion dans la maison de force ; pendant quatre heures, s'il est condamné à la peine de la gêne ; pendant deux heures, s'il est condamné à la détention. Au-dessus de sa tête, sur un écriteau, seront inscrits en gros caractères ses noms, sa profession, son domicile, la cause de sa condamnation, et le jugement rendu contre lui.... " ; source] , qui avaient volé de la volaille sur le quai de la Vallée282.["... le 3 juin 1679, le Conseil arrêta que le marché à la volaille se tiendrait désormais sur le quai des Augustins. En 1748, le marché du pain s’y tenait aussi en même temps, « quatre-vingt-douze boulangers y étalaient leurs pains les mercredis et samedis de chaque semaine ». [...] On l’aurait aussi surnommé le Marché de la Vallée, parce qu’il était situé dans la partie basse de la berge du fleuve, à l’endroit où existait jadis la « saulsaye » dont parlent du Breul et Félibien, et au point où Philippe le Bel avait jugé nécessaire la construction d’un mur de quai. [...] Ce marché, installé en plein air, rendait la circulation difficile; ses baraques obstruaient le dégagement du Pont-Neuf. Il était incommode pour les marchands et d’un voisinage désagréable pour les habitants du quartier (7). « Mais, écrit M. Léon Michel (8), Napoléon, qui avait habité quai de Conti, avait dû être frappé de l’incommodité et de l’aspect repoussant de ce marché. Ces souvenirs ne furent peut-être pas étrangers à la décision qu’il prit en 1807 de faire construire un marché pour la vente en gros et en détail de la volaille et du gibier. »... " ; source]

 01 marche a la volaille 400

Représentation de l’ancien marché au pain et à la volaille. Gravure fin XIXème. Paris musées collections.

  Le nommé Jourdan Saint-Sauveur283, ci-devant lieutenant du ci-devant roi, sur lequel (sic) les scellés avaient été posés sur ses papiers par le Département, a été incarcéré par le comité révolutionnaire de sa section.

Rapport de Latour-Lamontagne, W 191
  Noirmoutier est au pouvoir des rebelles284, quoiqu'on en dise ; Perpignan a ouvert ses portes à l'Espagnol ; la famine et les ennemis sont à nos trousses, qu'allons-nous devenir? Nous sommes perdus...285 Voilà le résultat ds conversations de plusieurs groupes.
  On demande à la Convention la peine de mort, disait-on à ce sujet dans un café, contre ceux qui tuent des vaches pleines286 : il faut la demander aussi contre ceux qui fabriquent des nouvelles propres à alarmer le peuple. Ce sont les plus dangereux ennemis de la Révolution.
  On applaudit au décret de la Convention287 qui supprime le pavillon décrété par l' Assemblée constituante. On voit disparaître avec plaisir cet amalgame ridicule des livrées du monarque avec les couleurs nationales. Cela a fait songer de nouveau à une chose non moins ridicule : au costume des juges ; on en demande de toutes parts la suppression.
  " J'arrive de la Vendée, disait un militaire, le bras en écharpe ; il n' y a pas autant de mal que certaines personnes veulent nous le persuader, mais il y a en beaucoup cependant. Les rebelles ne sont pas prêts encore à être détruits. Parmi les prisonniers que nous avons faits, j'ai reconnu un grand nombre d'habitants des contrées méridionales, ce qui doit nous faire soupçonner que c'est là qu'est le véritable foyer de la guerre de la Vendée, ou que c'est là du moins que les brigands recrutent leurs armées. " Il prétendait aussi avoir reconnu, parmi les rebelles, un grand nombre de Suisses. Ces détails ont paru faire quelque impression.
  On a donné ce soir, au Théâtre de la République, La jeune hôtesse288, pièce très immorale, dont la représentation a blessé les véritables républicains.

Rapport de Le Breton, W 191
  J'ai entendu dire dans un café de la rue du Mail, sur la section de Guillaume-Tell, que par un bâtiment arrivé à Brest, on avait eu des nouvelles289 de la Pérouse [Jean François de Galaup, comte de, 1741- disparu en 1788 ; l' épave de l' Astrolabe est retrouvée en 1826-1828, et celle de La Boussole en 1964. "...Partis le 1er août 1785, deux navires, L’Astrolabe et La Boussole, quittent Brest avec plus de deux cents personnes à leur bord, dont dix-sept scientifiques, dans le but d’explorer l’océan Pacifique. Trois ans plus tard, l’expédition disparaît mystérieusement dans les îles Santa Cruz... " ; source], ce marin si connu, et parti depuis si longtemps. L'on disait que ce navigateur était à la Jamaïque, d'où il n'osait faire voile pour la France. On contredisait ce bruit en relatant qu'il était parti en 85, et que depuis ce temps il n'avait donné aucune de ses nouvelles, et que très certainement il était perdu. Cette conversation a été prolongée, et à fait mettre sur le chapitre un commissaire envoyé en Angleterre au mois de septembre dernier par le ministre des Affaires étrangères, avec beaucoup d' argent, et qui n'a pas donné de ses nouvelles depuis son départ. Cet individu n'a pas été nommé.

Louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse, 29 juin 1785. Monsiau Nicolas André, 1754 - 1837.
© RMN – Grand Palais, château de Versailles, / Gérard Blot

  On a arrêté sur la section des Quinze-Vingts, faubourg Saint-Antoine, un boucher accusé d'avoir tué des brebis pleines290.
  Dans plusieurs sections, on parle de délivrer des cartes pour avoir de la viande291, à l'instar de celles que l'on donne chez les boulangers.
  À la place ci-devant des Victoires, j'ai vu un groupe de quatre personnes dont je me suis approché, et j'ai entendu qu'ils parlaient anglais. Sans rien comprendre à leur jargon, je les ai suivis jusque dans la rue de la Bourbe292 et je les ai vues entrer dans la maison d'arrêt qu y est située.
  On se plaint de ce que les voituriers pour le bois mettent le public encore une fois à contribution pour le transport du bois293.

Rapport de Le Harivel, W 191

 À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 120-130.

271. Il est à la Bibliothèque nationale : cf. le Catal. de l'hist. de la Révol franç., par A. Martin et . Walter, t. II, n° 9584.
272. Ces points de suspension sont dans le texte.
273. Cf. t. III, p. 105, note 2.
274. Cf. ci-dessus, p. 82, note 3.
275. Grammont, cf. t. Ier, p. 392, note 2, l'était depuis le 22 pluviôse [10 février 1794] : Aulard, Rec. des actes du Com. de sal. pub., t. XI, p. 47.
276. Cf. ci-dessus, p. 67, note 1.
277. Annonce à la Convention le 27 pluviôse [15 février 1794], Moniteur, réimp., t. XIX, p. 485, qui énumère dix navires. C'est au cours de la même séance que Barère donne, de la Corse, de l'armée du Nord et de la Vendée, les nouvelles favorables auxquelles Dugas fait allusion ci-après : I bid., p. 480, 484-485.
278. Du 19 pluviôse [7 février 1794] : cf. t. III, p. 396.
279. Ces points de suspension sont dans le texte.
280. Allusion aux difficultés soulevées par la mission de Genet [Edmond-Charles, 1763-1834 ; premier ambassadeur de France aux États-Unis, envoyé par les Girondins en 1793 ; "... il y fut envoyé pour rechercher le soutien de la jeune république dans les guerres que livraient alors la France contre l'Espagne et la Grande-Bretagne. [...] Il arriva le 8 avril 1793 à Charleston en Caroline du Sud sur le navire de guerre Embuscade. Au lieu de se rendre à Philadelphie comme prévu, alors capitale provisoire des États-Unis, pour présenter ses lettres de crédit au président américain George Washington, Genêt resta en Caroline du Sud. Il y avait été accueilli avec enthousiasme par la population de Charleston, qui organisa une série de réceptions en son honneur. Il n'arrive dans la capitale américaine que le 18 mai soit un mois et demi plus tard. [...] Chargé d'entraîner les Américains dans la guerre que la France venait de déclarer à l'Angleterre, il est allé trop loin dans cette voie. [...] Les Jacobins qui avaient pris le pouvoir en France en janvier 1794, envoyèrent un avis d'arrestation demandant à Genêt de revenir en France. Celui-ci, sachant qu'il serait probablement envoyé à la guillotine, demanda l'asile politique à Washington. Ce fut Alexander Hamilton – l'un des de ses plus farouches opposant au sein du Cabinet – qui convainquit George Washington de le lui accorder. [...] Genêt s'installa dans l'État de New York et se maria à Cornelia Clinton en 1794, la fille du gouverneur de New York, George Clinton. Elle mourut en 1810 et en 1818 Genêt épousa Martha Brandon Osgood, la fille de Samuel Osgood, le premier Postmaster General des États-Unis. Genêt habitait dans une ferme appelée Prospect Hill située à East Greenbush et dominant l' Hudson River. Vivant la vie d'un gentleman farmer, il écrivit un livre sur les inventions. Il mourut le 14 juillet 1834 à 71 ans et est enterré derrière l'église réformée de Greenbush, à environ 3 km de sa ferme. " ; source] aux Etats-Unis et auxquelles le Comité de salut public s'efforçait de mettre fin.
281. Nommé ambassadeur à Constantinople peu avant le 10 août, il n'avait pu, la Porte ayant refusé de le recevoir, aller prendre possession de son poste.
282. Cf. t. II, p. 51, note 3.
283. Cf. ci-dessus, p. 85, note 1.
284. Cf. ci-dessus, p. 53, note 8.
285. Ces points de suspension sont dans le texte.
286. Cf. ci-dessus, p. 95, note 1.
287. Du 27 pluviôse [15 février 1794]
288. Comédie en trois actes, en vers, de Carbon-Flins [Claude-Marie-Louis-Emmanuel, 1757-1806 ; Chateaubriand en fit son portrait : " Fils d'un maître des eaux et forêts de Reims, Flins avait reçu une éducation négligée ; au demeurant, homme d'esprit et parfois de talent. On ne pouvait voir quelque chose de plus laid : court et bouffi, de gros yeux saillants, des cheveux hérissés, des dents sales, et malgré cela l'air pas trop ignoble. Son genre de vie, qui était celui de presque tous les gens de lettres de Paris à cette époque, mérite d'être raconté. Flins occupait un appartement rue Mazarine, assez près de La Harpe, qui demeurait rue Guénégaud. Deux Savoyards, travestis en laquais par la vertu d'une casaque de livrée, le servaient ; le soir, ils le suivaient, et introduisaient les visites chez lui le matin. [...] Flins, qui n'avait qu'une petite pension de sa famille, vivait de crédit. Vers les vacances du Parlement, il mettait en gage les livrées de ses Savoyards, ses deux montres, ses bagues et son linge, payait avec le prêt ce qu'il devait, partait pour Reims, y passait trois mois, revenait à Paris, retirait, au moyen de l'argent que lui donnait son père, ce qu'il avait déposé au mont-de-piété, et recommençait le cercle de cette vie, toujours gai et bien reçu. " Il finit commissaire impérial près le tribunal de la ville de Vervins : Aisne], représentée pour la première fois le 9 février 1792 : Tourneux, Bibliographie, t. III, n° 18.493.
289. On ne devait commencer à en avoir qu'en 1826. Les dernières qu'il eût données dataient de 1788.
290. Cf. ci-dessus, p. 95, note 1.
291. Cf. ci-dessus, p. 3, note 1.
292. Elle commençait rue Saint-Jacques et finissait rue d' Enfer. Elle a été supprimée par l'ouverture du boulevard de Port-Royal.
293. Cf. ci-dessus, p. 395, note 2.

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