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" Les conneries, c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer. "
EDF et les quatre-vingt concurrents
Géopolitique de l’ ElectricitéRésumé
Après l’époque de l’industrie sans usines, voici celle des compagnies d’électricité sans centrales.
En favorisant la multiplication des compagnies d’électricité sans centrales, via le dispositif ARENH, les pouvoirs publics français ont réalisé une version « électricité » de la théorie mortifère de l’industrie sans usines. L’armature indispensable du secteur électrique, un parc de production de base pilotable, a été négligée. En conséquence, l’approvisionnement en électricité du pays est fragilisé par une augmentation rapide des prix et des risques de coupures. Il est nécessaire de revoir le mode de fonctionnement du secteur électrique français. Cela ne se fera pas en mettant en cause le marché européen, dont la France s’est largement écartée par de multiples dérogations.
EDF et les quatre-vingt concurrents
I. Un préambule indispensable : démystifier la concurrence
« L’amour n’existe pas, il n’existe que des preuves d’amour » a dit le poète. De même, la concurrence est une notion abstraite. Seules comptent les preuves de respect des règles de concurrence. Leur raison d’être est le bénéfice du consommateur par une pression sur les prix et une diversité de l’offre.
Rechercher une forme de concurrence hors ces règles conduit à s’écarter d’un marché concurrentiel
Ces règles de concurrence organisent un marché où le client choisit librement son fournisseur.
Tout fournisseur est libre de s’établir et de proposer ses tarifs. Les prix résultent de l’offre et de la
demande. La liberté des fournisseurs est limitée par celle des autres. Une entreprise dominante
n’abusera pas de sa puissance pour gêner ses concurrents. Les pouvoirs publics nomment une autorité de la concurrence pour veiller à l’application de ces règles. Ils s’interdisent d’intervenir, par
exemple en favorisant une entreprise ou en fixant des prix. Des exceptions sont prévues. Elles
concernent des aides à la recherche, des subventions sociales, etc. L’autorité de la concurrence est
seule autorisée à accorder des dérogations aux règles. Elle en fixe les conditions et les gère. L’application des règles de concurrence à une entreprise peut être limitée lorsque celle-ci est
« chargée de la gestion de services d’intérêt économique général ».
Les Etats membres et le Parlement européen, ayant décidé au tournant du siècle de mettre en
concurrence les fournisseurs d’électricité, les Règles de Concurrence du Traité de Fonctionnement
de l’Union Européenne s’appliquent désormais aux compagnies d’électricité. Une abondante
jurisprudence s’y ajoute, dont celle de la Cour de Justice de l’Union. Lorsque le commerce entre Etats est concerné, ce qui est souvent le cas d’EDF, grand exportateur, l’autorité de la concurrence relève de la Commission européenne.
L’offre en électricité étant nettement moins diversifiée qu’ailleurs, la Commission européenne
estime que la pression sur les prix est le critère prioritaire de la concurrence. Taxes et coût
d’acheminement étant identiques pour tous, cette pression ne peut venir que des coûts de
production et de commercialisation. Les coûts de production sont, de loin, les plus élevés.
En électricité, seule la concurrence entre producteurs est efficace.
II) La Commission Champsaur réécrit le droit communautaire et invente l’ ARENH
Les pouvoirs publics français souhaitaient conserver des Tarifs Réglementés de Vente (TRV) proposés par EDF, sensés garantir aux Français des factures basses liées au faible coût du nucléaire
national. Les TRV, tarifs administrés, nécessitent des dérogations. À la suite d’un refus de la Commission européenne, le gouvernement mit en place une commission, la Commission Champsaur, et la chargea de lui faire des propositions d’organisation du marché français de l’électricité.
La Commission Champsaur crut déceler une lacune dans les règles de concurrence : « ...aucun outil [du droit communautaire de la concurrence] ne permet de traiter ex-ante le problème de la production de base [de l’électricité] en France » : Rapport Public 2008, p.10. Le nombre des concurrents d’EDF lui paraissait trop faible pour que le libre choix du consommateur français s’exerce pleinement. C’est l’inverse qui est vrai. C’est le libre choix du consommateur français qui provoque le faible nombre de concurrents. Certains pourraient s’établir en France mais ne le font pas, anticipant que le libre choix des Français les écartera, leurs prix étant trop élevés. Il n’y a alors pas de lacune. La Commission Champsaur, commission nationale, n’avait aucune compétence ni légitimité pour juger de la validité du droit communautaire. Croyant combler une lacune, elle se plaça hors règles de concurrence en proposant un dispositif, l’ ARENH. En conséquence comme prévu au Chapitre I :
L’Autorité de Concurrence française constata : « [l’ ARENH] conduit à s’écarter des conditions
normales de fonctionnement d’un marché concurrentiel »1.
L’ ARENH (Accès Réglementé à l’ Electricité Nucléaire Historique) oblige EDF à fournir à ses
concurrents une part de sa production nucléaire à prix doux fixé par l’Etat. EDF est privée notablement d’un avantage concurrentiel crucial, le faible coût de sa production nucléaire. L’ARENH fut intégré dans la Loi NOME, 2010. Hors règles de concurrence, l’ ARENH devait obtenir une dérogation, accordée par la Commission Européenne en 2012. L’ ARENH suscita une ruée de concurrents d’EDF pour profiter de l’aubaine, d’autant plus que le prix est bloqué depuis onze ans. Fin 2021, ils sont quatre-vingt. Suivant le Président de la Commission de Régulation de l’Energie :
« Il y a désormais trop d’acteurs sur le marché de l’électricité » 2.
II. EDF, non coupable
L’Autorité de la Concurrence française, consultée, accepta l’ ARENH en posant des conditions strictes. Les concurrents devront se préparer à un approvisionnement en électricité conformes aux
« conditions normales du marché » à l’issue de l’ ARENH, 2025, donc à investir dans la production.
« À défaut [l’ ARENH] perdrait sa justification »3.
Ainsi, on reculerait pour mieux sauter, passant d’une situation non concurrentielle, avec l’ARENH, à une autre où la France disposerait de plusieurs producteurs alternatifs, réalisant ainsi le nec plus ultra de la concurrence en électricité, celle à la production.
La Commission européenne accepta aussi l’ ARENH, ajoutant des motivations moins avouables.
Contester le modèle EDF, ex-monopole proposant des prix bas non dus à la concurrence, lui plut.
Comme lui plut que l’ ARENH exigeait une dérogation qu’elle gérera. Le pouvoir passa de Paris à
Bruxelles.
L’ ARENH est hors règles de concurrence. De plus :
- Il réserve son bénéfice aux clients français par une clause de destination finale, discrimination nationale incompatible par principe avec la construction européenne.
- EDF est partiellement privée d’une liberté fondamentale, celle de fixer ses prix. Normalement ceci ne peut être imposé qu’à la suite d’infractions aux règles de concurrence constatées lors d’une procédure permettant des réponses de l’entreprise et un recours devant la Cour de Justice de l’Union Européenne. Cette procédure n’a pas eu lieu.
La Commission peut accorder toute dérogation, mais elle est gardienne des Traités européens.
L’ ARENH les écornait quelque peu. En conséquence, Bruxelles prit de grandes précautions d’écriture : « Une limitation de la liberté [d’EDF] de fixation des prix ... peut s’avérer justifiée par la situation et les caractéristiques du marché français »4. La Commission n’a pas écrit « ...est justifiée... ».
EDF a-t-elle enfreint les règles de concurrence? EDF couvre ses coûts, n’a pas reçu d’aides d’État
pour la construction du parc nucléaire et ne pratique pas de prix prédateurs.
En acceptant la proposition française de l’ ARENH, la Commission européenne s’est dispensée
d’apporter la difficile preuve qu’EDF commettait une grave infraction aux règles de concurrence.
La liberté tarifaire d’EDF est compatible avec les règles communautaires de la concurrence. EDF
n’est pas coupable.
III. L’ ARENH, marionnette de Pinocchio
Les concurrents d’EDF ont profité de l’aubaine sans investir dans la production de base. Ils ne se
sont pas préparés à disposer d’une production compétitive à l’issue de l’ARENH5. En conséquence,
comme l’avait énoncé l’Autorité de la Concurrence française, l’ ARENH n’a plus de justification. De
plus, ce dispositif n’a pas satisfait au critère majeur de la concurrence, une pression sur les prix : « la
concurrence par les prix reste marginale »2. L’ ARENH a été maintenu. Mais, telle la marionnette de Pinocchio échappant à son maître, il ne cesse de jouer des tours pendables.
Les concurrents d’EDF ont pris des millions de clients à EDF. Ne produisant pas ou peu, les
fournitures de l’ ARENH ne leur suffisent pas. Ils complètent leurs besoins sur le marché alimenté
notablement par des centrales à combustible fossile dont les tarifs ont bondi récemment du fait du
coût du carbone et de l'envolée des cours du gaz. Leurs coûts d'approvisionnement sont devenus
supérieurs à ceux d'EDF et des clients commencent à y retourner. L’un des concurrents vient de trépasser, d’autres risquent la faillite, montrant le caractère factice de la concurrence instaurée, ce dont les Français sont conscients par l’absence de pression sur les prix.
Pour éviter ces retours vers EDF, il suffit d’augmenter les Tarifs Réglementés de Vente (TRV) de
cette entreprise fixés par l’Etat. C’est la solution choisie depuis 2019. Mais les factures des Français
explosent déjà par ailleurs, ainsi par la flambée des investissements dans les réseaux dus aux renouvelables. Mais voici qu’une nouvelle cause d’augmentation apparait pour garder en vie les 80 concurrents ! Elle fut dénoncée par l'Autorité de la Concurrence française qui précise qu’elle correspond à 40% des augmentations totales6. Le coût du carbone est volatil mais la tendance lourde est haussière. Les coûts d'approvisionnement des concurrents d'EDF peuvent devenir toujours supérieurs à ceux d'EDF. Les augmentations dues à l' ARENH seront sans fin. C'est le chien qui court après sa queue.
Il est délicat d’augmenter les TRV durant la campagne présidentielle. Pour répondre au lobbying
intense des 80 concurrents d’EDF en danger, les pouvoirs publics ont choisi une autre solution. La
hausse des TRV sera limitée, mais EDF augmentera les fournitures de l’ ARENH à prix doux et inchangé7. Poussée à l’extrême cette mesure mène à l’ex-réforme Hercule qui prévoyait que le parc nucléaire serait une entreprise séparée vendant son courant à tous les fournisseurs aux mêmes conditions, EDF compris. Mais la Commission européenne a changé. L’ ARENH a déçu et sa disparition n’y serait pas regrettée. Il n’est plus question d’accepter une clause de destination finale, donc de discrimination nationale. Pour Hercule, cela conduit à l’obligation de vendre l’électricité nucléaire à tout fournisseur européen et non aux seuls français, ce que Paris veut justement éviter. Pour l’ ARENH, cela s’exprime par une réticence aux évolutions. En 2019, l’Assemblée nationale avait déjà voté une augmentation de l’apport de l’ ARENH qui n’avait pas été mise en œuvre, faute d’approbation de la Commission. Les pouvoirs publics français vont, de nouveau tenter de fléchir la Commission Européenne, en discutant sur le plafond de l’ ARENH. Passer de 100 à 150 TWh ou 130
TWh ? De toute façon EDF paiera la note.
Conclusion : assurer l’approvisionnement du pays
L’ ARENH a été présenté comme une réponse savante, peu accessible aux communs des mortels, à l'appétit sans limite de la Commission européenne pour la concurrence. Il n’est, avec ses concurrents sans centrales, qu’un avatar de l’idée mortifère d’une industrie sans usines.
La France doit disposer de centrales de base pilotables, garantie nationale incontournable d’approvisionnement. Aujourd’hui, seules celles d’EDF peuvent jouer ce rôle comme l’a montré
l’appel de Mme Pompili au seuil d’un hiver délicat8. La loi n’assigne plus cette obligation à EDF. Si cela s’avère nécessaire et de façon transitoire, l’Etat peut lui rendre ce rôle. Il chargera alors EDF de la gestion du service d’intérêt économique général correspondant avec les compensations financières
éventuelles.
Le stockage de l’électricité ou l’hydrogène n’interviendront à l’échelle industrielle qu’à une échéance indéterminée. Jusque là, cette armature de centrales pilotables restera nécessaire. La transition énergétique prévoit une forte augmentation de la part de l’électricité dans la consommation d’énergie, donc de la production d’électricité. Ses concurrents étant inactifs, EDF reste le seul investisseur présent pour la production de base pilotable.
EDF est incontournable pour le présent et la préparation de l’avenir. Or l’ ARENH est un
énorme boulet. Une entreprise dont la liberté de fixer ses prix est limitée fait fuir les capitaux. La
valeur de l’action EDF s’est effondrée, de 85 euros à moins de 10 euros. Reste les capitaux d’État, ce
qui mène au projet Hercule et à la mise à l’encan du nucléaire historique.
Dépendre d’un Etat par nature impécunieux n’est pas adapté au Renouveau Nucléaire.
L’ ARENH doit disparaître. EDF SA recouvrera son indépendance commerciale : déjà inscrite
dans la loi de nationalisation de 1946! EDF, maîtresse de sa politique commerciale, qui ne se limite pas à la fixation des prix, retrouvera alors des investisseurs et reprendra sa place au milieu des autres grandes compagnies européennes, Enel, Iberdrola, RWE... Ses tarifs seront un compromis entre le souci de faire bénéficier ses clients du coût de son nucléaire et les besoins d’investissements. Le consommateur français peut être privilégié légalement en baissant les taxes.
Ceci est préférable à la contestation du marché de l’électricité, dont la France s’est largement
dispensée par de multiples dérogations.
Si la Commission européenne souhaite limiter la liberté commerciale d’EDF, elle lancera la
procédure prévue, qui permet à EDF de répondre et de recourir si nécessaire à la Cour européenne
de Justice. Ainsi, EDF acquerra une sécurité juridique indispensable à tout grand groupe.
La porte du marché français de l’électricité en expansion est grande ouverte. Il est souhaitable qu’il attire des nouveaux fournisseurs. Le ticket d’entrée, comme toujours dans l’industrie est l’investissement lourd à long terme. Nombre d’entreprises françaises et étrangères en ont les moyens, sans aides. Se mesurer à la production compétitive d’EDF ne peut que les amener à être encore meilleurs, comme le veut une vraie concurrence.
- Autorité de Concurrence française-Avis n°10-A-08 du 17 mai 2010-§ 49.
- Carenco-Président de la CRE- Le Monde-26/10/2018
- Communiqué de presse accompagnant l’Avis Cf. Note 1
- Décision de la Commission Européenne C, 2012, 2559-12/6/2012
- Rapport CRE sur l’évaluation de l’ARENH-CRE-1/2/2018.
- Avis 19-A-07 - 25/3/2019
- Communiqué AFP-9/12/2021
- « Le Gouvernement demande des mesures à EDF »- Cf. Le Monde-17/12/2021
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