Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, épisode XIV

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   Plusieurs bouchers de la section des Champs-Elysées [n°2 ; son secteur allait des Tuileries jusqu'à la place de l' Étoile ; les assemblées se tenaient en la chapelle Saint-Nicolas-du-Roule, située dans l’ancienne Folie Beaujon, domaine de plaisance aménagé, d'une superficie d'environ douze hectares, entre 1781 et 1783, pour le financier Nicolas Beaujon ; au actuellement : le 193 de la rue du Faubourg-Saint-Honoré ; elle devint, par arrêté préfectoral du 10 mai 1811... : le quartier des Champs-Élysées, 1er arrondissement de Paris], ci-devant, ont absolument fermé leurs boutiques ; et, pour prouver que ce n'était pas par mauvaise volonté qu'ils ont tenu cette conduite, ils se sont transportés au comité révolutionnaire de cette section où ils se sont ainsi exprimés : " Citoyens, nulle puissance au monde ne peut nous forcer [d'acheter] de la marchandise en gros plus cher que nous sommes obligés de la vendre au détail ; nous venons ici vous le déclarer franchement, et vous offrir nos bras ; donnez-nous des bœufs, nous les tuerons, nous les débiterons sous vos yeux, et nous ne vous demanderons aucune espèce de paiement ou d'indemnité...294 "

 
Vue de la Folie Beaujon : les communs, le moulin-joli. 1807. Dessin à la mine de plomb et rehauts de craie sur papier brun ; 12,7 x 17,7 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, ancienne coll. Destailleur, Référence bibliographique : Destailleur Paris, t. 6, 1322.

  Si tous les bouchers, disait-on, suivent cette marche, il faudra bien que l'administration se charge encore de cette branche essentielle de subsistances ; car, en effet, on ne peut forcer un marchand à donner sa marchandise à un prix au-dessous de ce qu'elle lui coûte.
  Dans l'arrondissement de la section des Tuileries [la plus riche de toutes les sections], une femme allant de maison en maison porter du beurre et des œufs en très petite quantité, a été dénoncée et arrêtée comme accapareuse. Il est résulté de la visite faite chez elle, qu'il s'y est trouvé environ 200 livres de beurre et 2 ou 300 œufs .
  Là ou ailleurs, on a arrêté un homme pour avoir vendu, dans une seule maison, plusieurs boisseaux de haricots ["... L'unité de mesure des grains était le boisseau. La réunion de plusieurs boisseaux formait ensuite une série d'autres mesures comme le setier, le muid. En Poitou, la diversité des boisseaux était impressionnante : en principe, d'après les codes seigneuriaux, seul le seigneur haut justicier avait droit de "poids, de mesure et d'étalonnage " dans l'étendue de sa justice. Nous savons aussi que l'article XVI de la Coutume du Poitou octroyait ce même droit au seigneur moyen justicier, ce qui étendait énormément le nombre de privilégiés : voir plus loin les extraits des coutumes. De plus, dans une même paroisse, il pouvait exister deux boisseaux de contenances différentes : un boisseau de rente et un boisseau ordinaire. On pouvait juger par là de la confusion qui ne pouvait manquer d'exister dans les transactions et dans l'interprétation des contrats lorsque la désignation du boisseau n'était pas suffisamment précise... " ; source]
   En parlant de certains représentants envoyés dans les départements et de la manière avec laquelle ils disposaient du mobilier des citoyens en assurant aux sans-culottes qu'ils pouvaient se l'approprier, on disait : " Depuis que le représentant Laplanche a épousé295 12.000 livres de rente, il n'a pas été si généreux de la fortune des autres. Il est comme Manuel et autres ; tant qu'il n'a pas eu de propriétés, il n'a point respecté celle des autres, et, dès qu'il en a eu, il a prêché le respect pour ces mêmes propriétés. - Les habitants de la ci-devant Normandie296, ajoutait un autre citoyen, auraient bien dû le féliciter sur son mariage, qui les a mis à l'abri des vexations qu'il a exercées dans le département du Loiret. "
  Une lettre d'un militaire de Nantes annonce que Machecoul et environs sont infestés de brigands, et qu'il va partir pour les repousser.
  Moustache297, chassé de l'état-major d' Hanriot, était fort mécontent du traitement que l'on faisait, disait-il, éprouver à un patriote qui a constamment servi la liberté de son pays ; il clabaudait [criailler contre quelqu'un, médire de lui ; Larousse] beaucoup contre le général, et disait que le peuple le vengerait...298 On assure qu'il y a une cabale contre ce général qui, dit-on, se sert contre les patriotes de l' état-major de l' Armée révolutionnaire.
  Le rapport de Chabot299 est prêt à se faire ; on croit que de prétendus patriotes y sont pour quelques petites choses.
  On criait une dénonciation contre les bouchers accusés d'avoir tué des vaches pleines300.

Rapport de Mercier, W191
  Beaucoup de citoyens s'entretenaient aujourd'hui, au Palais de Justice, qu'il y avait plusieurs gens suspects qui se font procurer une carte de citoyen sans jamais avoir monté une garde. D'autres disaient qu'on ne prête pas assez attention, qu'il y en avait beaucoup qui étaient munis d'une fausse carte.
  Place de la Révolution, beaucoup s'entretenaient de la quantité de gens qui étaient dans l'oppression, et que l'on faisait bien de surcharger les riches, puisque les pauvres n'avaient pas le moyen de payer les frais de la guerre ; que les pauvres payent assez de leurs bras. Ce décret301 paraît mettre la tranquillité dans l'esprit du malheureux.
  L'on se plaint de ce que l'on fait des pensions comme invalides à des gens qui se font passer pour avoir eu seulement un effort, et que ces mêmes gens n'ont pas plutôt reçu leur quartier qu'ils ne sortent pas du cabaret qu'ils n'aient pas un sol, ce qui fait murmurer plusieurs citoyens qui disent que, par la protection du chirurgien, il avait bientôt obtenu ce qu'il désirait, et qui, disent-ils, est voler la Nation.
  L'on prétend que sur la section de Marat il s'est glissé plusieurs aristocrates, qu'il serait nécessaire d'y veiller, que cette section était un peu trop modérée.
  Toujours des plaintes contre les bouchers, les chandeliers qui font payer leurs chandelles 24 sols la livre : et encore n'en veulent-ils pas donner plus d'une demi-livre.

Rapport de Monic, W 191
  Les maisons où l'on donne à jouer à des jeux prohibés se multiplient journellement. Dans la maison des Pentagoniens302, sous la galerie vitrée au bout des boutiques de bois, ci-devant Palais-Royal, il y a un jeu de billard au premier et, dans la même salle, l'on y joue au jeu de loto. C'est dans cette maison là que la police doit avoir les yeux ouverts ; il est plus que certain que les fripons qui rôdent sans cesse dans ces endroits-là, et lorsqu'ils ont perdu leur argent, tâchent de se dédommager sur le premier qui leur tombe sous la main en le volant. L'on joue le loto dans cette maison depuis cinq heures du soir jusqu'à neuf heures, parce que c'est l'instant le plus favorable pour être à l'abri des visites.
  Dans la maison garnie dite de la Chine, rue de la Loi, section Lepeletier, l'on s'y donne à jouer aussi à des jeux prohibés, tels que le biribi [jeu de hasard d'origine italienne ; sorte de loterie, à choix multiples, semblable à la roulette : Les joueurs misent sur soixante dix cases numérotées auxquelles sont associés des billets portant le même numéro. Les billets sont placés dans des boules creuses en bois tirées au sort par un banquier une fois les mises faites. Le banquier annonce le numéro du billet tiré. Si le numéro correspond à une case sur laquelle un joueur a misé, celui reçoit du banquier soixante quatre fois sa mise ; il est interdit définitivement en 1837 ; source] et les autres.

 

Biribi : caricature anonyme d' Isaac Le Chapelier, 1754-1794. Légende : " Législateur de Biribi : toi qui portas les premières atteintes à la franchise de la presse, et châtras impitoyablement la Constitution, le signe de la réprobation est sur ton front, par-tout sur ton passage on te montrera du doigt, en disant : voici Chapelier, ce député breton, qui mit à ses pieds le bonnet de la liberté. " Collection Michel Hennin : Estampes relatives à l'Histoire de France.

C'est dans les maisons garnis que toutes espèces de jeux sont dangereux parce que les aristocrates de tous les départements ont toute facilité de se connaître et de correspondre entre eux.
  L'on m'a assuré que le citoyen Grammont303 [Guillaume-Antoine Nourry, dit, 1750-1794 ; comédien ; il entre à la Comédie-Française en 1779 ; en 1787, il en devient le 192e sociétaire ; compromis dans l'affaire dite de la « conspiration des prisons », plan concerté d’élimination physique des prisonniers, il est guillotiné le 13 avril 1794, en même temps que son fils ainé, âgé de dix-neuf ans], adjudant général, et ayant un grade dans l' Armée révolutionnaire, doit faire afficher, contre Ronsin, pour s'y plaindre de la manière despotique dont Ronsin l'a suspendu de ses fonctions. Le citoyen Rocher304, aide de camp de Ronsin, renvoyé par Ronsin, doit en faire de même.

Rapport de Pourvoyeur, W 191

  Les nouvelles des armées que Barère a annoncées aujourd'hui à la Convention nationale305, a (sic) fait le plus grand plaisir au peuple, et surtout les nouvelles de la Vendée, car c'est surtout cette armée qui occupe plus dans ce moment-ci le peuple. Le peuple observe, puisqu'il ne reste plus qu'un petit nombre d'hommes qui composent l'armée de Charette, le peuple dit qu'il faudrait s'y porter pour les envelopper et détruire cette race infernale qui tient une armée que l'on pourrait envoyer ailleurs.
  Plusieurs personnes murmurent sur le sursis que l'on accordé à Chaudot306 ; il est coupable, dit-on, Brichard ne doutait pas qu'il ne refuserait pas de signer son acte. En effet, puisqu'il a signé, l'on observe que, si c'est sur la lettre qui a été trouvée chez lui qu'il a été jugé, une grande quantité d'accusés ont été condamnés pour la même chose, à ce qu'en observe le peuple. Les aristocrates font mille versions à ce sujet sur le jugement des jurés. Un citoyen qui se trouvait ce matin au Tribunal révolutionnaire , et qui y vient tous les jours, disait qu'en parlant de cette affaire à un juré du tribunal criminel du département ["...Les créateurs du jury – les Constituants – ont ainsi cherché à appliquer le concept de souveraineté populaire non seulement à la vie politique de la Nation mais également à ses institutions judiciaires, y compris aux tribunaux criminels. Mais dès le départ, dans la pratique, les représentants de la société civile ont fait preuve d’indépendance à l’égard de l’État. Les audiences des tribunaux criminels ont révélé une tension entre la vision idéalisée du législateur et celles, plus concrètes, des citoyens provinciaux appelés à siéger au jury. Le signe le plus manifeste de cet écart fut le taux élevé d’acquittements, qui exaspéra une fraction importante de la magistrature et faillit pousser Napoléon à abolir le procès par jurés. Mais l’institution survécut à l’abolition des tribunaux criminels en 1811 et demeure une pierre angulaire de la justice criminelle française... " ; source], que ce juré lui avait dit : " Ah! chez nous ce n'est pas de même ; quand nous condamnons un individu, c'est qu'il le mérite. " Ce qui veut dire, à ce qu'observe le peuple, qu'au Tribunal révolutionnaire l'on condamne des innocents. Le citoyen qui rapportait ce fait est un homme d'environ cinquante ans, chauve, des cheveux bruns mêlés, un chapeau rond, des yeux bleus, assez gros, de taille de cinq pieds [~1.55m], vêtu d'une redingote de peluche grise ; il a toujours le même habit.
  L'on observait que jamais le Tribunal révolutionnaire [celui-ci était aussi un tribunal criminel mais, d'exception ; il fut fondé à l'initiative des députés Danton, Lindet et Levasseur, loi du 10 mars 1793 intitulée : Tribunal criminel extraordinaire. Il a fonctionné jusqu'au 31 mai 1795] ne s'était trompé jamais, que d'ailleurs c'est aux yeux du peuple, et que ce citoyen avait mal fait de ne point dénoncer le juré qui lui tenait un pareil discours. Depuis longtemps on se plaint de quelques jurés du tribunal criminel. L'on dit qu'il y en a qui sont regardés comme très mauvais citoyens dans leurs sections.

 

 

" Une des réformes les plus acclamées de la Révolution française fut l’introduction du procès par jurés. Pour la première fois depuis le Moyen Âge, de simples citoyens étaient chargés de déterminer la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Les créateurs du jury – les Constituants – ont ainsi cherché à appliquer le concept de souveraineté populaire non seulement à la vie politique de la Nation mais également à ses institutions judiciaires, y compris aux tribunaux criminels... ". Source

   Le peuple demande pourquoi le Tribunal révolutionnaire ne s'occupe pas du procès des cent dix conspirateurs de brigands de la Vendée que l'on a amenés de Nantes307 depuis longtemps ; le peuple observe qu'il coûtent beaucoup en nourriture à la République.
   Le peuple rendait hommage à la Société populaire des Cordeliers. Elle et les Jacobins sont dans les bons principes ; ce sont les deux premières, et qui ont toujours été dans le sens de la Révolution.
Le peuple dit qu'il suit exactement les séances des Jacobins afin de découvrir les aristocrates qui se sont glissés dans le sein de cette société si utile pour l'opinion publique. Le peuple dit qu'il n'aura jamais de confiance dans les membres qu'elle aura rejetés.
  Le peuple dit de plus avec joie : s'il y a un aristocrate, il y a vingt patriotes, et ça ira malgré eux, Vive la République! C'est le refrain du peuple.

Rapport de Prevost, W 191
  À Saint-Germain-en-Laye, les habitants se plaignent de ce qu'ils ne peuvent avoir pour se sustenter comme bœuf, beurre, ni légumes, même desséchés. La chandelle y manque absolument ; ils ne peuvent en avoir qu'une à la fois, encore est-elle des dix.
  Les marchandes de la Halle se plaignent de ce qu'elles ne peuvent avoir des carpes, qu'elles y passent des journées entières pour en avoir un demi-quarteron [1 quarteron = 1/4 d'une livre ; 1 livre = ~ 489,5gr, 1795] qu'elles payent plus du double qu'elles le payait il y a à peu près deux mois ; qu'il n'y a presque plus de poisson de mer.
  Comme la place de la Révolution est remplie de filous et les Champs-Elysées de voleurs qui ne cessent, à la nuit tombante, d'essayer de faire leur moisson, il serait bon :
  1. de faire démolir un cabaret étant au coin de la rue des Champs-Elysées, où il y a des salles souterraines où se rassemblent des filles et leurs supports, la plupart des militaires, qui, lorsqu'ils ont fait un coup, viennent dans cet endroit se le partager ;
  2. un café au côté opposé à l'entrée des Champs-Elysées, où il se fait le même commerce ;
  3. sur la place près du Pont tournant, où journellement les filous, compagnons des voleurs, sont auprès d'optiques et autres bêtises, à examiner les curieux et les poches de ces derniers.
  Il serait bon de débarrasser en entier cette place, qui donne lieu à une infinité de bandits d'exercer leur art, et de chasser absolument tous les marchands de vin, limonadiers, opticiens et faiseurs de niaiseries, afin que la police se puisse faire plus amplement. Il saurait aussi très à propos de faire faire des patrouilles qui ne seraient pas connues des malveillants voleurs et filous, notamment dans les Champs-Elysées ["...Au milieu du XVIIIe siècle, les Champs-Élysées se trouvent en périphérie de la ville. Ce lieu, contrairement à d’autres espaces verts de la capitale, est ouvert à tous, sans distinction de rang, ou de fortune7. Les Parisiens s’y rendent, souvent en famille, pour se restaurer, pratiquer. [...] Dès le mois d’août 1789, le garde suisse, Federici, à la tête d’une petite équipe, est responsable d’assurer l’ordre public dans cet endroit, se plaint que des individus veulent l’expulser de son logement aux Champs-Élysées. Lors d’une assemblée de district, il apprend que ces manigances ont été ourdies par Dubertret, marchand de vin établi depuis une trentaine d’années au nord du rond-point, avec la complicité de cabaretiers des environs. [...] Les militaires sont nombreux à fréquenter les cabarets voisins des Champs-Élysées et ils constituent une clientèle problématique. Leur comportement suscite du mécontentement, et ce, à un point tel, qu’il devient l’un des principaux sujets de conversation sur la place publique37. On blâme sévèrement le relâchement de discipline dont ils font preuve : « la licence, la débauche des soldats, leur violence appellent l’attention du gouvernement ; l’on désire voir réprimer la fougue et les excès que la plupart commettent dans les guinguettes établies au bout des Champs-Élysées38. [...] En concentrant notre attention sur les rapports de police, il est aisé de croire que les cabarets étaient d’importantes sources de désordres, le rendez-vous des femmes de mauvaise vie et des soldats turbulents. Le manque de surveillance et un certain flou administratif ont effectivement pu favoriser les dérapages... " ; source], chez le marchand de vin au coin de la rue dite des Champs-Elysées, et au côté opposé, près la route de Versailles, chez le limonadier. La police purgerait en une seule nuit, même de jour, tous les scélérats qui habitent ce canton.

 Figure 2 : Les bals publics dits « des Champs-Élysées » en 1799.

Les bals publics dits « des Champs-Élysées » en 1799. Les bals publics se tenaient principalement sur le flanc ouest de l’allée d’ Antin (1), mais aussi sur l’avenue Matignon (2), à l’Élysée (3) et au jardin Marbeuf (4). D’après un extrait du Plan routier de la ville de Paris, ou guide des étrangers dans cette capitale divisé en 12 arrondissements. Picquet, 1824. Archives nationales de France.

Rapport de Rolin, W 191
  Point de bœuf aujourd'hui chez les bouchers, seulement un peu de veau et de mouton ; grand murmure dans la place Maubert, de la part des femmes.
  Plusieurs citoyennes, au Palais de Justice, dont il paraît que les maris et les enfants sont aux frontières, se plaignaient qu'elles ne pouvaient obtenir de secours du ministre de l' Intérieur ; elles ajoutèrent que plusieurs fois elles furent rebutées par le portier, et que le ministre lui-même ne les avait pas même reçues ; que cependant elles savaient, à n'en point douter, qu'il aimait le sexe féminin, mais que probablement le costume républicain dont elles faisaient usage n'était pas celui qui lui plaisait le plus.
  Au café Manoury, on s'occupa beaucoup des détenus. Plusieurs citoyens assuraient qu'il n'y avait point de nuit qu'on n'arrêtât une quantité de personnes sans que l'on sache les motifs de leur arrestation, sinon qu'on disait qu'ils étaient suspects. Un vieillard dit qu'il était peut-être très nécessaire d'employer les voies de sévérité pour contenir les malveillants, mais que, de même qu'il n'était point possible à l'homme le plus robuste de tenir perpétuellement son bras tendu, vu que les muscles se fatiguent, il ne serait point possible de continuer ainsi à tenir la terreur à l'ordre du jour, car, ajouta-t-il, il est impossible de douter que nos ennemis profitent des mesures sévères qu'exigent les circonstances pour exciter le peuple à se soulever, et pour nous calomnier nos ennemis ont des yeux d'argus ; tout leur est propre ; la disette factice que nous éprouvons est pour eux une corde sur laquelle ils s'appuient tant qu'ils peuvent ; nos peines et nos souffrances sont pour eux des jouissances. Ainsi, mes frères, armons-nous de courage et de patience, tenons-nous tous par la main, et nous les confondrons pour toujours. Les applaudissements durèrent au moins trois minutes ; il fut embrassé par moi et par plus de vingt spectateurs.
  Au Jardin national, Tuileries, plusieurs groupes s'étant formés, on s'occupa du ministre de la Guerre308. Après beaucoup de discussions dans lesquelles on épluchait sa conduite, on termina par ne point porter de jugement en dernier ressort. Mais deux citoyens s'étant mêlés dans le conversation, un des deux dit que, de tous les ministres actuellement en place, celui de la Justice et celui de l' Intérieur309, étaient ceux qui lui paraissaient mériter le plus de confiance. Il ajouta que celui de la Justice, sous un aspect flatteur, conservait un jugement sain et digne de la place qu'il occupait ; que celui de l' Intérieur, sous un abord dur et rustique, cachait une âme sensible et délicate et qu'enfin il souhaiterait que tous les autres leur rassemblassent, que les affaires iraient mieux. Ce qui fut très approuvé.

 Illustration.


Portrait de Louis-Jérôme Gohier, peint par Jacques-Augustin-Catherine Pajou, Paris, musée Carnavalet, 1802.

28 pluviôse an II, 16 février 1794


Rapport de Bacon

  L'assemblée populaire de la section de Bon-Conseil [n° 16 ; au début était la " section de Mauconseil " d’après le nom de l’ancien quartier de Mauconseil ; en 1792, elle prit le nom de " Bon-Conseil " ; son secteur se situait au nord des Halles centrales, les rues Montorgueil et Tiquetonne comprises ; l’église Saint-Jacques-l'Hôpital, aujourd'hui le n° 133 de la rue Saint-Denis, accueillait les assemblées ; elle devient le quartier Montorgueil, 5ème arrondissement de Paris, en 1811] était si nombreuse, qu'à peine pouvait-on entrer. Toute la séance a été consacrée pour passer à la censure les membres de la société. D'après ce que j'ai vu, il faut être homme de probité, excellent patriote, pour être admis. On est épluché de très près, et on a soin de serrer la botte aux marchands de tous les états. Cette censure sévère s'est faite au grand contentement des citoyennes. Près de moi, elles disaient : " Pour le coup, quand un citoyen de la section Bon-Conseil dira qu'il est membre de la société populaire, on pourra dire : voilà un patriote. "
  L'assemblée populaire de la section des Amis-de-la-Patrie [n°15 ; elle se nomma en premier lieu la section " du Ponceau ", jusqu'en septembre 1792 ; son territoire correspondait au boulevard Sébastopol d'aujourd'hui ; les assemblées se déroulaient en l’église de la Trinité, l'actuel n° 144-146 de la rue Saint-Denis ; en 1811, par arrêté préfectoral, elle prit le nom de quartier de la Porte-Saint-Denis, 6ème arrondissement de Paris] était assez nombreuse. Des jeunes citoyens et jeunes citoyennes ont occupé la tribune, et y ont récité, au grand contentement de tous les assistants, la Déclaration des Droits. Le président, en les embrassant, leur donnait des petites couronnes civiques pour prix de leur zèle et de l'amour pour la patrie. On a crié : Vive la République! Vive la Convention! On a ensuite lu des discours républicains : l'esprit public à la hauteur des circonstances.

  À suivre...

   Pierre Caron, Paris pendant la Terreur, rapports des agents secrets du Ministère de l' Intérieur, tome IV - 21 pluviôse an II - 10 Ventôse an II, 9 février 1794 - 28 février 1794, , La Société de l' Histoire de France, Librairie Marcel Didier, Paris, 1949, pp. 130-140.

294. Ces points de suspension sont dans le texte.
295. Il avait épousé en 1793, la fille de son collègue Delagneulle de Coinces [René-Louis, 1736-1809 ; Procureur du roi à Orléans avant la Révolution, il devient président du tribunal de district puis député du Loiret à La Convention], député du Loiret.
296. Où il avait été envoyé en mission en octobre 1793, après deux autres missions, dans le Loiret, la Nièvre et, le Cher.
297. Boussemart, Louis R-J, est l'auteur d'une vingtaine de brochures de circonstance dont la plupart sont signées " Le patriote Moustache ", ou " Louis Moustache, patriote " : Catal. de l'hist. de la Révol. franç., par A. Martin et G. Walter, t. Ier n°, 4854 à 4872 ; mais nous ne savons pas autre chose de lui, et par conséquent des fonctions qu'il a pu remplir auprès d' Henriot.
298. Ces points de suspension sont dans le texte.
299. Cf. ci-dessus, p. 82, note 2.
300. Cf. ci-dessus, p. 95, note 3.
301. Nous ne savons à quoi Mercier fait allusion. Il n' y a pas en pluviôse [janvier-février 1794] de décret relatif aux impositions sur les riches. Ce qui, dans la législation révolutionnaire en vigueur en l'an II répond à cette tendance, c'est l' impôt forcé, voté en principe le 20 mai 1793 et réglé par le décret du 3 septembre suivant.
302. Pas de renseignements.
303. Cf. t. Ier, p. 392, note 2.
304. Rochez, Pierre-Denis, " ancien sapeur du bataillon de Saint-Lazare ", est, à la veille du 10 août, l'objet d'un mandat d'arrêt comme prévenu d'avoir dégainé contre les grenadiers volontaires dans la rixe aux Champs-Elysées, du 30 juillet. Il est incarcéré pendant quatre jours. Il est ensuite gardien de Capet, au Temple, comme porte-clefs ; il conserve cette fonction jusqu'au début du mois de décembre 1792, où la Commune le congédie. En 1793, il est adjoint à l'état-major de l' Armée révolutionnaire, auprès de Ronsin, avec qui il finira par se brouiller : cf. ci-après, p. 167. En septembre de la même année, il est en route pour la Vendée, où il va remplir sa mission dont nous ne savons rien. À la fin de pluviôse ou au début de ventôse an II [février], il est mis en arrestation à l' Opéra, comme perturbateur, est réclamé par Grammont, cf. la note ci-dessus, et obtient finalement sa liberté du Comité de sûreté générale, le 4 germinal [24 mars]. Il disparaît ensuite, et ne reparaît que momentanément en l' an VII [1799] : dans les brochures qu'il publie alors, il dit " être sous-lieutenant de hussards ". Arch. nat., F7 477496 ; Tuetey, Répertoire, t. V, VI, VIII, X, XI, à la table ; Tourneux, Bibliographie, t. IV, n° 25.088? 25.089.
305. Cf. ci-dessus, p. 122, note 3.
306. Cf. ci-dessus, p. 98, note 2.
307. Cf. t. II, p. 197, note 2.
308. Bouchotte.
309. Gohier [Louis, Jérôme, 1746-1830 ; député, 1791-1792 ; ministre de la Justice, 1793-1794 ; président du Directoire, 1799 ; "... lors du 18 brumaire, qu'il n'a su ni prévoir ni empêcher, il refuse de démissionner et sera mis en garde à vue avec Moulin, son collègue directeur. Estimé par Bonaparte, celui-ci le décrit dans ses Mémoires comme « intègre et franc », il accepte de lui le titre de Consul de France à Amsterdam [1799-1810] ; mais en 1810, il refuse la même situation qui lui est proposée aux États-Unis d'Amérique. À partir de cette date, il vivra retiré des affaires publiques ; source] et Paré [Jules-François, 1755-1819 ; ministre de l' Intérieur, 1793-1794 ; Il démissionne le jour de la mort de Danton, son protecteur : 16 germinal an II, 5 avril 1794]

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