Nuit de printemps
Le ciel est pur, la lune est sans nuage :
Déjà la nuit au calice des fleurs
Verse la perle et l’ambre de ses pleurs ;
Aucun zéphyr n’agite le feuillage.
Sous un berceau, tranquillement assis,
Où le lilas flotte et pend sur ma tête,
Je sens couler mes pensées rafraîchis
Dans les parfums que la nature apprête.
Des bois dont l’ombre, en ces prés blanchissants,
Avec lenteur se dessine et repose,
Deux rossignols, jaloux de leurs accents,
Vont tour à tour réveiller le printemps
Qui sommeillait sous ces touffes de rose.
Mélodieux, solitaire Ségrais,
Jusqu’à mon cœur vous portez votre paix !
Des prés aussi traversant le silence,
J’entends au loin, vers ce riant séjour,
La voix du chien qui gronde et veille autour
De l’humble toit qu’habite l’innocence.
Mais quoi ! déjà, belle nuit, je te perds !
Parmi les cieux à l’aurore entrouverts,
Phébé n’a plus que des clartés mourantes,
Et le zéphyr, en rasant le verger,
De l’orient, avec un bruit léger,
Se vient poser sur ces tiges tremblantes.
René-François Chateaubriand, 1768-1848
Conserver, restaurer, faire évoluer, les jardins historiques. Genèse et ambiguïtés de la charte de Florence
Angèle DenoyellePaysagiste, doctorante et enseignante à l'école d'architecture de Paris-Belleville
Le nouveau dessin des parterres du jardin des Tuileries, créé par Pascal Cribier, Louis Benech et François Roubaud en 1990. © Marie-Hélène Bénetière
Principes fondamentaux de la charte
La charte de Florence pose alors les principes fondamentaux pour comprendre ce patrimoine nouveau, vivant, et pour y intervenir de façon pertinente.
Ses vingt-cinq articles sont répartis en quatre parties « Définitions et Objectifs », « Entretien, Conservation, Restauration, Restitution », « Utilisation » et « Protection légale et administrative ». Le texte cherche ainsi à couvrir l’ensemble des aspects majeurs à considérer : la définition du jardin historique, les questions de conservation et d’intervention, la gestion et la mise en valeur de ce patrimoine. Nous en présentons ici les éléments primordiaux8 :
- Les premiers articles reconnaissent officiellement le jardin comme un monument, « dont le matériau est principalement végétal donc vivant, et comme tel périssable et renouvelable ». Ils reviennent sur les éléments qui le définissent, qu’ils soient architecturaux, paysagers ou culturels et permettent ainsi de définir précisément la nature de ce patrimoine et de lui donner une valeur à part entière.
- La filiation du texte avec son aînée pour les monuments historiques est également rappelée. Ainsi « le jardin historique doit être sauvegardé selon l’esprit de la charte de Venise ». Monument vivant, il répond cependant à des « règles spécifiques » qui justifient cette nouvelle charte.
- Le jardin est le complément inséparable de l’édifice auquel il est lié et indissociable de son environnement direct.
- Les jardins étant principalement composés de végétal, leur entretien continu est primordial. L’œuvre doit être conservée par des remplacements ponctuels et des renouvellements cycliques « dans une volonté de maintien […] des espèces d’origine ».
- Toute intervention ne pourra se faire « qu’après une étude approfondie » de l’ensemble des sources documentaires pertinentes, elle devra en outre « respecter l’évolution du jardin concerné » et ne saurait « privilégier une époque aux dépens d’une autre ». Néanmoins, la restitution d’une partie particulièrement dégradée peut être envisagée exceptionnellement à condition d’être « fondée sur une documentation irrécusable », notamment sur « les parties les plus proches d’un édifice afin d’en faire ressortir la cohérence ».
- Enfin, l’article 17 précise qu’en cas de disparition du jardin ou de manque d’informations précises sur ses états successifs, l’intervention, même si elle s’inspire des formes traditionnelles, « relèverait alors des notions d’évocation ou de création, excluant toute qualification de jardin historique ».
Comme mentionné plus haut, deux familles de pensée se détachaient déjà lors des échanges durant les colloques Icomos/IFLA. Il n’est pas étonnant que ces deux orientations aient nourri en conséquence le texte final de la charte comme l’explique Carmen Añon :
« Il est sûr toutefois que lors de la rédaction de la charte, deux tendances s’étaient manifestées : l’une que nous pouvons définir comme plus conservatrice, l’autre plus progressiste ou conceptuelle. Le document final chercha à concilier les deux attitudes en étant suffisamment souple pour permettre une grande liberté d’interprétation en regard de la complexité du thème »9 .
Cette recherche de souplesse semble néanmoins avoir provoqué plusieurs contradictions dans le texte. Ainsi, bien que la charte de Florence prescrive de se référer à la charte de Venise en plusieurs endroits, elle revient pourtant sur ses deux principes majeurs -le respect de toutes les époques et la lisibilité de l’intervention- en offrant la possibilité de la restitution, totalement exclue de son aînée.
Par exemple, l’article 16 de la charte de Florence se réfère dans un premier temps à Venise en spécifiant que les interventions « ne saurai[en]t privilégier une époque aux dépens d’une autre » et la contredit immédiatement en autorisant la restitution, certes exceptionnellement, si la dégradation de certaines parties, notamment proches d’un édifice, et l’accès à une documentation précise le permettent.
De la même manière, cette possibilité de restitution, basée sur les sources historiques, aboutit nécessairement à une « restauration à l’identique » niant de fait l’importance de rendre lisible l’intervention de restauration comme l’explicite très bien l’article 12 de la charte de Venise : « Les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent [se distinguer] des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire »10 .
En outre, et malgré la volonté de concilier les deux tendances -conservatrice et progressiste- dans le texte, on remarque que la possibilité de recours à l’approche conceptuelle est beaucoup moins évidente que l’approche historique dont les modalités -et notamment la restitution- sont précisées en plusieurs endroits. En effet, il n’est jamais réellement fait mention d’une possibilité créatrice dans la charte de Florence. Au contraire, l’article 17 tend à dire que la création ou l’évocation “ dans l’esprit de ” ne saurait être reconnues comme jardin historique.
La charte de Florence peine donc à prendre position. Elle est tantôt progressiste, par le biais de sa filiation à la charte de Venise, tantôt très conservatrice puisque le seul type d’intervention qu’elle précise vraiment est la restitution. Cette ambiguïté du texte provoque des réserves, spécialement auprès des scientifiques italiens qui rédigent immédiatement une alternative, baptisée “ charte italienne ”, excluant formellement la restitution et permettant explicitement le recours à la création, dans les limites définies par la charte de Venise et les conclusions du symposium de Budapest, 1972, sur l’intégration de l’architecture contemporaine dans les ensembles historiques11 .
Ainsi, la charte de Florence permet de justifier davantage les interventions historiques voire historicistes, et notamment Versailles, que les projets s’inscrivant dans une approche paysagère. De fait, parmi les grands projets de restauration de jardins français de ces trente dernières années, peu peuvent s’y référer directement. Le jardin des Tuileries, celui de Villarceaux ou celui du musée Rodin, par exemple, tous trois issus d’une démarche de projet de paysage prenant autant en compte la valeur de l’histoire que la spatialité particulière du jardin12 , ont pris le parti d’une recréation d’une ou plusieurs parties du jardin. À ce titre, ils n’entrent pas dans les recommandations de la charte de Florence. Cela montre, entre autres choses, la limite du texte.
La restauration en hommage à Rodin dans le jardin du musée Rodin, par Jacques Sgard en 1992. © A. Denoyelle
Avant d’être un monument, un jardin historique est un organisme vivant. De ce fait, au-delà des recommandations de la charte de Florence, le changement rapide des conditions environnementales nous oblige aujourd’hui à revoir certaines de nos pratiques pour permettre aux jardins de continuer à exister. Il faut souhaiter que les conclusions du colloque sur les quarante ans de la charte de Florence prendront en compte ces nouvelles données et qu’elles ouvriront davantage la porte au projet de paysage que le texte initial13
Bibliographie
Au sujet de la restauration du patrimoine et des jardins historiques :
Actes de colloques :
- Actes du Colloque International sur la Conservation et la Restauration des Jardins historiques, organisé par l’ Icomos/IFLA, 13-18 septembre 1971, Château de Fontainebleau, France.
- Actes du Colloque International sur la Protection et la Restauration des Jardins historiques, organisé par l’ Icomos/IFLA, 29 octobre - 4 novembre 1973, Grenade, Espagne.
- Actes du Troisième Colloque International sur la Protection et la Restauration des Jardins Historiques, organisé par l’ Icomos/IFLA, 8-13 septembre 1975, Zeist, Pays-Bas.
- Jardins et Sites Historiques, Icomos, 1993.
- Quels projets aujourd’hui pour les jardins anciens ? Actes du séminaire de Barbirey-sur-Ouche, 8 et 9 septembre 2003, Ministère de la Culture et de la Communication, 2004.
- Marco Martella (dir.), Que deviennent les jardins historiques ? un état des lieux, Silvana Editoriale, 2018
Publications :
- Maria Adrianna Giusti , Restauro dei giardini. Teorie e storia, Alinea, 2004.
- Monuments Historiques, numéro monographique sur Les Tuileries, n°177, 1991.
Autour du projet de paysage :
- Jean-Marc Besse, Le paysage et les discours contemporains. Prolégomènes.
- Jean-Luc Brisson (dir.), Le Jardinier, l’Artiste et l’Ingénieur, Besançon, Les Éditions de l’Imprimeur, 2000, p. 71-89.
- Gilles A. Tiberghien, Forme et Projet, Les Carnets du Paysage, n°12, 2005.
- Pierre Donadieu, Les paysagistes, Actes Sud/ENSP, Arles, 2009.
- Jean-Marc Besse, La nécessité du paysage, Marseille, Éditions Parenthèses, 2018.
- Chiara Santini et Agnès Juvanon du Vachat, Le projet de paysage au service de la valorisation d’un jardin historique, Projets de paysage, 6 - 2011, 20/07/2011.
Notes et références
- Texte de l’appel à propositions pour le Colloque international 1981-2021 Jardins Historiques, Expériences, recherches, perspectives à 40 ans des Chartes de Florence, 25-26 nov. 2021, Florence.
- Pechere René, Memorandum sur la naissance et les origines de l’ IFLA et du Comité International des jardins historiques Icomos-IFLA, Jardins et Sites Historiques, Icomos, 1993, p. 259-260.
- International Federation of Landscape Architects, fondée en 1948 par Sir Geoffrey Jellicoe.
- Añon Carmen, Introduction - Les objectifs principaux du Comité International des Jardins et Sites Historiques, Jardins et Sites Historiques, Icomos., s.l., 1993, p. 25.
- Añon Carmen, Historiographie de la Charte de Florence, Quels projets aujourd’hui pour les jardins anciens ? Actes du séminaire de Barbirey-sur-Ouche, 8 et 9 septembre 2003, Ministère de la Culture et de la Communication, 2004, p. 16.
- Colloque de Florence : Conservation et mise en valeur des jardins historiques de petite dimension, 1981.
- Añon Carmen, 2004, Op. Cit., p. 16.
- Charte de Florence, 1981, Icomos.
- Añon Carmen, 2004, Op. Cit., p. 17.
- Charte de Venise, Icomos, 1964.
- Denoyelle Angèle, Peut-on créer dans les monuments historiques ? Le cas du jardin du Musée Rodin, dans Restauro Archeologico, 1981-2021 Giardini Storici, Esperienze, ricerca, prospettive, a 40 anni dalle Carte di Firenze, t. 1, Firenze University Press, 2021, p. 202.
- Dans ses différents aspects : taille et forme de l’espace, limites, végétaux, atmosphère, usages ou références culturelles, Besse Jean-Marc, La nécessité du paysage, Éditions Parenthèses, p. 61.
- Ces conclusions sont en cours d’élaboration.
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