LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XV

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  Plus encore que la diversité des intérêts, les rivalités locales et les ravages du banditisme, dans un vaste territoire exceptionnellement morcelé et dont certaines régions changèrent sans cesse de maîtres, l'opposition des deux races et des deux religions impose à la politique du Grand Mogol des difficultés presque insurmontables et donne un caractère particulier aux guerres qu'il eut à soutenir pour le salut de son empire. Une cause de faiblesse qu'il ne pouvait éviter était la nécessité d'employer dans ses armées des chefs et des soldats hindous, d'une fidélité instable, mais dont il avait reconnu l'intelligence ou les vertus guerrières. Dans certains cas, cette alliance avec des hommes du même sang et de la même foi que ceux qu'il combattait, lui était salutaire, et le proverbe persan se trouvait justifié : " Le chacal qui habite les plaines de Mazanderan ne peut être forcé que par les chiens de Mazanderan. " Mais à côté de cette précieuse collaboration, que de chausse-trappes tendues sous les pas du conquérant par la trahison, la rancune ou l' ambition personnelle de ses alliés à l'humeur changeante.
  Dans les provinces qui formaient le noyau de son empire, et où son autorité n'était pas contestée, Aureng Zeb, dès le début de son règne, voulut assurer l'ordre et la sécurité en supprimant et en refoulant les bandits qui razziaient les populations des campagnes et rançonnaient les voyageurs. Cette écume déferlait aux frontières, surtout dans les régions montagneuses, rejetée par les États voisins; le reflux d'une sanglante répression la renvoyait à son point de départ et souvent les rajas en difficulté avec le Mogol n'étaient que trop disposés à accueillir ces bandes d'hommes de toute provenance et de toute nation, mais également intrépides et déterminés. On cite l'exemple du raja de Kalabagh qui s'entendait ouvertement avec ces voleurs de grand chemin pour dépouiller les marchands. Aureng Zeb lui fit couper la tête, ainsi qu'à une grande quantité de ses sujets; sur la route, près de la ville, s'élevèrent de hautes tours percées de nombreuses fenêtres sur lesquelles les têtes des bandits étaient exposées. Tavernier les a vues en I665, et note que ces épouvantails étaient encore intacts bien qu'exhalant une forte puanteur, l'exécution devait être toute récente. Le même voyageur a observé au Bengale, dans les environs de Dacca, au bord d'un affluent du Brahmapoutre, ces sinistres monuments de la justice impériale, érigés par les soins de Mir Jumla, lors de sa campagne en Assam. [État situé au nord-est du pays; Dispur est la capitale]
 
 Un champ de théier dans l'Assam : 20I9. Crédit photo : Vikramjit Kakati.

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  On se ferait d' Aureng Zeb une image forte inexacte en se représentant le Grand Mogol comme un souverain assoiffé de conquêtes, sans cesse préoccupé d'agrandir les frontières de son empire. Si la guerre fut pour lui, comme pour son contemporain Louis XIV, la grande affaire de son règne, elle lui a souvent été imposée par les circonstances, par la pressante nécessité de sauvegarder l'intégralité ou la paix de son territoire, et, à partir de I665, ses campagnes militaires furent plus souvent défensives qu'offensives. Tel est le cas, en particulier, de la lutte contre les Afghans qui, avec de rares périodes de repos, dura presque sans interruption de I667 à I678.
  C'était une vieille connaissance pour Aureng Zeb que cet ennemi indomptable, toujours prêt à l'attaque, s'infiltrant partout aux frontières, ne se reconnaissant jamais vaincu, cherchant par la trahison des alliances ou suscitant des rébellions dans les provinces mêmes de l'empire. Dans sa jeunesse, le futur Alamguir avait déjà fait son apprentissage de soldat en combattant les redoutables tribus des montagnes afghanes.
  Par la situation, comme par la configuration, l' Afghanistan avait toujours été la principale voie d'invasion de l'Inde. Pays essentiellement montagneux, véritable Suisse asiatique, il offre pourtant entre ses massifs de nombreuses passes, à défaut de chemins praticables. Des pentes de l'Hindou Kouch à la frontière indienne, il est compartimenté en étroites vallées où vivent d'instables et indociles tribus, dont la plupart échappaient à l'autorité de l'émir. L'une d'elles, parmi les plus batailleuses, celle des Yousoufzaï, [ou Yusufzai; une des plus grandes tribus de l'ethnie pachtoune] donna le signal de la guerre en envahissant le district de Pakhali. [ou Pakhli; un des districts de l'empire mogol qui, aujourd'hui, correspond à la région de Hazara, au Pakistan]
  Une fois de plus, l' Hindoustan exerçait son irrésistible attrait et un nouveau flot de pillards s'écoulait par les passes étroites qui, depuis les premiers âges du monde, avaient déversé sur la plaine de l' Indus toutes les grandes migrations humaines. Ces expéditions cachaient aucun dessein politique. La Perse ne tenait solidement que la partie méridionale de l' Afghanistan et paraissait se désintéresser des montagnards du sud-est, bien qu'en I650 Chah Abbas II eût annexé Kandahar. Quand à l'émir de Kaboul, il n'était que de nom le maître d'un pays qui avait conservé une organisation féodale et où l'orgueilleuse indépendance des clans ne laissait aucun pouvoir réel au gouvernement central. Kaboul, entouré de beaux jardins, comme les villes de la Perse, haut perchée à 2.000 mètres d'altitude, se renfermait dans une splendide solitude, plutôt citadelle que ville, surveillant les cols et gardant les portes de communication avec l' Inde. Des espions, camouflés en marchands, descendaient périodiquement vers Pechaver, Amritsar et Lahore, emportant les produits du pays, tapis, châles, étoffes au dessin varié, au coloris inimitable, armes ciselées, bijoux et ivoires sculptés; ils s'insinuaient jusqu'au Multan, aux frontières du Radjpoutana, s'infiltrant dans les caravansérails et dans les bazars, pour surprendre les nouvelles, guetter les occasions et préparer la soudaine invasion des bandes armées dont ils étaient les fourriers. On rencontrait partout ces grands hommes maigres et musculeux, aux traits réguliers et aux longs cheveux sombres, vêtus de laine et coiffés d'un bonnet conique. Comme ils étaient mahométans, ils arrivaient plus facilement à tromper la surveillance de la police mogole sur le territoire de l'empire. L'histoire se répète ou se continue de la plus curieuse façon : dans le Kim de Kipling, ne voit-on pas apparaître ce type mystérieux d' Afghan, la barbe teinte d'un rouge écarlate. Mahbub Ali, marchand de chevaux réputé dans tout le Pendjab, en réalité espion secret aux ordres de l' Intelligence Service ? [organisme chargé, en Grande-Bretagne, de recueillir tous les renseignements intéressant la conduite de l'action diplomatique, politique, économique et militaire du gouvernement, ainsi que du contre-espionnage. Larousse; aujourd'hui connu sous l'appelation : MI6, Military Intelligence, section 6] Dans le caravansérail où il héberge ses petits chevaux trapus du Cachemir ou du Tibet, il tient de furtifs conciliabules avec des ombres inquiétantes, trame d'importants complots, transmet des messages d'où dépend le sort d'une ville, d'un poste ou d'une armée. Mahbub Ali a, comme tous ses pareils, la nostalgie de ses montagnes; il y remonte à la saison sèche, mais l'hiver il redescend vers les plaines, soigneusement camouflé et plus hermétique que jamais, pour reprendre ses deux trafics.

 

KIPLING Rudyard, Kim, Librairie Delagrave I949.

  C'est ainsi qu'en I667, les Yousoufzaï dévalèrent à la fois du haut pays, par les cols de Kavak, Ounah et Kaïfer, les cavaliers armés du sabre et de la lance, montés sur leurs petits chevaux robustes, avec l'agilité et l' intrépidité des cosaques. Ils limitèrent d'abord leur action à la frontière du Cachemir, dans une région montagneuse, où leurs troupes se trouvaient plus à l'aise qu'en plaine, pour la guerre de surprise dont ils avaient l'habitude. Les postes qui gardaient la frontière furent successivement enlevés. Mais l'armée mongole réussit à attirer cet ennemi insaisissable plus au sud, sur la rive gauche de l' Indus, où elle-même pouvait déployer sa puissante cavalerie et ses éléphants sur un terrain uni. Les Afghans subirent une grave défaite, mais qui ne réussit pas à les chasser dans leurs montagnes. En automne de la même année, Aureng Zeb dut reprendre l'offensive pour refouler l'ennemi et l'attaquer sur son propre territoire. Cette campagne victorieuse fut l'œuvre des généraux Mohammed Amin Khan et Chamchir.[ou Shamshir Khan,
  Une assez longue période de tranquillité suivit. Tous les historiens et les voyageurs du temps ont remarqué que ces tribus afghanes, indociles et remuantes, se montraient tout à tour d'un caractère généreux et hospitalier en temps de paix, cruel et impitoyable quand leur humeur belliqueuse reprend le dessus ou quand leur indépendance leur paraît menacée. Aureng Zeb avait fait du pays conquis une sorte de marche à la frontière du Pandjab et y avait établi comme gouverneur le vainqueur des Yousoufzaï, Mohammed Amin Khan. Mais ces peuplades indépendantes, que la nonchalante autorité du roi de Perse n'avait pas habitué à la soumission et qui étaient incapables de se plier à la police d'un État régulier, dont toutes les règles contrariaient leurs traditions ou leurs préjugés de clans, saisissaient le moindre prétexte pour reprendre les armes. Le chef d'une petite ville, à mi-chemin de Kaboul et de Pechaver, Djalalabad,[aujourd'hui, ville du Kirghizstan] ayant heurté la population par une série de mesures maladroites, le mécontentement des indigènes se propagea rapidement dans toute la région et se transforma en insurrection déclarée. Cette fois, ce furent les Afridis, [une des tribus pachtounes, localisée entre l'Afghanistan et le Pakistan] l'une des six plus puissants tribus de l' Afghanistan, et des plus anciennes, qui prirent la tête du mouvement en I672, entraînant avec eux les clans puissants des Touris,[tribu pachtoune] des Shinwâris [ou Shinwari; autre tribu pachtoune] et des Mohmounds.[ou Mohmand ou Moomand; tribu importante du peuple pachtoune; située essentiellement sur le territoire Mohmand, entre l'Afghanistan, et le Pakistan]. Chassé de Kaboul, le gouverneur Amin Khan se repliait en hâte par la passe de Khaïber, quand il fut surpris par les rebelles le 22 avril; malgré une résistance désespérée, son armée fut presque entièrement détruite et il dut s'enfuir en abandonnant un butin considérable. [suite à cette déroute, il fut dégradé et envoyé au Gujarat]
 
Photographie d'un groupe d' Afridis prise par John Burke, I843-I900, en I878; Burke a accompagné la Peshawar Valley Field Force, l'une des trois colonnes de l'armée britannique anglo-indienne déployées lors de la deuxième guerre d'Afghanistan : I878-I880.


  La menace était d'autant plus grave pour Aureng Zeb que le soulèvement des Afridis coïncidait exactement avec celui des Satnamis au Pandjab, comme si, entre les deux mouvements, il y avait eu quelque mystérieuse collusion. La campagne précédente contre les Yousoufzaï, jointe aux guerres que le Grand Mogol soutenait simultanément au Dekkan et en Assam, avait épuisé le trésor. L'empereur n'avait pas trouvé en Afghanistan, après sa première victoire, les ressources qu'il avait espérées pour refaire ses finances et remonter ses troupes; le pays occupé était assez pauvre, mal cultivé par une population en grande partie nomade et qui se montrait réfractaire à toutes les réquisitions. En outre, la trahison, mal endémique dans cet État composite, couvait de toutes parts, d'autant plus prompte à éclater que des signes de faiblesse se manifestaient dans la fragile armature de l'empire. Après seize années de règne, Aureng Zeb en était encore à compter avec la fidélité chancelante de ses créatures. Au moment où il aurait eu le plus besoin de conserver à la frontière afghane une couverture solide, un de ses généraux, Khochhal,[Khošāl Khān Khaṭak ou Khushal Baba, I6I3-I689; poète, chef et guerrier pachtoune. l'empereur moghol Aureng Zeb l'a emprisonné en I664 et l'a gardé en isolement au fort de Ranthambore. À sa sortie de prison, Khushal Khan n'est plus le même.  Il n'est plus un fonctionnaire moghol loyal. Bien qu'Aureng Zeb Alamgir et un certain nombre de gouverneurs moghols de Kaboul l'aient tenté à plusieurs reprises d'accepter un poste dans les régions frontalières, il refusa catégoriquement. Cette transformation est clairement visible dans sa poésie. En I673, il prend les armes contre les Moghols et leur déclare la guerre, bien que certains membres de sa famille, et même son fils, se soient rangés du côté des Moghols. Il poursuivit sa lutte anti-mughal jusqu'à sa mort en I689. Il promeut le nationalisme pachtoune dans les dernières années de sa vie par le biais de la poésie. Khushal a écrit de nombreuses œuvres en pachtou, mais aussi quelques-unes en persan. Khushal est considéré comme le " père de la littérature pachtoune " et le poète national de l'Afghanistan... "; sur le Web] chef du district de Khatak,[aujourd'hui, territoire situé dans la province Khyber Pakhtunkhwa au Pakistan] passa à l'ennemi. Le successeur d' Amin Khan se montra impuissant à rétablir la situation; ce nouveau gouverneur, Mahabat Khan,[il avait été rappelé du Dekkan, où il était en poste; il tenta de dominer les Pachtounes par un stratagème politique au lieu de prendre les armes contre eux. À sa décharge, il avait, à l'époque, déjà près de 70 ans] était un homme sans initiative, dépaysé dans une région rude et hostile, et d'une rare incapacité militaire. En novembre I673, l'empereur dut se résoudre à envoyer des troupes fraîches, accompagnées d'une nombreuse artillerie et commandée par deux généraux expérimentés, Jaswant Singh et Shujat Khan. [l'homme qui venait de réprimer le soulèvement des Satnamis]

Portrait de Khošāl Khān Khaṭak. Source.

  Jaswant Singh est une de nos vieilles connaissances; maharaja de Jodhpur, le Radjpoute avait toujours été un des meilleurs auxiliaires de la fortune du Mogol. Mais dans cette nouvelle campagne, il ne devait pas donner toute sa mesure, parce qu'il était jaloux de Shujat Khan,[ou Shuja‘at Khan] auquel il avait été adjoint en sous-ordre. Nous assisterons là à l'un de ces drames secrets, comme on en voit dans l'histoire militaire de Rome ou de notre Premier Empire, le succès d'une campagne ou d'une bataille dépendant de la mésintelligence ou de la rivalité entre deux consuls ou deux maréchaux. En réalité, l'orgueilleux raja de Jodhpur, habitué à dominer, méprisait cet homme nouveau, simple petit officier de fortune, qui n'avait dû son élévation au plus haut grade qu'à son mérite reconnu. Jaswant Singh excita contre Shujat Khan le mépris, la défiance, le mauvais vouloir de ses subordonnés. Il l'empêcha de livrer bataille dans un moment favorable, prétextant une prudente temporisation, là où il n' y avait que lâcheté ou calcul d'intérêt personnel; il le contraignit, dans un pays difficile, inconnu, à de lentes et pénibles manœuvres, surveillé de près par un ennemi qui ne lui laissait pas de répit, qui échappait à ses prises, grâce à sa parfaite connaissance des lieux, et qui guettait l'occasion favorable pour l'attaquer. L'armée mogole souffrait beaucoup des rigueurs d'un climat auquel elle n'était pas habituée. L'artillerie qu' Aureng Zeb avait sacrifiée pour cette campagne, alors qu'il en avait un pressant besoin ailleurs et sur des champs de bataille où il aurait pu l'utiliser fructueusement, ne trouvait pas à se déployer dans une région accidentée, sans chemins praticables et aux horizons fermés. Le 2I février I674, Shujat Khan se laissa surprendre dans le défilé de Karapa. [ou Karappa] Accablé par un ennemi inférieur en nombre, mais plus mobile et mieux armé pour cette espèce de guérilla, il ne put sauver que l'honneur. L'attaque avait eu lieu de nuit et les troupes mogoles, épuisées par des marches incessantes, se trouvaient prises au piège dans un passage étroit, à flanc de montagne, au milieu d'une tempête de neige. Des milliers d'hommes périrent et parmi eux Shujat Khan tomba les armes à la main. Une poignée de cavaliers Radjpoutes, [le contingent de Rathor] plus fidèles que l'orgueilleux Jaswant Singh, et comme honteux de sa conduite, se sacrifièrent pour permettre aux débris de l'armée de regagner la frontière.
  Aureng Zeb ne voulut pas demeurer sur cet humiliant désastre. Sa fierté, non moins que son intérêt, lui commandait de chercher une revanche éclatante. Malgré la promptitude de ses décisions, il ne peut pas la prendre aussitôt, avec une armée désorganisée, démoralisée, et où subsistaient encore la défiance et la trahison. Mais cette fois, il avait compris que sa présence, à la tête de ses troupes, était nécessaire pour rétablir l'ordre et la confiance. Il quitta Delhi le 7 avril I674 et parvint le 26 juin à Hassam Abdal,[ou Hasan Abdal; ville pakistanaise, située dans le district d' Attock, dans le nord de la province du Pendjab] près de Pechaver, où il demeura jusqu'au 23 décembre I675. C'est de son camp, établi près de cette petite ville, qu'il dirigea les opérations pendant dix-huit mois, et il ne regagna sa capitale qu'après avoir pacifié le pays. Pour cette nouvelle campagne, il avait dû reconstituer une armée et remplacer par une artillerie intacte les canons abandonnés dans les gorges neigeuses de Karapa. Il lui avait fallu aussi chercher un nouveau commandement en chef, pur succéder à l'infortuné Shujat Khan. Son choix se porta sur un général turc, Aghar Khan, qui venait de faire ses preuves dans la guerre du Dekkan. Mais malgré la présence de l'empereur, ce général éprouva d'abord avec les autres officiers de l'armée, et particulièrement avec les rajas hindous, les mêmes résistances et les mêmes jalousies que son prédécesseur. Il fallut toute la fermeté d' Aureng Zeb pour l'imposer et maintenir dans l'obéissance ces turbulents et vaniteux officiers de parade qui ne poursuivaient dans la carrière militaire que l'ambition d'une fortune personnelle.
  Qu'on veuille bien se rappeler ici l'anecdote de I658, que nous avons rapportée, et qui nous montre, vingt-cinq ans plutôt, le perspicace et défiant Aureng Zeb en garde contre l'humeur changeante et la défection toujours prête des rajas qu'il trainait dans son état-major, à l'heure même où il entreprenait contre son frère Dara sa campagne décisive. Qu'il s'agisse d'un Nawaz Khan ou d'un Jaswant Singh, la politique cauteleuse de ces dangereux auxiliaires reste identique et les mêmes causes produisent les mêmes effets. Aghar Khan faillit bien être victime, comme Shujat Khan, des machinations de ses subordonnés; l'un deux, Mukarram Khan paya son indiscipline d'une sanglante défaite, à Khapush, [ou Khaposh] dans le Bajana, en juin I675. ["... Les Pachtounes, à cette occasion, étaient à nouveau conduits par leurs chefs Aimal Khan Mohmand et Darya Khan Afridi. Ils tournèrent leur attention vers Mukarram Khan, qui opérait avec une grande force contre les Pachtounes, près de Khaposh, où il brûlait, détruisait et pillait de nombreux villages Mohmand. Une bataille eut lieu, les Moghols étaient surpassés en nombre et perdirent lourdement. Le jeune Shamshir Khan fut tué par Darya Khan Afridi tandis que Mukarram Khan fut blessé. (...) C'était le mois de juin, le manque d'eau et la perte de chemin causèrent la mort de nombreux soldats. Mukarram Khan avec une poignée de survivants s'échappa à Bajawar et se réfugia auprès du gouverneur de Bajaur, [aujourd'hui, district du Pakistan] Izzat Khan, où ils sont restés un certain temps avant de pouvoir retourner sur le territoire moghol... "; sur le Web] Toutefois, ce revers n'eut pas de conséquences aussi désastreuses que la débâcle de Karapa. Une vigoureuse offensive entreprise par le général en chef, sous l'œil du maître, lui permit, grâce à la supériorité de l'artillerie mogole, de reprendre le dessus. Après plusieurs rencontres heureuses, les bandes afghanes furent dispersées, et Aureng Zeb put songer à organiser le pays. ["... Le I4 juin I675, l'empereur envoya une nouvelle force dans le territoire Pachtoune, environ 9 000 hommes, avec une grande quantité de matériel. Aghar Khan est posté à Jalalabad, et d'autres officiers compétents à Jagdalak, Laghman, Gharib Khan et Bangashat, Kohat et les régions adjacentes, commandant d'autres postes. Fidai Khan, le gouverneur de la province, reçut le titre d' Azam Khan Koka, pour avoir puni les Pachtounes... "; sur le Web] Avant de reprendre la route de Delhi, où le gourou Tegh Bahadur, chef des Sikhs rebelles, venait d'être décapité, il chargea son fils, le prince Mouazzam, — son futur successeur, — d'exercer le commandement en chef de l'armée d' Afghanistan; il lui décerna le titre de Shah-i-Alam [ou Shah-i-‘Ólam, roi du monde] et mit auprès de lui, pour le seconder, un chef énergique, Amir Khan, qui s'était révélé dans la dernière campagne. ["... En octobre I675, le prince Muazzam est nommé à la tête de l'expédition de Kaboul avec cent mille pièces d'or et deux millions de roupies en bijoux. Il fut envoyé de Delhi avec une splendide suite d'officiers les plus distingués, de l'artillerie et du matériel... "; sur le Web] À eux deux, le prince impérial et le général victorieux rétablirent l'ordre et la paix sur un territoire longtemps dévasté par la guerre et le brigandage; [il faut dire qu'en I677, le pays et la population avait été fortement meurtri par des mois de sécheresse et de famine] et depuis cette époque, le Mogol eut sur sa frontière du nord-ouest une relative sécurité. Le I9 mars I677, Mouazzam ayant à son tour rejoint la capitale, Amir Khan fut nommé gouverneur en titre de l'Afghanistan. [8 juin I678] Il exerça cette vice-royauté jusqu'en I698 [année de sa mort] et, pendant ces vingt ans, à part quelques résistances locales de clans particulièrement remuants, l'empire fut préservé des attaques de ces redoutables voisins, dont le nouveau gouverneur avait sut neutraliser l'hostilité en exploitant les rivalités des différentes tribus et en les opposant les unes aux autres. Mais si l' Afghanistan proprement dit paraît hors de cause à partir de I677, ce n'est pas à dire que l'on ne retrouve pas maintes fois son influence et ses bandes de mercenaires dans les armées qu' Aureng Zeb aura à combattre sur d'autres points de la péninsule.

***

  La politique extérieure d'un Grand Mogol n'a rien de comparable à celle d'un souverain occidental de la même époque et les guerres qu'il entreprend ne peuvent être assimilées à celles d'un Louis XIV, ni dans les causes, ni dans les effets, ni même par la nature des forces employées et de la stratégie. En réalité, nous sommes là dans un tout autre monde que celui où se déploie une diplomatie minutieuse et compliquée sur la carte de l' Europe, aux frontières nettement tracées, avec ses familles de princes et ses dynasties royales, unies ou divisées par des intérêts séculaires, et poursuivant, dans les chancelleries comme sur les champs de bataille, la satisfaction de ces intérêts, pour obéir à une longue tradition.
  Si Aureng Zeb a été, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le souverain le plus puissant de l' Inde, il ne domine pas, il s'en faut de beaucoup, toute la politique asiatique, comme Louis XIV domine toute la politique européenne, lui imposant une sorte d'unité. Aucun équilibre n'est assuré, même sur les territoires dont le gouvernement de Delhi est le centre d' attraction dans le jeu des ambitions particulières. Le nombre des belligérants possibles est infiniment plus grand dans l' Inde que dans l' Europe, deux fois plus vaste, où les conflits furent longtemps localisés dans des régions limitées du centre et de l'occident, tandis qu'ils s'éparpillaient à la même époque sur toute la superficie de l'empire mogol, et même au-delà de ses frontières. Si l'on voulait absolument trouver un point de ressemblance entre cette histoire politique et militaire de l' Hindoustan et celle plus familière à nos esprits européens, on pourrait à la rigueur évoquer les rivalités traditionnelles qui opposaient la France et la maison d' Autriche, la France et l'Angleterre, dans des conflits renouvelés. Qu'est cependant, à côté de ces grands intérêts dynastiques, l'orgueilleuse jalousie qui dressait sans cesse l'un contre l'autre le roi de Perse et le Mogol, un Shah Abbas et un Aureng Zeb, et qui les faisait s’affronter sur les zones d'influence où ils se disputaient la suprématie ?
  L' Afghanistan était précisément l'une de ces zones d'influence. Mais le roi de Perse se désintéressaient en fait de la partie orientale du pays, celle qui confinait à l' Inde, et laissait aux tribus montagnardes de l' Est leur farouche indépendance, en habile politique qu'il était, sûr d'entretenir ainsi une plaie toujours vive au flanc de son rival détesté. Pour le Mogol, n'était-ce pas cependant une tradition de race, plus encore que le souci de la sécurité, qui l’attirait vers les ingrates montagnes de l' Hindou Kouch, et qui le poussait à dompter ces rebelles pillards ? Ce ne sont pas seulement les satrapes [gouverneur d'une satrapie chez les Perses achéménides; la satrapie était une province de l'Empire perse. Larousse] de Cyrus [Cyrus II, dit Cyrus le Grand, v. 600 av. J.-C.ou 576 av. J.-C.-530 av. J.-C.; fondateur de l'Empire perse, de la dynastie des Achéménides] et de Darius [Darius Ier, dit le Grand, v.550-486 avant J.-C; roi de Perse, de la dynastie des Achéménides], les Macédoniens d' Alexandre, les Scythes,["... peuple nomade dont la culture prospéra entre le VIIe et le IIIe siècle av. J.-C. dans un territoire allant de la Thrace à l'ouest, à travers la steppe de l'Asie centrale, jusqu'aux montagnes de l'Altaï de Mongolie à l'est. Cela couvre une superficie d'environ 4000 km de longueur. La géographie de la steppe de vastes plaines, de la steppe désertique et des étendues forestières sur lesquelles leur territoire s'étendait, était propice à un mode de vie pastoral plutôt qu'un mode de vie sédentaire portant sur la production agricole. En conséquence, ils avaient peu de centres urbains et avaient un mode de vie nomade: ils montaient à cheval, s'occupaient des troupeaux et vivaient dans des roulottes couvertes... "; sur le Web] les Turcs et les Arabes, qui recouvrirent de leurs vagues successives ce pays de transition toujours foulé par les armées conquérantes; mais Gengis-Khan [v. II67- I227; fondateur de l'Empire mongol; "...élu khan de sa tribu, probablement sous le nom de Tchingiz Kagan, II96, il devint le maître de toutes les tribus nomades de Mongolie et réunit en I206 une grande assemblée, Quriltay, qui le proclama empereur : kagan ou khan. C'est alors que furent ébauchés les premiers rudiments de la loi impériale mongole, yasa, et que furent organisés un embryon de chancellerie et la grande armée impériale... "; Larousse] avait campé avec ses Mongols sur les bords de l' Indus; Tamerlan envahit Kandahar et Kaboul en I400; enfin, dans cette dernière ville, un siècle plus tard, le Grand Mogol Baber avait fondé le siège d'un nouvel empire qu'il tint fortement pendant près de vingt ans; si bien que l'empire de Delhi semblait n'être qu'un rameau détaché de cet empire afghan, puisque c'est de Kaboul que Baber avait entrepris la conquête de l' Inde. On voit donc quelle puissante attraction exerçait sur ces successeurs, en en particulier Aureng Zeb, cette capitale déchue, qui était le berceau de leur dynastie.
 

Le cylindre de Cyrus, inscription royale de Cyrus II dans un style babylonien. British Museum. Crédit photo : Prioryman.

   Les autres guerres d' Alamguir n'offrent pas de caractère de continuité et de logique : Assam, Arrakan et Marwar, Radjpoutana, Pandjab et Dekkan, sur tous ces théâtres, et sur quelques autres, ce sera, jusqu'à la mort de l'empereur, une multiplicité de campagnes dispersées, souvent confuses, et qui paraissent obéir plus au hasard qu'à la nécessité, la direction des opérations échappant parfois au Mogol, pour passer aux mains des plus entreprenants de ses généraux ou des plus acharnés de ses ennemis.
  Dès les premières années du règne d' Aureng Zeb, bien que la paix régnât en apparence au cœur de l'empire, on vit sur toutes les frontières des officiers ambitieux entreprendre des expéditions, moins pour étendre la domination de leur maître, que pour assurer leur propre fortune militaire.
  Un cas typique est celui de Daud Khan. Ce chef sans scrupules avait été attaché jadis à la fortune de Dara, qui lui avait confié un commandement dans l'armée de son fils Sulaïman Shikoh, envoyée au Bengale contre Shuja. Mais Dara se défiait déjà de sa loyauté, et les évènements ne tardèrent pas à justifier ses soupçons contre un chef qui n'attendait que l'occasion pour le trahir. Passé au service d' Aureng Zeb, Daud Khan était à la tête de cinq mille hommes, dans une région qui lui était familière; il était gouverneur de Béhar, près de Patna, dans cette même partie du Bengale où il avait déjà fait la guerre contre Shuja. Parti de cette ville en avril I66I, il s'avança vers le sud, franchit plusieurs affluents du Gange, et poussa une pointe hardie sur Palamau, qu'il enleva en décembre. Le prétexte de l’expédition était de purger le district des bandes de pillards qui l'infestaient. En même temps, cette opération de nettoyage se conjuguait avec la campagne de plus haute envergure que menait Mir Jumla dans le Nord-Est du Bengale et en Assam. Plus tard, l'empereur reconnut les services de Daud Khan, en le nommant gouverneur d' Allahabad, qui était dès cette époque une des villes les plus considérables de l’empire, grâce à sa position commerciale et stratégique, au confluent du Gange et de la Jumna, surveillant un carrefour de routes qui divergent dans toutes les directions.
   Les expéditions de Mir Jumla en Assam et de Shaista Khan, oncle de l'empereur, en Arrakan, de I663 à I666 sont d'un autre caractère et d'une autre portée. Elles marquent la volonté d' Aureng Zeb de pacifier définitivement le Bengale, terre dangereuse, terre perfide, refuge prédestiné des brigands et des traîtres, dont le Mogol aurait pu dire ce que le poète de Ruy Blas [drame en 5 actes et en vers de Victor Hugo, I838. L'action se passe à la cour d'Espagne, à la fin du XVIIe s. : disgracié, Don Salluste, grand d'Espagne, se venge de la reine en substituant à son cousin Don César son valet Ruy Blas. Celui-ci se révèle homme d’État vertueux mais s'enferre, tout comme sa souveraine, dont il est épris, dans les machinations de Don Salluste. Pour sauver l'honneur de la reine, Ruy Blas tue le félon puis s'empoisonne en emportant le pardon de la souveraine. Larousse] fait dire de la Savoie à son romantique héros :
  La Savoie et son duc sont pleins de précipices ! ...

 
Couverture du Petit Classique Larousse Ruy Blas. © Archives Larbor

  Les petits rois et les rajas de ces États arrosés par le Gange et le Brahmapoutre, avec d'innombrables affluents, surtout dans la partie la plus orientale du pays et autour des bouches du Gange, étaient toujours prêts à accueillir les transfuges, qui avaient l'imprudence de se confier à leur protection, ou les révoltés, les ambitieux, qui cherchaient un appui pour un coup d' État, ou pour un simple coup de main. Alamguir n'oubliait pas que Shuja, pour échapper à ses armes victorieuses, avait jadis trouvé un asile chez l'un d'eux, et qu'après avoir tenté de le soulever contre son frère, il avait payé de sa vie sa confiance en ce perfide allié. La nature même était hostile dans ces régions insalubres, fiévreuses, où la vie végétale ne connaît pas de repos, où s'abattent les pluies terribles des moussons sur la forêt dense et la jungle impénétrable, peuplées d'une faune redoutable.
  Dès le Moyen âge, les habitants de l' Assam avaient eu la réputation de dangereux bandits, qui mettaient en coupe réglée toutes les régions voisines. Ces peuplades barbares, Kochs ou Bodos, [ce peuple est reconnu comme " Scheduled Tribe ", tribus répertoriées, dans la Constitution indienne. "... Dans les années I970, des rébellions armées de groupes séparatistes comme l' United Liberation Front of Asom et le National Democratic Front of Bodoland apparaissent. À partir de novembre I990, le gouvernement indien mobilise l'armée indienne. Sur plus d'une décennie, des accrochages militaires de faible intensité accompagnés de quelques homicides politiques secouent l'État. Dans les années 2000, des partis sur base ethnique sont nés, les UPDS, DHD, KLO, HPCD, etc. une autonomie régionale a été accordée pour les Bodo avec le Domaine du Conseil Territorial du Bodoland et pour les Karbi dans le district du Karbi Anglong. Ces deux régions disposent en effet d'une forte identité culturelle et d'un retard de développement certain.(...) La plupart des Assamais sont de religion hindouiste, 64,9 %, et musulmane : 30,9 %. On a aussi des chrétiens, 3,7 %, ainsi que des sikhs, animistes et des bouddhistes : communautés de Khamti, Phake, Aito...,. De nombreux musulmans sont des descendants de réfugiés migrants Bengalis originaires du Bangladesh, et qui sont arrivés dans l'état Indien de l'Assam, en I970 et I97I, aux suites de la guerre d'Indépendance du Bangladesh. La plus grand ville d'aujourd'hui, et de loin, est Guwahati, avec plus de 800.000 habitants... "; sur le Web], vivaient dans les hautes montagnes qui encadrent la vallée du Brahmapoutre; ils y étaient inexpugnables, conservant les coutumes primitives que nulle civilisation moderne ne pourra jamais entamer. Périodiquement, ils descendaient dans la vallée, s'abandonnaient dans leurs canots au courant du fleuve et s'en allaient piller les riches districts du delta, où les rizières, les plantations de coton, les vergers de fruits nourrissaient une abondante et laborieuse population. Après quoi, avec leur butin, ils regagnaient les sommets escarpés des monts Garros ou Djaïntia, ou, plus sûrement encore, se retranchaient dans les marécages, parmi les rhinocéros, les éléphants et les buffles sauvages.

 

Le monde religieux de l' Assam, selon le recensement indien de 20II. Création : Semoziade.

  Quand les Musulmans se furent installés solidement dans le Nord de l' Inde et eurent assimilés une grande partie du Bengale, ils entrèrent immédiatement en conflit avec ces barbares, dont le voisinage constituaient pour eux un péril permanent. En réalité, les Mogols se trouvaient dépaysés, beaucoup plus encore qu'en Afghanistan, dans cette marche orientale de leur empire, pays de transition entre le monde hindou et l' Indochine. Aucun moyen de communication praticable; une population très nombreuse, mais divisée en groupes multiples par les fondrières [lieu souvent envahi par l'eau et généralement marécageux ; trou d'une route défoncée : bourbier / ornière. Larousse] et les marais; il faudra attendre deux ou trois siècles pour que les Anglais aménagent les chaussées et construisent les routes militaires qui réunissent les vallées entre elles. [les Britanniques pénétrèrent en Assam dans les années I820, à la suite des guerres contre la Birmanie, et l'annexèrent en I826] Une conquête régulière, malgré plusieurs tentatives, ne paraissait pas possible; aussi les prédécesseurs d' Aureng Zeb, après de sanglants échecs, durent-ils se contenter d'occuper les territoires de l' Ouest, au débouché des vallées. En I638, sous le règne de Shah Jahan, les Assamites descendirent une fois de plus le Brahmapoutre et dévastèrent toute la région qui entoure Dacca. Ils furent pourchassés par le gouverneur du Bengale, qui, en manière de représailles, ravagea à son tour ce qu'il put atteindre de leur pays.
  Mais la guerre des quatre frères offrit aux bandits de l' Assam une occasion favorable pour renouveler leurs raids contre la province mogole. Un historien musulman de l'époque, soucieux d'expliquer l'échec de cette campagne, et de réhabiliter les étendards du Prophète humiliés par un désastre sans précédent, a tracé un tableau très sombre des difficultés insurmontables auxquelles s'étaient heurtés les cavaliers et les éléphants de Mir Jumla : ' Toutes les fois, écrit-il, que leur pays a été envahi, les Assamites se sont retranchés dans de solides positions et ont épuisé l'ennemi par toutes sortes de ruses, de surprises et d'alertes, ne lui laissant jamais de repos et l'affamant. Ils refusent tout combat en rase campagne et emmènent les paysans dans les montagnes, après avoir brûlé les récoltes, faisant le désert autour de l'envahisseur. Quand survient la saison des pluies, ils reparaissent et harcèlent sans répit des troupes épuisés par la famine et la maladie. Plusieurs armées furent ainsi comme englouties dans un abîme auquel pas une âme n'échappa, tandis que les indigènes protégés par la jungle et les rives escarpées et boisées des rivières, défiaient toute surprise. "
  Malgré son intelligence et sa bravoure, Mir Jumla devait succomber là où avait échoué avant lui bien des chefs moins expérimentés. Et après cette retentissante défaite, les Grands Mogols abandonnèrent l' Assam à son destin : bientôt des dissensions intérieurs déchirèrent le pays et le livrèrent sans défense à ses ennemis de l'extérieur ou à de hardis aventuriers. Ce fut une longue époque de troubles et de massacres, pendant laquelle aucun prince, aucune peuplade ne se trouvèrent en sécurité. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'intervention de l' Angleterre, lors de l'expédition de Cornwallis [Charles Mann, second marquis de Cornwallis, I738-I805; Gouverneur général de l'Inde I786-I793, il et réforme l'administration et l'armée, Cornwallis Code, et défait l'armée de Tippou Sahib [ou Tipû Sultân I750-I799, sultan en I782, il succède à son père; 'un des principaux opposants à l'installation du pouvoir britannique en Inde ce qui lui valut le surnom de " tigre de Mysore ". (...) Tipû demeure toute sa vie un ennemi implacable de la Compagnie britanniques des Indes orientales. Il envoie des émissaires à des États étrangers, dont l'Empire ottoman, l'Afghanistan et la France, pour tenter de rallier l'opposition aux Anglais. Attendant plus de cette diplomatie qu'elle ne pouvait lui offrir, Tipû Sâhib décide d'envahir l'État voisin de Travancore, un protectorat britannique. La guerre va durer trois ans et aura pour conséquence une défaite retentissante pour Mysore, la défection de la France impliquée dans sa Révolution dès le début du conflit étant un facteur majeur de cet échec... "; sur le Web] lors de la 3ème des quatre guerres de Mysore : Inde du Sud. (...) de nouveau nommé Gouverneur général de l'Inde en I805, mais il meurt peu de temps après son arrivée à Ghazipur : Uttar Pradesh... "; sur le Web] rétablit un ordre relatif. Aujourd'hui l' Assam, pays du thé, avec sa flore magnifique, ses forêts de banyans, [arbre appartenant au genre Ficus de la famille des Moracées. Il doit son nom à la caste des marchands, les banians. La graphie anglaise banyan est privilégiée] ses deux cent cinquante espèces d'orchidées, n'a gardé aucun souvenir de cette sombre époque. Mais la fièvre rôde toujours autour de ses marécages et le Brahmapoutre déchaîné n'a pas cessé d’exercer ses ravages à travers ses campagnes. Sur d'immenses étendues désertes, on découvre à perte de vue des maisons en ruine, des décombres de palais et de temples, attestent encore l'ancienne puissance et la richesse d'un royaume qui s'est détruit par sa propre faiblesse. 
 

Charles Cornwallis recevant deux des fils de Tipû Sâhib en otage en I793. Robert Home, I752-I834. National Army Museum


Banian; ici, un puissant banian vivant à Macao. Forteresse de Macau. Crédit photo : Mo707

***

  En I660, après la défaite de Shuja et sa fuite précipitée de Dacca, où le général victorieux était entré le 6 mai, Mir Jumla se trouvait à la tête de troupes considérables, pourvues d'un matériel de guerre et d' approvisionnements importants, que cette victoire rapide laissait sans emploi. En outre, il se voyait au seuil de l' Assam, n'ayant devant lui que des débris d'armée démoralisés par le désastre où sombraient les ambitions de leur chef.

  À suivre...

   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. I80-I95. 
 
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