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La pluie tombe, serrée, sans interruption, nuit et jour. On constate une aggravation lente et continue du mauvais état sanitaire des chevaux. Chez les soldats les maladies se déclarent dans les bivouacs par suite de la diminution de la ration, de la suppression des légumes qui manquent complètement, et du mauvais painccxliii.
La nature se s'habitue pas aisément à toutes ces misères qu'il était si facile d'éviter. Les nôtres deviennent intolérables; on ne parle presque plus pendant les repas. Assis sur nos pliants, les pieds dans la boue, devant le quartier de cheval qui formera désormais toute notre nourriture, nous mangeons, mornes, tête basse. Plus de légumes, le sel va manquer et bientôt le pain qui diminue en ration comme en qualité. Ces aliments indigestes et répugnants accommodés à la graisse de cheval, il faut bien s'y habituer faute de mieux.
Au milieu de ce silence attristant, une voix s'élève pour signaler les incendies promis par nos ennemis. Ce sinistre spectacle se renouvelant tous les soirs, on ne se retourne même plus pour regarder ces dévastations. Pourquoi ruiner ces malheureux ? Par esprit de destruction et désir de pillage, car les Allemands font partir pour l' Allemagne de véritables convois de mobilier. Les Allemands ne peuvent le nier. Étant en captivité nous avons vu arriver dans une maison où étaient logés deux de nos amis presqu'un wagon entier bondé de butin fait en France, glaces, tableaux, meubles, etc.
Plus de fourrage et bientôt plus de grain pour les chevaux. Les feuilles et les brindilles s'épuisent rapidement. Ce régime ne peut durer, nos chevaux se mangent les crins et les poils, ils maigrissent à vue d'œil; nous les regardons, navrés, songeant à ce que nos bonnes et belles bêtes étaient encore, une quinzaine de jours, avant ce régime débilitant. Et la pluie qui inonde le bivouac !
On était à bout ! Des complots s'organisèrent secrètement. Les officiers arrivèrent en grand nombre, sans distinction de grades. Que de confidences échangées entre tant d'officiers valeureux, héros de Crimée, d' Italie, du Mexique et d' Afrique. Quelle belle confraternité d' armes ! Tous étaient résolus au sacrifice de leur vie.
Beaucoup demandèrent le secret des noms qui fut bien gardé, car ils craignaient pour leur situation, pour leur avancement, cela se comprend; mais tous étaient abreuvés de la même amertume; tous avaient le désespoir au cœur et le blâme sur les lèvres ! La solidarité était complète.
Guillaume II, Empereur de Prusse. Photographie des frères Prillot.
En rentrant au bivouac, on trouvait l' exaltation poussée à l'extrême limite. Comment parvenir à exercer une pression sur le maréchal ? Les plus exubérants ne pouvaient se contenir. Ils étaient nombreux ceux qui emportés par leur patriotisme ne voyaient que la France envahie, qui gémissaient, en chefs ardents, de voir l' armée chargée de la défense du sol, paralysée, humiliée, vouée à une destruction lente et certaine.
Parmi les orateurs, au premier rang se distinguaient le commandant Leperche, les capitaines Boyenval et Rossel, tous trois jeunes, déterminés, mais n'ayant pas l'autorité nécessaire pour entraîner les masses.
Ces " courageux officiers ", comme on les appelait alors, car ils jouaient leur tête en prêchant le salut de tous, voulurent tenter d'organiser cette révolution militaire qui était au fond la pensée et le désir de toute l'armée. ["... Une conspiration militaire s’était ourdie contre M. le maréchal Bazaine. C’est horrible, mais c’est vrai. (...) " 28 octobre I87I C’est la date de la publication du rapport. Dès cette époque, dans l’armée même, un comité de défense à outrance s’était formé. Ce comité, admirablement bien renseigné, et gagnant chaque jour du terrain parmi les officiers subalternes et supérieurs, avait, dès le I2 octobre, la certitude qu’une capitulation allait être signée par Bazaine, et entraînerait la reddition de l’armée et de la ville… Ce comité s’est insurgé au mépris de la discipline; ce sont des officiers criminels et pour qui, peut-être, le conseil de guerre serait mérité! nommèrent le général … l’idole de l’armée entière, commandant en chef des troupes soulevées, et donnèrent ordre à plusieurs officiers d’état-major et du génie de combiner un plan stratégique qui pût réunir en quelques heures, autour de Metz, les régiments rebelles à toute pensée de capitulation. Les officiers interrogés répondirent d’un chiffre de 20.000 hommes résolus, et la question de l’action immédiate ou de l’action postérieure à l’acte de la capitulation s’agita entre les membres du comité. Craignant d’effrayer beaucoup d’officiers dévoués aux idées de discipline aveugle. " (...) Vers le 11 octobre, c’est-à-dire à l’époque même où cette conjuration semblait réunir le plus de chances de succès, un jeune officier de l’armée publia, sous un nom supposé, une brochure violente… « Vers le I6, deux officiers du génie, membres du comité dont il a été parlé ci-dessus, MM. les capitaines Boyenval et Rossel... » Rossel ! messieurs, celui qui a payé de sa vie son crime contre la société ! « MM. les capitaines Boyenval et Rossel furent conduits chez le maréchal et, après un sévère interrogatoire, le premier d’entre eux, qui s’était exprimé sur la situation avec une franchise pleine de dignité, fut conduit par les mains de la gendarmerie dans l’intérieur du fort Saint-Quentin, afin d’y être gardé à vue ». Rossel a publié un livre dont je ne lirai aucun extrait, — le livre d’un criminel comme lui est une œuvre qui ne doit jamais se produire devant un conseil comme le vôtre, — mais j’y prends ce renseignement. Ils eurent, ces criminels insensés ! ils eurent la pensée, ils osèrent, ils commirent cet acte audacieux de se rendre chez le général Changarnier, pour lui demander s’il voulait être le chef de cette abominable insurrection militaire. Ah ! messieurs, je n’ai pas à vous dire comment ils furent éconduits et, dans le livre du condamné Rossel, je ne prends que ce mot: le général Changarnier s’écria : « Malheureux ! est-ce que vous voulez que je déshonore mes cheveux blancs ? » Voilà ce qui, se passait à Metz et dans le camp retranché. Voilà qu’elles étaient les facilités qu’on procurait au maréchal. Voilà, messieurs, ce qu’il faut savoir, quand on juge les actes d'un homme., ... "; Procès fait au maréchal Bazaine] Il s'agissait d'obliger le maréchal à agir promptement, car les vivres s'épuisaient et les forces diminuaient, ou à céder son commandement de gré ou de force.
Les premières conférences faites par les capitaines Boyenval et Rossel n'eurent qu'un petit nombre d'auditeurs. Les conférenciers furent acclamés, et si des chefs haut placés dans la hiérarchie avaient voulu prendre la tête du mouvement, le complot pouvait aboutir avant l'anéantissement de la cavalerie et des chevaux d'artillerie plus ménagés.
Toute l'armée voulait vaincre ou périr les armes à la main et non par la famineccxliv. On voulait se rendre utiles au pays, avant de succomber. Voilà tout !
C'était la seule raison d'être de l'armée française qui n'avait pas à s'occuper de restauration impériale, ni à voir quel était le régime de gouvernement que préfèreraient messieurs les Allemands. Sortir de ce " camp de la misère " où nous retenait la volonté d'un seul homme ayant perdu la confiance de tous les officiers et méprisé de son armée : tel était notre ardent désir, notre inébranlable résolution.
Des officiers de l'état-major général étaient avec nous à présent. Ils n'osaient plus nous recommander " d'être patients " affirmant que " le maréchal avait son plan et qu'il sortirait avec éclat quand il jugerait le moment opportun ". Ils réfléchissaient peut-être qu'ayant été trompés eux aussi ils nous avaient bercés d'illusions.
" Créé en I8I8, le corps d'état major est une arme spéciale, ouverte aux meilleurs élèves sortis de Saint Cyr qui ont réussi le concours de l'école d’État Major. Cette école, qui recrute donc des sous lieutenants, permet aux officiers de rentrer dans le prestigieux corps d'état major. Le corps de l'état major est composé d'un nombre déterminé d'officiers de chaque grade, en I868, 580 officiers, dont 35 colonels, 35 lieutenant colonels, 110 chefs d'escadrons, 300 capitaines et I00 lieutenants. Après des stages dans les différentes armes de l'armée durant environ 6 à 8 ans, l'officier d'état major, devenu capitaine, est affecté dans un état major constitué, ou sert comme aide de camp d'un officier général. Le corps d’état major, bien que prestigieux, fut longtemps critiqué pour former des officiers n'ayant qu'une médiocre connaissance de la troupe. En outre, les défaillances de l'État Major impérial en I870 mirent en évidence la nécessité de réformer l'institution et la formation des officiers. C'est en I878/I880, que la réforme fut achevée.,... "; sur le Web.
Les audacieuses conférences dont je viens de parler se renouvelaient souvent; on sondait le terrain pour augmenter le nombre des adhérents. Le concours de tous fut bientôt acquis, sans que le maréchal trouvât un partisan pour le défendre. S'il y avait eu un mouvement, aucune défaillance n'était à craindre. On allait au-devant des vœux de tous, chefs et soldats.
Le maréchal avait sa police particulière, il savait ce qui se tramais contre lui; il ignorait cependant que les généraux de Ladmirault d'abord, et Changarnier ensuite eussent été pressentis. Le secret avait été bien gardéccxlv.
C'est à la suite de ces réunions qu'il fit venir par ordre sous bonne escorte à son quartier général les capitaines Rossel et Boyenval; quand au capitaine Crémer, il ne fut pas inquiété. Ils furent introduits individuellement et sans armes dans le cabinet du maréchal. Il y eut, paraît-il, suivant le récit qui en fut fait par Rossel, une scène d'une violence inouïe. Le maréchal voulant les intimider, leur donna l'ordre de parler sur un ton moins élevé, et de modérer leurs expressions; ils ne pouvaient se maîtriser ni contenir leur indignation. Comme ils se sentaient à la veille d'un conseil de guerre dont la sentence serait la peine de mort, ils ne ménagèrent pas leurs paroles; leurs expressions ne connurent plus de bornes. Ils dirent violemment au maréchal ce qu'ils avaient sur le cœur, insistant avec force sur ses fautes et sur son abandon de l'Empereur. Puis ils affirmèrent qu'ils ne faisaient qu'exprimer l'opinion de toute l'armée et le jugement porté par elle sur le compte de son chef suprême.
Le maréchal les laissa parler. Personne dans son entourage ne lui avait jusqu'alors tenu un tel langage. Il ne prononça pas une parole. Était-ce crainte ou remords ? Ses inférieurs remarquèrent seulement que son teint habituellement coloré était en ces minutes d'une pâleur livide; et ils surprirent un tremblement nerveux très prononcé sur ses lèvres.
Rossel, en faisant ce récit, paraissait calme et sincère. Cette scène fut ignorée ou peu connue de la troupe.
Que s'est-il passé dans l'esprit du maréchal après la comparution de ces hommes devant lui ?
A-t-il craint une effervescence dans l' armée, en les punissant comme il en avait le droit et le devoir ? Ils attendirent avec calme la décision que le maréchal leur fit communiquer. Prenant en considération leur jeunesse, il se contenta de faire enfermer momentanément au fort de Saint-Quentin le capitaine Boyenval, le plus dangereux par son éloquence persuasive. Il ne voulut pas le poursuivre, bien que cet officier réclamât des juges par lettre et dans quelques journaux, dont les rédacteurs lui étaient dévoués.
En présence de l'aveu de Rossel très franc et plus mesuré, le maréchal le laissa libre, en lui " recommandant le calme ", ceci au grand étonnement du capitaine qui voulait partager le sort de son ami Boyenval. Cet acte de clémence fut d'ailleurs méprisé par Rossel qui, en voyant la situation de l'armée s'aggraver, exprimait le regret de n'avoir pas sauté sur le maréchal et essayé de l'étrangler. Il le répétait en toutes circonstances dans l'excès de sa douleur patriotique.
Cette action de Rossel et de ses amis n'a pas reçu l'approbation de tous les officiers qui en ont eu connaissanceccxlvi. Assurément, au point de vue de la discipline, c'était une tentative de rébellion, conduite ostensiblement par deux capitaines, mais dont on ne pouvait rendre toute l'armée responsable. Si elle partageait leurs sentiments, les preuves manquaient pour l'accuser; aucun mouvement ne s'était produit et aucun rapport ne la visait. Le maréchal saisit de nouveau ce prétexte pour se plaindre de l'indiscipline, sans d'ailleurs oser agir autrement qu'en vagues paroles.
Au sujet de la discipline, combien il est regrettable que le général Ambert,[Joachim Marie Jean-Jacques Alexandre Jules, dit le général baron Ambert, I804-I890; surtout connu comme journaliste et écrivain] cet écrivain militaire si distingué, ait partagé les sentiments du maréchal en préconisant " une cour martiale " pour l' armée de Metz.
Beaucoup d'écrivains hostiles à l'armée, faute de documents précis, ont exploité cette opinion erronée du maréchal pour rejeter ses fautes sur ses troupes éprouvées. Ils ont blâmé leur indiscipline, mais c'est le contraire qui eut lieu : si l'armée n'avait pas été retenue par le sentiment supérieur de la discipline, sans lequel il n'y a plus de cohésion, il lui était facile à ce moment de faire une révolution. Qui sait, quel aurait été le sort du maréchal ! Si un mouvement se fût produit, tous les soldats auraient suivis leurs officiers; le doute à cet égard n'est pas permis, notre chef le savait bien.
AMBERT Joachim, I848-I849. Source.
30 septembre.
Notre beau régiment est atteint en plein cœur : les ordres d'envoyer des chevaux à l'abattoir se succèdent. Comment dépeindre, comme nous le ressentions, les scènes qui se passaient alors ! Nos cavaliers dépossédés, tout d'abord par l’équarrissage des non-valeurs, ensuite par le tirage au sort entre tous les chevaux, se précipitaient sur leurs pauvres bêtes sacrifiées; ils les embrassaient aux naseaux, ne pouvant se séparer d'elles !
Et pourtant c'était l'ordre; il fallait obéir en cela comme en toutes choses. Cet affligeant spectacle devait se renouveler jusqu'à notre dernier cheval : tous y passèrent ! ceux qui restent, en attendant leur tour, ne supportent plus guère la fatigue; un peu d'avoine et un abri les remettraient bien vite. Ces pauvres animaux ont un respect pitoyable, avec leurs crins ravagés et leur maigreur squelettique !
Notre bivouac de l'île Chambière était bordé sur la route d'une rangée de hauts peupliers séculaires, gros comme des tonneaux; on avait attaché des cordes à ces arbres pour y fixer les entraves. Nos chevaux se mirent d'abord à ronger l'écorce, puis à entamer les arbres à tel point que l'on dut abattre ceux-ci par mesure de sécurité. Ces arbres à terre finirent par disparaître avec leurs branches émiettées et mangées, relativement en peu de temps, par ces misérables chevaux affamés. Pauvres compagnons ! Ces espèces de squelettes animaient conservaient encore un peu d'énergie; nos soldats dans leur sollicitude se privaient souvent de leur ration pour eux.
I er octobre.
La pluie tombe toujours. Notre inaction reste la même.
2,3 et 4 octobre.
Rien de changer depuis le Ier. Le 3 fut une journée de grande inquiétude pour les habitants de Metz. De grands préparatifs se font du côté prussien pour un bombardement général. Un parc de siège était achevé pour réduire l'armée et la population, en couvrant de bombes le camp et la ville. L'adversaire n'ignorait pas que l'artillerie des forts était impuissante à lutter contre ses gros canons Krupp, et à empêcher la destruction de la ville.
Les habitants veillaient nuit et jour, toutes les voitures furent réquisitionnées pour transporter du sable à l'arsenal et dans les rues de la ville. L'armée pensait enfin que cette attaque ferait sortir le maréchal de son engourdissement, elle l'attendait presque avec impatience.
Ce fut une fausse alerte. On savait à l'état-major que rien ne serait tenté avant le retour du général Bourbaki; on laissa faire ces préparatifs sans que le conseil municipal fût averti ni l'armée. N'était-ce pas étrange ?
Les habitants se sentaient perdus, entraînés par l'inaction incompréhensible du maréchal. De notre côté, les murmures devinrent si violents que les généraux poussés à bout, sans crainte du maréchal, ayant perdu toute retenue, exprimèrent leurs sentiments avec la plus grande amertume. C'était la première fois que ces chefs étaient mis en cause; le maréchal, prévenu de ce qui se passait, voulut connaître le nom des manifestants, il n'eut que des soupçons, aucune enquête n'aboutit.
5 octobre.
Cette rumeur continue fit réfléchir Bazaine toujours irrésolu; il n'agissait plus seul, selon son inspiration. Les commandements de corps furent réunisccxlvii; il déclara que l'armée du Rhin se trouvait " dans la situation la plus difficile "; qu'il tenait à s'éclairer de leurs avis de leurs conseils; il se fit très humble. La parole fut ensuite donnée au plus jeune en grade, au général Desvaux qui ne savait pas dissimuler sa pensée.
Le général Desvaux, récemment nommé au commandement de la garde, s'exprima énergiquement avec une irritation mal contenue. Sa parole sèche et cassante impressionna le maréchal. Mais, selon sa coutume, il n'en fit ni plus ni moins.
Les autres commandants de corps déclarèrent hautement que l'on avait trop attendu; que le chef de l'armée encourait une grande responsabilité personnelle en laissant l'armée en repos, alors qu'elle aurait pu remporter des succès; que ses forces s'épuisaient; qu'il était urgent d'attaquer et de sortir de Metz.
Il fut décidé qu'une tentative de sortie se ferait par la vallée de Thionville; le plus grand silence devait être recommandé en attendant les ordres de mouvement.
Mais à Metz aucun secret ne pouvait être gardé, les espions étaient partout. Les conclusions de cette conférence furent connues avant la sortie des commandants de corps du quartier général. Comment cela pouvait-il se produire ? On soupçonna la domesticité de se mettre en relation avec les émissaires.
Quand le bruit d'une sortie se répandit, ce fut comme une explosion de contentement; on sentait que l'élan serait irrésistible.
6 octobre.
Des mesures de précaution furent prises sur-le-champ pour éviter des indiscrétions; la surveillance redoubla aux avant-postes et sur la ligne des vedettes, personne ne devait franchir l'enceinte; les ordres étaient rigoureux, les consignes furent observées. Qu'allait-il se passer ? Était-ce encore une fausse sortie comme les précédentes ? On le pressentait sans oser l'affirmer. On songeait à l'incident Régnier et au départ du général Bourbaki. Le maréchal avec sa politique n'était pas libre de ses actions; tout cela se répétait au grand jour. Si c'était une tentative désespérée comme on la comprenait, comme on la désirait, il fallait réussir coûte que coûte. L'artillerie n'était pas encore entamée sérieusement, on avait ménagé ses chevaux aux préjudice de ceux de la cavalerie.
Les dispositions de l'armée étaient telles que celle-ci eût beaucoup pardonné au maréchal, s'il eût voulu tenter sérieusement de briser le cercle. Quel encouragement pour les armées qui se recrutaient sur le territoire en voyant arriver à leur secours les soldats de Metz, quel qu'en soit le nombre. Hélas ! rien de semblable ne devait se produire; la résolution aveugle du maréchal était arrêtée à l'avance. Il ne voulait pas déplaire au prince Frédéric-Charles qui l'endormait, se jouait de lui, faisait miroiter à ses yeux une convention imaginaire, pour gagner du temps, jusqu'à épuisement complet de toutes les vivres renfermées dans la place, chevaux comprisccxlviii !
La conduite de Bazaine paraissait étrange à presque tous les officiers, et cependant aucun chef de corps ne fit une démarche auprès de lui pour lui forcer la main. Nous autres, les humbles, nous commentions durement cette obéissance passive des grands chefs... mais quoi, l'humanité n'est pas parfaite, et il ne faut pas se brouiller avec le dispensateur des récompenses. C'est pour ce motif que beaucoup d'officiers supérieurs qui pensaient comme nous évitèrent de se mettre en avant afin de ne point se compromettre. À cela rien à dire, il suffit d'être correct; tous les tempéraments n'ont pas la même ardeur d'expansion tout en ayant la même bravoure.
Le combat qui va s'engager sera le dernier de la campagne, aussi infructueux que les précédents; l'ardeur guerrière de nos soldats sera arrêtée dans son élan; ils rentreront dans leurs bivouacs où ils se consumeront de chagrin, en attendant la catastrophe finale.
XXVIII
LADONCHAMPS. DERNIER COMBAT. VICTOIRE ET RETRAITE
7 octobre.
Après trente-set jours d'inaction et de repos, et quel repos !, vécus par nous dans l'angoisse, le maréchal se décide enfin à tenter une action dans la vallée de Thionville.
À suivre...
ccxliii. Le nombre des malades ne cesse de s'accroître, ainsi, que celui des morts journaliers..., le typhus, la variole, la dysenterie, le scorbut sévissent; la pourriture d'hôpital emporte un grand nombre de blessés. LEHAUTCOURT, VII, 307. D'après le docteur GRELLOIS, médecin en chef de la garnison, le nombre total des blessés et malades atteint 40.000 à la fin du siège.
ccxliv. Néanmoins l'armée est susceptible d'un vigoureux effort vers le 25 septembre. LEHAUTCOURT, VII, 309.
ccxlv. Le général Jarras prétend au contraire que probablement Ladmirault rendit compte à Bazaine des avances qui lui avaient été faites, et que quant à Changarnier, il a certainement fait savoir ou dit lui-même au maréchal qu'il avait reçu des propositions par l'intermédiaire des capitaines Rossel et Boyenval. C'est à la suite de ce révélations que ces deux officiers auraient été arrêtés. JARRAS, loc. cit., 388. Ces évènements se passaient vers le I6 octobre.
ccxlvi. L'indignité du chef ne peut autoriser les subordonnés à lui donner un remplaçant, même par une voie détournée. Ce serait rompre les liens de la discipline au moment où ils doivent être resserrés avec le plus de rigueur. La situation est affreuse, mais elle est sans issue. Comment exiger des subalternes une obéissance dont on se serait affranchi vis-à-vis du chef suprême ? LEHAUTCOURT, VII, 400.
ccxlvii. C'est le 4, à 4 h. 30 du soir, que se tint le conseil de guerre. Bazaine expose un projet de sortie par les deux rives. Après des objections du maréchal Lebœuf l'accord paraît se faire et on se sépare, le maréchal devant envoyer des instructions. Les objections soulevées contre le projet du maréchal par Lebœuf, Ladmirault et Coffinières ébranlent la résolution de Bazaine si tant est qu'il en ait pris. Ce projet de sortie sera définitivement abandonné le 6 octobre. voir LEHAUTCOURT, loc. cit., VII, 320-325.
ccxlviii. D'après LEHAUTCOURT, VII, 323-324, l'abandon du projet de sortie serait dû aux observations du général Coffinières et du maréchal Lebœuf, et surtout au fait que des journaux allemands, tombés entre nos mains dans un combat d'avant-postes, font croire au maréchal que la résistance de Paris va toucher à sa fin. Dès lors, pourquoi risquer une sortie aventureuse, et ne pas attendre patiemment un dénouement qui s'annonce très proche ?
COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l'Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. 272-282.
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