" Mais l'essentiel de cet infernal catalogue des menaces a été finalement authentifié par " l'ensemble de la communauté scientifique ", certifié par les États et les institutions internationales; il se voit à la fois promu par les médias, enchantés d'avoir à cultiver un " marronnier " si fructifère, et consacré par l'investissement industriel dans le " développement durable ". (...) L'ambition affichée des experts catastrophistes étant d'ouvrir de tels " débats ", on ne saurait être surpris qu'ils voient là comme le début d'une " prise de conscience ". On s'étonne plus qu'en jugent de même des gens qui pour leur part ne sont pas des experts, et qui vont parfois jusqu'à se déclarer ennemis de la société industrielle. "
" La dégradation irréversible de la vie terrestre due au développement industriel a été signalée et décrite depuis plus de cinquante ans. Ceux qui détaillaient le processus, ses effets cumulatifs et les seuils de non-retour prévisibles, comptaient qu'une prise de conscience y mettrait un terme par un changement quelconque. Pour certains ce devait être des réformes diligemment conduites par les États et leurs experts, pour d'autres il s'agissait surtout d'une transformation de notre mode de vie, dont la nature exacte restait en général assez vague; enfin il y en avait même pour penser que c'était plus radicalement l'organisation sociale existante qui devait être abattue par un changement révolutionnaire. Quels que fussent leurs désaccords sur les moyens à mettre en œuvre, tous partageaient la conviction que la connaissance de l'étendue du désastre et de ses conséquences inéluctables entrainerait pour le moins quelque remise en cause du conformisme social, voire la formation d'une conscience critique radicale. Bref, qu'elle ne resterait pas sans effet.
Contrairement au postulat implicite de toute " la critique des nuisances ", selon lequel la détérioration des conditions de vie serait un " facteur de révolte ", force est de constater que la connaissance toujours plus précise de cette détérioration s'intégrait sans heurts à la soumission et participait surtout de l' adaptation à de nouvelles formes de survie en milieu extrême... "
RIESEL René/SEMPRUN Jaime, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Éditions de l'Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2008, p. 20-2I.
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La crise agricole épingle la fausse route de la lutte contre le réchauffement climatique
C’est peut-être prétentieux de l’affirmer, mais il y a une règle
immuable en démocratie : à trop secouer les principes économiques, les
choix politiques finissent toujours mal. Ce peut être un échec coûteux,
une remise en cause plus ou moins discrète, ou des conséquences
électorales sévères. La crise agricole révèle les sérieuses dérives de
la lutte contre le réchauffement climatique.
Face aux manifestations qui se multiplient un peu partout en Europe,
la Commission vient d’abandonner une partie importante de son Pacte
vert. Ce plan a été approuvé par tous les gouvernements des pays
membres, avant d’être rejeté par le Parlement européen en novembre
dernier en ce qui concerne la réduction de l’usage des pesticides. Mais
les défauts du pacte sont plus profonds, c’est toute la stratégie qui
est en question.
Un petit détour sur les principes économiques. Réduire les pollutions
est un vieux problème bien étudié. Il y a trois approches possibles. La première est d’appliquer la règle du pollueur-payeur. Il s’agit
d’imposer des taxes aux émissions indésirables, histoire de décourager
les producteurs et les consommateurs, et d’encourager des productions
alternatives. La seconde, c’est l’idée de subventionner les pollueurs
pour qu’ils polluent moins ou pas du tout. La troisième, c’est
d’interdire purement et simplement les pollutions au moyen de
réglementations.
La première solution est la bonne. Il suffit de mesurer et taxer les
pollutions à tous les stades de la production, comme on le fait pour la
TVA. Le prix du produit final, qui reflète le contenu en pollution de
chaque bien et de chaque service, augmente et conduit les consommateurs à
chercher des alternatives. Les producteurs s’efforcent de satisfaire
cette nouvelle demande, souvent en innovant. La taxe peut être faible au
départ, puis augmentée progressivement pour obtenir l’effet souhaité.
Cela donne le temps aux producteurs et aux consommateurs de s’adapter.
La taxe produit des revenus pour l’État qui, en principe, doivent être
utilisés pour aider les producteurs et les consommateurs les plus
fragiles à s’adapter, y compris en offrant des nouveaux services
publics.
La deuxième solution est à la fois coûteuse pour les finances
publiques et d’une grande complexité. Il faut choisir les activités que
l’on veut réduire et celles qu’on veut encourager. C’est compliqué parce
qu’il faut déterminer toute la chaîne de production et envisager toutes
les échappatoires. Surtout, il faut détecter les mesures les plus
efficaces, celles qui réduisent le plus les émissions au moindre coût.
Les possibilités de se tromper sont immenses, d’autant plus que, bien
sûr, les lobbies sont à la manœuvre pour récupérer la manne. Il faut
enfin trouver de quoi financer les subventions, soit en augmentant les
impôts, soit en coupant dans les dépenses publiques, soit en laissant
filer la dette.
La troisième solution est en apparence gratuite, puisqu’ interdire ne
coûte rien. C’est une illusion. Certes, au départ, il n’y a aucune
implication budgétaire, mais chaque réglementation implique une
multitude de coûts. Les entreprises visées par une réglementation
doivent soit s’arrêter, soit s’adapter, ce qui leur coûte très cher et
se retrouve dans les prix subis par leurs clients, entreprises et
consommateurs. En réalité, c’est une autre forme de taxe carbone, mais
elle est inefficace car elle ne reflète pas fidèlement le contenu en
carbone. En effet, comme pour les subventions, il faut choisir ce qui
est interdit ou réglementé, et comment c’est réglementé. Ce sont là des
choix techniquement complexes et souvent arbitraires, soumis à toutes
sortes de demandes d’intérêts particuliers, défendus entre autres par
des multitudes d’ONG souvent mues par des considérations idéologiques.
L’interdiction des vols courts en avion ou des locations d’appartements
mal isolés sont deux exemples de l’arbitraire de ces choix. De plus,
parce qu’elles imposent des coûts très lourds, ces mesures sont
inéluctablement suivies de compensations financières qui apparaissent
dans les budgets des gouvernements, comme on vient de le voir avec les
400 millions d’euros promis aux agriculteurs.
Le Pacte vert est œcuménique, puisqu’il adopte les trois solutions.
Le système d’échange des quotas d’émissions correspond à la première
solution. C’est une taxe carbone partielle prélevée sur les grandes
entreprises dans certains secteurs d’activité. Il rapporte environ 40
milliards d’euros par an, soit 0,2 % du PIB de l’UE, ce qui est faible.
Un Fonds social pour le climat est destiné à aider les ménages et les
PME dans leur transition. Le système est appelé à être étendu et à
continuer à devenir plus onéreux pour les pollueurs. À terme, ce
pourrait être la bonne solution, à condition de concerner tous les
pollueurs. On en est loin, le système a couvert 37% des émissions en
2022. Que diront les agriculteurs, entre autres ?
Les subventions sont d’une tout autre ampleur. Toute une gamme de
programmes très détaillés vise à atteindre zéro-émissions en 2050, avec
des objectifs d’étape. Il est question de développer l’hydrogène vert,
de construire des infrastructures de transport, de financer des projets
de R&D, de développer la capture de carbone ou de rénover les
bâtiments. Mais combien cela va coûter et qui paiera quoi ? La Commission se garde bien de le dire. Des évaluations circulent, mais
l’incertitude est totale. Cela représente un vaste programme de
politiques industrielles, qui nécessite une levée partielle de
l’interdiction des aides publiques au sein du marché unique.
Quant à la troisième solution, celles des règlementations et des
interdictions, elle est désormais bien développée en Europe. Deux
exemples symboliques sont la fin de la commercialisation des véhicules à
moteurs thermiques en 2035 dans l’UE et la décision par les Pays-Bas de
réduite le cheptel bovin de moitié. La première mesure est destinée à
être levée parce qu’irréalisable. La seconde mesure a créé un séisme
politique, l’émergence d’un parti politique des paysans et la victoire
de l’extrême droite aux dernières élections législatives. Et, bien sûr,
la suspension de nombreuses mesures de ce type sont en tête des
revendications des agriculteurs qui manifestent.
Montrés du doigt pendant des années comme des pollueurs invétérés,
les agriculteurs ont gagné des points en dénonçant l’impact du pacte
vert sur leur activité. Les concessions qu’ils ont obtenues sont
décriées par les écologistes comme un gigantesque retour en arrière,
mais des mesures qui paraissaient aller de soi sont apparues injustes et
même mal conçues. Certes, l’agriculture est une activité
particulièrement polluante, mais l’approche n’est pas la bonne.
Les écologistes feraient bien de prendre garde. Instinctivement
hostiles aux considération économiques—au point pour certains d’entre
eux de prôner la décroissance — ils contribuent à allonger la liste des
restrictions à imposer « en urgence ». Ils semblent souvent insensibles
aux difficultés que créent ces mesures, sûrs d’avoir raison et
convaincus que la fin justifie les moyens, parce qu’il s’agit de
« sauver la planète ». Ils rejettent l’idée que ce sauvetage peut être
achevé autrement, de manière beaucoup plus efficace au point de vue
économique et moins douloureuse socialement. Ils avaient gagné la
bataille de l’opinion publique, comme en témoigne le Pacte vert, mais la
crise agricole n’est pas la seule menace.
Au fur et à mesure que les mesures restrictives se mettent en place,
leurs inconvénients deviennent de plus en plus visibles, et la
frustration de ceux qui sont pénalisés monte. La mode du « sauver la
planète » cède du terrain à une récupération politique des frustrations.
Les partis politiques extrémistes, en général de droite, le perçoivent
bien. En France comme aux États-Unis et ailleurs en Europe, y compris
dans les pays scandinaves traditionnellement attachés au compromis et à
la modération, les équilibres politiques bougent. Les écologistes
protestent sans se remettre en question.
Pour leur part, ayant mis des années à reconnaître la gravité du
changement climatique, les partis à vocation de gouverner, de gauche
comme de droite, hésitent à prendre un nouveau virage maintenant qu’ils
sont allés loin dans les deux mauvaises solutions. Pourtant, ce serait
simple.
La première solution, celle du pollueur-payeur et des aides ciblées
sur les personnes fragiles et les entreprises qui, comme les
agriculteurs, suivent des modèles obsolètes, est toujours disponible.
Mais elle requiert un doigté politique apte à ne pas réveiller les
Gilets jaunes. Le plus difficile est, comme toujours, de reconnaître
s’être trompé. Cela vaut pour les politiques, pour les milliers de
technocrates arcboutés sur des programmes d’une complexité qui les
ravit, et aussi, pour les intellectuels qui ont noirci bien des pages
destinées à devenir embarrassantes.
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