L’ AGONIE D’ UNE ARMÉE, METZ – I870, JOURNAL DE GUERRE D’UN PORTE-ÉTENDARD DE L’ ARMÉE DU RHIN, ÉPISODE XXVI

Précédemment
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  C'était l'aveu officiel de notre impuissance que, du reste, notre implacable ennemi connaît bien, puisque des relations ont été établies entre lui et le maréchal, au moyen des parlementaires. Ceux-ci s'adressaient toujours au capitaine Arnous-Rivière, commandant une compagnie franche aux postes avancés, dans la direction de Frescaty, [plateau situé au sud de Metz; " Grandiose lieu d’habitation construit en I7I2, pour, et par l’évêque de Metz, Mgr duc de Coislin, ce petit Versailles messin était une demeure princière avec des jardins et des bosquets réputés. Marie Leczinska y séjourne en I728, avant de devenir Reine de France. Le château de Frescaty est revendu en I789 à un maçon qui s’en sert de carrière, et ses grilles en fer forgé sont même utilisées comme piques à la Révolution ! C’est dans une des salles de réception de la propriété reconstruite en I829, qu’est signée la triste capitulation de l’Armée française en I870 !  Le site devient alors une base aérienne allemande, avec l’arrivée en I909 d’un zeppelin. Les bâtiments du château ayant résisté aux bombardement français de I4-I8 sont entièrement détruits par les bombardements américains en I945 et le site devient par la suite la Base Aérienne I28, BA I28, de Metz-Frescaty, dissoute le 2I juin 20I2. Source : Frescaty, le Versailles messin, Albert Haefeli "; sur le Web] quartier général du prince Frédéric-Charlescclxi
  Ce poste de la plus haute importance était occupé par cet officier démissionnaire de l'armée active, qui fit beaucoup parler de lui par son activité. Cet emploi surprenait et causait aux officiers de l'infanterie de l'armée active un véritable étonnement. Ce capitaine de francs-tireurs, n'appartenant pas aux cadres réguliers était chargé par le maréchal des missions les plus importantes; c'est lui qui introduisit ce Régnier, que l'on n'a pas revu depuis, et dont le général Bourbaki a su déjouer les projets. Cet emploi était très commenté parmi nous. Il est bon de le signaler, sans nous livrer à d'autres appréciations, car on savait le capitaine Arnous-Rivière très brave soldatcclxii.  
 
 
   Mais cette réunion des chefs avait un but dans l'esprit du maréchal. Il fallait engager leur responsabilité en leur faisant signer le procès-verbal de la séance. Cette signature, pensait le maréchal, serait une preuve qu'ils approuvaient sa conduite passée.
 
I6 octobre.
 
  Comme suite à la réunion du I0 octobre au Ban-Saint-Martin, le général Boyer, aide de camp du maréchal, a été désigné pour aller à Versaillescclxiii conférer avec le roi de Prusse et le comte de Bismarck, afin de connaître leurs intentions au cas d'un arrangement avec l'armée de Metz. On remarquera que dans tout cela il n'est pas question du Gouvernement de la Défense Nationale qui dirige la France.
  Le général Boyer, munit d'un sauf-conduit, est parti, accompagné de deux officiers supérieurs de l'armée allemande ayant pour mission de ne le laisser communiquer avec aucun Français et d'empêcher qu'il reçoive des journaux français en cours de route. Il fut étroitement surveillé.
  À son retour, nous rendrons compte de sa mission, si elle arrive à la connaissance de l'armée.
 
I7 octobre.
 
  Je crois avoir suffisamment fait connaître ce qui se passait au bivouac au point de vue de l'installation, sur ce terrain détrempé qui obligeait nos soldats à s'ingénier pour consolider leur insuffisante tente-abri. Ils ne pouvaient arriver à faire sécher leurs effets, ni à les nettoyer. Il s'est cependant trouvé un certain M. de Valcour, officier de mobiles, ["... Eh bien ! oui, il y a eu là-bas une conspiration militaire. Dans la triste lettre de M. d’ Andlau que je vous ai lue, cet officier se fait gloire d’en avoir été l’un des auteurs. Et il n’est pas le seul. On a fait un rapport à Tours. Ce rapport émanait de l’un de ceux qui avaient porté la dernière dépêche, la dépêche du 2I, de M. de Valcourt, — qui prend, sans droit, le titre d’officier d’ordonnance de M. le maréchal Bazaine, et qui était simplement un interprète attaché du général Blanchard,— de M. de Valcourt, que le ministère public n’a pas jugé utile d’appeler ici, et je le comprends: il y a des hommes qu’il vaut mieux laisser hors de l’audience... Eh bien! au moment où la proclamation si cruelle que je vous lisais hier était publiée par le gouvernement de Tours, on insérait un rapport qui courait aussi le monde, et, dans ce rapport de M. de Valcourt, qui paraissait comme un document officiel autorisé par le gouvernement de Tours,... "; Procès Bazaine, I873] attaché à l'état-major, pour écrire qu'à l' " armée de Metz, la tenue était négligée. "; que l' " armée était indisciplinée. ". Si ce Monsieur existe encore, je serais heureux qu'il prenne connaissance de l'appréciation de nos chefs de leurs soldats; il reconnaîtrait son erreur et regretterait sans doute ses affirmations.
  Certes, tout n'était pas parfait à l'armée de Metz; nous avons connu des jeunes officiers surpris de leur rapide avancement, à la suite de pertes éprouvées dans leurs régiments; caporaux hier, sergents aujourd'hui, sous-lieutenants demain, ils ont pu avoir de bruyants éclats de joie en présence de cette fortune inespérée; tout se bornait là. Ces jeunes gens étaient passés par de rudes épreuves; ils voulaient profiter de quelques bons moments pour se réjouir avec leur première mise d'officier, avant de partager, peut-être, bientôt, le sort de ceux qu'ils remplaçaient. 
 
I8 octobre.
 
  Les vivres s'épuisent; les habitants de Metz sont désespérés; les marchés ne sont plus approvisionnés. Des perquisitions sont exercées inopinément à domicile; ce régime paraît très pénible aux familles qui ne s'y résignent que contraintes et forcéescclxiv. Ces façons de procéder augmentent le mécontentement général envers l'armée.
  Dans le commerce nous avons vu qu'il ne restait plus rien : ni sucre, ni café, ni tabac, tout est consommé.
  Les journaux s'impriment sur du papier à sucre, à chandelles, blanc, bleu; peu importe la couleur, on utilise tout.
  Sur les places de la ville, des groupes se forment, on discute ferme, les habitants font de la politique. Dans la soirée on a abattu l'aigle du drapeau qui flottait à l' Hôtel de Ville. En présence de cette armée vaincue par la famine, certains journaux ne se gênent plus pour agiter la population et l'aigrir contre la troupe rendue par eux responsable des malheurs dont la cité est menacéecclxv.
 
I9 octobre.
 
  Chaque journée écoulée aggrave la situation de l'armée par suite de la réduction des vivres et des nombreuses maladies qui se déclarent. Bourbaki ne donne aucune nouvelle de lui. Le général Boyer n'est pas encore près de revenir, aucune résolution ne peut être prise avant le retour d'un de ces deux généraux.
  Enfin, le bruit se répand que le général Bourbaki a vu l'impératrice; qu'elle a été admirable, se résignant à l'exil et à la perte de la dynastie, renonçant à l'avenir de son fils, plutôt que de " voir une restauration impériale appuyée par les baïonnettes prussiennes ". En agissant ainsi, a-t-elle ajouté, elle faisait des vœux pour la France et espérait éviter la guerre civile qui ne manquerait pas de se déchaîner en présence de la division des partis.
 
BOURBAKI Charles, général. Source
 
  Le général Bourbaki ayant appris de l'impératrice qu'elle n'avait jamais entendu parler de Régnier, s'est aperçu que le maréchal avait été mystifié par un espion. Il décida de ne plus rentrer dans Metz, et vint offrir ses services au Gouvernement de la Défense Nationalecclxvi
  Continuons à retracer les phases du grand drame qui se joue autour de Metz. Pendant ces pourparlers qui, sous un chef correct, n'auraient jamais dû avoir lieu, l'armée s'épuise de plus en plus. La nourriture est mauvaise et insuffisante, le soldat, transi de froid, couche sur un sol détrempé, boueux; des pluies incessantes transforment cette plaine argileuse en marécage. Nous restons engourdis dans nos vêtements mouillés; les nuits sont glacées, longues, tristes !
  L'habillement s'usant promptement en de telles conditions tombait en loques. Cependant les magasins militaires à Metz contenaient des stocks considérables de draps divers.
  Je les ai vus, je les ai touchés, puisque M. l'intendant Joba, a bien voulu me livrer des manteaux et des pantalons neufs pour les besoins du régiment, alors qu'à côté de nous, on voyait des livraisons de pantalons de zouaves ou autres, maculés de sang, provenant de Reichshoffen, ou des débris d'habillement provenant des batailles autour de Metz. Peut-être n'y avait-il que peu de confections rapidement enlevées ? Quoi qu'il en soit, tous ces approvisionnements de draps magnifiques furent livrés aux Prussiens à la capitulation, et nos malheureux soldats grelottèrent en captivité par 25 et 30 degrés de froid dans leurs loques rapiécées ! 
  Les grandes bottes en cuir fauve, imitation de celles des cuirassiers blancs, que portaient un grand nombre d'officiers ne garantissaient plus les jambes; le cuir mal tanné devenait spongieux, gardait l'humidité, de sorte qu'on ne pouvait souvent plus se déchausser. Ces détails donnent un aperçu de l'état dans lequel nous croupissions.
  Des rapports sanitaires furent adressés au maréchal. Il s'ensuivit une nouvelle réunioncclxvii pour chercher une amélioration à la situation; il était trop tard, le mal était irréparable. 
  Le maréchal n'avait plus rien de cette fierté hautaine qu'il affectait de prendre à l'égard de certains de ses lieutenants depuis qu'il était le maître de l'armée. Le général Jarras n'avait avec lui que des rapports de service très tendus et n'était même pas consulté pour des affaires dont il se sentait moralement responsable. Le fardeau que le chef de l'armée avait assumé était reconnu tellement au-dessus de ses moyens, que des commandants de corps ne lui trouvaient même pas les aptitudes nécessaires pour diriger les débats dans les conseils, pas plus que pour des questions techniques; il faisait l'effet d'un malheureux se cramponnant à son commandement.
  Des chefs énergiques élevèrent la voix dans cette réunion, et prononcèrent un véritable réquisitoire contre le maréchal sans qu'il osât retirer la parole au général Desvaux, par exemple, qui paraissait le plus indigné et lui dit sans ménagement de dures vérités.
  On lui reprocha d'avoir conduit l'armée à sa ruine, d'avoir abandonné ses soldats sans se montrer à eux, depuis deux longs mois, de n'avoir jamais visité les blessés. Il se départit cependant de son calme apparent, quand le général Changarniercclxviii lui dit que la liberté qu'il avait laissée à Rossel [Louis Nathaniel, I844-I87I, capitaine; à la capitulation le 29 octobre I870, il s'échappe pour rejoindre le gouvernement provisoire basé à Tours, traversant la Belgique où il est le premier à dénoncer la trahison du maréchal Bazaine. Grâce à un ami polytechnicien, il parvient à rencontrer Léon Gambetta, qu'il tente de convaincre de poursuivre la résistance, déjà en faveur de cette idée. Cependant, Gambetta est désavoué au sein de son gouvernement. Le 22 mars I87I, il devient le chef de la I7e légion de la Commune, puis le 3 avril, il est nommé chef d'état-major de la Commune. Convaincu que l'organisation est essentielle, il devient président de la cour martiale le I6 avril, mais démissionne le 24 avril en raison du manque de moyens et d'écoute. La Commune le nomme délégué à la Guerre le 30 avril en remplacement de Cluseret, mais les ressources sont insuffisantes, et l'armée des Communards manque de préparation au combat. Après son arrestation, Rossel tente de fuir avec son ami Gérardin. Blessé lors d'une chute de cheval, il se cache à Paris jusqu'au 7 juin dans l'hôtel de Montebello sur le boulevard Saint-Germain. Capturé par les Versaillais, il déclare préférer être " du côté des vaincus, du côté du peuple ". Jugé deux fois par les Versaillais, malgré le soutien de sa famille, d'étudiants parisiens, de notables de différentes villes, de responsables protestants, de Victor Hugo, du colonel Pierre Denfert-Rochereau, et de nombreux intellectuels, Rossel est fusillé le 28 novembre I87I, à l'âge de vingt-sept ans, au camp de Satory, aux côtés de Théophile Ferré et du sergent Pierre Bourgeois] était employée à recueillir des adhésions pour tenter un coup de main contre lui. Alors il entra dans une grande colère, voulut faire arrêter Rossel et le faire condamner à être passé par les armes. Ses amis, ses fidèles — car malgré tout il en avait encore — lui firent remarquer qu'il était trop tard; que, dans l'état d'esprit où se trouvait l'armée à son égard cette arrestation serait l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres.
   
ROSSEL Louis, photographié par Eugène Appert, Paris, musée Carnavalet, I87I. 
 
  Le général Boyercclxix étant de retour, c'est dans ce conseil qu'il fit connaître le résultat de son voyage à Versailles. Pendant le trajet, il avait été l'objet d'une surveillance rigoureuse; il avait cependant pu obtenir quelques renseignements du maire de Bar-le-Duc [Lorraine, Meuse; suite à la défaite de la France, Bar-le-Duc fut à nouveau occupée jusqu'au 23 juillet I873. En tant que ville frontière avec l'Empire allemand, elle accueillit à partir de I880 une garnison imposante comptant 2 000 hommes; en I872, elle comptait une population de I5 I75 habitants, aujourd'hui : I4 668, INSEE 202I] qui se trouvait à la gare au passage de son train. Il était arrivé à tromper pour de courts instants la surveillance des officiers allemands. À Versailles il fut reçu par le comte de Bismarck, qui lui fit un noir tableau des évènements en France, d'ailleurs complètement en contradiction avec ce que lui-même avait appris par surprise en cours de route, du maire de Bar-le-Duc; Bismarck dit au général :
  " Que la France était en complète décomposition; que son Gouvernement était en désaccord et divisé en deux, une partie enfermée à Paris, l'autre réfugiée à Tours; que ce dernier n'était pas obéi, que les hommes de désordre le dominaient. "
  " Que des municipalités avaient fait demander des garnisons prussiennes pour maintenir l'ordre et protéger la partie honnête de la population ruinée par la guerre et lasse d'elle; que les localités de la Normandie préféraient l'ennemi aux francs-tireurs, que partout on demandait la paix à tout prix.
  Il dit encore :
  " Vos vivres sont épuisées, votre cavalerie est détruite, les chevaux de l'artillerie n'ont plus la force de traîner vos canons embourbés. Voilà la situation où vous êtes ! Avant peu de jours votre maréchal capitulera ! Votre armée tombera en notre pouvoir, comme celle de Sedan. Elle subira le même sort. "
  À la lecture de ce rapport , un frisson passa parmi le Conseil; tous les yeux se fixèrent sur le maréchal, qui ne broncha pas.
 
BAR-LE-DUC : l' Ornain au niveau du centre-ville. Photo : Clemclar 20I5.

  Bismarck ajouta encore beaucoup de détails mensongers, que le général Boyer gardé à vue comme un prisonnier ne pouvait contrôler, mais le tout était empreint d'une exagération si manifeste que le général, malgré les affirmations du chancelier, n'y put ajouter foi.
  D'ailleurs, le général avait pu, malgré la surveillance dont il fut l'objet, se procurer des journaux français en complète contradiction avec ce que lui avait affirmé le comte de Bismarckcclxx
  À cette communication qui faisait allusion à une capitulation probable, même certaine, les visages se rembrunirent. On fut consterné, sauf le maréchal qui n'en paru nullement affecte et ne fit aucun signe de protestation.
  En sortant du conseil, les commandants de corps d'armée s'entendirent pour se consulter secrètement avec les généraux et se rendre compte de l'esprit des officiers sous leurs ordres. Il y eut unanimité pour affirmer que tous, officiers, soldats, préféraient mourir en combattant, plutôt que de subir une capitulation aussi honteuse qu'imméritée. Ils préféraient sacrifier leur vie en écrasant les Prussiens que de se rendre. Tel fut le résultat de cette fameuse consultation, qui jeta un trouble intraduisible dans les bivouacs. On n'entendait que ces mots de protestation indignée : " Capituler, jamais ! même avec les honneurs de guerre. Nous voulons combattre jusqu'à la dernière extrémité ! "
 
20 octobre.
 
  Cette journée fut une des plus poignantes du siège. Tous les officiers sont convoqués chez leurs généraux de division, pour entendre la lecture du rapport du général Boyer mentionné plus haut. Cette communication nous a été faite par le général de Forton; elle diffère un peu des notes que j'ai prises, mais le fond reste le même. On ajoute que Gambetta et de Kératry [Émile, comte de, I832-I904; il fut successivement : I870, préfet de police de Paris après la chute de l'Empire, démissionnaire, il quitte Paris en ballon avec Gambetta; général de brigade, à la tête de l'armée de Bretagne, mais le gouvernement suspicieux laisse cette armée sans activité, sans armes et dans un état sanitaire désastreux au camp de Conlie; I87I, préfet de Haute-Garonne puis des Bouches-du-Rhône; il démissionne en août I872. Retiré de la politique, il devient écrivain et auteur de pièces de théâtre] s'étaient enfuis de Paris en ballon; que dans les grandes villes, le drapeau rouge remplaçait le drapeau tricolore. C'était une réédition des mensonges propagés par les journaux prussiens; puis " qu'à Lyon la populace se livrait à des saturnales [temps de licence, de débauche] odieuses auxquelles les Allemands ne tarderaient pas à mettre fin, car ils approchaient à marches forcées; qu'une seule chose était désirable, c'était d'éviter que notre pays la honte du secours de l'étranger ".
  Le maréchal espérait cependant, suivant la promesse qui lui aurait été faite par le prince Frédéric-Charlescclxxi, pouvoir obtenir un arrangement moins dur que le faisait pressentir les paroles de Bismarck; pour que notre armée puisse sortir afin de rétablir l'ordre et le seul gouvernement possible, " la Régence ". Pendant que ces pourparlers étaient échangés, le maréchal ne s’aperçut pas que cette combinaison n'avait d'autre but que de gagner du temps pour détruire nos forces, et que pas plus le prince prussien que lui, n'avaient mandat pour traiter. Bismarck, avec sa dureté habituelle, venait de le lui prouver.
  Enfin le grand mot était lâché : " la Régencecclxxii " ! Toutes les combinaisons du maréchal ayant échoué, son armée acculée au bord du précipice, il espère encore ! Il cherche un nouveau terrain pour ses tergiversations, sachant pourtant que tout son prestige est non seulement compromis, mais détruit.
  Il espérait que Bismarck, épouvanté lui-même de la tempête qui s'abattait sur la France, et qui menaçait de l'engloutir, lui permettrait de sauver les débris de la société et d'aller au secours de nos familles. Quelle illusion !
  Que penser de toutes ces contradictions ? D'un côté on nous affirme que l'ordre règne; que la France créé des armées, suivant les journaux mêmes rapportés par le général Boyer. De l'autre on nous certifie l' anarchie. Quelle incertitude poignante !
  Toujours privés de communications avec le reste de la France, nous ne savons plus que penser. Nous avions l'impression au milieu de notre malheur que la patrie croulait de toutes parts.
  Ce fut une affreuse journée ! on croyait la France unie, luttant désespérément pour chasser l'envahisseur; et voilà qu'on apprenait tout à coup, que la patrie était en pleine anarchie ! Et il était question de capituler !
  Nous étions atterrés ! Comment faire comprendre ce qui se passait parmi nous au milieu de cette confusion ?
  Ce n'est que plus tard que nous apprîmes l'exacte vérité; que tout cela n'était que mensonges ourdis pour préparer l'armée à la capitulation. Cet acte était d'autant plus odieux, que le maréchal avait lu les journaux rapportés par le général Boyer.
  Au milieu de cette explosion de douleur, on apprît que le général Changarnier avait pris la parole dans la réunion du I9, qu'il s'était prononcé avec chaleur en faveur de l' Impératrice et du Prince impérial.
  Il détestait le gouvernement de la Défense nationale, qu'en toute circonstance il flagellait du mot " infâme ", ne pouvant lui pardonner de s'être emparé du pouvoir à la suite de la catastrophe de Sedan. Ce fut une surprise d'autant plus grande, que le général Changarnier passait pour être hostile à l' Empereur; il ne cachait pas sa déception de n'avoir pas été élevé à la dignité de maréchal de France, on le sait.
  En plein conseil, il aurait ditcclxxiii : " que Bourbaki n'avait pas su s'y prendre, que c'était un héroïque sabreur, mais qu'il n'était pas diplomate. Que si on l'avais chargé, lui, de cette délicate mission, il aurait réussi. " Il aurait ajouté que " l'on obtiendrait du roi de Prusse de meilleures conditions, si on traitait directement avec lui que s'il traitait avec un gouvernement sans autorité, ayant usurpé le pouvoir. Le roi Guillaume avait déclaré qu'il faisait la guerre malgré lui au peuple français, et qu'il tenait ce gouvernement révolutionnaire en mépris. "
  À la suite du conseil de guerre le général Boyer partit une deuxième fois pour Versailles.
 
CHANGARNIER Nicolas, I793-I877. I870. Source
 
 
2I octobre.
 
  Jetons les yeux sur notre triste " camp de la misère ". Les maladies qui augmentent affaiblissent encore l'armée désespérée.

À suivre...
 
cclxi. Les parlementaires qui demandaient à parler au maréchal Bazaine étaient conduits auprès de lui à son quartier général au lieu d'être, suivant les règlements, retenus aux avant-postes pour y attendre qu'il eût été statué sur leur demande par le général en chef auquel il eût fallu en référer. Voir JARRAS, loc. cit., 225-227.
 
cclxii. Le capitaine de francs-tireurs, Arnous-Rivière, officier démissionnaire de réputation équivoque. Il fut désigné par le général de Cissey,[Ernest Courtot, I8I0-I882; " Député à l'Assemblée nationale , I87I, quatre fois ministre de la Guerre entre I87I et I876, il contribua à la réorganisation de l'armée. Président du Conseil dans le cabinet de Mac-Mahon, mai I874-mars I875, il prit en I878 le commandement du 11e corps d'armée à Nantes. Il fut accusé de trahison en I880 lorsqu'on découvrit qu'il était l'amant d'une espionne allemande, une certaine baronne de Kaulla. Bien que sa trahison ne fût pas prouvée, on démontra néanmoins qu'il avait dilapidé les fonds secrets de son ministère, et il fut contraint de démissionner. Larousse] le 4 septembre, pour commander en permanence le poste de Moulins-lès-Metz par lequel se faisaient toutes les communications de parlementaires, Bazaine ne changea pas cette désignation. Il fut relevé à la suite d'une irrégularité grave dans le service. Voir LEHAUTCOURT, VII, note 2.
 
 

DE CISSEY Ernest, général. I882.  
 
cclxiii. Le général Boyer parti le I2 un peu avant midi. JARRAS, loc. cit., 257. 
 
cclxiv. Des difficultés nombreuses surgissent, la population opposant " une résistance toute naturelle à se dessaisir de ses moyens de subsistance ". LEHAUCOURT, loc. cit.,VII, 44I.
 
cclxv. En dépit de la censure et des mesures de répression, les journaux s'élèvent contre la conduite passée du maréchal contre ses menées politiques. LEHAUCOURT, loc. cit., VII, 450. 
 
cclxvi. De retour d'Angleterre, Bourbaki se rend à Luxembourg et demande d'abord à rentrer à Metz. Devant les hésitations des Allemands il retourne à Bruxelles et gagne ensuite Tours. ["... Le 22 octobre I870, le général Bourbaki est appelé au commandement de la région militaire du Nord. Aidé du colonel Farre et du préfet du département du Nord, — Achille Testelin, — il tire des dépôts de l'armée des effectifs qu'il constitue en régiments de marche et réorganise la garde mobile en bataillons à cinq compagnies de cent cinquante hommes chacune, commandées par trois officiers... "; sur le Web]
 
cclxvii. Il y eut plusieurs réunions du conseil le I6, le I8 et le I9.
 
cclxviii. Le général Changarnier, qui n'était pas pourvu d'un commandement, assista à la séance du I9 et aux séances suivantes. Général JARRAS, loc. cit., 274. C'est sans doute le I9 que se passa cet incident.
 
cclxix. Le général Boyer rentra le I7 entre 2 et 3 heurs du soir. Le maréchal s'enferma aussitôt avec lui et le lendemain matin I8 il donna l'ordre de convoquer le conseil pour 2 heures après midi. Général JARRAS, loc. cit., 267.
 
cclxx. Le général Boyer déclarait n'avoir pu prendre aucun renseignement contradictoire, on raconta cependant plus tard qu'il avait rapporté deux journaux dont les renseignements auraient pu concorder avec ceux des autorités prussiennes. D' Andlau, loc. cit., 336-337. Le général JARRAS semble croire à l'existence de ces journaux, loc. cit., 279-280. 
 
cclxxi. C'est encore un des bruits répandus dans l'armée. 
 
cclxxii. Voir à ce sujet JARRAS, loc. cit, 269-270. On ne traiterait du sort de l'armée de Metz qu'à la condition de la voir rester fidèle au gouvernement de la régence, seul susceptible de faire la paix et de contribuer à son rétablissement. L'impératrice devait donner son assentiment à cet arrangement et en assurer l'exécution par sa présence au milieu des troupes. — C'était là sans doute un leurre pour gagner du temps. D' ANDLAU, loc. cit., 339-340.
  Le chancelier était peut-être de bonne foi dans la négociation Boyer. Il désirait surtout consolider le plus tôt possible les résultats acquis, mais les exigences du parti militaire dépassaient les siennes. Ces négociations servent les Allemands car le temps passe et les ressources de Metz s'épuisent. Voir LEHAUTCOURT, VII, 375-390.
 
cclxxiii. Le général Jarras, sous une forme plus abrégée, dit à peu près la même chose. Voir, loc. cit., 275-276. Il attribue cette attitude du général Changarnier à " sa haine invétérée et ardente de la République ", id., 372. 
         
 
COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l'Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. 298- 3I0.

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