Ce que Paris a vu ; Souvenirs du Siège de 1870-71, épisode III

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  Il faut croire, d'ailleurs, que je ne m'en tirai pas trop mal, car il parut peu de temps après, dans le Paris-Journal ["..." Paris-Journal " faisait suite à la " Gazette des étrangers ". Ce quotidien était conservateur, prônant l'union politique avec les bonapartistes. Racheté en juillet 1878, le journal est alors très proche du Duc de Broglie. Il déclinera progressivement durant les années 1880... " ; source], d' Henry de Pène [1830-1888, écrivain et journaliste ; "... Il se consacra très tôt au journalisme politique et collabora à L'Événement avec le fils de Victor Hugo, à L’Opinion publique en 1849, puis à diverses publications dont le Figaro, où il signait ses chroniques « Némo », Le Gaulois, qu’il avait fondé en 1868 avec Edmond Tarbé, et Paris-Journal. Il écrivit également des chroniques, des romans, notamment les Mémoires d’une femme de chambre, et une biographie du « comte de Chambord » ; source], une note extravagante, en vérité, mais que je reproduis tout de même, parce qu'elle caractérise exactement les exagérations où l'on se laissait aller au temps du siège.
  C'est Victor Koning [1842-1894, producteur et librettiste ; auteur de comédies et de vaudevilles ; directeur du théâtre de la Gaîté, 1868-1869 et du théâtre de le Renaissance, 1875-1882], le futur directeur de la Renaissance et du Gymnase, alors courriériste [chroniqueur] théâtral, qui l'avait rédigée et signée. Elle disait :
  " Tandis que Mme Marie Laurent dirige l'ambulance de la Porte-Saint-Martin, son fils aîné distribue des munitions à l' Arsenal et son fils cadet, pointeur au Point-du-Jour, envoie des obus dans la serrure du château de Meudon. "
  Grand merci du compliment! Il me valut quelques bonnes plaisanteries de la part de mes camarades, qui ne m'appelaient plus que " le serrurier ".


Sur le Web

  La vérité, qu'il connaissait bien, eux, était beaucoup plus simple et croyable.
  L'état-major avait été prévenu, et il avait à son tour averti les chefs de secteur que les Allemands à l' ouest et au sud-ouest de la capitale, exécutaient à ce moment de grands travaux pour construire des batteries d'attaque. On " supposait " que ces travaux se poursuivaient à l'abri de quelques rideaux d'arbres qu'ils abattraient, l'heure venue, pour se démasquer. Recommandation été donc faite de les gêner autant qu'on le pourrait.
  Aussi, Vanves et Issy couvraient-ils d'obus le plateau de Châtillon — qui devait bientôt le leur rendre avec usure — et nous, toute notre attention était fixée sur les hauteurs de Meudon, Bellevue et Sèvres. Pour atteindre cette dernière localité, que nous masquait le tournant de la colline, il y avait — il y en a encore — un arbre isolé, planté de travers sur la pente et qui nous servait de jalon. En visant à raser le haut de sa ramure, on tombait en plein sur une des batteries supposées, en tout cas sur une agglomération prussienne.
  Nous en étions là, quand les factionnaires de nuit, non seulement chez nous, mais dans les batteries voisines, signalèrent d’étranges lueurs sur la terrasse du château de Meudon ["...En 1870, Meudon représente un point stratégique de première valeur pour la défense de Paris et est bientôt occupé par les Prussiens. Quarante huit heures après la signature de l'armistice en janvier 1871, le château prend feu et brûlera pendant trois jours. Peu après le domaine est attribué à l'armée ; en 1874, le gouvernement français décide d'établir un observatoire destiné à la physique astronomique... " ; source]. La façade de l'ancienne demeure du prince Napoléon se trouvait tout à coup fortement éclairée, puis retombait dans l'ombre. Des falots se promenaient comme des feux follets. Plus de doute : on travaillait là, dès que l'on pouvait supposer inattentifs ou endormis les défenseurs de Paris.
  On me donna l'ordre de préparer un tir de nuit. Je le réglai de mon mieux, sur les indications de mon chef de pièce, et, le soir venu, tout le monde fut sur pied, aux plates-formes, pour être prêt à soutenir le feu, si par hasard les Allemands avaient déjà pu amener du canon sur leurs ouvrages.
  Mais le moment n'était pas encore venu des grands ouvrages de fer. Un obus suffit pour faire évanouir tous les fantômes. Nous vîmes son éclatement sur la terrasse, au pied même du château, et dès lors plus une lumière, plus une lueur, plus un falot.
  Nous n'étions pas entrés par le trou de la serrure, comme écrivait Victor Koning : nous avions seulement soufflés les bougies.

"...Quarante huit heures après la signature de l'armistice en janvier 1871, le château prend feu et brûlera pendant trois jours. Peu après le domaine est attribué à l'armée... " Sur le Web

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   C'est alors que le génie civil de la défense, dirigé par Dorian [Pierre-Frédéric, 1814-1873, maître de forges ; ministre des Travaux publics 1870-1871], exécuta, par l'ordre de la commission des barricades, dont faisait partie M. Henri Rochefort [Victor Henri de Rochefort-Luçay, dit..., 1831-1913 ; "... Il fonde alors l'hebdomadaire la Lanterne, pamphlet virulent contre l'Empire ; accablé de condamnations, Rochefort doit se réfugier à Bruxelles, où la Lanterne continue à paraître, passant frauduleusement la frontière. Revenu en 1869, député de Belleville, Rochefort rédige le journal la Marseillaise et est emprisonné lors du procès de l'affaire Victor Noir. Libéré par la journée révolutionnaire du 4 septembre 1870, il fait quelques jours partie du gouvernement, est élu député, mais démissionne lors des préliminaires de paix et fonde le Mot d'ordre, dans lequel il critique l'Assemblée nationale. Sans appartenir à la Commune, Rochefort en approuve l'action et est emprisonné, 1871, puis déporté en Nouvelle-Calédonie, avec Louise Michel, 1873. Évadé aussitôt, il s'installe à Genève et rentre en France à l'amnistie de 1880. Il crée l'Intransigeant, journal radical où il attaque la politique coloniale de Ferry. Député, 1885, il se retire en 1886 et devient l'un des chauds partisans de Boulanger, qu'il suit en Belgique, 1889. Condamné par contumace, il vit à Londres jusqu'à son amnistie, 1895, s'en prenant aux chéquards de Panamá et aux dreyfusards aussi bien qu'à Constans et au Sénat. Rallié dès lors au nationalisme intransigeant, Rochefort voit son influence diminuer.... " ; source] des travaux singuliers et imposants sur l'avenue de Versailles, entre le viaduc et la porte des fortifications. On s'était rendu compte que si une forte colonne d'attaque avait profité de la panique de Châtillon pour s'élancer dans la ville, aux premiers jours du siège, en se glissant entre les forts et la Seine, elle aurait trouvé devant elle des remparts dégarnis, des troupes à peine armées et qu'elle aurait probablement enlevé la place.



Henri Rochefort. Sur le Web

  Cette hardiesse avait manqué aux Allemands ; mais elle pouvait leur venir. Aussi creusa-t-on sur toute la largeur de l'avenue, en ne réservant au milieu que le passage des voitures sur la chaussée, une multitude de trous à loup, interrompant toute circulation sur les contre-allées, qui étaient larges, à cette place, comme les boulevards.
  Ces trous [dissimulés par un treillis végétal et une couche de terre], d'un mètre cinquante de diamètre et très profonds, étaient garnis de trois pieux chacun, dont les pointes durcies au feu constituaient de très sérieuses défenses contre la marche d'une troupe. Avec deux pièces de canons placées sous le viaduc et quelques tirailleurs bien postés, c'était de quoi rendre impossible toute surprise.
  Tout ce travail fut très vite accompli. Je crois qu'on le répéta sur d'autres points de la périphérie, notamment à Montrouge et Javel ; mais je ne saurais l'affirmer, ne l'ayant pas vu de mes yeux.
  Et il est très vrai que tous ces trous ne servirent à rien, ni durant pendant le premier siège de Paris, où nous nous battions contre les Allemands, ni pendant le second, où la Commune se battit contre la France ; mais ils ont peut-être été utiles tout de même.
  Ce qui donne de la confiance donne de la force, et il n'y a plus très loin, dès que la première émotion s'est évanouie, d'un homme rassuré à un héros.
  Cette dentelle de terre, brodée à coups de pioche tout le long d'une avenue, attestait la volonté de se défendre jusqu'au bout, fût-ce par les moyens les plus rudimentaires et les plus barbares.
  Elle signifiait qu'après la guerre des armées ce serait la guerre des bastions, et, après celle-ci, la guerre des rues.
  Excellent avertissement donné au peuple, qui ne demandait qu'à marcher et qui aimait lire dans tous les yeux une résolution égale à la sienne!
  On s'est moqué dans le temps, de ces trous à loup, qui n'ont gêné personne, si ce n'est les petits garçons désireux de jouer aux billes et qui trouvaient partout d'énormes bloquettes. On a tort.
  Si le général Trochu [Louis-Jules, 1815-1896 ; "... Promu gouverneur de Paris, août 1870, président du gouvernement de la Défense nationale, septembre 1870, il commande sans énergie les troupes chargées de la défense de la capitale, novembre 1870. Critiqué au ministère de la Guerre, il doit abandonner ses fonctions à Vinoy, 22 janvier 1871... " ; source] avait plus souvent pensé à ces symboliques ouvrages, il aurait peut-être tiré un meilleur parti des dévouements qui, par millions, entouraient Paris.

III


Encore les anciens sergents de ville. — Le combat de Bagneux. — Notre batterie intervient utilement. — La revanche de Châtillon. — L'incendie du château de Saint-Cloud. — Comment nous étions logés.
  La garnison de Paris se composait alors essentiellement, on le sait, de deux régiments, les 35e et 42e, ramenés par le général Vinoy [Joseph, 1800-1880 ; chef de la IIIe armée lors de la guerre franco-allemande ; il signa l'armistice qui mit fin au siège de la ville], qui, pour échapper aux Prussiens, après Sedan, avait conduit cette brigade vers la capitale avec un incontestable talent.
   En dehors de ces deux régiments bien constitués, solides, et qui firent tout le long du siège un admirable service, il y avait quelques bataillons de dépôt, un peu — très peu — d'artillerie de place, une douzaine de batteries attelées et un certain nombre de bataillons mobiles, notamment de l' Aube, de la Côte d'Or et du Finistère. il y avait enfin la garde nationale, partagée en bataillons de marche et bataillons sédentaires.
  Dès le début du siège, on essaya de donner un peu de consistance à ces troupes disparates en les envoyant au feu — pas toujours avec discernement. C'est ainsi que le 30 septembre on les avait lancées, en nombre assez considérable, dans une reconnaissance dirigée vers Choisy-le-Roy.
  La brigade formée par les 35e et 42e enleva Chevilly et en chassa les Prussiens ; mais son chef, le brave général Guilhem [Pierre-Victor, 1815-1870], tomba frappé de dix balles dans la poitrine. Ce seul détail en dit assez sur la proximité des combattants!...
  La brigade Daudel [Martin-Édouard, 1812-1896 ; général] s'emparait ensuite d'une portion de Choisy-le-Roi ; mais on fut arrêté par l' Hay et Thiais. Il fallut battre en retraite, après avoir perdu deux mille tués ou blessés.
  Le 13 octobre, autre combat important et, qui, lui, tourna mieux. Ce fut en vérité un succès complet, et si l'on se replia sur Paris, après avoir atteint les objectifs qu'on s'était proposés, c'est qu'en réalité il ne s'agissait nullement de percer les lignes de l'ennemi, mais de lui donner une bonne leçon.
  Nous eûmes la joie de participer à l'action, et voici comment.
  C'est par Bagneux, il est vrai, qu'elle débuta, c'est-à-dire fort loin du Point-du-Jour et hors de portée de nos pièces ; mais lorsque les Prussiens en eurent été chassés avec de grosses pertes, grâce à l'élan admirable des mobiles de l' Aube et de la Côte d'Or, le mouvement de nos troupes s'accentua vers Clamart, puis vers Châtillon.
  Malgré la mort héroïque de leur chef, le commandant de Dampierre [Anne Marie André Henry Picot, 1836-1870 ; "...Lors d'une offensive à proximité de Châtillon contre une avant-garde bavaroise, avancée sur la commune de Bagneux, et devant l'hésitation de ses hommes qui montaient au feu pour la première fois, il les emmène en leur criant : « Allez, en avant mes enfants ! » et tombe atteint de deux balles dans le bas-ventre devant une maison sise à l'angle de la place qui aujourd'hui porte son nom... " ; source] les moblots, prenant une véritable revanche de l'échec subi par d'autres qu'eux au premier jour du siège, arrachèrent une à une les maisons du plateau, où la panique s'était naguère emparée des zouaves.
  Nous, qui n'avions rien pu faire le 19 septembre, — nos pièces étant encore, à cette époque, posées à terre, sans affûts ni plates-formes, — nous étions en état maintenant d'aider à la bataille.
  Tirant par-dessus le fort d' Issy, nous réussîmes à rendre intenable toute la partie ouest de la crête, et les Allemands, délogés par nos fantassins de la partie sud, ne purent se reformer.
  Le retour offensif sur Bagneux fut également repoussé, et c'est le soir venu, tous les feux éteints, que la retraite fut ordonnée.
  Si j'étais personnellement heureux d'avoir pu suivre des yeux, en l'air, les gros projectiles envoyés par ma pièce, de les voir monter comme de gros insectes noirs jusqu'au sommet de leur trajectoire, puis culbuter et tomber, invisibles désormais dans leur chute accélérée, jusque sur les lignes ennemies, je fus plus satisfait encore d'une nouvelle qu'on nous apporta le lendemain.
  Les anciens sergents de ville de l'empire, ces braves soldats et ces pauvres gens qu'on nous avaient d'abord donnés pour nous apprendre notre métier, et qui, sans armes, avaient travaillé avec nous au bastion, venaient enfin de rompre à Bagneux le cercle de haine, de rancune et de défiance qui les entouraient.
  Formés en compagnie de marche, ils avaient forcé l'admiration de tous par leur belle conduite, et, sur proposition du général Le Flô [Adolphe-Charles-Emmanuel, 1804-1887 ; " Promu général de brigade en juin 1848, il commande la subdivision de Bône en 1848 et est promu commandeur de la Légion d'Honneur en 1848. Représentant du Peuple à l'Assemblée Constituante en 1848, député du Finistère, il siège à la droite de la Constituante, il est nommé Questeur à l'assemblée législative en 1849. Il tente de s'opposer au coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte en 1851 et il est arrêté dans la nuit du 2 décembre. Incarcéré à Vincennes, puis à Ham, il est expulsé de France le 9 janvier 1852 et admis à la retraite en 1853. Exilé en Belgique, puis en Angleterre où il demeurait à Jersey, avec Victor Hugo, qui prenait des leçons d’équitation. « Qu’est-ce que vous f... donc sur cette bête, Hugo ? criait le général ; vous allez vous casser le cou. — Ami, répondait le poète, nous ignorons ce que demain réserve ; un chef d’État doit savoir monter à cheval » ; rentré de l’exil en 1859, il vécut en retraite jusqu’au... 4 septembre 1870, date à laquelle il est réintégré dans l'armée comme général de division et où il est nommé ministre de la Guerre, par la Défense nationale. Élu à l'assemblée nationale, il est nommé ambassadeur de France à Saint Petersbourg en 1871. Il quitte le service actif en 1879. " ; source], ministre de la Guerre, un compte rendu élogieux de leur tenue au feu, de leur bravoure et de leurs succès était inséré au Journal Officiel.
  Le gouvernement de la Défense nationale, en reconnaissance de leurs services, accordait en outre à leurs veuves " la même pension qu'à celles de militaires ".
  Cet acte de justice toucha ceux d'entre nous qui avaient vu souffrir ces bons soldats.

 
Général Adolphe-Charles-Emmanuel Le Flô, 1804-1887


***

   C'est le lendemain du combat de Bagneux que brûla le château de Saint-Cloud. L'incendie fut, comme on sait, général et définitif. Qui l'avait allumé? Personne encore aujourd'hui ne le sait exactement. [aujourd'hui, en 2022, il semble établi que : "... Dans ces conditions, les tirs français du Mont-Valérien frappent le château, lequel prend feu le 13 octobre. Cette destruction marque les esprits. Avec le temps, la responsabilité que chaque belligérant se renvoyait semble rétablie : si l’obus fatal est français, la décision de non-intervention contre l’incendie est allemande : mais l’armée allemande avait-elle les moyens d’éteindre un tel incendie ? Bien entendu, le pillage du château avait commencé avant, de même que les maisons alentour, suite à l’évacuation de la ville comme d’autres communes de la petite couronne... " ; source] Toutes les versions publiées ont été contredites. Je n'en proposerai pour ma part aucune. Je me bornerai à en écarter deux, laissant au lecteur le choix entre celles qui resteront.
 
 
 Château de Saint-Cloud, 14 octobre 1870. Sur le Web

  D'abord, ce n'est pas, ce ne peut être, comme l'ont prétendu les Allemands, le Mont Valérien qui, par le feu de ses pièces, aurait déterminé l'embrasement. À cette époque, le Mont Valérien n'avait encore envoyé de ce côté aucun obus. Son artillerie était occupée exclusivement à déblayer le terrain dans la direction de Rueil et de la Jonchère ["... Le nom de La Jonchère vient certainement du fait que les flancs de la colline, marécageuse, devaient être plantés en abondance de joncs. [...] le Prince Eugène de Beauharnais réussit à acquérir l’ensemble mais le vendit à l’Empereur qui en fit don au Général Bertrand, qui part accompagner Napoléon à l’Ile d’Elbe, revient peu de temps séjourner à La Jonchère pendant les Cent-Jours et part définitivement à Saint-Hélène avec toute sa famille. [...] Au cours de la Guerre franco-allemande de 1870 le domaine est occupé par le 46ème Régiment d’infanterie prussienne, l’État-major est alors installé dans le château neuf, au sommet de la colline. L’édifice est protégé par des batteries installées sur la terrasse : c’est un excellent observatoire permettant de surveiller le déroulement des combats de la Malmaison. Les chevaux sont abrités dans les trois grandes pièces de la demeure. À cette époque la colline est couverte d’aubépines, de pieds de cassis, de groseilliers, de ceps de vignes. Le combat de la Malmaison fait rage : la canonnade part du bas de la colline. Le 20 octobre 1870 la Jonchère est la cible des Prussiens. Les Français, après une reconnaissance des lieux, avaient successivement envoyé trois colonnes de soldats, soit environ 4000 hommes entre Rueil et le Pecq : bataillons de mobiles, de zouaves, le 36ème de marche de franc-tireurs, six batteries de mitrailleuses sont installées ; une réserve de 2700 hommes avec artillerie aura pour mission de bombarder le bois de la Jonchère et celui de St Cucufa. « Sous aucun prétexte on ne dépassera le pont de Bougival et la Jonchère » tels étaient les ordres : 1000 hommes et 120 bouches à feu engagent la lutte avec l’ennemi, une barricade est élevée à l’entrée de Bougival, en avant du Parc Metternich : château de la Jonchère. Les Prussiens occupent le pavillon du bois de la Jonchère, les maisons de Bougival et tout le bord de la Seine, face à l’ile de la Chaussée. « Lorsque deux flammes rouges et blanches seront hissées sur les casernes du Mont Valérien, nos pièces devront tirer sur la Malmaison et la Jonchère » Tous les canons tonnent à la fois : la Malmaison, la Jonchère et Bougival même sont couvert d’obus, les tirs du Mont Valérien sont allongés pour labourer de leurs projectiles les hauteurs de la Jonchère et de la Celle St Cloud, les Prussiens étant installés sur la croupe de la colline. Un corps à corps s’engage, une lutte acharnée avec les deux seules compagnies de zouaves et le 36ème de marche sous les ordres du commandant Jacquot : nom de la rue en bas à gauche de la côte de la Jonchère. Les jeunes soldats sont dominés par les Prussiens, ils ne voient pas d’où proviennent les balles ennemies, ils refusent d’avancer, ils se pelotonnent, s’abritent derrière les taillis, les haies, un grand nombre se replie dans les bâtiments du château, ils ne reçoivent aucun secours des autres troupes. Mais une déplorable sonnerie française « Cessez le feu » se fait entendre : à mi-côte les Français abandonnent le combat, leur commandant est blessé, on relèvera 500 tués et blessés du côté français, 400 Prussiens sont hors de combat, 120 sont faits prisonniers, le commandant Jacquot [Charles-Auguste, 1835-1870] meurt de ses blessures. Dans la bataille de la Malmaison on aura perdu, entre autres, les peintres Vibert et Leroux, le sculpteur Cuvellier.... " ; source http://via.gaetana.free.fr/histoire_de_vertbois.htm]. C'est plus tard, seulement — comme nous-mêmes — qu'il a été amené à tirer sur les ruines du château, ou pour mieux le dire, derrière ces ruines, dans les circonstances et pour un objectif que je dirai.
 
 
 
 
 
 
La mort du commandant Jacquot. Sur le Web



Le bunker prussien de la Jonchère. Photo : Ackteon

  En second lieu, ce n'est ni le bastion 67, je viens de le dire, ni le 66 [Porte-de-Saint-Cloud], ni le 65 [Porte Molitor, avec le bastion 64], moins bien armés d'ailleurs, qui peuvent être tenus responsables de la destruction du château. Chacun de ses défenseurs fut surpris et contempla tout ensemble avec émerveillement et avec tristesse le spectacle émouvant du sinistre.
  Quelle put donc être sa cause déterminante?
  Il était naturel qu'on hésitât à se prononcer tant que l'on a ignoré la présence presque permanente de postes prussiens dans le parc et jusque dans les appartements donnant du côté de la Seine. Mais mes lecteurs savent maintenant que l'ennemi occupait les bâtiments et le jardin du bord de l'eau, puisque notre détachement avait dû soutenir son feu vers le 23 septembre. Et du moment où il s'y trouvait, il est clair que ni les habitants de Saint-Cloud ni même un parti de francs-tireurs traversant la seine en bateaux, — car les ponts étaient coupés, — n'auraient pu y porter l'incendie sans recevoir des coups de fusils que nul n'a entendus.
  Reste l'hypothèse d'un accident amené par l'imprudence des Allemands ou d'une destruction préparée par leurs soins.
  Je m'en tiens là. Pour moi, ma conviction est faite : le feu a été mis ou causé par les envahisseurs. S'ils l'ont laissé s'allumer par mégarde, c'est qu'ils sont quelquefois maladroits, ce qui peut arriver aux soldats les plus disciplinés. S'ils l'ont préparé eux-mêmes, c'est afin de nous nuire et par esprit de rapine.
  Il y avait beaucoup de pendules, au château, sans compter le reste.

***

   À suivre

   Charles Laurent, Ce que Paris a vu, Souvenirs du Siège de 1870-1871, Albin Michel, 1914, pp. 31-43.
 
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