L’ AGONIE D’ UNE ARMÉE, METZ – I870, JOURNAL DE GUERRE D’UN PORTE-ÉTENDARD DE L’ ARMÉE DU RHIN, ÉPISODE XI

Précédemment
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  Il venait lui-même chercher une couverture près du 2e corps et à sa hauteur.
  Et que penser de la réponse de Frossard autorisant de Forton à exécuter ce mouvement96
  Il n'était pas encore onze heures du matin97, nous n'avions pas fait plus d'une dizaine de kilomètres, la journée était longue encore  et... on abandonnait !
  Quand on apprit que l'on allait se retirer sur Vionville, la stupéfaction et l'indignation furent grandes parmi nous. Mais que faire ?
  Nous ne comprenions pas. Comment, nous allions nous replier sans poursuivre cette cavalerie ennemie, sans savoir ce qu'elle allait devenir, sans chercher à connaître ses projets et, ce qui est plus grave et incompréhensible, sans même garder le contact ! 
  Un général d'avant-garde allait commettre une faute militaire aussi grave sur une simple supposition de sa part : l'ennemi en force ! Où était-il, cet ennemi ?
  C'est pourtant ainsi que les choses vont se passer.
  Encore une retraite, hélas ! Le maréchal n'est pas seul à ordonner.
  Ce mouvement de recul commença à onze heures et demie et se fit dans un silence de mort. Quel joli coup manqué volontairement ! quel beau fait d'armes perdu stupidement ! Si on avait remporté ce succès : quel magnifique présent de fête à offrir à l' Empereur pour son I5 août !
  Pendant cette marche rétrograde que de pauvres réflexions navrantes sous nos crânes : " C'était donc cela la guerre ? Un  troupeau conduit par un berger aveugle, qu'il fallait suivre, suivre !... " Certes les officiers de notre division étaient très disciplinés, mais nous ne pouvions conserver notre calme; c'était trop de déceptions depuis le commencement de la guerre.
  Nous cherchions en vain des motifs d'excuse pour notre chef. Nous n'en trouvions qu'un seul, c'est qu'il devait avoir des ordres pour agir ainsi. Nos deux généraux de brigade pensaient comme nous.
  Quelle singulière situation que la nôtre ! Depuis le commencement de la campagne il faudra se résigner à entendre dire : " La cavalerie n'est bonne à rien. "
  Ce matin encore nous partons joyeux pour notre mission de confiance, nous éclairons l'armée; la route de Verdun est libre, plus d'obstacles après la fuite de cette cavalerie qui occupait Mars-la-Tour. Au lieu de continuer à aller de l'avant, nous nous replions ! Et nous paralysons la retraite de toute l'armée98! 
  J'ai lu des ouvrages sérieux sur l' armée de Metz, entre autres l'histoire du lieutenant-colonel Rousset, [Léonce, I850-I938, militaire, historien et député; "... Entré à Saint Cyr en I868, il participe dès sa sortie de l’école aux combats de la guerre franco-allemande. Sous-lieutenant de chasseurs à pied, officier au 6° Régiment d’Infanterie, il est grièvement blessé en à Servigny-lès-Sainte-Barbe lors de la bataille de Metz, avant d’être fait prisonnier par l’armée prussienne. [...] Lieutenant-colonel en I898,— grade sous lequel il est connu comme historien, [ ...] En avril I902, le lieutenant-colonel Rousset se présente avec succès aux élections législatives dans la circonscription de Verdun comme candidat nationaliste. [mandat : I902-I906]... " ; sur le Web] c'est un monument historique, rédigé magistralement. Je n'ai pas trouvé les détails de cette journée relatés comme je m' y attendais. Cela tient sans doute à une cause capitale, c'est que, pour reproduire de tels faits, il fallait être là, les noter au jour le jour, saisir l'expression des physionomies; prendre part aux discussions, et par-dessus tout écouter les jugements des chefs impartiaux.
 
     

 ROUSSET, Lieutenant-colonel. Photo : Henri Manuel.
 
  Voilà en quoi mon journal de guerre diffère des ouvrages dont je parle, ordinairement rédigés d'après des pièces dites officielles, puisées aux archives de la guerre.
  Celles-là font autorité !
  Pourtant les choses que j'ai vues moi, simple lieutenant, cette vérité, la même pour tous, grands ou humbles, ces faits vécus qui se passèrent comme je le dis, auraient-ils moins de valeur que toute une paperasserie dont tant de pièces demeurent lettre morte !
  Eh bien ! Puisque j'en suis venu à parler pièces officielles, je m'en vais donner un aperçu de la fausseté de certaines.
  Dans son ouvrage sur la campagne de I870, le général Jarras, ancien chef d'état-major du maréchal, cite ce passage aussi curieux qu'inexact à propos de la journée du I5 août.
  " Le commandant en chef fut informé que le général de Forton, en se portant sur Mars-la-Tour, avait rencontré l'ennemi avec force, ce qui l'avait empêché d’occuper ce village et était revenu sur ses pas pour prendre position en avant de Vionville99. "
  Mais ce village, de Forton l'a occupé; on l'a vu, j'y étais !
  Et voilà comment on écrit l'histoire ! Car les archives de la guerre sont constituées par les rapports des commandants de corps, transmis au général en chef, centralisés par le chef d'état-major, avant de les faire parvenir au ministre compétent. On s'occupe beaucoup de la tactique employée des deux côtés, du dispositif des troupes, etc., mais on ne peut réellement descendre jusqu'à s'embrouiller dans les détails qui nous intéressent, ni s'occuper de l'opinion de certains chefs, quelque soit leur autorité reconnue et incontestée.
  Assurément ce rapport mensonger a été remis au général Jarras; personne ne s'aviserait de le contester. De qui émane-t-il ? Logiquement il ne peut provenir que du général chargé d' éclairer la marche de l'armée.
  Que l'on veuille bien se reporter aux passages qui précèdent, on sera fixé sur ce qui s'est passé dans cette matinée, on saura qu'il ne restait pas un Prussien à Mars-la-Tour; que la route de Verdun ne présentait trace d'obstacle pour entraver la tâche qui incombait à notre division. Aucun de nous n'a aperçu la pointe d'un casque allemand au moment de quitter le villageI00.
  Voilà ce qui est net. C'est indiscutable; tous les officiers et soldats, nous pouvons l'affirmer.
  Le rapport Jarras servira cependant de base.
  N'est-il pas de mon devoir ici de me jeter en travers de l'erreur, de lui crier : " Halte là ! Arrière ! Voici la vérité ! "
  Le général Jarras, très estimé, considéré comme un homme de guerre de grande valeur, ne pouvait tout voir par lui-même. Il a donc été induit en erreur par ceux qui étaient chargés de le renseigner, c'est l'évidence même.
  Quant à Bazaine il doit prendre sa part de lourde responsabilité en cette malheureuse affaire. Il fut tenu au courant de ce qui se passait; il a su que de Forton abandonnait sa mission et il n'a donné aucun ordre pour modifier cette situationI0I. Il n'était qu'à I0 kilomètres de lui, il aurait dû se préoccuper du résultat de cette reculade insensée.
  En dehors de cela, nous ne pouvions émettre qu'une opinion platonique en reproduisant les sentiments des officiers. L'histoire établira les responsabilités. En attendant nous pouvons affirmer que l'armée à perdu tous ses avantages par les lenteurs qu'on lui a fait subir, et notre division un succès.
  À la hauteur de Vionville, notre division s'arrêta; elle mit pied à terre dans les champs, à gauche de la route, par rapport à notre position, puisque nous rétrogradions du côté de Metz.
 

IX

 

AU BIVOUAC DE VIONVILLE

 
   À peine étions-nous installés que les visiteurs affluèrent vers nous de tous les points du bivouac; nos chefs sont très entourés par des généraux et autres officiers de toutes armes. On voulait savoir ce qui s'était passé; des bruits circulaient : on croyait que le corps Frossard, les divisions de Forton et du Barrail avaient été refoulées par un ennemi trop nombreux pour que nous puissions forcer le passage. Et on ne s' expliquait pas  pourquoi on ne nous envoyait pas des renforts. Était-ce comme à Forbach, parce que Frossard devait être avec nous ?
  On sait à présent ce qu'il y avait de vrai. C'est toujours le même mystère. Qui a pu inventer cette fausse nouvelle ? Dans quel but ? Le maréchal seul le sait.
  Elle s'est propagée rapidement sans modification et sans qu'elle soit démentie. Si à l'état-major on y croyait, pourquoi n'allait-on pas au secours des troupes soi-disant engagées ?
  L'après-midi se passa ainsi sans que le maréchal parût se douter que les Prussiens forçaient la marche pour nous barrer la route le lendemain en nous tournant.
  Nous voici donc installés au bivouac, tranquillement, sans même penser à envoyer des reconnaissances pour chercher le contact avec l'ennemi.
  Pour la nuit on prit les dispositions de sécurité nettement insuffisantes et trop rapprochées. Notre chef était à la série noire, car avec des précautions aussi faiblement organisées il fut surpris dans son propre bivouac. Nous en avions le pressentiment, nous nous communiquions nos craintes. Elles se réalisèrent le lendemain matin. Et dire que notre divisionnaire avait mission d'assurer la sécurité de toute l'armée ! Triste et incroyable ! Mais que faire sans ordres ?
  Dans une ronde de nuit, le commandant Rollin, commandé de service, signala cette défectuosité; on lui fit répondre que c'était " l'ordre d'installer la grand' garde et les petits postes sur les emplacements qu'ils occupaient ". Or, ces emplacements avaient été reconnus par le capitaine Lafouge, officier d’ordonnance du général. Le commandant Rollin dit à mon ami Fournier, lieutenant, commandant les petits postes : Faites bien attention, vous vous ferez enlever, vous êtes trop rapprochés. Le commandant Rollin se mit en route, quand il fut attaqué par une patrouille ennemie qui lui tua son cheval, peu de temps aprèsI02
  Le lieutenant Fournier fit mettre à la disposition du commandant Rollin un nouveau cheval pour lui permettre de continuer sa ronde de nuit. 
  Dans un rapport, cet officier signala un grand bruit de passage de troupes du côté de la Moselle; il le perçut sur une vaste étendue en appliquant son oreille contre terre. C'était l'ennemi qui se rapprochait. Ce rapport, remis à 3 heures du matin, ne provoqua aucun changement; aucune pointe d'officier ne fut commandée pour qu'on se rendit compte de ce qui se passait sur notre flanc gauche.
  À force d'être ballotée ainsi d'incertitudes en incertitudes, l'armée était heureuse de voir l'ennemi s'approcher. Nous supposions que le maréchal l'attendait, toutes précautions prises.
  Nous allons avoir maintenant une preuve éclatante de tout ce que j'ai avancé sur l'ennemi supposé à Mars-la-Tour.
  Le quartier impérial a-t-il conçu des doutes sur la sincérité de ce qui se passait ? A-t-il lancé une exploration pour son propre compte ? Nul ne l'a su. Mais il fut décidé que l'Empereur quitterait Gravelotte, le lendemain de très bonne heure. En effet, il partit, à quatre heures du matin, comme nous le verrons plus loin.
  Si le maréchal n'avait pas été absolument certain que la route était libre, est-ce qu'il aurait laissé partir l' Empereur ? Voilà, il me semble, à défaut d'autres preuves, une contradiction concluante ?
  Et lui-même, pourquoi ne mettait-il pas son armée en mouvement, à cette heure matinale, à la suite de l' Empereur, comme il en avait donné 'ordre, comme il venait encore de le promettre au souverainI03? Non ! Il reste là dans ses positions de la veille, sans même prendre un dispositif de combat, bien que l'ennemi ait été signalé; il ne le croit pas en force pour attaquer. Alors, qu'attend-il ? Pourquoi donne-t-il contre-ordre de départ, dès que l' Empereur n'est plus làI04?
  Le plan de retraite sur Châlons adopté par l' Empereur se trouvait tellement compromis, que nous nous demandions si le maréchal avait réellement l'intention de l'exécuter; le doute était entré dans l'esprit d'un grand nombre d'officiers. Que devait penser l' Empereur du résultat obtenu depuis qu'il avait cédé son commandement au maréchal Bazaine ? Il assistait à cette inaction. 
 
 
 Souvenir du plébiscite I870 : l'Empereur, en uniforme, l'Impératrice assise et S. A. le Prince impérial. Sur le Web.

Bien que le souverain eût prescrit de hâter le mouvement de retraite, l'armée n'avait fait qu'une douzaine de kilomètres en trois jours, sans qu'aucun obstacle ait entravé réellement sa marche. Nous avions à déplorer la mort du général Decaen et des 4.000 braves, tombés dans cette bataille de Borny, qu'il eût été si facile d'éviter ainsi que celles qui vont suivre, d'ailleurs.
  Voilà ce que le maréchal a, jusqu'à ce jour, à son actif.
  De grands chefs ne se gênaient pas pour dire que l' Empereur pouvait revenir sur sa décision et reprendre la direction de l'armée. Que de désastres eussent été évités ! Ils pensaient que l' Empereur, sans se surmener, aurait dû s'entourer des plus habiles généraux et garder le commandement. On fut fort étonné de cette espèce d'abdication, alors que rien ne l'y obligeait que ses souffrancesI05
  Selon de hautes appréciations, le maréchal a pris le contre-pied de ce qui aurait dû se faire, comme s'il avait voulu favoriser le plan de campagne de l'ennemi.
  Ce plan était connu de toute l'armée : " Poursuite du maréchal Mac-Mahon; battre en détail les Français, en les attaquant partout où on les rencontrait sans se préoccuper des pertes; couper la retraite au maréchal Bazaine, le refouler sous Metz pour éviter toute jonction avec les nouvelles formations. "
  L'Empereur, lui, aurait voulu rester avec l'armée de Metz. En la précédent pour se rendre à Verdun, il était convaincu qu'elle le suivrait et qu'il ne la devancerait que de peu de temps. Cependant il était hésitant. Il ne lui serait pas venu à la pensée de quitter son armée, de laisser la garde impériale au maréchal, s'il avait pu deviner l'intention de ce dernier de se séparer de lui.
  Le général Jarras, aimé de l'Empereur qui connaissait sa droiture, était en désaccord complet avec son chef. Des altercations très vives avaient lieu, car il ne pouvait comprendre la façon de procéder du maréchal; un grand froid existait dans leurs relations. Le chef d'état-major aurait fait pressentir le souverain pour qu'il le fît relever de ses fonctions. N'ayant pu réussir, il se tint sur une grande réserve avec le maréchal qui donnait des ordres et agissait sans le consulterI06
  De son côté, l'entourage de l' Empereur, ne voyant pas très clair dans la façon d'agir du maréchal, commençait à pressentir le désir de ce dernier de s'isoler avec son armée.
  Nous avions donné à l'adversaire le temps de se concentrer, de se refaire, nous allions être harcelés sans relâche par lui. C'était prévu et de bonne guerre, puisqu'on lui avait laissé tous les loisirs pour agir à sa guise.
  La nuit se passa en alertes : celles-ci, d'apparence insignifiantes, ont l' inconvénient de tenir les troupes en éveil et de les empêcher de se reposer. Les rapports firent connaître de façon précise que l'ennemi se rapprochait de la Moselle. Pourtant on ne défendit pas aux soldats d'allumer des feux pendant cette nuit que l'on pourrait appeler " la veillée des armes ". 
  L'ennemi signalé de toutes parts approchait; on était heureux du choc pressenti.
  Les Allemands, en voyant sur nos lignes ces foyers lumineux, qui n'étaient pas une ruse de guerre, pouvaient se rendre compte de l'emplacement de nos troupes et en fixer approximativement l'effectif.
  Il régnait une grande effervescence dans les bivouacs. On parlait beaucoup; on évoquait pas mal de souvenirs. On en revenait fréquemment au maréchal à l'homme qui demain nous mènerait au feu, au chef suprême enfin, arbitre de nos destinées. Beaucoup se rappelaient l'avoir vu, lors des manœuvres au camp de Châlons, " aux prises avec les plus grandes difficultés pour faire manœuvrer 30.000 hommes ", ajoutant qu'il paraissait " ne rien comprendre au maniement des armes combinées, qu'il n'aimait pas la cavalerie parce que ses chefs veulent toujours agir à leur guise; du reste, que n'en connaissant pas l'usage il l'éreinterait avant de l'utilserI07 ".   
  
  À suivre...
 
96. Plus tard, le général de Forton a affirmé que le général Frossard lui avait conseillé de revenir à Vionville. Le général Frossard l'a nié, déclarant n'avoir donné aucun ordre au général de Forton, sur lequel il n'avait pas autorité. Germain BAPST, loc. cit., V, 66. Voir également DICK DE LONLAY, loc. cit., II, 595.
 
97. D'après le lieutenant-colonel PICARD, loc. cit., I, 272, la retraite commence à une heure du soir; d'après DICK DE LONLAY la division revient sur Vionville vers trois heures et demie ou trois quarts de l'après-midi.
 
98. Cette opinion pourrait paraître exagérée. La retraite de l'armée était surtout paralysée par les lenteurs de la marche. Le général Frossard avait reçu l'ordre de s'arrêter à Vionville avant que le général de Forton eût pris la décision de se replier sur cette localité, puisque ce fut cet arrêt du 2e corps qui le décida à effectuer ce mouvement rétrograde. Toutefois cette retraite de la cavalerie avait un résultat fâcheux : l'armée n'était plus éclairée et se trouvait en partie campée dans un creux dont les bords n'étaient pas occupés. L'ennemi pouvait de ces bords nous observer tout en masquant ses mouvements à loisir. Voir Germain BAPST, loc. cit., V, 73.
 
99. " Cependant le maréchal, commandant en chef, fut informé que le général de Forton, en se portant vers Mars-la-Tour avait rencontré l'ennemi, n'avait pu occuper cette ville, et était revenu sur ses pas pour prendre position en avant de Vionville. " Souvenirs du général Jarras, loc. cit., I00. — Peut-être le général Jarras entend-il simplement que le général de Forton n'a pu se maintenir à Mars-la-Tour. 
 
I00. La reconnaissance du général de Forton n'en avait pas moins révélé la présence de forces ennemies sur notre gauche; la route de Verdun restait libre mais une attaque était à craindre pendant la marche.
 
I0I. Le maréchal Bazaine aurait dû se préoccuper des partis ennemis qui lui étaient signalés. Il savait que le danger le plus grave pour ses troupes pouvait venir du côté de la Moselle, puisqu'on avait négligé de détruire les ponts d' Ars et de Novéant dont l'existence va rendre possible le passage des troupes ennemies qui viendront dans la journée du I6 attaquer notre armée et arrêter son mouvement de retraite. Le commandant Farinet pense que la reculade du général de Forton dans la journée du I5 fut sinon l'unique du moins une des principales causes du retard de l'armée. Selon lui cette retraite immobilisa nos troupes. On se crut en présence de forces nombreuses et on suspendit la marche en avant. L'encombrement des routes fut, semble-t-il, un facteur bien plus important, de ce retard si préjudiciable. Bazaine n'en a pas moins manqué à tous ses devoirs de commandant en chef en ne cherchant pas, la présence de l'ennemi lui étant signalée, à s'informer de la véritable force de l'adversaire et de sa situation; mais comme le remarque M. Alfred Duquet, voir Les Grandes Batailles de Metz, I00, il ne savait pas se servir de sa cavalerie. 
 
I02. Toute la nuit il y eut des escarmouches : " Les avant-postes de la division de Forton tiraillaient contre des cavaliers peu nombreux venus de Mars-la-Tour et de Tronville. " Lieutenant-colonel PICARD, loc. cit., II, 8. Voir pour les détails DICK DE LONLAY, loc. cit., II, 596-97-98.
 
I03. Mandé auprès du souverain, le maréchal Bazaine arrive vers quatre heures et demie. L' Empereur, déjà en voiture, lui annonce sa détermination de partir immédiatement pour Verdun et le camp de Châlons : puis il ajoute : Mettez-vous en route dès que vous pourrez. Lieutenant-colonel PICARD, loc. cit., II, 3, 4. Du même : " À l'instruction de son procès, le maréchal a déclaré au contraire que l' Empereur lui avait laissé, comme commandant en chef, le loisir de choisir le moment opportun ", 114, note I.

I04. Toujours le prétexte du retard des 3e et 4e corps, mais il est bien possible que Bazaine n'ait nullement eu l'intention de continuer la marche sur Verdun. Sentant son incapacité à régler l'écoulement régulier d'une pareille masse de troupes, il se laisse conduire par les évènements et se cramponne à la place de Metz qui peut lui servir d'abri; ce qu'il cherche peut-être, c'est un prétexte qui lui permette de s'immobiliser sous la place forte et de ne pas avoir à manœuvrer.
 
I05. Et l'opinion publique qui était alors déchaînée contre lui et avait porté Bazaine au commandement. Voir notre suivante qui pourrait aussi servir de commentaire à la page 76, lignes 9 à 20.
  Comme l'a exposé Charles de Mazade, [Louis Charles Jean Robert, I820-I893; critique et poète; académicien en I882] la Guerre de France, t. IerI35, il fallait faire tomber le commandement des mains du major-général et de l' Empereur lui-même, aux mains du maréchal, proposé par l'opposition, poussé par l'opinion désiré aussi par l'armée qui se lassait des tergiversations. La faveur publique, par une de ces inexplicables révolutions de la population, se déclarait tout à coup pour l'ancien commandant de la désastreuse expédition du Mexique,[I86I-I867 https://fr.wikipedia.org/wiki/Exp%C3%A9dition_du_Mexique] pour le chef du 3e corps de l'armée du Rhin, qui, après tout, n'avait pas fait plus que d'autres et qui le jour de la bataille de Forbach n'avait point certes montré tout le zèle possible. L'opinion ne laissait même pas la liberté du choix au souverain, au gouvernement. C'est ainsi que le maréchal Bazaine devenait le commandant en chef de l'armée du Rhin par la toute-puissance d'une opinion mobile et inquiète. — ALFRED DUQUET, Journal, 6 octobre I9I3. 
  Le I2 août, le nouveau ministère, Palikao, [Charles Guillaume Marie Apolline Antoine Cousin-Montauban, comte de Palikao, I796-I878; général] exigeait que le maréchal Le Bœuf résiliât ses fonctions de major-général, et que le commandement de l'armée fût confié au maréchal Bazaine : général Jarras, loc. cit., 74-75. 

 De MAZADE Charles, académicien, élu en I882, au fauteuil n° 4.
 
      
Cousin-Montauban Charles, comte de Palikao. Auteur : Disdéri, I862.

I06. " Je n'avais nullement désiré et j'avais encore moins recherché ces fonctions. Aussi, au moment où je fus prévenu de la désignation, dont je venais d'être l'objet, à la préfecture le I2 août, vers 3 heures de l'après-midi, dans le cabinet du major-général, en présence de l' Empereur, du maréchal Le Bœuf, du général Changarnier,[Nicolas, I793-I877; candidat monarchiste à l'élection présidentielle française de I848; élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d'honneur le 22 avril I87I, il refuse la distinction] et du général Lebrun, je protestai. Mais on insista, dans les termes trop flatteurs pour que je puisse les répéter, et je dus obéir, n'écoutant que le sentiment du devoir. " Souvenirs du général Jarras, loc. cit., 78. Voir sur les rapports de Jarras avec Bazaine même ouvrage pp. 80-8I et I96-200.
 
 
 Changarnier Nicolas, portrait; galerie des représentants du peuple, I848.
 
I07. Cette appréciation sur l'incapacité de Bazaine était malheureusement exacte.
 
COMMANDANT FARINET, L'Agonie d'une Armée, Metz-I870, Journal de guerre d'un porte-étendard de l' Armée du Rhin, ancienne librairie Furne, Boivin & Cie, Éditeurs, I9I4, p. I06-II7.
 
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