Blog : Éclairage(s)
17 mai 2020
Le marché de l'électricité a longtemps été construit sur la base d'offres tarifaires simples et lisibles pour l'utilisateur ; tarif unique toute l'année, tarif heures/pleines heures creuses pour l'essentiel. La libéralisation du marché de l'électricité a conduit à la mise en place d'une bourse, où l'électricité se négocie heure par heure sur un marché de gros. Jusqu’à présent, le consommateur n'était pas soumis à ces fluctuations puisque c'est le fournisseur qui portait le risque, en proposant un prix fixe, lisible valable au moins un an en général.
Avec l'apparition des compteurs communicants, et des facilités proposées par le numérique, des fournisseurs d'électricité apparaissent avec des offres indexées sur les cours de bourse. Peu connues actuellement, il s'agit notamment de Wekiwi, Mega Energie, et arrivera en fin d'année "Barry", filiale de Fortum.
Cet article n'évoquera pas le bien fondé de ce type d'offre mais vise simplement à expliquer le fonctionnement d'un de ces fournisseurs, Mega Energie, filiale de l'entreprise belge du même nom, et mettre en lumière quelques difficultés posées par ces offres en termes d'information au consommateur.
Quelques rappels sur la composition du prix de l'électricité
Pour rappel, le prix de l'électricité est composé de trois tiers :
- un tiers étant l'électricité et son coût de fourniture, coûts d'achat ou de production, fonctionnement du service clientèle, marge commerciale,
- un tiers concerne le TURPE, à destination d'Enedis et RTE pour la gestion du réseau,
et
- le derniers tiers est composé des taxes et autres contributions.
Seule la première partie, l'électricité proprement dire et son coût de fourniture, appelés usuellement "part énergie" sont à la main de chaque fournisseur. Le TURPE et la fiscalité sont identiques quel que soit le fournisseur.
Ainsi, pour comparer deux fournisseurs entre eux, et comme nous allons le faire plus bas, il n'est pas nécessaire de comparer l'ensemble des postes de coûts, mais uniquement de la part "fourniture" du graphique ci dessus. Dans le détail, elle va comprendre le coût de l'électricité proprement dite, soit produite, soit achetée sur les marchés, le prix des certificats de capacités, obligatoires depuis 2017, les coûts commerciaux, service clientèle, système d'information..., les coûts de transaction sur le marché de l'électricité, rémunération des intermédiaires, et une marge commerciale.
Pour EDF et le tarif réglementé de l'électricité, ces composantes sont calculées par la Commission de régulation de l'énergie, selon une méthodologie de calcul complexe qui tient compte des prix observés sur le marché à terme, lissés sur 24 mois, mais aussi la prise en compte du prix de l' ARENH (42€/MWh) qui va d'une certaine manière atténuer les fluctuations du marché dans le prix final.
L'offre indexée de MEGA Energie
L'offre de MEGA Energie est annoncée, sur son site internet, dès la page d'accueil, comme permettant près de 35% de remise accompagné du commentaire "Mega : le fournisseur d'énergie durablement moins cher"
Page d'accueil du site "Méga Energie"
En cliquant sur le lien, on découvre qu'il s'agit d'une offre indexée à l' EPEX, c'est à dire la bourse de l'électricité basée à Paris. Dans le détail, la fiche d'information montre une courbe qui redescend sans cesse : "Des prix au plus proche du marché de gros, basés sur une formule bloquée. Économies calculées sur base de la dernière valeur connue (Avril 2020= 13,45€/MWh)"
Ainsi, l'économie affichée dépend du prix à la bourse, et la remise affichée n'est valable que sur le mois en cours. Le prix des mois suivant est, par nature, inconnu. Le renvoi de bas de page nous permet de comprendre l'index prix en compte pour ce tarif :
Le prix de l'électricité variable est indexé mensuellement sur la durée du contrat. Il est basé sur la moyenne arithmétique des cotations journalières Day Ahead EPEX Spot sur le marché français durant le mois de fourniture, telles que disponibles sur le site Internet de EPEXSPOT. Le prix du kWh présenté sur la grille tarifaire est calculé sur base de la dernière valeur connue, EPEX_SPOT_M (€/MWh) avril 2020 : 13,45 €. La consommation du mois de mai sera facturée sur base de cette valeur. Par la suite le prix évolue selon la formule suivante : EPEX_SPOT_M= Moyenne arithmétique des cotations journalières Day Ahead EPEX Spot durant le mois de fourniture.
On comprend donc aisément pourquoi le prix affiché pour avril est très bas, et explique donc le niveau de remise annoncé. En revanche, comme l'on dit chez les banquiers, "les performances passées ne préjugent pas des performances futures". Ce prix est particulièrement impacté par les impacts de la crise Covid-19 et la baisse de consommation qui en a résulté. Mais aucun consommateur n'était capable de le prévoir et de souscrire à cette offre fin février ou début mars.
Le prix évolue donc chaque mois et dépend de la moyenne des cotations journalières du "day ahead", c'est à dire des livraisons J+1. Pour le premier mois de souscription, le prix est connu car il est retenu le calcul du mois précédent. Par la suite, la fiche d'information nous donne la formule calculée, ici pour un exemple d'un abonnement 6kVA option "base" :
EPEX_SPOT_M/1000 x 1,140 + 0,009 € + Acheminement
Dit autrement, on prend le prix moyen de cotation du "day ahead" du mois on y ajoute 14% ainsi que 9€/MWh (0,009€/kWh) ainsi que le tarif d'acheminement d'Enedis. Par exemple, si la moyenne des prix "Day ahead" du mois est de 20€, le calcul est de 20 x 1,14 + 9€ soit 31,8€/MWh, soit 0,0318€/kWh. Auquel il faudra rajouter le TURPE bien entendu (35,96€/MWh) ainsi que les taxes.
Simulation rétrospective de l'offre pour l'année 2019
Nous allons maintenant essayer de simuler ce qu'aurait donné cette offre sur l'année 2019, car nous disposons de toutes les données pour faire le calcul, sur la base d'un client 6 kVA simple tarif, appelé "option base". Nous allons faire cette comparaison avec le tarif réglementé commercialisé par EDF et les entreprises locales de distribution. A des fins de simplification, nous ne tiendrons pas compte de la fiscalité, qui est identiques quel que soit le fournisseur. De plus, l'abonnement mensuel est aussi le même chez Méga énergie que chez EDF.
Le tableau ci dessous reprend les prix mensuels de la formule de Mega énergie ainsi que le tarif réglementé :
Travail personnel à partir des données EPEX Spot et CRE
On constate ici que neuf mois sur douze, le prix du MWh fourni par Méga Energie est inférieur à celui d'EDF au tarif réglementé, dont il a été tenu compte des deux évolutions tarifaires intervenues en 2019. On observe aussi de fortes fluctuations du prix "day ahead", pouvant aller du simple au double en cours d'année. Ainsi, dans l'hypothèse d'un client consommant 1 MWh tous les mois de l'année, le prix de la "part énergie" du kWh de Méga est inférieur de 4,03% de celui d'EDF. Une fois le TURPE ajouté, somme fixe, l'écart est de 2,45%. C'est relativement peu, puisque d'autres opérateurs proposent des remises similaires sans le risque lié aux fluctuations boursières.
Toutefois, raisonner ainsi ne tient pas compte des volumes de consommation différents d'un mois sur l'autre. On consomme davantage en hiver qu'en été, fatalement. Pour ce faire, nous prenons le profil de consommation d'un abonné 6 kVA. Il s'agit d'une consommation d'un abonné réel. C'est important car tant les prix à la bourse que les consommations sont influencés par la température extérieure, chauffage par exemple.
Les consommations de l'abonné fluctuent aussi fortement, avec un facteur dix entre l'hiver et l'été. Cette pondération va avoir un impact très important sur la simulation finale de l'offre tarifaire proposée par Méga Energie.
Cette simulation donne les résultats suivants :
Travail personnel à partir des données EPEX Spot et CRE
Il apparait de manière incontestable que, pour l'année 2019, le recours à l'offre indexée selon la formule de Méga énergie aurait conduit à une facturation de la part énergie HT près de 6% plus chère qu'au tarif réglementé d'EDF. Une fois le TURPE ajouté, somme fixe, l'écart sur la facture est de 3,58% en faveur du tarif réglementé. C'est typiquement une mauvaise affaire pour le consommateur, pour cette année là en tous cas. Cela ne préjuge pas des résultats futurs.
La nécessité de protéger le consommateur
Alors certains pourraient relativiser. On pourrait dire, à l'instar d'un boursicoteur, qu'il a fait un mauvais pari. Au delà de la question politique fondamentale de savoir si le prix de l'électricité doit se jouer en bourse, il se pose la question immédiate de la protection du consommateur. Dans cet exemple, ce dernier est incapable de connaître au mois le mois l'évolution du cours de bourse, et, par conséquent ne connait jamais son tarif d'électricité à l'avance. Par ailleurs, un particulier ne change pas, en général, de fournisseur tous les mois.
Les pratiques du secteur de l'énergie consistent souvent à afficher des remises considérables, parfois sans informer loyalement le consommateur. La pratique des démarchages abusifs est fréquente et conduit beaucoup de français à changer de fournisseur d'électricité sans forcément avoir une bonne connaissance du fonctionnement du marché de l'électricité. Un retournement boursier pourrait alourdir considérablement la facture sans que le consommateur s'en rende compte, en particulier chez ce fournisseur qui procède au "lissage des paiements de 6 à 11 prélèvements mensuels fixes".
Les offres indexées sur la bourse de l'électricité vont fortement se développer dans les mois qui viennent. En particulier sous l'effet de la directive européenne 2019/944 qui impose à chaque fournisseur de proposer au moins une offre de ce type. Il est indispensable que les pouvoirs publics, la Commission de Régulation de l'Energie, le Médiateur de l'Energie et la DGCCRF encadrent ces pratiques commerciales. Que le consentement du consommateur soit clair et que les risques d'une telle offres soient compris. Au fond, que le rappel permanent des courtiers "Les performances passées ne préjugent pas des performances futures" s'applique aussi à ce type d'offre, puisqu'elles prétendent fonctionner selon les fondamentaux d'un produit financier.
En résumé, avant de choisir ce type d'offre, le consommateur doit regarder le mode d’indexation et la courbe de consommation.
Et avoir... le goût du risque. Mais, dans certains cas, précis, le pari peut s'avérer payant :
par exemple, un restaurateur saisonnier au Cap d’Agde a plus intérêt à faire ce choix qu’une station
de ski à Chamonix. Car sa consommation est pour l’essentiel l’été et où les
prix de gros sont généralement plus bas.
php
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