CHINE ET RUSSIE : LE NUCLÉAIRE EST EN POINTE, MAIS GREENPEACE REGARDE AILLEURS !

  " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits et après, ils se démerdent "
YANNE Jean, I933-2003; acteur, réalisateur, écrivain, chanteur, producteur et compositeur .
 
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L’atome en Russie et en Chine : les silences de Greenpeace


  Greenpeace a entretenu depuis plus d’un quart de siècle des bureaux à Moscou et Pékin, dont les activités sont importantes et quelquefois remarquables. Mais il lui a fallu trouver les moyens de s’adapter aux deux pays, où le pouvoir est plus directif que dans les démocraties d’Occident.
   Le Directeur exécutif de Greenpeace Russie est devenu le Président d’un Comité Permanent des Droits Environnementaux d’un Conseil du Président de la Fédération de Russie. Cela a permis à Greenpeace Russie d’amplifier son action, mais l’a amenée aussi à mettre une sourdine sur ses opinions sur l’atome, qui s’est rapidement muée en silence total.
   Le fondateur du Bureau de Pékin de Greenpeace a fait état très tôt d’un oukase,[décret rendu par l'État, Larousse] qu’il a choisi d’observer, concernant l’interdiction du gouvernement d’aborder la question du nucléaire. Une nouvelle législation verrouille aujourd’hui tout retour en arrière.
   Ainsi vis-à-vis de la forte progression des activités nucléaires de la Russie et de la Chine, Greenpeace s’est tue, en oubliant que la lutte contre l’atome faisait partie de son ADN : Greenpeace France dixit. Russie et Chine ont été dispensées des permanentes et pressantes campagnes antinucléaires dont Greenpeace est prodigue en Occident et ceci malgré la présence de bureaux locaux fort actifs de l’ONG verte. Comme a titré récemment Le Monde : 23 avril 2023 : « Pékin et Moscou dominent le commerce mondial du nucléaire » 
 

L’atome en Russie et en Chine

Les silences de Greenpeace

 

I) Greenpeace décrit ses activités en Russie et en Chine

   À la suite de son éviction de la Russie en mai 2023, Greenpeace a publié une note intitulée : « Greenpeace est-elle active dans des pays comme la Chine et la Russie ? »I. On y lit : 
 
Pour la Russie :
   Le bureau de Greenpeace a été ouvert en I992. Il a été fermé par les autorités du pays le I9 mai 2023. « Greenpeace International a condamné cette décision ...qui met malheureusement fin au travail remarquable accompli pendant trente ans par Greenpeace Russie...ce bureau travaillait sur de nombreux sujets...de la protection des forêts à la lutte contre la pollution des lacs et océans ».I Greenpeace « menait aussi un plaidoyer actif pour porter des solutions auprès du gouvernement et une réelle transition énergétique dans le pays ».I
 
Pour la Chine
   Le Bureau de Greenpeace en Chine a été ouvert en 2002 et comprend une équipe de 80 personnes.   Voici les activités citées : la lutte contre le charbon, les pesticides, l’amélioration de la qualité de l’air, la promotion des énergies renouvelables, la désintoxication de l’industrie textile.
   Greenpeace décrit aussi son action lors d’accidents majeurs comme la fuite de pétrole de Dalian, 2008, et l’explosion chimique de Tianjin : 20I5. Et de conclure : « Ce travail est la clé pour porter les questions de développement des énergies renouvelables et d’agriculture soutenable, la Chine étant aujourd’hui le plus émetteur de carbone, mais aussi le plus grand producteur et investisseur dans les énergies renouvelables ».

Le silence sur l’énergie nucléaire
   Aucune mention de l’énergie nucléaire parmi les activités de Greenpeace en Russie et en Chine n’apparaît dans les textes précédents.I,2. Pourtant Greenpeace International proclame : « Greenpeace a toujours combattu et combattra toujours vigoureusement l’énergie nucléaire car elle représente un risque inacceptable pour l’environnement et l’humanité. La seule solution est de stopper l’expansion de l’énergie nucléaire, et de fermer les centrales existantes ».2 Greenpeace France résume par : « Lutter contre le nucléaire fait partie de notre ADN ».3
   Pourquoi la lutte contre l’énergie nucléaire n’apparaît-elle pas dans les activités de Greenpeace en Russie et en Chine ? Question capitale. Car aujourd’hui, comme l’écrit le ministère américain de l’énergie4 : « L’Amérique a perdu sa position dominante de leader mondial de l’énergie nucléaire au profit d’entreprises étatiques, principalement de Russie et de Chine ». Ces pays dominent aujourd’hui le nucléaire civil mondial. La Chine vient d’accélérer son important programme domestique et est en passe de disposer d’un parc de réacteurs de la même taille que la France et dans quelques années de celui des États Unis, ce qui en fera le premier du monde. La Russie multiplie des ventes de centrales nucléaires dans le monde entier et la Chine s’apprête à faire de même.
   Quelles sont les politiques vis à vis du nucléaire de Greenpeace en Russie et en Chine ?

II) Greenpeace en Russie

   Après l’accident de Tchernobyl, I986, le nucléaire russe traversa une période de réorganisation profonde. Aujourd’hui, son réacteur de troisième génération, donc concurrent de l’ EPR français, est le VVERI200. Sa conception « répond aux meilleurs standards de sûreté en vigueur au niveau européen et mondial »5. À côté de ce produit-phare, le VVERI200, la Russie prépare l’avenir par la mise au point des réacteurs dits avancés, ceux qui fermeront le cycle de combustible et régleront définitivement la question des déchets, en affirmant le caractère renouvelable du nucléaire.
   Ainsi, le pays est devenu le leader mondial de la technologie des surgénérateurs. Dans ce domaine, il a remplacé et supplanté la France qui a jeté l’éponge en arrêtant Super Phénix : I997, puis le projet Astrid : 20I9.6 L’énergie nucléaire, en Russie, a connu une résurrection spectaculaire.
   En Russie les activités nucléaires civiles et militaires sont le domaine de l’entreprise d’État Rosatom. Le côté militaire est financé par l’État, par contre les activités civiles ont été progressivement priées de trouver leurs propres financements. Rosatom a choisi une stratégie : l’exportation. Cette politique a débuté vers la fin du siècle dernier et connaît un certain succès. La Russie contribue largement à l’expansion du nucléaire civil dans le monde, ainsi par son chantier d’ Akkuyu en Turquie, qu’elle présente comme le plus grand chantier nucléaire actuel mondial, par celui d’ El Daaba, Égypte, par ceux du Bangladesh et de Chine : entre autres.
   Greenpeace vient d’être chassée de Russie, I9 mai 2023, mais y a été présente depuis I992. En face de ce retour remarquable du nucléaire civil russe amorcé il y a plus de vingt ans, mais particulièrement vigoureuse ces dernières années quelle a été l’attitude de Greenpeace Russie ?

La double casquette du Directeur Exécutif de Greenpeace Russie

   L’histoire de Greenpeace Russie est inséparable de son directeur historique, Sergei Tsyplenko, un géologue et un géographe né en I966, à Velikiye Luki, une ville de l’Oblast de Ksov, à environ cinq cents kilomètres à l’ouest de Moscou. Tsyplenkov s’est très vite passionné pour la défense de la nature, et d’abord pour celle de son immense pays qu’il a parcouru lors d’une dizaine d’expéditions. Il a dirigé le programme concernant le classement des sites de la Russie au patrimoine de l’ UNESCO. [Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, I945] Il intégra Greenpeace peu de temps après la création du Bureau de Moscou, I992, et en devient le directeur exécutif en I997. Il le restera jusqu’au I9 mai 2023, jour de l’interdiction de Greenpeace en Russie.
 
 
 
 Le directeur exécutif de la branche russe de Greenpeace, Sergei Tsyplenkov, devant son bureau à Moscou le 20 mai 2023. ALEXANDER NEMENOV / AFP

   À l’invitation d’ Ella Pamfilova7,[Ella Aleksandrovna Pamfilova, I953- ]Tsyplenkov rejoignit le « Conseil du Président de la Fédération de Russie pour le développement de la société civile et des droits de l'homme », connu généralement à Moscou sous le nom de Conseil des Droits de l’Homme. Dans la suite du texte nous l’appellerons « le Conseil ». Tsyplenkov était présent le 20 décembre 2005 lors de la conférence de presse au cours de laquelle Ella Pamfilova présenta le Conseil, en prélude de la présidence russe du G8.8
   En novembre 20I2, Vladimir Poutine remania profondément le Conseil, en changea la composition, le dota d’un Présidium et de plusieurs Commissions permanentes. Ainsi constitué il permet aujourd’hui, comme le montre ses archives9, au Président russe d’avoir connaissance d’un certain nombre de problèmes et de conflits au sein de la société civile, d’en suivre les évolutions et d’en décider l’issue. Son existence dément partiellement l’idée répandue en Occident d’un président russe enfermé dans sa tour d’ivoire. Il est une source d’information notable pour le Kremlin.
   L’une des Commissions permanentes est chargée des « Droits environnementaux » en fait des questions de l’environnement. Vladimir Poutine, dès la mise en place de la réforme du Conseil, novembre 20I2, nomma Sergei Tsyplenkov, membre du Présidium, et Président du Comité Permanent « des Droits Environnementaux » : novembre 20I2. Tsyplenko y est explicitement désigné comme « Directeur exécutif de Greenpeace Russie ».
   Désormais, Sergei Tsyplenkov avait deux casquettes. Celle de Directeur exécutif de Greenpeace Russie, et celle de Président du Comité Permanent consacré à l’environnement au sein du Conseil du Président de la Fédération de Russie pour la société civile et des droits de l’homme.

La politique de Greenpeace Russie

   À partir de novembre 20I2, il est bien difficile de distinguer la politique de Greenpeace Russie de celle du Président du « Comité Permanent des Droits Environnementaux » du Conseil. Les archives du Comité9 et le relevé du suivi de l’activité de Sergei Tsyplenkov lui-même par l’agence RamblerI0 [Rambler Media Group; ce groupe détient un des plus grands moteurs de recherche sur le web de Russie et, l’un des sites d’information les plus consultés en Russie, qui n’existe qu’en version web : Lenta.ru] montrent l’identité des deux politiques. En fait on constate que l’action que Greenpeace Russie menait depuis sa création,I,2 s’est poursuivie en s’amplifiant. La seconde casquette de Tsyplenkov, la Présidence du Comité Permanent des Droits Environnementaux du Conseil, si elle lui offre bien plus de possibilités, comporte aussi des relations avec le pouvoir à son niveau suprême puisque le Conseil est celui du Président de la Fédération de Russie.
   Vladimir Poutine est-il sensible à la défense de l’environnement ? Il rencontra en 2006 les dirigeants des principales ONG mondiales impliquées, dont Greenpeace. Son nationalisme s’étend-il jusqu’à la défense de la nature russe ou recherche-t-il des possibilités supplémentaires pour des décisions concernant l’aménagement du territoire ? En tout état de cause, Vladimir Poutine s’intéressa notablement aux travaux du Comité Permanent des Droits Environnementaux et de son président. Sergei Tsyplenkov se montra, comme auparavant, un défenseur compétent et déterminé, voire radical, de l’environnement.. En 20I7, il devra se défendre d’une accusation « d’extrémisme »I0 portée par Sergei Ivanov,[Sergueï Borissovitch Ivanov, I953-] un proche de Vladimir Poutine, ancien ministre de la Défense. Ce qui ne l’empêchera pas en 202I de proposer qu’au delà des peines encourues, certaines atteintes à la nature impliquent une obligation de rééducation.I0
   Le Chef du Kremlin se montra sensible aux compétences du directeur de Greenpeace Russie. Il écouta ses propositions et les mit volontiers en œuvre.9,I0 . Ce qui permit à l’activité de Greenpeace de s’intensifier en Russie pendant la période 20I2-2023. Cependant, quelles que soient les décisions de Poutine suite à ses propositions, Tsyplenkov les accepta toujours sans discussion.
   Ainsi, en décembre 20I6, lors d’une réunion du Conseil, Tsyplenkov proposa que toutes les commissions et autorités environnementales fusionnent en un seul organe qui rendrait compte directement au Président et au Premier ministre. Poutine ne fut pas dupe et répondit : « Bien qu’à première vue, cela paraisse opportun... il n’est pas possible de faire glisser la surveillance des activités nucléaires. Non c’est hors de question. Seul Rostekhnadzor [est compétent] »I0. Rostekhnadzor est l’autorité fédérale russe de sûreté nucléaire. Tsyplenkov s’inclina.
   Sergei Tsyplenkov survivra à tous les remaniements du Conseil provoqués par Vladimir Poutine y compris celui de 2022, lorsqu’un certain nombre de membres, dont Tsyplenkov, condamnèrent l’invasion de l’Ukraine. Il échappa à la purge, ce qui est remarquable.
   Dans cette collaboration paisible entre le patron de Greenpeace Russie et le Chef du Kremlin, Greenpeace International joua le rôle d’éléphant dans le magasin de porcelaines.
   Le I9 septembre 20I3, des gardes-côtes russes interceptèrent le navire de Greenpeace « Artic Sea » après que deux militants aient tenté de monter sur une plate forme de forage offshore de Gazprom au nord de Mourmansk. La réaction russe fut brutale. Le navire fut saisi et une trentaine de personnes incarcérées, sous l’inculpation de piraterie et de fait, passibles de quinze ans de prison.
   L’affaire avait été menée par Greenpeace International. Tsyplenkov n’y avait pas participée et les rares Russes à bord de l’ Artic Sea ne faisaient pas partie de son équipe. Finalement, Vladimir Poutine fut clément et reconnaîtra que les militants de Greenpeace n’étaient pas des pirates. Ils furent libérés après deux mois de détention. Tsyplenkov avait certainement plaidé leur cause et ne fut pas inquiété.
   En 2022, une initiative de Greenpeace International tourna au désastre. Greenpeace Russie était considérée comme une association russe par le ministère de la Justice. Ses nombreuses interventions gênèrent certains projets industriels ou d’infrastructures, créant de solides inimitiés. En 2020, la Société Écologique Russe, dirigée par un homme d’affaires et ancien vice-ministre des télécommunications, Rashid Ismailov,[I965-; il a occupé de nombreux postes de direction dans diverses entreprises du secteur des hautes technologies, comme Ericsson, Huawei Technologies et Nokia. De 20I4 à 20I8, Rashid a travaillé en tant que Vice-ministre au ministère du développement numérique, des communications et des médias de masse de la Fédération de Russie; en août 2020, Rashid Ismailov a été nommé président de PJSC " VimpelCom ". Il est notamment chargé de gérer la fourniture de services de communication pour un certain nombre d'institutions gouvernementales; source]  demanda que Greenpeace Russie soit considérée comme une société étrangèreI0, compte tenu des liens, y compris financiers, avec Greenpeace International, ce qui permettrait de l’interdire. Le ministère russe refusa. Mais en 2022, Greenpeace International, tout en n’attaquant pas le nucléaire russe en Russie, proclama que le nucléaire occidental dépendait des livraisons de combustibles nucléaires russes, commerce inadmissible du fait de la guerre d’Ukraine. Ceci fut présenté comme une raison supplémentaire pour condamner l’usage de l’énergie nucléaire dans l’Union Européenne et y prôner une sortie rapide l’atome. Le I9 mai 2023, la nationalité russe fut retirée à Greenpeace Russie. Elle était désormais considérée comme une part de Greenpeace International, association étrangère hostile à la Russie. Les activités de Greenpeace International en Russie furent interdites dans la foulée, ce qui entraînait la fin des activités de Greenpeace Russie.
   Ce jour-là, on a pu voir Tsyplenkov atterré devant ses locaux. Greenpeace International, qui n’avait pas prévu cette fin d’activités se montra outrée et « condamna cette décision », qui prive la Russie « d’un de ses meilleurs experts des problèmes et solutions liés à l’environnement ».I Il s’agit certainement d’une allusion aux compétences remarquables de Tsyplenkov.
   Mais en ce début d’été 2023, plus d’un mois après l’éviction de Greenpeace, Sergei Tsyplenkov est toujours Président du Comité Permanent « Droits Environnementaux » du Conseil au Président de la Fédération de Russie9. Lui et son équipe pourraient-ils continuer leur œuvre hors Greenpeace ?
Greenpeace International a remanié sa note du I9 mai 2023, par une remise à jour le 26 juin 2023.  L’ONG s’attache à décrire l’ensemble son activité depuis l’ouverture de son bureau russe en I992.II
   On y vérifie qu’aucune activité antinucléaire n’est mentionnée.


III) Greenpeace en Chine

   La politique nucléaire chinoise a été intelligente et efficace. Remarquant la réussite du parc nucléaire français historique, la Chine a commencé par la copier. Deux réacteurs identiques à ceux de Gravelines, Nord, furent construits près de Hong Kong et les ingénieurs locaux les perfectionnèrent progressivement, en adoptant la stratégie industrielle française de l’époque : la construction en série par paliers successifs. Les dirigeants politiques français qui n’avaient pas compris l’importance de cette stratégie imposèrent un saut technologique avec l’ EPR. Le résultat est que les réacteurs descendant de ceux de Gravelines, nommés Hualong One, sont chinois. Déjà mis en service à plusieurs exemplaires, ce sont des concurrents redoutables de l’ EPR, nettement moins chers et plus rapides à construire. Parallèlement, les Chinois mirent en service chez eux des exemplaires des réacteurs étrangers de troisième génération, les plus modernes : l’API000 américain, l’ EPR français et le VVER russe, ce qui leur a permis d’assimiler les autres technologies mondiales.  Aujourd’hui, la Chine a pris une certaine avance concernant les réacteurs futurs dits avancés, ainsi les HTR, réacteurs à haute température, et les SMR : petits réacteurs modulaires. L’industrie nucléaire chinoise comprend une chaîne d’approvisionnement complète, ce qui n’est pas le cas de l’industrie nucléaire russe. Elle est la première du monde et son produit phare, le Hualong One, a commencé à s’exporter et a toutes les chances de remporter un certain succès.
   Dès 2020, la production nucléaire chinoise, insignifiante avant l’an 2000, est devenue plus importante que la française. Elle est la seconde du monde derrière les États Unis et deviendra la première bien avant 2050. Devant cette marche triomphale du nucléaire chinois, qu’a fait Greenpeace Pékin ?
   Les indépendantistes tibétains de Tibettruth furent fort déçus par Greenpeace lorsqu’en 20I7, ils tentèrent, en vain, d’obtenir l’appui de l’ONG verte pour combattre les activités nucléaires chinoises chez eux.I2 [Greenpeace ignore l'empoisonnement nucléaire du Tibet] Les Tibétains n’avaient pas suivi la saga de Greenpeace en Chine.
   L’aventure débuta le I8 août I995, place Tien An Men à Pékin, par la plus courte manifestation jamais organisée par Greenpeace. Il suffit de quarante cinq secondes à la police chinoise pour arrêter les huit manifestants de l’ONG verte venus protester contre des essais nucléaires.I3 Greenpeace se le tint désormais pour dit.
   Ensuite vint Lo Sze-Ping, natif de Hong Kong, qui dirigera Greenpeace Pékin du début des années 2000 à 20I3.[écologiste chinois; directeur général de Greenovation Hub et fondateur d'un groupe d'éducation des militants, Forward Works; vice-président du conseil d'administration de la Global Campaign for Climate Actions et président exécutif du conseil d'administration de Friend of Nature, la première ONG verte en Chine. Il siège également au Conseil du développement durable du gouvernement de Hong Kong, ainsi qu'au comité consultatif de plusieurs programmes universitaires en Chine; source] Lo Sze-Ping commença par ruser pour enregistrer Greenpeace Pékin : Beijing.
 
 

   « Au lieu de postuler auprès du Bureau des affaires civiques en tant qu'organisation non gouvernementale, ONG, le groupe s'est enregistré auprès du Bureau de l'industrie et du commerce en tant qu'entreprise privée nommée " Beijing Rainbow Peace Environment Research Centre ".
   L’enregistrement, approuvé, était le fait d’avocats de Hong Kong, diligentés par le bureau de Hong-Kong de Greenpeace ...Il n’est pas certain que les autorités de Beijing aient su que la demande de Rainbow Peace venait de Greenpeace »I4. On rappelle néanmoins que le nom, Rainbow, provenait d’un navire de Greenpeace, le Rainbow Warrior, rendu fort célèbre, y compris en Chine, par les Français qui l’avait coulé en Nouvelle Zélande ! Le rusé Lo Sze-Ping était également prudent. Il confia au réseau français « Sortir du nucléaire » que « le programme nucléaire est un oukase de l’appareil d’État. Les Chinois n’ont pas le droit de le discuter ».I5 Lo Sze-Ping étant chinois, ne le discuta pas.
   Arrivons en 20I7. Lo Sze-Ping n’est plus patron de Greenpeace Pékin qu’il a quittée pour le WWF. [World Wide Fund for Nature ou Fonds mondial pour la nature, I96I]  Mais sa règle de conduite « silence sur le nucléaire » est toujours en vigueur, comme les Tibétains s’en aperçurent à leur dépens. L’existence des ONG étrangères en Chine est désormais régie par une nouvelle loi dont la gestation a duré plusieurs années. Les ONG étrangères doivent être enregistrées auprès du ministère de la Sécurité Publique, MPS, ou opter pour des « permis d’activité temporaires ». Lors d’une interview en 20I9, Jennifer MorganI6,[I966-, militante écologiste américano-allemande spécialisée dans la politique sur le changement climatique] alors co-directrice de Greenpeace International [depuis 2022, elle est représentante spéciale pour la politique climatique internationale du ministère fédéral des Affaires étrangères en Allemagne, sous la direction de la ministre Annalena Baerbock] indiqua que son ONG utilise « principalement » la seconde solution. En ce cas les activités de Greenpeace en Chine relèvent de « permis d’activité temporaire » dont l’obtention nécessite une description détaillée. Il est nécessaire ensuite de trouver un partenaire chinois volontaire pour mener en commun la dite activité. Il revient à ce partenaire de demander le permis auprès du ministère de la Sécurité Publique. Jennifer Morgan précisa que « 28 autorisations temporaires » avaient été obtenues et avaient permis des travaux intéressants avec des partenaires chinois. Il est évident que la nouvelle loi, quelle que soit l’option choisie, rend inimaginable une quelconque activité de contestation du programme nucléaire chinois.
   Greenpeace Chine, Bureau de Pékin, n’a jamais eu d’activité antinucléaire. Ses activités depuis 20I7 doivent être approuvées par le ministère de la Sécurité Publique quelle que soit l’option choisie : enregistrement ou obtention de permis d’activité temporaire.
 
 
Jennifer Morgan, Directrice exécutive, Greenpeace International, à l'événement à la Conférence de Munich sur la sécurité, 2020. Source.  Auteur : Kuhlmann / MSC

Conclusion
   Par des filiales locales, Greenpeace a déployé des activités importantes en Russie et en Chine depuis plus d’un quart de siècle. Dans ces deux pays, l’ONG verte a adapté ses comportements à la situation locale.
   En Russie, le patron historique de Greenpeace a été nommé Président du Comité Permanent des Droits Environnementaux du Conseil du Président de la Fédération de Russie pour le développement de la société civile et des droits de l’homme. Cette fonction officielle a ouvert des opportunités à Greenpeace. Mais l’ONG verte, qui a été interdite en Russie le I9 mai 2023 a gardé le silence sur la résurrection remarquable de l’atome civil russe.
   En Chine, Greenpeace Pékin déploie une activité soutenue, mais fait état très tôt d’un « oukase » d’interdiction de discussion sur l’atome civil. Depuis 20I7, comme pour toutes les ONG étrangères les activités de Greenpeace, Beijing, sont suspendues à un enregistrement auprès du ministère de la Sécurité Publique ou de permis d’activité temporaire délivré par ce même ministère. Comme en Russie.
   Russie et Chine ont été épargnées par les importantes et permanentes campagnes antinucléaires dont Greenpeace a été prodigues dans les pays occidentaux, et ceci malgré la présence de bureaux locaux actifs de l’ONG verte.
   « Pékin et Moscou dominent le commerce mondial du nucléaire ». I7


I. https://www.greenpeace.fr/greenpeace-est-elle-active-dans-des-pays-comme-la-chine-ou-la-russie/
2. https://www.greenpeace.org/international/tag/nuclear/
3. https://www.greenpeace.fr Cf. « Pourquoi Greenpeace est opposée au nucléaire ».
4. Department of Energy, —, « US Department Of Energy-Restoring American’s competitive Nuclear Energy Advantage », — April 2020.
5. Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, — « Les alternatives au réacteur EPR2 », — Débat public Penly3
6. Le Monde, I4/9/20I9, — « La mort d’Astrid » —, par Stéphane Foucart.
7. Ministre des Affaires Sociales de la Russie après la chute de l’U.R.S.S., Ella Pamfilova, tenta de préserver la démocratie dans son pays. Elle est aujourd’hui ralliée à Vladimir Poutine.
8. http://www.g8.utoronto.ca/summit/2006stpetersburg/civil8/civil8051220.html
9. http://www.president-sovet.ru/about/permanent/
I0. https://news.rambler.ru/person/tsyplenkov-sergey-all/
II. https://www.greenpeace.org/international/press-release/59745/environmental-protection-undesirable-russia-greenpeace/
I2. « Greenpeace ignores Tibet’s Nuclear Poisoning » —, publié de 20I7 à 2020 sur https://tibettruth.com/test/, conservé sur un site lié à l’Université de Chicago https://lucian.uchicago.edu/blogs/atomicage/2017/04/27/greenpeace-ignores-tibets-nuclear-poisoning-via-tibet-activism-and-information/
I3. Libération, I8/8/I995, — « Quarante cinq secondes pour défier Pékin » —, par Guy Benhamou.
I4. South China Morning Post, — « Greenpeace is ‘legal’ on the mainland » —, I7 mars 2003
I5. « Le pari nucléaire du Président Hu Jintao à Shenzhen » —, Sortir du nucléaire, 28/2/2005.
I6. China Development-Brief, — « Points of No Return-An interview with Jennifer Morgan, Greenpeace » , 24/6/20I9
I7. Le Monde, — 23 avril 2023 —, par Marjorie Cessac.


  Auteur : LETTRE GÉOPOLITIQUE DE L’ÉLECTRICITÉ, n° I25, 05 juillet 2023

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