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" Ma vie périssable est désormais comme le soleil qui se couche sur le sommet d'une montagne... Je n'ai plus conscience de moi-même. Je ne sais qui je suis, ni où je vais, et ce qu'il adviendra de ce pécheur tout rempli de péchés. Maintenant, je vais faire mes adieux à tous dans ce monde et recommander chacun à la sollicitude de Dieu... "
C'est en ces termes, à la fois désabusés et résignés, qu' Aureng Zeb écrivait à son troisième fils et futur successeur, le prince Muazzam, deux ou trois ans avant sa mort, quand, accablé d'ans et de soucis, il avait le pressentiment, et peut-être le désir, d'une fin prochaine. Cette étrange humilité qu'il affectait déjà dans sa jeunesse et dont on ne sait jamais si elle n'est pas plus qu'à demi sincère, reparaît alors, appuyée sur les versets du Coran, dont il émaille sa correspondance, et qui alternent de façon constante avec les citations des meilleurs poètes persans. En I704, — il a quatre-vingt six ans et il mourra en I707, — il charge son fils d'aller voir le derviche Mir Arab, à Ahmedabad : " Transmettez-lui les hommages de celui qui est honteux de partir pour l'autre monde en désirant les plaisirs de celui-ci. Demandez-lui de prier pour notre bonheur et la sécurité de notre religion. Dites-lui que je marche vers la mort et que je suis loin d'avoir accompli de bonnes actions. Dites-lui encore que la vie de cet homme négligent s'est écoulée en vain et que le temps qui lui reste encore à vivre s'écoulera sans profit, que la mort approche, tandis que le salut recule. "
Est-ce le ton d'un pécheur qui se repent ou d'un homme qui cherche à s'assurer la miséricorde d' Allah, quand il sent peser lourdement sur ses épaules les deux anges qui ne l'ont point quitté et qui, suivant la croyance musulmane, s'apprêtent à déposer devant Dieu le trésor de ses mérites et le fardeau de ses fautes ?
Ces lettres d' Aureng Zeb, dont on possède plusieurs recueils établis par ses secrétaires, ont une grande valeur historique pour la fin de son règne et sont particulièrement précieuses pour la connaissance intime de l' homme; non seulement on y trouve l’écho des guerres et des difficultés de toute nature qui ont assombri son déclin, mais ses rapports avec ses enfants et ses petit-enfants, avec ses généraux et ses ministres y apparaissent avec le charme imprévu d'une familiarité exquise, et la vie privée de l'empereur, ses mœurs, son caractère et ses manies y sont représentés avec une fidélité pleine de bonhomie.
Quittant un instant la scène sanglante avec laquelle les armées du Grand Mogol disputent aux Mahrattes ou aux Radjpoutes les derniers lambeaux d'un trop vaste empire, arrêtons-nous à cette image d'un patriarche qui se détend au milieu de sa nombreuse famille et qui jouit de ces derniers plaisirs modestes, auxquels il s'accuse lui-même de n'avoir pas su renoncer.
Aureng Zeb recevant trois courtisans, en contrebas; création : vers I720. Collection: The San Diego Museum of Art
À cette époque, Aureng Zeb semble avoir perdu ces sentiments de défiance ombrageuse ou de hauteur méprisante qu'il avait envers ses enfants dans les premières années de son règne. Si l'on met à part la révolte de son fils Akbar, dont nous conterons plus loin la dramatique aventure, il entretient avec les siens les rapports les plus affectueux et s' abandonne, tout au moins dans ses lettres, aux démonstrations et au langage de la plus tendre sollicitude. Évidemment, c'est un peu inattendu chez ce rude despote qui n'oublie jamais ni ses droits ni ses intérêts, et il faut quelquefois lire entre les lignes pour démêler sa vraie pensée sous les formules fleuries et caressantes dont il la déguise.
Son grand souci est d'éveiller ou d'entretenir chez ses fils la notion exacte de leur dignité personnelle, de leurs devoirs et de leurs responsabilités. Avec les fragments des lettres écrites entre I680 et I704 à ses fils, les princes Muazzam, A'azam et Kambakch, ou ses petits-fils, on composerait un véritable catéchisme des rois ou testament politique, qui ne différerait pas sensiblement, par le ton et la substance, des conseils de Louis XIV à son futur successeur. Presque toujours ces maximes de sagesse ou de prudence, de haute moralité ou d'expérience personnelle, sont renforcées par une citation du Coran ou de quelque poète. Beaucoup plus surprenant est son souci presque continuel de donner pour caution à sa propre pensée la conduite, le jugement, les paroles de son père, Shah Jahan; ce retour de piété familiale semblerait le fait de la plus noire hypocrisie quand on se rappelle la jeunesse d' Aureng Zeb et la cruauté avec laquelle il a tenu huit ans en prison un vieillard impuissant et déchu. Mais il y a chez le Grand Mogol un très fort sentiment de la solidarité dynastique et Shah Jahan n'est pas le seul de ses ancêtres dont il invoque à tout propos l'exemple pour justifier ses vues personnelles.
Pourtant, on ne peut lire sans un certain malaise le tableau attendrissant qu' Aureng Zeb a tracé de la vie de son père pour détourner son fils A' azam d'une existence frivole, trop adonnée aux plaisirs et particulièrement à celui de la chasse : " Sa Très Haute Majesté, Shah Jahan, avait coutume de dire : la chasse convient aux oisifs... On dit que Sa Majesté avait l'habitude de se lever joyeusement à quatre heures du matin; il faisait ses ablutions et récitait les fragments quotidiens de la prière... Ensuite, il gratifiait son peuple de la vue bénie de son auguste visage. À dix heures, il allait au Divan pour tenir audience publique... Après l'inspection quotidienne des éléphants et des chevaux, à onze heures, il illuminait de nouveau le Divan de sa présence... et traitait les affaires jusqu'à midi. Ensuite son attention se portait sur la nourriture spéciale qu'on lui préparait selon les rites légaux. Pour fortifier le corps et lui donner la force nécessaire à la prière et pour rendre la justice, il prenait un repas proportionné à son appétit. Ensuite, il faisait une enquête sur les aliments et les boissons de son entourage... Alors, il se retirait dans une chambre spéciale où il dormait. À deux heures, il procédait à des ablutions et se mettait à lire le saint Coran. Après avoir récité la prière, avec un murmure sacré sur les lèvres et un rosaire dans les mains, il tenait conseil avec ses ministres... À quatre heures, il recevait ceux qui avaient obtenu récemment des titres ou des domaines... Après le coucher du soleil, il entrait dans sa chambre privée où il trouvait des historiens à la langue douce, d'éloquents conteurs, des musiciens et de nombreux voyageurs. Les femmes étaient assises derrière le rideau, les hommes se tenaient debout en avant... Chacun relatait des histoires concernant les grands personnages et les rois des anciens temps, ou parlait des merveilles et des antiquités des différentes contrées. Sa Majesté passait ainsi jusqu'à minuit les heures du jour et de la nuit, faisant œuvre de justice envers la vie et la souveraineté. "
Nous avons tenu à reproduire, en l'abrégeant quelque peu, ce texte pittoresque; on n' y trouve pas seulement une leçon pour le prince qui, selon l'ordre naturel des choses, aurait dû régner à son tour, mais une image vraisemblable de la vie qu'Aureng Zeb menait lui-même à l'époque où il l'écrivait et un hommage bien inattendu rendu à la sagesse et à la justice d'un père qu'il avait odieusement traité. Plusieurs fois, au cours de cette correspondance, nous retrouverons un souvenir précis d'un temps plus heureux, où le futur Alamguir n'était qu'un jeune garçon, déférent et attentif, observant les gestes et notant les paroles de celui qu'il se proposait pour modèle.
Insensiblement, ses lointains souvenirs lui remontent au cœur quand il échange avec ses fils ces présents qui sont de tradition dans les grandes familles mogoles, quand il intervient entre eux pour apaiser leurs querelles ou quand il se penche, avec toute la tendresse dont il est capable, sur l'enfance de ses petit-fils.
A'azam a envoyé à son père un joli cheval qui trotte l' amble [allure des quadrupèdes, dans laquelle les deux pattes du même côté du corps se posent au sol à peu près en même temps; Larousse] à ravir; comment le nommera-t-on, puisque le donateur lui-même n'a pas indiqué le nom de la bête ? Le souci de donner à un cheval, comme à une arme qui lui appartiennent personnellement, un nom approprié, à toujours préoccupé l'empereur. Cette fois-ci, le cheval s’appellera Khusk-Kharam, Belle-Allure. Mais, parce que son fils est " parfaitement qualifié pour trouver le nom qui convient à chaque chose ", Aureng Zeb lui envoie la liste de tous les chevaux de son écurie, avec la nuance de leur robe et leur pedigree, pour qu'il choisisse les appellations les plus justes. Flatté, A'azam récidive et envoie à son père Gulshan-rawan, un plantureux animal qui n'en a pas moins la démarche la démarche gracieuse, et Sabuk-sair, un léger et rapide coureur. Le père, qui ne veut pas être en reste, donne à son fils deux chevaux turcs de son haras, bêtes magnifiques que l'écuyer en chef, préposé à l'entraînement, ne voit pas partir sans verser des larmes de regret.
Aureng Zeb en audience; Shaistah Khan se tient derrière le prince Muhammad Azam; peint par Bichitr ?, vers I660. Collection privée. Extrait de Imperial Mughal Painting, par Stuart Cary Welch, New York : George Braziller, I978, pp. II2-I3.
Ces détails ne sont -ils pas charmants malgré le grain d' enfantillage qui se mêle à de si affectueuses démonstrations ? Après les chevaux, le présent auquel le vieil empereur paraît le plus sensible, ce sont les beaux fruits. Savourons, — à défaut du fruit lui-même, — ce billet de l'empereur au prince A' azam, le plus attentionné de ses enfants : " Fils très haut, les mangues délicieuses ont été douces au palais du vieux père. Que le bonheur et la fortune du jeune fils soient accrus. Car il est écrit : Tout ce qui vient d'un ami est bon. " Mais il y a beaucoup d'espèces de mangues il y en avait même de si rares ou de si nouvelles qu'on ne savait pas comment les désigner, et Aureng Zeb en ayant reçu de telles, discute gravement avec son fils les noms qu'il convient de leur attribuer. Malgré sa frugalité connue, le Mogol se montre parfois gourmand de mets plus substantiels ou plus raffinés quand ils lui viennent d' A'azam. Il lui en réclame la recette, ou le prie de lui prêter son cuisinier pour préparer du khichadi, du biryani ou du kabuli, différents mélanges de riz et de légumes accompagnant une viande rôtie.
Ces présents n'étaient que la menue monnaie de la piété familiale et de l'amour paternel. Mais lorsque l'empereur voulait témoigner à l'un de ses fils sa satisfaction et sa reconnaissance pour un éclatant service, il savait se montrer d'une générosité fastueuse; en I686, après une victoire d' A'azam dans la province de Malwa, [le prince est alors le gouverneur, Subahdar, du Malwa, du Berar Subah, et du Bengale, depuis I678; il le restera jusqu'en I70I] il lui envoya un collier de perles de cinquante mille roupies. Ce geste nous touche moins que la tendre prévenance dont il fit preuve un jour à l'égard de ce même enfant : ayant appris qu' A' azam voyageait à toute allure, au point qu'un des porteurs de son palanquin a fait une chute mortelle, ce n'est pas le porteur qu'il plaint, mais il s'inquiète de son enfant et le gronde doucement : " Quand vous étiez près de moi vous paraissiez absent et distrait. Vous avez vu ma manière de voyager . Pourquoi faites-vous tout le contraire ? Faites-vous conduire lentement et doucement, sans pompe ni précipitation. Car un millier de morts sont enterrés dans le sol sous vos pieds. "
La prédiction qu' Aureng Zeb avait pour l' A'azam s'étendait aux enfants de ce fils préféré. Le grand-père est fier de voir grandir le petit Azim Bahadur; [ou Mirza Azim-ush-Shan, I664-I7I2] il assiste à son apprentissage militaire dans le Radjpoutana, se fait informer de ses progrès, enregistre ses actes de bravoure. Aussi a-t-il choisi lui-même avec soin, dans son parc, cinq éléphants qu'il destine au jeune prince; on lui en enverra deux pour commencer, avec un cheval, une robe d'honneur et un poignard orné d'un gland pour son gouverneur. Mais l'empereur cherche à se montrer équitable dans ses marques de bonté avec sa nombreuse famille. Il n'hésite pas à refuser une faveur qu' A'azam lui a demandé pour son quatrième fils, estimant que celui-ci commande déjà plus de cavaliers qu'ils ne convient à son âge; le nombre en sera réduit en accord avec le poste qu'il occupe : " Il n'est pas opportun d'attribuer plus de titres personnels au plus jeune fils qu'à l'ainé. "
Ces petits-fils semblent avoir donné bien du fil à retordre à leur grand-père; un jour, un noble de son entourage s'est querellé avec Azim et a quitté sans autorisation le service du jeune prince; celui-ci s'est plaint à l'empereur qui confisque au serviteur coupable sa charge et ses revenus, en manière d'exemple. Une autre fois, Bidar Kakta [ou Muhammad Bidar Bakht, I670-I707; " En I688, l'empereur envoya le prince, âgé de I7 ans, assumer le commandement suprême de la guerre des Jats. (...) Bien que les forces impériales aient réussi à conquérir 52 forts jats, y compris les places fortes comme Sinsani,, Khair, Jawar, Sonkh, Sogar, etc. et à tuer des milliers d'entre eux, la résistance des Jats a nécessité le renfort de l'armée impériale, I696. Au final, la guerre des Jats resta un échec. En I699, à la tête de l'armée mogole, à Surate, il repousse une invasion mahratte, avec à sa tête le chef Chhatrapati Rajaram, et le pourchasse pendant plus de dix jours; (...) en I704, il est nommé vice-roi du Malwa; en I706, il est chargé de la province du Gujarat, en remplacement de son père. Il est tué le 20 juin I707, à la bataille de Jajau, lors de la guerre de succession fratricide, qui se déroula après la mort de l'empereur Aureng Zeb; son père, Muhammad Azam Shah, qui était devenu empereur à la mort du Grand Mogol, le I7 mars, a également été tué au cours de la bataille] a entretenu une correspondance personnelle avec une princesse qui, dans le district dont il était gouverneur, avait eu son jardin pillé par des brigands; Aureng Zeb l'a appris indirectement : " Pourquoi ne m'avez-vous pas mis au courant de ces faits ? Pourquoi m'avoir caché les lettres échangées entre vous et la begum [ou bégum ou begüm; titre donné dans le sous-continent indien à l'épouse favorite du sultan, qui équivaut à celui de reine] ?... " Ici, c'est le despote soupçonneux, flairant sans cesse la trahison autour de lui, qui reparaît.
Ces soupçons prennent quelquefois une tournure bien singulière. Ainsi, le même prince s'est permis d'envoyer des présents à son grand-père par l'intermédiaire d'un ministre de l'empereur, sans avoir informé l'empereur lui-même. Le Grand Mogol rappelle à l'ordre le petit-fils et le ministre : " Il ne me faut pas me faire parvenir de cadeaux sans que j'en sois averti au préalable ! "
Mais le temps passe et ces jeunes gens sont devenus des hommes. Alors, avec quelle curiosité attentive, presque passionnée, le vieux souverain se penchera vers ces ambitions rivales, dont l'avenir lui échappe, et qui lui rappellent sa lointaine et tragique rivalité avec ses frères ! Azim a demandé pour A' azam le gouvernement d'un important district; passe encore si c'est pour faire plaisir à A' azam qui n'ose formuler lui-même sa requête, mais si Azim n'a agi que par orgueil, pour se targuer de son propre crédit, qu'il s'abstienne désormais de semblables initiatives. Cet Azim se montre fort habile à réciter le Coran, mais le cœur et l'esprit ne sont pas chez lui toujours d'accord avec la bouche. Maintenant, — en I697, — Azim a trente-trois ans : il est vice-roi du Bengale. [et aussi du Bihar et de l' Odisha] L'empereur lui rappelle " ce qu'il y a des affaires publiques qui doivent être prises en considération " et ce rappel à l'ordre est plein de sous-entendus menaçants. Quand le prince aura expédié ses affaires urgentes, qu'il mette un gouverneur à sa place et qu'il vienne à la cour au plus vite, avec des éléphants et le trésor royal.
Neuf ans plus tard, en I706, c'est un autre petit-fils Ma' az, le fils aîné de Muazzam, [ou Mirza Mu'izz-ud-Din Beg Muhammad Khan, plus connu sous le nom de Jahandar Shah, I66I-I7I3; gouverneur également du Thatta] qui gouverne le Multan; il commande une grande armée et il a remporté une belle victoire. Aureng Zeb lui écrit une lettre pleine de fierté et de tendresse contenues. Après lui avoir décerné les titres les plus flatteurs, il lui annonce l'envoi d'une robe d'honneur, d'une épée, d'un cheval, d'un éléphant et de magnifiques joyaux. Mais la lettre se termine sur ce mélancolique pressentiment : " Le royaume est à a vous; pour moi, je suis comme le soleil sur le bord de l'horizon. " L'année suivante, Aureng Zeb mourra, et en I7I2 Ma' az montera sur le trône succédant à son père Muazzam. [ " ... Après la mort d' Aureng Zeb, le prince Mu'azzam remporte la lutte de succession qui s'ensuit et, en juin I707, monte sur le trône sous le nom de Bahadur Shah. (...) 5 ans plus tard, une guerre de succession s'engage alors que Bahadur Shah est sur son lit de mort : I7I2. Le prince le plus puissant au moment de sa mort est son second fils Azim-us-Shan, qui a accumulé d'importantes ressources en tant que subahdar du Bengale. Jahandar Shah était le plus faible, avec peu ou pas de puissance militaire ou de fonds; nouveauté, dans l'histoire des guerres de succession mogholes, l'issue de celle-ci a été orchestrée par un noble, Muhammad Ismail, [dit Zulfiqar Khan, I649 ou I657-I7I3] le mir bakhshi, le patron de l’intendance militaire, et l'une des figures les plus puissantes de l'empire moghol. Il a conclu une alliance entre Jahandar Shah et ses jeunes frères Rafi-us-Shan et Jahan Shah, leur proposant de se partager l'empire en cas de victoire : Zulfiqar Khan étant leur mir bakhshi commun; Azim-us-Shan a été vaincu et tué : au cours de la bataille, un tir de canon lourd a touché la trompe de l'éléphant d'Azim; affolé, la bête se précipita vers la rivière Ravi et tomba dans des sables mouvants, entraînant son maître dans la mort. Jahandar Shah a alors rompu l'alliance et s'est retourné contre ses frères, les battant et les tuant avec l'aide de Zulfiqar Khan, sortant vainqueur de la lutte de succession. Couronné en mars I7I2, il est mis en fuite en février I7I3, après la défaite de son armée, près d' Agra, battue par les troupes de son neveu, Farrukhsiyar, fils de son frère Azim-us-Shan; Jahandar Shah s'enfuit à Delhi et se réfugie chez Zulfiqar Khan. Cependant, ce dernier l'emprisonne et le remet à Farrukhsiyar, dans l'espoir de s'assurer ses faveurs. Farrukhsiyar fait exécuter Jahandar Shah, battu à mort puis décapité, et Zulfiqar Khan, le II février I7I3., ... "; sur le Web]
Comme nous l'avons dit, l'empereur prodigue à ses fils et à ses petits-fils, en vue de leur fortune future, les conseils et les avertissements dignes d'un grand roi. Mais dans ses instructions, il n' y a rien qui lui tienne plus à cœur que la bonne harmonie qui doit régner entre tous les membres de la famille royale. Étrange retour des choses pour un homme qui semble avoir oublié l'origine de sa propre élévation ! Quand il apprend que deux de ses fils, A'azam et Kam Bakhsha [ou Mirza Muhammad Kam Bakhsh, I667-I709; "... Après la mort d' Aureng Zeb, Kam Bakhsh marcha vers Bijapur en mars I707, avec ses soldats. Lorsque la nouvelle de sa mort se répandit dans la ville, le roi Sayyid Niyaz Khan lui céda le fort. (...) Il conquiert ensuite Gulbarga et Wakinkhera. (...) En mai de la même année, Ahsan Khan est envoyé par Kam Bakhsh pour conquérir les États de Golconda et d'Hyderabad. Le roi de Golconda refuse de se rendre mais le subahdar d'Hyderabad, Rustam Dil Khan, accepte de lui céder sa province. (..) Après avoir vaincu Muhammad Azam Shah à la bataille de Jajau en I707, Bahadur Shah Ier monte sur le trône. En mai I708, Shah écrit une lettre à Kam Bakhsh pour l'informer des événements. Shah Ier pensait que cet incident lui servirait " d'avertissement ", afin qu'il ne puisse pas se déclarer souverain indépendant. (...) Le 20 décembre I708, Kam Bakhsh se met en marche vers Talab-i-Mir Jumla, dans la banlieue d'Hyderabad, avec " trois cents chameaux, vingt mille fusées " pour la guerre contre Bahadur Shah I. (...) Le I2 janvier I709, Shah atteint enfin Hyderabad. Avec peu d'argent et de soldats, Kam Bakhsh est sûr de sa victoire grâce aux prédictions de l'astrologue royal qui lui a prédit qu'il gagnerait " miraculeusement " la bataille. Le I3 janvier, l'armée de Shah fonce sur lui. (...) L'armée de Shah comptait environ quinze mille soldats. Deux heures après le lever du soleil, les troupes de l'empereur encerclent le camp de Kam Bakhsh. Impatient, Khan l'attaque avec sa " petite force ". Ses soldats étant en infériorité numérique et incapables de résister à l'attaque, Kam Bakhsh lui-même commença à tirer des flèches sur l'ennemi, terminant deux carquois de flèches; affaibli par la perte de sang, encerclé, il est fait prisonnier, ainsi que son fils Bariqullah. (...) Il est emmené en palanquin au camp de Shah, où on le fait reposer sur un lit. Shah se rend à son chevet et lui dit : " Je n'avais aucun désir de te voir réduit à cet état ". Shah lui-même lave les blessures de son corps et remplace ses vêtements tachés de sang, tout en le forçant à prendre " quelques cuillerées de nourriture ". Le lendemain matin, le I4 janvier I709, Kam Bakhsh meurt., ... "; sur le Web] se sont querellés gravement, il n'a de cesse qu'il ne les ait réconciliés; il charge un ministre de conduire le plus jeune chez son aîné et de ne se retirer que lorsqu’il les aura amenés à se faire de mutuelles excuses.
Azim ush-Shan sur le trône impérial reçoit l'investiture de Khizr ca : I7I2. Bibliothèque nationale de France, Paris
Jahandar Shah, empereur moghol. Aquarelle sur papier. Inde, période moghole, vers 1712. © Victoria and Albert Museum / V&A Prints
L'orgueil lui paraît un dangereux penchant pour un futur souverain. Aussi n'hésite-t-il pas à blâmer Muazzam qui traite ses soldats avec une hauteur méprisante et qui a blessé par sa morgue un noble susceptible attaché à sa personne. À ce propos, Aureng Zeb ne craint pas de rappeler sa propre conduite, en l'opposant à celle de son frère Dara, dont la fierté altière et brutale rebuta la plupart de ses courtisans, de ses généraux et de ses ministres et fut cause ainsi de sa perte. Loin de répondre à la bonne volonté de ses serviteurs par une ingrate indifférence, le bon roi doit savoir reconnaître le vrai mérite et récompenser la loyauté : " Un honnête homme est comme l'or pur. Bien que la qualité d' honnêteté et de sincérité accordée par Dieu à tout être humain soit naturel il faut l'encouragement du maître pour que le serviteur ait une condition agréable, qu'il soit libéré de toute anxiété et que les misères de ce monde ne corrompent pas sa foi. " Enfin, sur la fin de sa vie, notre Mogol se défendait énergiquement d'avoir été un despote et d'avoir fait peser sur son peuple l'oppression et la persécution. L' histoire fera ici de justes réserves; mais l'empereur s'autorise de cette illusoire modération, qu'il s'attribue à lui-même, pour prêcher à son petit-fils Azim la même vertu : " Il est très répréhensible pour des princes d'être des oppresseurs... D'où tenez-vous cette habitude personnelle qui ne fut jamais le fait ni de votre grand-père, ni de votre père ?... J'avais de vous meilleure opinion que des autres princes et je pensais que vous feriez un futur roi... "
Dans son désir de former des esprits droits et des âmes fortes chez ceux qui perpétueront sa race et recueilleront le sceptre de ses mains défaillantes, Aureng Zeb descend quelquefois jusqu'aux plus menus détails de mœurs. Il combat chez l'un de ses fils la passion de la chasse qui lui fait négliger ses plus importants devoirs : " Vous avez passé un mois à tirer des grues près de la rivière Tali. Bien que la chasse soit une occupation qui donne du plaisir et procure une nourriture délicieuse, cependant elle est plus agréable encore quand on s'y adonne après s'être libéré des affaires essentielles et dégagé de l’exercice des droits de la souveraineté... "
Ces droits de la souveraineté ! L'empereur les rappellera sans cesse, même à l'occasion des plus futiles incidents. Il lui est revenu qu'au palais d' A'azam le jeune fils de l'intendant s'est permis de jouer sur un terrain réservé. Quel scandale et, pour un futur roi, quel coupable oubli de sa dignité et de ses prérogatives ! Si le prince a été mal informé, qu'il révoque les surveillants coupables et qu'il en désigne de plus attentifs. S'il était au courant lui-même et s'il a fermé les yeux sur ce délit, il a singulièrement méconnu son droit à la souveraineté, — " droit qui ne vous appartiendra qu'après ma mort ", ajoute aussitôt le prudent Alamguir.
Nous arrêtons sur ce mot doublement caractéristique ce vivant tableau des rapports d' Aureng Zeb avec ses enfants, pour le regarder vivre un instant lui-même et pour lui-même, dans son intimité.
Ses plaisirs, du moins ce que le commun des hommes appelle ainsi, sont rares. S'il goûtait assez peu celui de la chasse, du moins il le tolérait comme un passe-temps royal.
La bonne chère ? Nous l'avons vu amateur de fruits exquis et rares, et il en faisait une véritable cure lors de ses séjours d'été au Cachemir. Mais il sait s'en passer à l'occasion : " Cette année, écrit-il, Amir Khan m'a envoyé si tard une corbeille de mangues comme présent que la plupart étaient abîmées. " Il charge son secrétaire de lui écrire " qu'il m'envoie les mangues aussitôt que possible, bien que je n'en aie pas besoin ". Il apprécie fort le raisin, mais il s'en prive stoïquement parce qu'il ne peut les partager avec un ami malade, à qui cette nourriture délicieuse est provisoirement interdite par les médecins grecs.
Nous connaissons sa scrupuleuse observance des préceptes du Coran et sa rigoureuse abstention du vin et de toutes boissons fermentées. Avec quelle indignation il rappelle à l'ordre les personnes de son entourage qui transgressent la Loi du Prophète ! Dans l'armée de son petit-fils, " malgré l'approche de l'ennemi ", un général musulman passe son temps à boire et à danser, donne à ses hommes un exemple scandaleux et s'abstient de conduire ses troupes au combat, sans doute parce qu'il serait incapable de se tenir debout. Si les rapports que l'on a faits à l'empereur sont exacts, il faut enlever à l'infidèle officier un commandement dont il s'est rendu indigne.
Le luxe de vêtement n'est pas pour Aureng Zeb une satisfaction de vanité, moins encore un raffinement d' élégance, mais un signe extérieur de la dignité princière. Il y a des règles d'étiquette qu'il faut observer soi-même et faire respecter aux autres. Il ne sied pas qu'un membre de la famille royale soit moins richement habillé qu'un simple officier de la cour. Écoutons cette petite anecdote instructive : " Aujourd'hui, Marhamat Khan s'est présenté devant moi vêtu d'une robe somptueuse. Cette robe était si longue qu'on ne voyait pas ses pieds. J'ai donné l'ordre que l'on raccourcisse de deux pouces [5,08 cm] la robe de ce fou. Il faut lui dire : " Le bas de votre robe doit atteindre la longueur fixée par les usages de la cour sinon vous ne serez pas admis à l'audience. Un homme doit porter un vêtement simple et solide. Les ornements et la recherche sont l'apanage des femmes. "
Mais quand son prestige et sa dignité sont en question, l'empereur se soumet aux somptueuses manifestations d'un cérémonial pompeux; il en impose le goût et l'admiration à toute la cour, aussi bien qu'à tous son peuple. Bien plus, il enseigne à ses ministres et à ses généraux comment ils doivent se faire respecter et il tient la main à ce qu'ils fassent observer les marques extérieures d'une déférence qui, à travers eux, s'adresse à lui-même. " Selon mes ordres, toutes les fois que Sar Faraz Khan [ou Sarfaraz Khan, I700-I740, vice-roi du Bengale. (...) Sarfaraz Khan était un homme pieux, plein de formes extérieures de dévotion et extrêmement régulier dans ses prières et ses ablutions. En outre, il jeûnait trois mois entiers en plus du mois béni de Ramzan, et il était scrupuleux dans l'accomplissement des différentes formes de culte à respecter à différentes périodes de l'année. Il était cependant totalement dépourvu de ces grandes qualités d'esprit si indispensables aux souverains. Entièrement absorbé par les petites formes de la religion, il négligeait les affaires de l'État et ne prêtait aucune attention à l'observation des devoirs requis pour un homme de sa position et de son rang élevés. Il laissait l'administration entre les mains de ses Nazims, coordinateur des villes et des villages et Naib Nazims, adjoints des précédents; (...) en fonction, il est vrai qu'il ne porta aucune atteinte aux personnes qui avaient la direction absolue des affaires sous le règne précédent : Ray-Rayan, Alam Chand, Jagat Seth ou Haji Ahmed, hommes de grande capacité et de grande influence. Mais il remit les rênes du gouvernement entre les mains de quelques hommes intéressés, qui avaient des torts personnels à venger. Parmi eux se trouvaient Haji Lutfullah, Mardan Ali Khan, Mir Murtaza et d'autres, qui, depuis longtemps enragés contre Haji Ahmed, salissaient sa réputation partout et l'insultaient, avec des expressions moqueuses. Ces nobles courroucés, désireux d'exprimer leur inimitié et leur haine à l'égard de Haji Ahmed, firent dessiner des caricatures de lui et finirent par provoquer dans l'esprit de Sarfaraz Khan une totale désaffection à son égard. Haji Ahmed fut donc démis de ses fonctions (...) Haji Ahmed, redoutant l'influence de ses nombreux ennemis, s'efforça d'acquérir la force de s'opposer à eux ; il écrivit donc tout à son frère Alivardi Khan, grossissant à l'extrême les détails de la situation. Malgré tout, Haji Ahmed eut aussi l'art de persuader le nouveau vice-roi de dissoudre une grande partie de ses forces et de réduire ses dépenses. Ce conseil si conforme à ses sentiments fut adopté sans hésitation ; mais tandis qu'il écoutait le conseil de Haji Ahmed en procédant à une réduction, il permit l'arrestation des deux fils de celui-ci : Zain-ud-Din Ahmed Khan, qui était en route depuis Patna, et Ahmed Khan, qui venait d'arriver de son commandement de Rangpur. (...) En mars I740, Alivardi Khan partit pour Murshidabad, dans le cadre de l'expédition vers Bhojpur, et campa à une certaine distance de la ville de Patna. Dans un message adressé à Sarfaraz Khan, Alivardi Khan laisse entendre qu'il ne marchait pas sur lui mais qu'il venait rendre hommage au Nawab. D'abord satisfait, Sarfaraz Khan décida finalement de marcher à la tête de son armée et arriva dans la ville de Comrah, le 9 avril I740. (...) Les deux armées opposées marchèrent jusqu'à Giria, bataille de Giria, un village situé sur les rives de la rivière Bhagirathi, où elles s'affrontèrent le 26 avril I740. (...) Sarfaraz Khan fut vaincu et tué lors de la bataille; le reste de son armée continua à opposer une résistance courageuse, mais Alivardi Khan était un trop bon général pour eux. Le règne de Sarfaraz Khan aura duré un peu plus de I3 mois. La dynastie Nasiri de Murshid Quli Khan prit fin à la mort de Sarfaraz Khan., ... "; sur le Web] viendra vous voir et vous saluer, recommande-t-il à l'un de ses officiers supérieurs, après avoir levé la main, il doit vous suivre si vous êtes à cheval. Si vous voyagez en palanquin, il est libéré de tout cérémonial, mais si vous montez un éléphant, il doit vous accompagner. Il ne peut vous parler que si vous lui adressez la parole. " Dans la même lettre, l'empereur indique expressément les personnages qui doivent descendre de cheval en présence du général et ceux à qui le général peut offrir du bétel !
La générosité dans les présents faisait partie de ce faste inséparable de la majesté impériale. Avec les humbles, elle est une délicatesse de cœur et un moyen de se les attacher. Le Mogol cite en exemple à son fils l'usage pratiqué par plusieurs chefs militaires d' offrir le café à leurs soldats, puis de leur servir le petit déjeuner, le dîner, et, à la fin, des parfums et du bétel. Ils envoyaient aussi aux familles des soldats des plats variés. Avec les grands, cette même générosité est un échange de courtoisie raffinée. Un jour qu' Aureng Zeb admirait une dague passée à la ceinture d'un de ses officiers et manifestait le désir de s'en procurer trois ou quatre de même fabrication, l'officier tira l' arme du fourreau et la présenta à l'empereur : " Jusqu'à ce qu'elles soient prêtes, dit-il, cet humble présent sera ennobli d'être au service de l' État. " Aussitôt, le souverain fait rechercher les fils de ce délicat subordonné, s'informe exactement de leur situation et les comble de faveurs, chacun selon son mérite.
Mais le véritable luxe d' Aureng Zeb, son luxe intime et personnel, ce sont les chevaux et les jardins.
S'il attachait du prix aux bêtes de race que son fils échangeait avec lui, ce goût prononcé était une tradition de famille; se plaignant un jour de la négligence avec laquelle ses écuries étaient tenues, il rapporte avec quelle sévérité son grand-père Jahanguir punit l'écuyer coupable d'une faute analogue. Il ne se passait pas de mois que des marchands n'amassent à la cour les plus beaux étalons de l' Irak, de Turquie, du Tibet, de Cachemir ou du Turkestan. La direction supérieure des haras et des écuries était confiée à des officiers de grade très élevé. La cérémonie annuelle de la marque des chevaux royaux était une véritable affaire d' État; on les marquait avec un fer rouge à la joue droite ou sur le côté droit du cou; tous les ans, le signe de la marque était changé pour éviter les fraudes.
Dans sa jeunesse et au temps de sa maturité, Alamguir s'enfermait volontiers dans son arsenal, pour s'isoler et se livrer à la prière et à la méditation. À la fin de sa vie, c'est au milieu de ses chevaux qu'il revit les heures glorieuses de sa vie passée. Ou bien encore, il se retire dans son merveilleux jardin d' Agra, jardin à la persane, plein d'arbres et de fleurs, d'eaux vives et de chants d'oiseaux. Parfois, il y invite un de ses officiers, à qui il veut donner une marque particulière d'estime : " Serviteur dévoué, allez demain dans mon jardin particulier et goûtez l'enchantement du guldasteh. " C'était un pavillon, dû à l'ingéniosité d'un architecte persan, et qui avait la forme d'un bouquet. À Jehanabad,[ville située dans le district de Jehanabad, dans l'État du Bihar] Aureng Zeb avait un autre jardin que son père avait fait dessiner et qui portait le nom expressif d' Hayat Bakhsha, Ce qui donne la vie. En souvenir de son père, dit-il, qui avait tant aimé ce jardin, l'empereur veille attentivement sur son entretien. Ce nouvel accès de piété filiale rétrospective a de quoi nous surprendre et nous aimons mieux penser que c'est pour lui-même qu'il fait surveiller ce parc magnifique et celui qui appartient à sa " chère et digne sœur ". Qu'on nettoie soigneusement les viviers et les réservoirs, qu'on redresse les espaliers, que l'on recherche des plantes et des arbres nouveaux, qu'on veille à la propreté et à la fraîcheur des bosquets et qu'on lui rende un compte exact de tout. Il s'informe même de l'état des vignobles et des vergers qui se trouvent sous la forteresse et demande qu'on lui envoie un plan ou un croquis de ces plantations.
Nous empruntons ces derniers détails à une lettre de I698; c'est la tragique époque où de tous côtés les armées du Grand Mogol soutiennent une lutte désespérée contre les Radjpoutes, les Sikhs et les Mahrattes. Quel contraste entre l'enchantement des jardins persans et l'horreur de ces champs de bataille où les fils et les petit-fils de l'empereur, avec les meilleurs de ses généraux, défendent leur héritage en essayant de sauver l'honneur de l'empire ! À cette date, est-ce dans le Guldasteh d' Agra ou dans le Jardin qui donne la vie qu' Aureng Zeb reçut, en respirant l'odeur des roses et en écoutant le chant des rossignols, la nouvelle de ses dernières victoires et de ses plus nombreuses défaites ?
Le jardin persan : "... Chahar Bagh, ou principe originel, du jardin persan, qui s'est perpétué immuablement sur plus de deux millénaires depuis sa première expression aboutie rencontrée dans le jardin de l'ensemble palatial de Cyrus le Grand, à Pasargades. Éléments naturels et artificiels se fondent dans le jardin persan pour créer une réussite artistique unique reflétant les idéaux des concepts artistiques, philosophiques, symboliques et religieux. Le jardin persan matérialise le concept d'Éden ou de paradis sur terre.
Le dessin parfait du jardin persan, ainsi que sa capacité à répondre à des conditions climatiques extrêmes, est le résultat original d'une application inspirée et intelligente du savoir de différents domaines de connaissance, notamment la gestion et l'ingénierie de l'eau, l'architecture, la botanique et l'agriculture. La notion de jardin persan imprègne la vie iranienne et ses expressions artistiques : on trouve des références au jardin dans la littérature, la poésie, la musique, la calligraphie et la fabrication de tapis. (...) Les attributs porteurs de la valeur universelle exceptionnelle sont la disposition du jardin, exprimée par l'adaptation spécifique du Chahar Bagh dans chaque composant et articulée dans les kharts ou parterres de plantes/fleurs, les systèmes d'approvisionnement, de gestion et de circulation de l'eau de la source au jardin, avec tous les éléments technologiques et décoratifs qui permettent l'utilisation de l'eau pour satisfaire à des exigences fonctionnelles et esthétiques, l'organisation des arbres et des plantes dans le jardin, qui contribue à sa caractérisation et à son microclimat particulier, les éléments architecturaux, y compris les édifices mais pas seulement, qui incluent l'utilisation du terrain et de la végétation pour créer des environnements artificiels uniques, l'association des autres formes artistiques qui, dans un échange mutuel, ont été influencées par le jardin persan et qui ont en retour contribué à l'apparition de certains traits visuels et effets sonores dans les jardins., ... " © CRA-terre. Auteur : Sébastien Moriset
Sur le Web
À suivre...
BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 253-266.
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