LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XX

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  Au mois de juin I677, à l'instigation de François Martin, les Français résolurent de désarmer le terrible chef, en se mettant sous sa protection, pour sauver leurs comptoirs menacés à Pondichéry. Il lui envoyèrent un brahmane, qui était à leur service, porteur d'une lettre fort diplomatique : il fallait d'abord s'excuser, tant bien que mal, et plutôt pour la forme, d'avoir mis l'embargo à Masulipatam, sur un navire de Golconde; puis représenter au vainqueur que " la Compagnie était installée sur ses terres, à Rajapour, [ou Rajapur; ville située dans l' État du Maharashtra] et qu'elle demandait à être conservée de ces mêmes côtés. " C'était reconnaître une suzeraineté de fait. L'orgueil du farouche montagnard fut flatté par cet acte de soumission, et l' habilité du diplomate brahmane fit le reste. ["...Le Conseil décide d’essayer de s'entendre avec Sivagy ; on envoie un brahme à ce prince. — Sivagy maître du pays. (...) Nous reçûmes le I7 une lettre de notre brahme qui nous donnait avis qu’il avait vu Sivagy, de qui il avait été bien reçu, qu’il remettait à son retour de nous informer des entretiens qu’il avait eus avec ce seigneur. Les troupes de Sivagy battaient la campagne, partout maîtres du plat pays ; il n’y avait plus que les forteresses qui tenaient pour Chir khan mais dont les garnisons n’osaient sortir. Notre brahme retourna le I9 d’auprès de Sivagy ; il nous rapporta qu’il avait eu trois audiences de ce seigneur par l’assistance d’un Janardenependit, aussi brahme, l’un de ses ministres... "; MARTIN François, Mémoires, p. 96] Sivaji lui avait accordé trois audiences, dont les deux premières furent orageuses. Il ne manqua pas de se plaindre des insultes prétendument faites à " son seigneur et père ", le roi de Golconde. ["... Dans la première audience, Sivagy se plaignait fort de notre nation de s’être attaqué au roi de Golconde qu’il nommait son père, son seigneur et son roi, dans la prise de San Thomé et dans l’enlèvement du navire à la rade de Masulipatam ; il poursuivit ses plaintes sur ce que nous avions insulté le duc de Gingy dans la prise de Valdaour. Le brahme qui était préparé à tout lui répondit et le satisfit sur ces plaintes. Cette première audience passa de la sorte. La seconde roula presque toute sur les mêmes matières, à quoi Sivagy ajouta ensuite que, puisque nous avions pris Valdaour sur Nasir Mamet en faveur de Chir khan, que nous pouvions aussi l’enlever de même à ce seigneur et la lui remettre* Le brahme répondit là-dessus que Chir khan était toujours notre ami, que nous lui avions des obligations et que nous ne tirerions pas l’épée contre lui. Sivagy demanda ensuite que nous envoyassions des Français pour lui aider à se rendre maître de Vellore, à quoi il lui fut répondu que nous ne pouvions pas quitter Pondichéry. Ce seigneur fit une autre tentative, il demanda ce que nous voulions lui donner pour nous laisser en paix ; notre brahme repartit que nous n’avions rien dans la loge, qu’on n’y faisait point de commerce à cause de la guerre que nous avions contre les Hollandais, mais que nous attendions des vaisseaux. La seconde audience se termina dans ces entretiens..."; MARTIN François, Mémoires, p. 96] Puis il demanda ce que les Français étaient disposés à lui donner pour qu'il daignât les laisser en paix; à quoi le brahmane répondit que le comptoir était vide, tout commerce étant suspendu, à cause de la guerre contre la Hollande... mais qu'on attendait des vaisseaux. Sans doute alléché par cette perspective, le Mahratte céda à la troisième audience : il écrivit une lettre personnelle à François Martin, " en forme de firman ", pour lui confirmer ses droits à Pondichéry; mais oralement devant l'ambassadeur, il s'était répandu en imprécations, menaçant les Français de terribles représailles s'ils n'observaient pas une stricte neutralité. Au reste, il n'oublia pas d'expédier au plus vite un gouverneur, pour prendre possession de Pondichéry. ["... À la troisième, Sivagy assura notre envoyé que nous pourrions rester en toute assurance à Pondichéry sans prendre parti ni pour l’un ni pour l’autre, que si nous faisions la moindre insulte à ses gens, qu’il n’y aurait point de quartier pour nous non plus que pour les gens de notre nation qui étaient au comptoir de Rajapour ; qu’il enverrait un avaldar dans quelques jours pour gouverner Pondichéry et que nous eussions à vivre avec lui de même que nous avions vécu avec les officiers de Chir khan. Ce seigneur congédia le brahme et le chargea d’une lettre pour moi en forme de firman. Son ministre m’écrivit aussi dans les mêmes termes ; l’envoyé retourna avec cette assurance et les deux lettres.,..."; MARTIN François, Mémoires, p. 97]
  Cet épisode nous aide à voir clair dans la politique de Sivaji et dans l'histoire fort confuse des guerres incessantes par lesquelles le chef mahratte parviendra à substituer sa propre autorité à celle du Grand Mogol sur une grande partie de la péninsule. Il nous fait comprendre aussi un peu mieux le caractère d'un homme assez difficile à déchiffrer. Il semble qu'il n'ait pas toujours été personnellement responsable des excès qu'on lui attribue un peu trop généreusement, mais qu'il fut parfois débordé par la brutale indiscipline de ses soldats et de ses subordonnés.
  Ainsi le gouverneur envoyé à Pondichéry, et deux brahmanes qui lui avaient été adjoints, ne cessèrent de pressurer la population pour en obtenir des présents, réquisitionnant tout ce dont ils avaient envie, exerçant d'horribles violences sur tous ceux qui résistaient à leurs injustes prétentions. Les Français eux-mêmes n'étaient pas épargnés : " Cette canaille enlevait tout, rapporte François Martin; ce n'était qu'une recherche continuelle de gens que l'on croyait pouvoir donner de l'argent; les brahmes cherchaient toujours à faire quelque avanie, s'adressant directement à nous, ou aux gens de la terre, qui étaient au service de la Compagnie. "
  Cette avidité contraste avec la simplicité des mœurs que Sivaji avait conservée, même au milieu de ses plus éclatants succès. Combien son camp était différent de celui d'un prince mogol, qui avait tout le faste d'un palais. On nous le dépeint sans femmes ni bagages, et ne comprenant à son usage personnel que deux tentes de toile grossière, très petites, l'une pour lui, l'autre pour son premier ministre, qu'il voulait avoir toujours à sa portée.
  En septembre I677, Sivaji victorieux, renonçant à prendre Vellore, qui avait secoué son joug, en chassant sa garnison, inquiet de l'agitation qui se manifestait, après une trop longue absence, dans ses États du Dekkan, se décida à retourner vers la côte occidentale. Il laissait derrière lui, pour achever et organiser sa conquête, une partie de ses troupes, sous les ordres de Jagarnatpendit.["... Cependant les états qu’il tenait dans le Décan et à la côte de l’Inde souffraient de son absence ; il tint un grand conseil avec ses ministres et résolut de retourner de ces côtés-là, il laissa le gouvernement de ces quartiers à Jagarnatpendit, frère de son ministre Janardenependit et des troupes pour achever les conquêtes qui étaient à faire.,... "; MARTIN François, Mémoires, p. II7] Mais il opéra sa retraite avec tant de mystère que, bien après son départ, les habitants du pays qu'il avait longtemps terrorisés, le croyaient encore là et son nom seul suffisait à les maintenir dans l'ordre.
  Ce fut pourtant quand il se fut éloigné, que beaucoup de petits princes s'avisèrent des causes réelles de leur faiblesse devant lui : tant qu'il était personnellement à la tête de son armée, ils tremblaient à la pensée de lui opposer la moindre résistance; maintenant, ils comprenaient que leur union les aurait sauvés, s'ils avaient pu faire taire leurs jalousies et leurs querelles. Parmi eux, se trouvait le propre frère du chef mahratte, Ecugi,[ou Ecugy, ou " Vyankojirajah Bhonsle ou Ekojirajah I Bhonsle, I632-I686 ?; il était le demi-frère cadet de Shivaji et le fondateur de la domination marathe à Thanjavur, dans l'actuel Tamil Nadu. Il est le géniteur de la branche junior, branche cadette, de la famille Bhonsle, qui a régné sur Thanjavur jusqu'à l'annexion officielle du royaume par la Compagnie britannique des Indes orientales en I855., ... ": sur le Web] que Sivaji avait successivement dépouillé de la plupart de ses terres, et notamment de l'importante place de Gingy; bien entendu, il n'aspirait qu'à la vengeance. Mais n'était-il pas trop tard ? ["... On eut des assurances certaines que Sivagy s’était retiré et toujours en conquérant, prenant des places en faisant chemin. Les princes de ces quartiers avaient beau jeu à présent ; Ecugy proposait assez aux autres de s’unir, il était même en campagne avec des troupes. La fortune de Sivagy prévalait sur tout, les autres seigneurs croyaient beaucoup faire de conserver leurs États., ... "; MARTIN François, Mémoires, p. II8]
  Sivaji se retirait vers le Nord-Ouest en ce mois d' octobre I677, où les armées d' Aureng Zeb, commandées par Délir Khan et Khan-i-Jahan, tenaient la compagne en Bijapur et en Golconde. Sur sa route, le Mahratte continuait à enlever les places mal défendues, qui se trouvaient à sa portée. À ce moment, alors qu'il se croyait assuré d'avoir laissé derrière lui une situation nette, éclata dans le Sud, entre Trichinopoli et Negapatam, [ou Nagapattinam ou Nagappattinam, ville située sur la côte de Coromandel, littoral baigné par le golfe du Bengale; ancien centre du Bouddhisme, du XVe au XVIIIe siècle; elle sera le témoin de trois batailles navales : I746, I758 et I782] une échauffourée qui aurait pu lui coûter cher.


Gravure de Nagapattinam, vers I672. Atlas of Mutual Heritage et de la Koninklijke Bibliotheek, Bibliothèque nationale des Pays-Bas.

Ses troupes, poursuivant leurs conquêtes, se disposaient à franchir la rivière Colerum [" Kollidam, appelé Coleroon en anglais colonial, est un fleuve du sud-est de l'Inde. Le Kollidam est l'affluent nord de la rivière Kaveri qui traverse le delta de Thanjavur. Il se sépare de la branche principale de la rivière Kaveri au niveau de l'île de Srirangam et s'écoule vers l'est dans le golfe du Bengale. "; sur le Web] pour attaquer Tanjore,[ou Thanjavur] quand elles furent elles-mêmes surprises par une armée d' Ecugi, forte de cinq mille cavaliers et de quelques milliers de fantassins. Le frère de Sivaji avait ruminé sa rancune et écouté les plaintes de quelques princes que le rude Mahratte avait malmenés. Malgré l'infériorité du nombre, confiant dans sa cavalerie qu'il savait mieux entraînée et mieux armée, il attendit l'ennemi au passage de la rivière. Les deux camps restèrent quelques temps en présence, sans autre activité qu'un échange de pourparlers diplomatiques. Fort superstitieux, les Mahrattes n'osaient attaquer pour forcer le passage, à cause d'un présage funeste dont ils faisaient grand cas : une nuée de vautours tournoyait depuis plusieurs jours au-dessus de leur camp sans jamais s'éloigner. Enfin, le 26 novembre, le choc longtemps retardé se produisit, Ecugi prenant l'initiative du combat. Mais malgré la violence de l'attaque, aucun résultat décisif ne put être acquis, et les deux partis se retirèrent avec des pertes à peu près égales. À partir de ce moment, tout en restant sur pied, les troupes se contentèrent de part et d'autre de courir le pays, en faisant payer leur déception aux infortunés habitants.
  Près d'un an après, en août I678, Vellore tomba sous les attaques répétées des généraux de Sivaji. C'était la dernière place qui résistât encore, et une place importante. Assiégée depuis plusieurs mois, elle ne céda qu'à la famine et à la peste, qui décimaient la population et la garnison; quand les portes de la citadelle s'ouvrirent, il en sortit une centaine de fantassins et trente cavaliers. Cette capitulation et la soumission du pays que commandait Vellore terminaient glorieusement les conquêtes de Sivaji dans la partie orientale de la péninsule. Bien qu'il soit hasardeux de fixer des limites précises à ces instables États indiens, les historiens du temps prétendent qu'un espace de trente lieues [~I45km] à peine séparait les possessions mahrattes de la côte de la Coromandel et celles de la côte de Malabar.
  Par une curieuse coïncidence, la chute de Vellore se produisait à peu près au moment où Aureng Zeb obtenait son premier succès décisif sur le roi de Golconde, en le contraignant à lui payer tribut. Mais le Grand Mogol, qui ne pouvait pas assister sans inquiétude aux progrès de son rival, et qui le voyait s'agrandir continuellement dans le Bijapur, alors que lui-même opérait dans le royaume voisin, n'allait pas tarder à être débarrassé du redoutable " rat de montagne ".
  Le I7 avril I680, Sivaji mourait à Raigarh, [ou Raiga; ce fort est situé dans la ville de Mahad, dans l' État du Maharashtra; projet de Sivaji lui-même, il en supervisa sa construction; à une altitude de I 356 m au-dessus du niveau de la mer, dans la chaîne de montagnes Sahyadri, le fort offre des vues imprenables; pour y accéder, il faut gravir environ I 737 marches] au moment où il se disposait à attaquer Surate pour la troisième fois. Il avait cinquante-trois ans.[des historiens contemporains indiquent que Sivaji " serait mort entre le 3 et le 5 avril I680 et, à l'âge de 50 ans "(...) La cause de la mort de Shivaji est contestée. Les archives britanniques indiquent que Shivaji est mort d'un flux sanguin après avoir été malade pendant 12 jours. Dans un ouvrage contemporain en portugais, la Biblioteca Nacional de Lisboa, la cause de la mort de Shivaji est l'anthrax. Cependant, Krishnaji Anant Sabhasad, auteur de Sabhasad Bakhar, la biographie de Shivaji, a mentionné la fièvre comme cause de la mort de Shivaji., ... "; sur le Web] François Martin qui reçut cette nouvelle douze jours plus tard à Pondichéry,["... Le sieur Clément, chef du comptoir de la Compagnie à Rajapour, me donnait avis par une lettre qu’il m’écrivait du 29 avril de la mort de Sivagy Raja, décédé depuis I2 jours., ..."; MARTIN François, Mémoires, p. I92] consacre au héros de l'indépendance mahratte cette brève et sévère oraison funèbre : " Le défunt peut bien tenir un rang considérable parmi les grands hommes de l' Inde, quoique toutes les conquêtes qu'il a faites pendant sa vie aient été plutôt par des intelligences et par ses adresses, que non pas à force ouverte. Il a été un des grands ennemis du Mogol, dont il a ruiné le pays et même des villes considérables... " C'est un peu sec, et peut-être injuste.

Les murs cachés du fort de Raigad, 20I0. Crédit photo : Chetan Karkhanis


Ruines du palais du fort de Raigad, 2007. Crédit photo : Swapnaannjames

   Voici un petit épilogue assez curieux de cette disparition sensationnelle. Quelques jours après la mort de Sivaji, le roi de Golconde, toute humilié qu'il fût par la hautaine dépendance où le tenait Aureng Zeb, envoya dans le Sud, à Gingy, une mission diplomatique chargée d'un étrange ultimatum : il prétendait qu'on lui remît cette capitale et toutes les terres dont la conquête, disait-il, n'avait été faite par le Mahratte qu'avec son argent et une partie de ses troupes ! Mais le gouverneur de Gingy repoussa fermement ces étranges prétentions : il connaissait la faiblesse réelle de Golconde et se défiait des intrigues que le roi de ce pays entretenait avec Madena, ce rusé brahmane que nous avons vu à l' œuvre pour livrer à Sivaji le royaume de Bijapur, et au besoin celui de son maître. Non seulement le gouverneur ne laissa pas pénétrer dans la ville les envoyés du roi, mais, il les fit reconduire sous bonne escorte avec une réponse méprisante.
  La fin de Sivaji laissait-elle à Aureng Zeb quelque espoir de redresser une situation compromise en grande partie par sa faute, et qui n'avait fait que s'aggraver depuis quinze ans ? Allait-il réussir à remettre la main sur cet insaisissable Dekkan ? Nous verrons qu'il est fort loin d'en avoir fini avec les Mahrattes; en réalité, il n'en aura jamais fini avec eux.

***

  Ces hostilités continuelles, l'anarchie militaire qui n'en était pas la moins grave conséquence, les fréquentes vicissitudes de certains États changeant plusieurs fois de maître au cours de quelques années, ne furent pas sans susciter de graves difficultés aux Européens établis dans l' Inde. La politique d' Alamguir avec les trafiquants étrangers était sujette à de brusques fluctuations : selon que ses armées triomphent dans sa lutte contre les Mahrattes ou que ceux-ci l'emportent, c'est vers le souverain de Delhi ou vers Sivaji que se tournent Hollandais, Français, Anglais et Portugais, soucieux d'assurer la stabilité de leurs établissements sur les deux côtes et même au Bengale. Ainsi en I684, un Français nommé Baucher, obtint du Mogol un firman très avantageux pour l'ouverture d'un nouveau comptoir à Surate, et l'empereur écrivit de sa main au gouverneur de la place pour assurer la protection de ce négociant. En revanche, en I680, c'est aux Mahrattes que les Français de Masulipatam et de Pondichéry étaient obligés de s'adresser, pour obtenir confirmation des privilèges que leur avait accordés le roi de Golconde; puis, en I688, par un autre revirement de la fortune, Aureng Zeb renouvelle solennellement à la Compagnie, pour sa factorerie de Masulipatam, l'engagement qui avait déjà porté le sceau de plusieurs chancelleries. À la même date, quand les Mogols sont à peu près maîtres, pour peu de temps, du Sud-Est de la péninsule, c'est une pluie de firmans qui s'abat sur les étrangers de la région : l'empereur est fier de faire sentir sa souveraineté nouvelle, en montrant aux Européens qu'il a pleinement substitué ses droits à ceux du roi de Golconde. À ce titre, les Portugais reçurent l'autorisation de s'établir à San-Tomé, [ou Santhome; " I687,... Les Portugais qui commençaient à s’établir à San Thomé en vertu du firman qu’ils avaient eu du roi de Golconde furent traversés par les officiers que le Mogol y avait envoyés pour le gouvernement ; ils voulurent s’y opposer, mais n’y pouvant réussir, un religieux augustin qui avait obtenu le firman partit de là avec un des principaux habitants pour la cour, afin de tâcher de le faire confirmer par le Mogol. Ce n’était pas là le seul obstacle qui s’opposait au rétablissement de San Thomé ; les Portugais étaient divisés entre les principaux pour le gouvernement. C’est un point où ils sont tombés souvent dans les Indes et qui a bien contribué aux avantages que les Hollandais ont remportés sur eux.,... "; MARTIN François, Mémoires, p. 506] moyennant paiement des droits ordinaires, et les Anglais, celle de continuer leur commerce à Madras. Mais cette dernière convention était rédigée en termes si ambigus, qu'elle devait être bientôt une source de conflits.
  D'ailleurs, Aureng Zeb ne trouvait pas toujours la même docilité auprès des différentes nations auxquelles il avait affaire. Les Portugais et les Hollandais se montraient plus souples, plus insinuants; les Anglais, plus cassants, parlaient de haut et n'en faisaient qu'à leur guise. En novembre I688, arriva à Masulipatam une ambassade hollandaise : l'objet déclarée de cette mission était d'offrir dix chevaux de Perse, huit petits éléphants de Ceylan et quantité d'ouvrages curieux d'or et d' argent, provenant du Japon et de Manille; ce magnifique bakchich dissimulait l'intention de se faire concéder un monopole sur le commerce de Caveripatnam, pour en écarter les Français, qui n'avaient pas d' éléphants de Ceylan à offrir !["... Collandé, l’interprète de la loge, retourna à Tanjore avec un firman du naïque en bonne forme et sur le même pied du firman de Pondichéry. On nous accordait le village de Caveripatnam, à trois lieues nord de Tranquebar, pour y faire élever une loge. (...) Nous eûmes avis de Masulipatam de l’arrivée dans cette ville du sieur Bakerius, second du commissaire général Van Rée, pour l’ambassade qu’il avait ordre de faire vers le Mogol. (...) il nous écrivit depuis, que les Hollandais prenant de l’ombrage de cet établissement, avaient envoyé à Tanjore faire de grandes offres au naïque pour le déterminer de ne point souffrir de comptoir de notre nation sur ses terres ; ils n’y purent réussir et prirent une autre voie ensuite pour avoir la satisfaction de nous faire abandonner Triminivas ; ils représentèrent aux princes et à ses ministres qu’ils devaient faire les choses d’égalité et qu’ayant accordé le terrain de Gaveripatnam aux Français, ils demandaient aussi qu’on leur permit de s’établir à Triminivas à notre exclusion. Leurs raisons soutenues de présents considérables, ils arrivèrent à leurs fins. (...) Les Hollandais y vinrent quelques jours après ; ils y firent arborer leur pavillon avec grand bruit et grand feu suivant l’usage du pays ; cependant ils n’y ont presque point fait de commerce ; ils en retirèrent leurs gens peu de temps après., ... "; MARTIN François, Mémoires, pp. 554-570-57I]
  Quand l'empereur se trouvait à cours d' argent, le trésor épuisé par les frais énormes qu'entraînait la continuité des campagnes militaires, il n'hésitait pas à recourir aux procédés les plus vexatoires pour s'en procurer; ses réquisitions, ou ses essais d'intimidation, n'épargnaient même pas les étrangers. En I687, pendant le siège de Golconde, Aureng Zeb voulut contraindre les principaux commerçants de la contrée à lui payer une sorte de contribution de guerre, sous couleur d'emprunt. ["... On nous donnait avis de Bagnagar que le siège de Golconde continuait avec la même vigueur, les fossés comblés et des batteries sur des terrasses élevées au-dessus de la hauteur des murs de la place. Il avait été donné trois assauts de suite où les assiégeants avaient perdu 2.500 hommes, que l’on croyait que le Mogol voyant la résistance des assiégés s’arrêterait à fermer toutes les avenues de la forteresse, pour empêcher l’entrée des vivres et la prendre par la famine ou par intelligence ; il y avait des gens dans la place qui traitaient avec ce prince., ... "; MARTIN François, Mémoires, p. 484] C'est ainsi qu'il taxa de lui-même les Hollandais à cent mille roupies, et sur leur refus de s' exécuter, il les fit arrêter et conduire dans son camp, où il les retint prisonniers plusieurs jours, non sans de graves menaces. Les captifs s'en tirèrent à bon compte, en soudoyant plusieurs officiers du prince par de raisonnables présents. Un Français, le sieur Guesty, ["... dans la réputation d’avoir du bien, fut aussi recherché et amené au camp, il en sortit par les mêmes voies des Hollandais., ... "; MARTIN François, Mémoires, pp. 484-485] usa du même procédé, mais eut plus de mal à racheter sa liberté : comme il s'entêtait à défendre son bien contre les prétentions du Mogol, on lui chercha une affaire criminelle, en l'accusant d'avoir jadis capté une succession; malgré toutes ses protestations, il dut enfin céder et payer un fort bakchich. ["... on donna avis qu’il s’était emparé de la succession d’un franguy, c’est le nom que l’on donne aux Européens dans les Indes, qui avait été serviteur du roi de Golconde, on entendait parler du sieur Destremeau. Il faut peu de chose dans les cours de ces quartiers pour faire de la peine à un homme ; le sieur Guesty fut encore arrêté et pressé fortement pour lui faire rendre les effets du défunt. Cette violence dura du temps ; ses raisons n’étaient point écoutées ; il en sortit enfin par les voies ordinaires en faisant des présents., ... "; MARTIN François, Mémoires, p. 485]
  Il va sans dire que cet état de guerre perpétuel ruinait le pays et paralysait les affaires. Pour les paisibles négociants européens, l'approche des troupes mogoles ou mahrattes étaient une calamité : craignant une révolution ou un pillage, les chefs de comptoir n'osaient faire les avances d'argent nécessaires aux ouvriers qui travaillaient pour eux, ni aux courtiers qui les approvisionnaient; industrie et commerce souffraient d'un égal marasme.


La rue François Martin est parallèle à la mer, elle est bordée de bâtiments à façades grises qui appartiennent à l'Ashram de Sri Aurobindo; composé à l’origine de quelques bâtiments, l’ashram de Sri Aurobindo http://www.sriaurobindoashram.com/ s'est étendu peu à peu dans tout ce quartier de l'ancienne ville coloniale; 20I4. Crédit photo : DALBÉRA Jean-Pierre. Sur le Web

   En I684, dans un de ses plus pressants besoins d' argent, Aureng Zeb s'était résolu à faire fondre tous les ornements d'or dont les harnais de ses éléphants et de ses chevaux étaient surchargés, et faire frapper des roupies avec le métal. Pour exécuter le travail, il réquisitionna en bloc tous les ouvriers de la Monnaie à Surate. Nouvelle cause de perturbation pour le commerce, les trafiquants européens ne pouvant plus obtenir, dans cette place, d'argent mogol en échange de leurs propres espèces. Ajoutons à cela que les " frères de la côte ", les pirates de Malabar, sentant les difficultés où se débattait le souverain de Delhi, et se croyant assurés de l'impunité, en profitaient pour arraisonner et piller les navires, en sorte que Portugais, Anglais et Français se virent forcés de faire leur police eux-mêmes, non sans mal. À chaque instant, un conflit ou un scandale nouveau éclatait dans cette colonie cosmopolite, par suite de l'état anarchique où se trouvait le pouvoir central. Quand un riche étranger mourait à Surate, le gouverneur prétendait mettre la main sur sa succession, de sa propre initiative, et pour son compte personnel; souvent, il opérait aussi des saisies illégales de bateaux ou de marchandises.
  En I685, ce gouverneur malhonnête se vantait avec insolence d'avoir fait rendre à la douane 903.000 roupies, soit 60.000 de plus que l'année précédente. Mais il ne s'arrêta pas en si bon chemin et voulut aussitôt donner un nouveau tour de vis : ses agents, dûment stylés, surveillaient les routes, arrêtant et fouillant les voyageurs, exigeant un droit sur chaque objet, même pour les bagues portées au doigt; les vaisseaux qui descendaient de Surate à Soualy ["... I666; Grâce aux Capucins et, en particulier, à l'un d'eux le Père Ambroise de Preuilly, Aurangzeb, empereur mogol, accorde aux Français un emplacement à Soualy, 4 septembre , à deux lieues [~I0 km] de Surate, et leur permet de faire le commerce dans cette ville avec les mêmes faveurs que les Hollandais et les Anglais., ... "; DE CLOSETS D' ERREY H., Conservateur de la Bibliothèque publique de Pondichéry, Précis chronologique de l' histoire de l' Inde, I664-I8I6, Librairie LEROUX Ernest, I934] ne pouvaient lever l'ancre sans faire un " présent " au chef de la douane; et pour être plus sûr que rien n'échappait à son minutieux contrôle, celui-ci avait interdit tout transport de nuit, les marchandises ne pouvant circuler que de jour sur les routes et les rivières.
  La famine joignait souvent ses atroces ravages au grave malaise qu'entraînait la stagnation de l’activité économique. Il y en eut une particulièrement meurtrière, en août I686, dans le sud de la péninsule, par suite d'une sécheresse exceptionnelle. ["...Dès notre arrivée à Pondichéry, la cherté des vivres y faisait déjà souffrir le peuple ; elle venait du manque de pluies qui n’avaient point donné l’année dernière et une grande sécheresse dans celle-ci. On y appréhendait une famine, et il y avait beaucoup d’apparence ; il faut de l’eau absolument pour la culture du riz, l’abondance de pluie en fait la grande récolte. Les pays du nord de Pondichéry étaient encore plus mal, ... "; MARTIN François, Mémoires, p. 448] Les habitants faméliques fuyaient les districts les plus éprouvés et refluaient en masse vers la province de Tanjore, où un régime de canaux permettait d'entretenir la culture des rizières. Le contrecoup de cette disette se faisait sentir sur l'industrie locale et sur le trafic européen; les ouvriers, épuisés par les privations, ne pouvaient fournir les toiles qui leur avaient été commandées et qu'attendaient indéfiniment les navires en rade pour compléter la cargaison.
  Mais c'est dans le royaume de Golconde, jusqu' à Aurengabad, que cette famine prit les proportions d'une véritable catastrophe. À travers les récits du temps, on croit revivre les scènes du Moyen âge en évoquant ces corps abandonnés et entassés par milliers dans les villes, ces campagnes remplies de cadavres, ces paysans revenus à l'état bestial et se disputant l'herbe rare et flétrie des champs ou les ossements des morts. Sur une étendue de trois cent lieues [~I500 km], un flot d'êtres squelettiques déferlait vers l'extrême sud, la plupart mourant en route. Si la charité européenne trouvait à s'exercer dans cette terrible épreuve et laissa quelques très beaux exemples de dévouement, on ne manqua pas de voir les habituels profiteurs, véritables vautours, qui s’abattirent sur ce charnier : des barques venant de régions épargnées par le fléau remontaient les rivières avec des chargements de riz, acheté en gros et revendu à des prix exorbitants, grâce à la complicité des gouverneurs qui fermaient les yeux, ou des brahmanes qui prélevaient leur commission. ["... Il en est dans les Indes ainsi que dans beaucoup d’endroits de l’Europe où des gens aisés et d’un caractère dur et impitoyable cherchent à profiter de la misère des pauvres ; il arrivait à Pondichéry des barques du côté du sud chargées de riz : les gens qui vendent ces denrées de concert avec les brahmes du gouvernement achetaient ces grains en gros qu’ils revendaient après fort cher ; je crus devoir m’opposer à cette inhumanité. Je fis acheter le riz de trois grandes barques qui arrivaient dans ce temps ; on le distribua ensuite aux pauvres gens au prix qu’il revenait à la Compagnie. Cette inclination tendre et pitoyable de notre grand roi à soulager ses sujets dans les disettes de même a fourni des exemples à imiter., ... "; MARTIN François, Mémoires, p. 450] Au commencement de I687, la famine régnait toujours dans certaines villes; à Madras, au mois de janvier, on comptait en moyenne cent cinquante morts par jour.
  François Martin, témoin de cette anarchie et de ces horreurs, s'étonne un peu naïvement que le Grand Mogol n'ait pas eu assez d'autorité pour empêcher " les voleries et les courses qui se font dans presque toute l'étendue de ses États ". Après avoir rappelé que maints gouverneurs et rajas pratiquaient en grand ces pirateries organisées, il nous conte une bien bonne histoire : c'est celle des voleurs dits Gratias.
   Ces honorables truands tenaient leur cour des miracles aux portes d' Ahmedabad et formaient toute une tribu dont l'unique occupation était de rançonner les villages et, quand ils rencontraient de la résistance, d'emmener comme otages les notables du pays. François Martin lui- même a été témoin et failli être victime de leurs exploits, une nuit qu'il couchait dans une maison de plaisance appartenant à un de ses amis musulmans, Mehemet Ami Khan; ["... I862 : On eut avis dans le mois de juillet de la mort de Mehemet Ami khan, gouverneur d’Ahmedabad et de toute la province de Guzerate. C ’était le fils de feu Mir Zomla ou l’émir Zomla, suivant quelques-uns, fameux dans l’histoire des Indes et qu avait puissamment contribué à l’élévation d’Aureng Zeb à la couronne, et connu encore par la conquête d’une partie du Garnate pour le roi de Golconde, dont il avait été généralissime de ses armées et d’où il avait rapporté des richesses dont le récit passerait pour une fable en Europe.(...) Mehemet Ami khan était un des hommes les plus avares dans son domestique, la dépense réglée mais très modique, jusqu’aux dames du sérail et à sa table. (...) Il était cruel ; c’était une espèce de divertissement pour lui de faire châtier des gens en sa présence. Il est juste pourtant de rapporter aussi ce qu’il avait de bon ; il portait une affection particulière aux Persiens, aux Arabes dont son père était sorti ; ceux de ces deux nations qui passaient aux Indes étaient sûrs de trouver une retraite assurée et une puissante protection à Ahmedabad suivant le caractère d’un chacun. Mehemet Ami khan leur donnait de l’emploi et aux marchands il leur avançait de l’argent pour faire leur commerce., ... "; MARTIN François, Mémoires, pp. 296-297] les Gratias errèrent autour de l'habitation toute la nuit, au clair de lune, tous à cheval, armés de lances et de sabres, puis se retirèrent sans avoir osé donner l'assaut, bien qu'ils fussent au nombre d'une centaine; mais ils savaient que les hôtes de Mehemet Ami étaient bien pourvus de mousquets, de pistolets et de poudre sèche.
  Le pays est si peu sûr que, pour mettre les voyageurs à l'abri, on a établi un peu partout " de grands clos fermés de murs, avec trois ou quatre appartements ", où ils peuvent se retirer le soir sans craindre de fâcheux visiteurs. Les Gratias étaient d'autant plus dangereux que leur apparence était souvent trompeuse; ainsi François Martin a fait un jour la conversation avec un aimable et doux vieillard qui pêchait dans un étang. Mais dans la soirée, comme il avait voulut envoyer son valet acheter du poisson au village voisin, l'homme revint tout ému, ayant trouvé le village sur le pied de guerre, avec le vénérable vieillard comme chef, prêt à partir en expédition nocturne. Cette nuit-là François Martin ne dormit guère; la campagne était pleine de rumeurs inquiétantes sur lesquelles se détachait avec insistance le glapissement des chacals. Notre voyageur, qui avait encore beaucoup à apprendre sur les mœurs des Gratias, découvrit alors que les prétendus chacals n'étaient autres que les voleurs en course, échangeant leurs signaux. " Ces gens-là, dès leur jeunesse, s'appliquent à imiter les cris des animaux et ils y sont si bien instruits que lorsqu'ils vont en parti ou dispersés chacun dans leur poste, ils ont le secret de s'avertir par les mêmes cris du nombre de voyageurs, de leur suite, si ce sont des Mores ou des Gentils, de ce qui concerne leur équipage en détail ", convenant ainsi entre eux s'ils attaqueront ou laisseront aller.
  Notons que la scène se passait à quelque cinquante lieues [~242 km] au nord de Surate, dans un des pays le plus sûrement contrôlés par le gouvernement de Delhi. Mais la police était impuissante, au point qu'il était dangereux, en I684, de se rendre de Soualy à Surate, parcours de quelques kilomètres. Là-dessus, François Martin s'indigne une fois de plus " qu'on ne réprime pas ces courses de voleurs; mais il est vrai, ajoute-t-il, qu'il y en a un si grand nombre dans les États du Mogol qu'il serait difficile de les réduire puisqu'il y a même des provinces entières dont les habitants sont voleurs de profession. "
  La famine, le brigandage organisé, la concussion [infraction commise par un représentant de l'autorité publique ou une personne chargée d'une mission de service public qui, sciemment, reçoit, exige ou ordonne de percevoir une somme qui n'est pas due; Larousse] des gouverneurs, que de plaies ouvertes par lesquelles le meilleur sang de l' Inde s'écoulait ! Et quel envers misérable au brillant décor de toile peinte lamée d'or devant lequel se jouait la parade de l' empire !
  C'est pourtant au milieu de cette détresse réelle, à laquelle il paraissait insensible, à travers la multitude des guerres intérieures, auxquelles il n'arrivait pas à faire front, qu' Aureng Zeb tourna les yeux vers un horizon lointain et forma l'un des plus grands desseins politiques de son règne.
  I685... En Europe, la Turquie a chancelé sous les coups répétés de la Russie et l'ambitieux vainqueur rêve de se partager ses dépouilles avec l' Autriche...["ou la grande guerre turque, guerre de la Sainte Ligue ou encore cinquième guerre austro-turque se déroula de I683 à I699. Elle opposa l'Empire ottoman au Saint-Empire romain germanique, sous le règne des empereurs élus de la maison de Habsbourg. Le Saint-Empire fut soutenu par ses provinces : l'électorat de Bavière, l'électorat de Saxe, les cercles de Souabe et de Franconie, ainsi que par son allié la Pologne. En I684, cette coalition anti-ottomanne fut rejointe par les États pontificaux, Venise, Gênes, la Toscane, la Savoie, l'Espagne, le Portugal et prit alors le nom de Sainte-Ligue. (...) Le traité de Karlowitz, ou traité de Karlovci, fut signé en I699 à Sremski Karlovci, où l'Empire ottoman, qui menaçait depuis plus de I50 ans le Saint-Empire et la Pologne, fut défait par le Saint-Empire. (...) Les Ottomans cèdent ou rendent : à la Pologne, la Podolie, dont ils s'étaient emparés en I672; aux Habsbourg, la plus grande partie de la Hongrie, la partie de la Croatie-Slavonie qu'ils contrôlaient et leurs droits de suzeraineté sur la Transylvanie qui leur était tributaire; aux Vénitiens, de menus territoires en Dalmatie, leurs droits de suzeraineté sur la république de Raguse qui leur était tributaire, l'île de Sassos et surtout la Morée : péninsule du Péloponnèse; au traité de Passarowitz. Le traité de Karlowitz marque le début du recul de l'Empire ottoman en Europe orientale : le sultan doit reconnaître un État chrétien comme un égal de la « Sublime Porte » et la monarchie de Habsbourg devient la puissance dominante en Europe centrale., ... "; sur le Web] Battu sur presque tous les champs de bataille, chassé de Hongrie, lentement refoulé vers l' Asie, celui qu'on appelait encore le Grand Seigneur [surnom donné au souverain, sultan, de l' Empire ottoman; quatre sultans se succédèrent durant cette guerre : Mehmed IV, I642-I693, règne I648-I687; Soliman II, I642-I69I; règne I687-I69I; Ahmad II, I643-I695, règne I69I-I695 et Moustapha II, I664-I703, règne I695-I703] va-t-il regarder, lui aussi, vers ses frères de race et de religion ? Aureng Zeb guette l'occasion. Par les marchands étrangers qui pullulent sur son empire, il est fort au courant des ressorts de la politique européenne. En ce temps-là, il existait en Orient trois grandes puissances musulmanes : la Turquie, la Perse, le Mogol. Mais ce dernier, par ses intérêts comme par sa foi, se sentait beaucoup plus près du Turc que du Persan. Cha Abbas était son ennemi de toujours, et à ses yeux, ce sectateur d' Ali était un hérétique. Tendre la main au Grand Seigneur, c'était neutraliser à tout jamais l'hostilité de la Perse, prise entre les deux feux, et en outre châtier un contempteur de la vraie Loi, ce qui flattait le zèle religieux d' Alamguir. S'il laissait écraser l' Ottoman, il libérait le Persan de la seule menace qui pouvait l'arrêter dans son expansion vers l' est. Cette grande et perspicace pensée demeura stérile par la passivité de Chah Abbas, que son inaction, due aux excès d'une vie voluptueuse, sauva sans doute d'un désastre irréparable. Toutefois Aureng Zeb, inquiet de sentir lui échapper peu à peu dans l' Inde cette grande puissance qu'avaient fondée ses ancêtres, ne cessait d'observer, avec un regret nostalgique, le ciel d' Occident. Mais en cette même année I685, qui marque le dernier tournant décisif de sa vie, il allait avoir bientôt de plus immédiats dangers à conjurer.

 
L'Europe du Sud-Est avant et après le traité de Karlowitz.


CHAPITRE IV

 

LE DEKKAN


TOMBEAU DE LA MONARCHIE MOGOLE




   À suivre...

   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 24I-253.
 
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