LE DERNIER DES GRANDS MOGOLS, VIE D'AURENG ZEB, ÉPISODE XIX

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  Seuls, les deux petits royaumes de Bijapur et de Golconde, dont l'origine était très ancienne et qui avaient connu une longue période de prospérité, auraient pu constituer un élément sérieux de résistance aux entreprises des Mahrattes, sans l' erreur politique d' Aureng Zeb qui, au début de son règne, lui fit affaiblir systématiquement ces États, les livrant sans défense aux entreprises d'un éventuel ennemi. Jusqu’au XVIIe siècle, ils avaient été préservés des attaques mogoles. Après la prise de Daulatabad en I632, Golconde jouit encore d'une paix assez longue, qu'elle dut à sa citadelle à peu près imprenable et à la nécessité, pour une armée d'invasion, de réduire auparavant un certain nombre de forts, tels que Paranda, Amber et Bidar, qui protégeaient les avancées de la place. Mais il est juste d' ajouter que cette immunité était due aussi en grande partie à la sage politique des rois de Golconde. Comme ils possédaient d'immenses trésors, ils payaient largement les souverains de Bijapur, pour les mettre en état de défendre le pays. Et toutes les fois que ceux-ci étaient attaqués, les premiers massaient des troupes à leurs frontières, pour montrer au Mogol non seulement que leurs propres États étaient sur la défensive, mais qu'ils se tenaient prêts à secourir leurs voisins. Il semble, d'après les informations recueillies par Bernier, que le gouvernement de Golconde disposât de sommes considérables pour acheter les généraux de l'armée ennemie : ce qui rend cette opinion vraisemblable, c'est que les Mogols portaient leurs attaques sur Bijapur, plutôt que sur Golconde, bien que cette dernière ville fût plus à proximité de Daulatabad. En fait, depuis l'accord conclu par Aureng Zeb avec Abdullah Kutb Shah,[ou Abu al-Hasan Qutb Sahi] en I656, l'empereur n'était guère enclin à immobiliser des troupes dans un État qu'il considérait sans doute comme sa propriété personnelle. Pendant de longues années, la riche Golconde avait envoyé régulièrement à Delhi un opulent tribut en espèces sonnantes, en produits manufacturés de la région et en éléphants, provenant du Siam ou de Ceylan. Mais en I667, il n' y avait plus de citadelle entre Daulatabad et la capitale du sultan, qui pût offrir une résistance sérieuse et Aureng Zeb se crut assuré de conquérir ce petit royaume en une seule campagne. S'il hésita quelque temps, c'est qu'il craignit de se mettre sur les bras le roi de Bijapur, lequel savait parfaitement que sa propre ruine serait la conséquence inéluctable de la chute de son puissant voisin.
  Tapi au centre de ces nébuleuses machinations, comme une araignée dans sa toile, Sivaji observait avec soin les évènements, prêt à entrer en scène au moindre signe de faiblesse, pour achever le vaincu ou pour contrecarrer le succès du vainqueur. Il arrêtait les courriers qui circulaient sur les routes entre Delhi et le Dekkan. Il faisait faire en sous-main des offres d'assistance aux princes menacés, quitte à les démentir à la moindre alerte; et il occupait toujours de nouvelles places, sous prétexte de garantir leur sécurité. Les négociations entre Jai Singh et le Mahratte, le séjour de celui-ci à la cour impériale et son étrange évasion, les avances manifestent du Mogol à son ennemi d'hier et de demain, semblent prouver que, chez Aureng Zeb du moins, il y avait le sentiment qu'un accord avec Sivaji était le seul moyen d'obtenir dans le Dekkan la paix qui lui était nécessaire, et la volonté de réaliser à tout prix cet accord. L'échec de Jai Singh à Bijapur, à la fin de I666, ne pouvait que le confirmer dans ces résolutions. Seule, une entente avec les Mahrattes, ou du moins leur neutralisation obtenue par de larges concessions, pouvait permettre au souverain de Delhi de transformer de simples raids ou démonstrations militaires sur cet échiquier compliqué de l' Inde méridionale en un plan de conquête méthodique. Mais en réalité, Sivaji devait rester le maître de la situation, parce qu'il était sur place, parce qu'il connaissait mieux les ressources naturelles et les intérêts politiques du pays, et parce qu'il savait utiliser adroitement les intrigues confuses où se perdaient ces petits souverains locaux. D'ailleurs ceux-ci, même musulmans, pris entre ces deux périls également redoutables, recherchaient l'alliance de Sivaji, dont la menace était à leur porte, au lieu de se mettre sous la protection, comme il eût été naturel, de la lointaine cour impériale.
  Le Grand Mogol ne cessait pas d'exercer une violente pression, par la voie diplomatique, sur l'infortuné roi de Golconde, Abdul Hasan, lequel ne savait plus, — c'est bien le cas de le dire, — à quel saint se vouer. Pendant son séjour dans la capitale des diamants, dont la fabuleuse opulence excitait tant de convoitises, Bernier fut témoin de ces laborieuses négociations. Un ambassadeur extraordinaire de Delhi apporta un véritable ultimatum : ou bien le roi fournissait un contingent de dix mille cavaliers pour participer à une expédition contre Bijapur, ou bien il subirait lui-même les rigueurs de la guerre. Le sultan put éviter ce dangereux chantage, en offrant, au lieu des dix mille cavaliers demandés, l'or nécessaire à les entretenir et Aureng Zeb se contenta magnanimement de cette compensation. En réalité, la combinaison était excellente pour lui : il était toujours à cours d'argent, et préférait certainement les soldats qu'il recrutait lui-même à ceux qu'aurait pu lui donner un État épuisé, énervé par un siècle d'anarchie et d'insécurité. Quand à celui qui n'était plus qu'un fantôme de roi, depuis l'audacieuse entreprise de Mir Jumla, il était trop heureux d'acheter la paix, au moins pour quelques temps, au prix d'un or dont il regorgeait et dont il ne savait que faire. Dans sa hâte de se débarrasser d'une tutelle inquiétante, il renvoya l'ambassadeur en le comblant de cadeaux magnifiques pour son maître et pour lui-même. En effet, durant tout le temps de son séjour à Golconde, cet envoyé extraordinaire, — dans tous les sens du mot, — n'avait cessé de se conduire en maître absolu, parlant haut, multipliant les menaces, les insultes et les mauvais traitements, avec l'assurance d'un homme qui se sait au-dessus de toutes représailles.
  La trahison et le chantage demeurent les ressorts essentiels de cette confuse et complexe politique de l' Hindoustan au XVIIe siècle. Ce qui complète le tableau, c'est la quasi certitude d 'une hypocrite comédie jouée par le roi de Golconde, pour échapper aux ennemis qui le guettaient de toutes parts, et qui se disputaient déjà les lambeaux de son royaume. Selon des observateurs bien informés, Abdul Hasan, ce fantôme de monarque, n'aurait pas été si dénué d'intelligence et de volonté qu'il voulait bien le laisser croire. S'il paraissait se désintéresser des affaires de l' État et s'abandonner à son destin, ce n'était ni par veulerie ni par impuissance, mais pour gagner du temps, — le temps, ce puissant auxiliaire de la nonchalance orientale. On allait jusqu'à dire qu'il tenait caché à tous les regards, dans l'ombre de son harem, un fils jeune homme d'une vive intelligence et d'une certaine ambition, et qu'il n'attendait qu'une occasion pour le mettre à sa place sur le trône, en violation formelle de ses engagements avec Aureng Zeb. Mais cette résistance passive, qui dura une vingtaine d' années, ne put tenir quand le Grand Mogol, momentanément débarrassé du péril mahratte, put enfin tourner toutes ses forces contre les petites royautés musulmanes de l' Inde péninsulaire. Cette heure fatale arrivera pour Abdul Hasan assez longtemps après la mort de Sivaji, lequel, sans le vouloir, l'avait préservé d'une inévitable déchéance. C'est, en effet, en I687, qu'il succomba, malgré une opiniâtre résistance opposée dans sa farouche citadelle, aux canons et aux assauts du Mogol. Et depuis cette date, l'indépendance de Golconde ne fut plus qu'un souvenir.

 

Portrait d' Abu al-Hasan Qutb Sahi, le 8e et dernier sultan de la dynastie Qutb Sahi. Photo musée du Louvre Dist RMN-Grand Palais. Crédit photo : Raphaël Chibault, musée du Louvre.   

Aureng Zeb avait pris lui-même la tête des opérations. Sans doute, en contemplant les portes gigantesques de la forteresse, qui allaient s'ouvrir devant ses troupes victorieuses, songeait-il à ce matin de I656, où il guettait impatiemment le moment de pénétrer dans la place et d'achever une conquête que la jalousie de Dara et la volonté de Shah Jahan avaient arrêtée en plein élan. Il avait attendu plus de trente ans sa vengeance. Déjà maître de la plus grande partie du royaume, il ne se teindrait pour vainqueur que lorsqu'il occuperait la capitale d' Abdul Hasan,  dont le nom avait pour toute l' Inde une valeur symbolique. Il y pénétra le 3I octobre. ["...Aureng Zeb, âgé de près de soixante-dix ans, revenait en février I687 et établissait son camp, véritable ville de toile aux tentes fastueuses, aux abords de Golconde. Repoussant brutalement les humbles ouvertures d'Abdul Hasan, il entreprenait le siège du fort. Les opérations piétinaient, la citadelle résistait victorieusement aux Mogols découragés quand elle leur fut livrée par la trahison d'un mercenaire afghan, qui s'était laissé acheter. Abdullah Khan Punni ouvrit le 2I septembre I687, à trois heures du matin, une poterne, par laquelle l'armée d'Aureng Zeb s'engouffra pour trouver « les troupes sur les murailles et les bastions endormis et sans armes, le roi dans son sérail avec une espèce d'indolence, de même que s'il n'y avait point eu de guerre et que l'action ne l'eût point touché ». Quoiqu'il en soit, Abdul Hasan ne manqua pas de grandeur dans l'adversité. Serein il sut calmer les femmes de son harem, folles d'inquiétude et les inviter dignement à se résigner à l'arrêt du destin. Revêtu de sa plus belle robe, il attendit sur son trône l'arrivée des assaillants et partagea avec eux son petit déjeuner. Puis, au milieu des soupirs et des sanglots, il monta à cheval et se rendit auprès d'Aureng Zeb. « Je suis reconnaissant à mon front, lui dit-il, avec une courtoisie toute orientale, en s'inclinant profondément, de m'avoir introduit devant votre seuil »., ... "; sur le Web] Quand ont eu désarmé la garnison, quand l'empereur eut visité les salles profondes creusées dans le rocher, les mosquées où les défenseurs de la ville venaient implorer Dieu dans le danger, les citernes inépuisables, les souterrains qui descendaient au cœur des montagnes et débouchaient au loin dans la plaine, il voulut monter seul jusqu'au kiosque fragile qui domine la masse formidable des remparts. Là, il promena lentement ses regards sur l'horizon. Non loin de la ville, au milieu de la verdure, une ligne de dômes, d'une blancheur éblouissante, marquait l'emplacement des tombeaux où dormaient les princes de cette race des Kutb Shah, dont il tenait à sa merci le dernier représentant. Aujourd'hui, écrit un voyageur moderne, " un seul des sultans de ce féérique royaume manque, — le dernier, qui avait pourtant fait construire lui-même sa demeure d'éternité, mais qui fut chassé de sa sépulture  comme de ses États, et mourut en exil. " C'est, en effet, le sort qui était réservé au roi déchu : traité avec courtoisie par son vainqueur, il n'en sera pas moins prisonnier au milieu des splendeurs du palais d' Aureng Zeb. ["... Détenu pendant quatorze ans à Daulatabad, Abdul Hasan y mena une vie misérable, sans pour autant cesser de s'adonner à la poésie.,..."; sur le Web]

Vue d'un des 2I tombeaux de la dynastie Qutb Sahi; 7 des 8 sultans de cette dynastie sont inhumés en ce lieu, situé à 2 km au nord-ouest de la citadelle de Golconde. Crédit photo : C.Juncker.

  L'autre grande dynastie musulmane de l' Inde péninsulaire, celle des Adil-Shah [ou Âdil Shâh] à Bijapur, [les sultanats du Dekkan étaient cinq royaumes musulmans, —Ahmadnâgar, Berar, Bîdâr, Bîjâpur et Golkonda, —du centre-sud de l'Inde.(...) le mameluk Yusuf Âdil Shâh qui fonde à Bîjâpur la puissante dynastie Adil Shahi, I490-I686, qui domine le Deccan occidental et le pays marathe,... "; sur le Web] subit presque en même temps un destin analogue. À Bijapur, comme à Golconde, le Grand Mogol avait été forcé, pendant trente ans, d'attendre une occasion favorable pour tenter une opération décisive, et de laisser le commandement dans cette région à des généraux, sinon incapables, du moins peu scrupuleux, pour lesquels le riche Dekkan était une belle proie, et qui se contentaient de jouer pour leur compte au potentat, quand ils ne s'entendaient pas avec le souverain qu'ils étaient chargés de mettre à la raison. Tous les prétextes leur étaient bons pour traîner en longueur un état de guerre, qui était pour eux la source de riches profits. Tout au plus pouvait-on alléguer, à leur décharge, que la région où ils manœuvraient était bien pourvue en forteresses solidement établies sur des hauteurs, et offrait un accès très difficile aux lourdes masses d'une armée mogole. Mais depuis que les places de Paranda, de Bidar, et quelques autres étaient tombées au pouvoir de la monarchie de Delhi, la situation n'avait guère changé pour cela, si même elle n'avait pas empiré.

Les 5 Sultanats de l' État du Deccan, I490-I687. Sur le Web

  Bernier raconte la singulière histoire d'un des derniers souverains de Bijapur. C'était, quand il monta sur le trône, un tout jeune homme, fils adoptif de la reine, sœur du roi de Golconde, laquelle fut très mal récompensée de sa bonté. Quand sa mère adoptive revint de La Mecque, où elle était allée en pèlerinage, le prince ingrat lui fit le plus froid accueil. Ne prétendait-il pas que la conduite de la reine, à bord du vaisseau hollandais qui l'avait transportée à Moka, avait été indigne de son sexe et de son rang ? On faisait courir le bruit qu'elle avait entretenu des relations coupables avec deux ou trois membres de l'équipage, lesquels auraient abandonné le navire à Moka, sous prétexte de l'accompagner à La Mecque.
  C'est à ce moment que Sivaji, mettant naturellement à profit ces désordres intérieurs, occupa plusieurs places du royaume. C'est lui, et non le souverain légitime, qui faisait figure de maître dans le pays, insensible aux menaces qui lui venaient de Delhi aussi bien que de Bijapur. Fortement appuyé sur ces citadelles de montagne, qui servaient de repaires à ses bandes, il exerçait ses ravages, sans être inquiété, sur une longue bande territoire qui allait de Surate aux portes de Goa. Mais malgré les coups sensibles que le Mahratte infligeait de temps en temps au roi de Bijapur, celui-ci trouvait en lui un puissant et secret allié. Grand sujet de rancœur pour le Mogol, toujours contraint de différer sa vengeance. N'était-ce pas Sivaji, précisément, qui en tenant sans cesse en haleine les troupes d' Aureng Zeb et en le forçant à immobiliser la plus grande partie de ses effectifs du Dekkan, l'empêchait d'achever une conquête commencée en I656 ?

" il exerçait ses ravages, sans être inquiété, sur une longue bande territoire qui allait de Surate aux portes de Goa. " Source : K. Le Doudic

  À Bijapur, comme à Golconde, le drame n'eut son dénouement qu'après la mort du rat de montagne. Se défiant de la plupart de ses généraux, qui avaient si souvent trompé sa confiance dans ce perfide Dekkan, l'empereur préféra encore recourir aux services de ses fils, bien qu'il eût aussi plus d'une raison de suspecter leur absolue loyauté, comme la récente révolte du prince Akbar venait de lui prouver. Ce tragique épisode, sur lequel nous reviendrons, est de I68I. Et c'est en I686 qu' Aureng Zeb confiait au prince Mouazzam le commandement des forces envoyées contre Golconde et au prince Azam l'armée qui opérait à Bijapur. Mais on doit ajouter qu'il ne les perdait pas de vue, puisqu'il avait établi lui-même son quartier général dans le Dekkan, au cours de cette année décisive, et c'est lui qui vint le I8 octobre I686 recevoir la soumission du dernier souverain de la dynastie des Adil-Shah.
   Bijapur... Golconde... Ces deux noms magiques, pour le Grand Mogol représentaient bien moins le succès d'une conquête tardive et à peu près inutile, qu'un beau rêve de jeunesse réalisé dans une vieillesse déjà avancée.

***

  On peut se demander pourquoi, de I666 à I670, Aureng Zeb et Sivaji parurent se tenir respectivement sur le pied de la paix armée.
  Mais pendant ces quinze années de paix relative, les difficultés n'ont pas manqué au Mogol : peste et famine, à plusieurs reprises, dans les provinces du Nord, rébellion des Jats, soulèvement des paysans dans le district d' Agra, en I669, insurrection des Youssoufzaï en Afghanistan,[ou Yousafzai; " En I667, un chef yousafzai, bahgu khan, couronne un enfant, Muhammad Shah, comme roi et se proclame vizir. Il organise une force de 5 000 hommes de clan, des hommes de clan bénis par le mullah chalak, un homme de sainte réputation. Ils traversèrent l'Indus, envahirent la plaine de Pakhali et attaquèrent et capturèrent plusieurs avant-postes moghols, prévoyant même d'avancer à l'intérieur du territoire moghol. Ils y établissent leur autorité et exigent des contributions de la part des paysans. D'autres bandes de yousafzai commencèrent à ravager le territoire impérial le long de la rive de la rivière Kaboul, dans les districts occidentaux de Peshawar et d' Attock. L'empereur a demandé au gouverneur d' Attock de marcher contre les rebelles avec toutes les troupes disponibles dans les environs. Des ordres furent également envoyés au gouverneur de Kaboul pour qu'il avance avec son contingent de I3 000 hommes et attaque le pays de Yousafzai, et une force de I0 000 soldats avec de l'artillerie fut envoyée de la cour. Les deux dernières divisions ont mis du temps à arriver sur les lieux, c'est pourquoi le faujdar d' Attock, Kamil Khan, a dirigé sa propre division contre les yousafzais. Son armée fut renforcée par des hommes envoyés de Peshawer, des gakkars du Pendjab et des Rajputs sous les ordres de Maha Singh Bhadauria. Une bataille désespérée fut livrée au bac de la rivière Harun au début du mois d'avril. L'artillerie moghole brisa leur formation et la cavalerie acheva la défaite de Yousafzai. Les forces mogholes n'étaient pas assez puissantes pour tenter une invasion du pays de Yousafzai. Kamil Khan fit donc une longue halte à Harun, jusqu'à ce que Shamshir Khan de Kaboul arrive et prenne le commandement suprême. Il remporta de nombreuses victoires et progressa rapidement dans leur pays. Entre-temps, Muhammad amin khan, fils de Mir Jumla, arriva de la cour avec dix mille soldats et, rejoignant shamshir khan, lui succéda au commandement suprême. Les Afghans sont alors systématiquement soumis. Leurs villages sont brûlés, leurs récoltes piétinées et leurs biens pillés. Bajuar est également envahi. La victoire moghole était complète, bien que des escarmouches se soient poursuivies jusqu'à la fin du mois d'octobre. Le rajah Jaswant Singh fut posté à Jamrud en I67I pour veiller à ce que les Afghans se tiennent tranquilles. "; sur le Web] des Satnamis au Radjpoutana, complications de toutes sortes entrainées par les abus et les erreurs d'une politique religieuse imprudente. Et quand Aureng Zeb va enfin pouvoir respirer, quand il se tourne vers ces conquêtes dont l'exemple de ses ancêtres lui avait tracé l'impérieux devoir, et dont il avait rappelé à son père la glorieuse tradition, dans la belle lettre que nous avons citée, il voit se dresser en même temps contre lui, aux deux extrémités de l'empire, les deux plus terribles ennemis avec lesquels il a eu à compter : les Afghans et les Mahrattes. Bien plus, contre les Hindous du sud, il aurait pu employer utilement ces troupes afghanes, qui étaient parmi les meilleurs éléments de l'armée impériale, quand ces montagnards intrépides n'étaient pas en révolte ouverte. Or, de I667 à I676, ce n' est pas dans le camp mogol que se trouvaient les Afghans. Tragique concours de circonstances qui sera pour beaucoup dans les vicissitudes de la lutte d' Aureng Zeb avec Sivaji.
  Le second acte du drame mahratte débute, comme le premier, par une soudaine attaque et un nouveau pillage de Surate, en octobre I670. En portant encore une fois ses coups sur le grand port marchand qui était pour les Mogols la porte de leur empire ouverte vers l' Occident et le principal centre du commerce de l' Inde avec les Européens, Sivaji ne cherchait pas seulement à dépouiller une ville laborieuse et riche, qu'il nommait lui-même assez cyniquement la clef de son trésor, et qui s'était relevée de ses ruines, depuis le sac de I664; il voulait surtout couper les communications des Mogols avec la mer d' Oman, en s'assurant une base solide sur le golfe de Cambay. Surate semblait d'ailleurs être livrée à peu près sans défense aux entreprises de l'ennemi; et l'on s'étonne qu'une place, d'une telle importance pour le souverain de Delhi, qui était le siège d'un trafic incessant et d'intérêts considérables, ne fût pas mieux à l'abri d'une surprise. Non seulement la ville n'avait pas de remparts que des murailles de terre battue, mais la petite forteresse qui commandait à la fois la mer et la route de l'intérieur était si ancienne et si démodée qu'elle ne se trouvait pas à l'épreuve de l'artillerie, ni pour l'attaque, ni pour la défense. Comme elle datait d'une époque antérieure à l'invention de la poudre, il avait fallu établir après coup de rudimentaires échafaudages pour hisser quelques méchants canons, qui ne pouvaient trouver place sur les créneaux. De plus, le commandant de la citadelle n'avait sous ses ordres que ses propres soldats, et il était sans pouvoir sur les troupes qui assuraient la police de la ville et qui n'obéissaient qu'au gouverneur. Ce conflit d' autorité paralysait tout essai de résistance efficace en cas d' alerte. Enfin, les Mogols, sans se désintéresser tout à fait de Surate, n'étaient que trop portés à s'en remettre du soin de la défense aux riches étrangers, Anglais, Hollandais et Portugais, lesquels y avaient plus d'intérêts qu'eux-mêmes.
  Sivaji put donc, sans être vraiment inquiété, recommencer sa fructueuse opération, et rafler, outre bon nombre de marchandises et de vivres, tout ce qui se trouva dans Surate, d'or monnayé et en barre.
  Au lieu de tourner aussitôt contre le chef mahratte la totalité des forces mogoles que la guerre d' Afghanistan laissaient disponibles, Aureng Zeb commit la faute de disperser ses forces du Dekkan en de petites opérations de nettoyage dans le Sud de la péninsule. Il s'entêtait, après avoir anéanti les royaumes musulmans, à réduire les menues principautés hindoues qui formaient des îlots, entre Karnul et Madura. Succès faciles, mais sans lendemain; satisfactions de vanité de ses généraux et pour lui-même. Ses efforts pour rétablir la domination musulmane sur toute la région de Mysore ["... C’est surtout à partir du I4ème siècle, que Mysore gagnera de l’importance quand les Wodeyars, une dynastie vassale des Vijayanagaras, venant d'Hampi, établissent leur capitale. Au début, il s'agit simplement du rassemblement de quelques villages, mais le royaume s'étend progressivement et atteint son apogée sous le règne de Narasaraja Wodeyar I [I578-I6I7] et Chikka Devaraja Wodeyar [I673-I704] au I7ème siècle. Le royaume de Mysore occupe alors tout le sud du Karnataka et le nord du Tamil Nadu... "; sur le Web] ne lui permirent même pas d'atteindre le cap Comorin,[cap situé dans le Tamil Nadu, dans l'extrême sud de l'Inde] et il ne put jamais dépasser Trichinopoly. [ou Trichinopoli, ville située dans le centre sud-est de l'Inde; aujourd'hui : Tiruchirappalli, dans l' État du Tamil Nadu, ex État du Madras, jusqu'en I960; la capitale de l'État est Madras] Encore fortement établie dans l' Inde du Nord, la monarchie mogole avait dès cette époque perdu tout espoir d'étendre son empire jusqu’à ces côtes méridionales qui allaient devenir au siècle suivant le point d'appui des grandes entreprises européennes.
  Sivaji fut longtemps le seul bénéficiaire de cette erreur politique, dont les conséquences se feront sentir encore après la disparition du chef mahratte. N'étant pas aveuglés par des préjugés politiques ou religieux, les Franguis installés dans le Dekkan avaient compris ce que le fanatisme du Grand Mogol l'empêchait de sentir : la nécessité de soutenir les rajas encore indépendants, de les réconcilier et de les unir entre eux pour former une barrière contre l'invasion des Mahrattes. Il est vrai que beaucoup de ces Européens, et notamment les Français de Pondichéry, tenaient leurs concessions de certains de ces rajas, tels que ceux de Maduré, de Gingi,[ou Gingy] de Tanjore, et ce curieux Chirkhan Loudy, Premier ministre de l' État de Valgondapouram, qui fut longtemps un des principaux protecteurs des Français dans l' Inde. ["... Le « général » dont l'autorité s'exerçait sur la province de Valgondapouram, cette province est aujourd'hui englobée dans le district de Trichinopoli, avait-il le cœur mieux placé que la plupart de ses collègues ? Avait-il été indigné de la désinvolture avec laquelle les Hollandais, soit par corruption, soit par soit encore en usant des deux procédés à la fois, avaient réussi à fonder des comptoirs en différents points de la côte de Coromandel et travaillaient sans cesse à en multiplier le nombre, à en accroître l'importance ? Était-il moins accessible que nombre de ses semblables à l'argent et à la crainte ? ou bien même souffrait-il de voir les marchands européens, — les surtout, — agir dans le Deccan comme ils le faisaient, sans autre souci que leur intérêt propre et avec une désinvolture blessante pour les gouverneurs indigènes ? Toujours est-il que, à peine Goujon et Martin arrivés à Masulipatam, — c'est-à-dire, selon toutes les vraisemblances, à la fin d'août ou au début de septembre I670, — Chirkhan Loudy, ainsi se nommait le de la province de Valgondapouram, invita les chefs de la loge française à venir s'établir sur les terres soumises à son autorité ; il leur en vantait la valeur industrielle et « promettait des conditions avantageuses pour y faire le commerce » ; tôt après, il confirmait encore son offre. Que pouvait faire Martin, demeuré seul à Masulipatam après la mort de son chef, sinon en référer à Surate et, en attendant la réponse du directeur général Caron, remercier Chirkhan Loudy de sa bonne volonté et de son offre obligeante ? « Je répondis, raconte- t-il..., que nous donnerions avis à nos supérieurs de l'offre qu'il nous faisait, que nous les acceptions d'avance et que, dans deux ou trois mois, il aurait des nouvelles plus positives sur qu'il nous proposait ».,... "; sur le Web] Or les provinces de Valgondapouram et de Gingi dépendaient du royaume Bijapur, que Sivaji attaqua directement en I674. Cette nouvelle invasion avait eu pour prétexte un conflit survenu entre le roi de Golconde et le roi de Bijapur : le premier, poussé par le brahmane Madena, qui rêvait d' affranchir son pays de l' hégémonie musulmane, n'avait pas hésité à faire appel à Sivaji contre son rival. La seule approche des redoutables montagnards suffit à mettre l'armée de Bijapur en fuite. Mais le Mahratte se garda bien d'abandonner le terrain si facilement conquis; il en fit au contraire la base d'une opération de plus large envergure, et tout en proclamant bien haut qu'il n'agissait que pour le compte du roi de Golconde, " son père, son seigneur et son roi ", il poussa hardiment sa pointe vers le Sud, pour son profit personnel.
  Cette audacieuse initiative devait avoir les plus graves conséquences. Désormais, aux yeux non seulement des Hindous, mais de tous les étrangers, Sivaji apparaît comme un souverain indépendant et tout-puissant. Ce n'est plus avec le Grand Mogol de Delhi, avec les rois de Golconde et de Bijapur, ni même avec les rajas de la contrée qu'il faut compter et traiter, mais avec le chef des Mahrattes. Nous voyons dans les Mémoires de François Martin comment s'est fait ce revirement dans la politique locale. Il nous fait assister aux intrigues secrètes de Madena pour livrer à Sivaji le royaume de Bijapur, et même celui de son maître, en mettant à sa disposition toutes les ressources de Golconde. Le rusé brahmane savait fort bien, — et il le disait cyniquement, — " que son allié ne tiendrait rien de tout de ce qu'il promettait, et apparemment qu'il en était convenu avec lui. " Il n'en donna pas moins des ordres aux gouverneurs de toutes les places pour qu'ils livrassent à Sivaji troupes, artillerie, vivres et munitions. Or les Français de Pondichéry n'étaient pas à ce moment en odeur de sainteté à la cour de Golconde; aussi pouvaient-ils tout craindre de celui qui se présentait hypocritement comme le vengeur de ce petit royaume menacé par d'injustes voisins. Les Mahrattes marchant de conquête en conquête, occupaient successivement Gingy, Vellore, Congimer; à leur approche, les habitants s'enfuyaient dans les bois, en emportant leurs biens les plus précieux. ["...Les belliqueux Mahrattes qui, peu auparavant, I674, avaient reconnu pour roi le chef Sivadji, faisaient leur apparition dans le Sud du Deccan ; ils pénétraient dans ce royaume de Bijapour dont relevaient plus ou moins effectivement les deux provinces de Gingi et de Valgondapouram. La guerre qui venait de mettre aux prises les gouverneurs de ces provinces et dont la prise de Yaldaour par Martin constitue un simple épisode était le résultat d’une révolution de palais qui, quelques mois plus tôt, avait substitué, comme premier ministre de cet état, un parent de Chirkhan au frère du duc de Gingi. Vaincu par son adversaire avec l’aide des Français de Pondichéry, Nazir Mohammed, tel était le nom du prince de Gingi, ne pouvant plus compter sur l’appui d’une cour où son rival avait l’oreille du premier ministre, n’hésita pas à chercher secours au dehors. Il s’adressa donc au souverain le plus proche, le roi de Golconde, lui proposant de «lui remettre Gingi, ainsi que les terres qui lui restaient. » À l’instigation du brahmane Madena, alors au comble de sa faveur, le roi de Golconde fit appel à Sivadji et à ses Mahrattes, qui accoururent aussitôt. Le seul bruit de leur arrivée suffit pour déterminer plusieurs défections parmi les alliés de Chirkhan qui, « fort consterné », peu sûr de ses soldats et très inquiet de l’avenir, fut bientôt réduit, dans l’attente d’un retour de la fortune, à se retirer dans les bois avec les partisans qui lui étaient restés. Ainsi disparaissait, — et pour toujours, car Chirkhan ne devait jamais rentrer en possession de sa province de Valgondapouram, — l’appui sur lequel avait compté François Martin ! Autant, sinon plus que jamais, l’avenir de Pondichéry était en péril. Une partie des ouvriers naguère attirés sur le territoire de la loge s’étaient enfuis pendant la nuit par peur des Mahrattes ; ni le roi de Golconde, ni Nazir Mohammed ne semblaient bien disposés en faveur de la France, et l’on pouvait tout redouter des Hollandais rendus plus audacieux par la disgrâce de Chirkhan. Comment parer à tous ces dangers ?,... "; sur le Web]

 Vue de Pondichéry, siège de la Compagnie française des Indes orientales. Gravure, XVIIIe siècle. Ph. Jeanbor © Archives Larbor


   À suivre...

   BOUVIER René et MAYNIAL Édouard, " Le dernier des grands Mogols, vie d'Aureng Zeb ", Paris, Éditions Albin Michel, I947, 309 pages, pp. 230-24I.

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