UNION EUROPÉENNE : LA FRANCE A-T-ELLE VRAIMENT PÉRENNISÉ L' AVENIR DE SON NUCLÉAIRE ?

   " Excuse un malheureux qui perd tout ce qu'il aime, que tout le monde hait, et qui se hait lui-même. "
RACINE Jean, I633-I699, Andromaque, I667, acte III, Oreste à Pylade.

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Le prix garanti du nucléaire

 
  Après la flambée des cours du MWh depuis fin 202I et la menace sur l’approvisionnement en électricité, une réforme visant à sécuriser sa production s’est avérée nécessaire.
  La France et l’Allemagne se sont livrées à un bras de fer dont l’issue devra préserver l’assurance que donne notre parc nucléaire à l’Europe, tout en évitant de conférer à la France un trop gros avantage de compétitivité sur ses voisins. 
 
Chronique d’une réforme annoncée
  Le I4 mars 2023, en raison de la crise énergétique qui a fait flamber le prix de l’électricité, la Commission européenne avait présenté une proposition de réforme [I] permettant « aux États membres de soutenir directement les prix pour de nouveaux investissements dans le secteur des énergies renouvelables et de l'énergie nucléaire. Cette aide financière serait assurée par le biais d'aides d'État connues sous le nom de " contrats d'écart compensatoire ".
  L’ampleur des travaux du grand carénage destiné à prolonger le parc nucléaire français a poussé la France dans un bras de fer avec l’Allemagne pour élargir cette garantie au nucléaire existant.
  Le 11 octobre, l’Espagne, présidente du Conseil de l’UE, présentait une proposition de compromis dans lequel elle excluait la possibilité de toute aide d’État au nucléaire existant, craignant, selon Euractiv [2] « une distorsion massive de concurrence sur le marché européen en ouvrant les vannes à une électricité nucléaire française abondante et à bas prix. »
  Le faible coût de production de notre nucléaire, déjà amorti financièrement, est une raison majeur de la difficulté des négociations franco-allemandes sur cette réforme.
  Le 17 octobre, les ministres européens de l’énergie, réunis à Luxembourg, parvenaient à un accord sur le texte de cette réforme.
  De façon étonnante, le communiqué de presse du Conseil européen, [3] qui se réjouit de cet accord, ne fait mention que des nouvelles installations de production d’électricité, notamment nucléaires, sans même évoquer son extension au nucléaire existant, dont l’exclusion représentait la ligne rouge à ne pas franchir pour la France.
  Les CfD devenant l’unique forme d’aide d’État autorisée, y compris pour les énergies renouvelables. Les États membres pourront leur appliquer un plafonnement des recettes du marché excessives.
  Cependant, à l’issue de la réunion, la Commissaire européenne à l’énergie, Kadri Simon, aurait déclaré, selon l’Opinion [4] que pour « les États qui soutiennent les investissements étendant la durée de vie, de centrales existantes, l'usage des CfD sera une option possible, mais ne sera pas obligatoire »
  Ces « contrats d’écart compensatoire », ou « contracts for difference, CfD, ont déjà été autorisés par la Commission [5] pour la production d’électricité renouvelable britannique en juillet 20I4 et peu après pour la construction de la centrale nucléaire d’ Hinkley Point C par la décision : UE, 20I5/658, du 8 octobre 20I4.[6]
  Cet accord servira de base aux négociations avec le Parlement européen, Le résultat de ces négociations devra être formellement adopté par le Conseil et le Parlement. 
 
Dura lex sed lex [La loi est dure mais c'est la loi]
  Notons que Greenpeace energy « coopérative énergétique fondée par l’organisation environnementale Greenpeace », selon l’ordonnance du Tribunal européen [7], avait été débouté de son recours contre cette décision le 26 septembre 20I6.
  Et que la république d’Autriche avait été déboutée par la Cour de justice de l’UE, le 22 septembre 2020, de sa propre requête contre cet avantage ainsi accordé au nucléaire britannique.
  Le cabinet Seban Avocats a publié une intéressante analyse de la décision de la CJUE [8] qui confirme que « contrairement à ce que soutient la République d’Autriche, les principes de protection de l’environnement, de précaution, du pollueur-payeur et de durabilité ne peuvent être considérés comme s’opposant, en toutes circonstances, à ce que des aides d’État en faveur de la construction ou de l’exploitation d’une centrale nucléaire soient octroyées »
 
L’anticipation de la CRE
  C’est dans ce contexte que le 27 juillet 2023, sur sollicitation du Gouvernement, la Commission de régulation de l’énergie, CRE, avait rendu son rapport [9] évaluant le coût complet du MWh nucléaire « fondé sur un prix de vente garanti s’appliquant à la totalité de la production du parc nucléaire existant, tel qu’il figure dans la réforme du marché européen de l’électricité proposée par la Commission européenne en mars 2023. »
  Sur cette hypothèse, la CRE chiffre à 60,7€/MWh le coût complet du nucléaire existant pour la période 2026-2030, 59,I/MWh et 57,3€/MWh pour les 2 périodes suivantes : 203I-2035 et 2036-2040.
  Ce coût inclut le grand carénage et l’investissement dans le projet de l’ EPR Flamanville 3, ainsi que les coûts de la gestion des matières et déchets nucléaires et les frais post exploitation.
 
Le nucléaire « long term operation » : LTO
  La compétitivité de ce coût confirme l’analyse de l’Agence internationale de l’énergie de 2020 [I0] qui considérait la prolongation du nucléaire existant, long term operation, de loin la production la plus économique de production d’électricité, LCOE ou levelised cost of electricity, sans même intégrer les coûts supplémentaires impliqués par les énergies intermittentes, pour les surcoûts entraînés sur le réseau, par la nécessité de stockage, levelised cost of storage, LCOS, ou l’indispensable backup de cette intermittence, Levelised cost of electricity for open-cycle gas turbine, OCGT, at 30% capacity factor. Et suggère que ce LCOE soit remplacé par un VALCOE, value-adjusted levelised costs of electricity, ajustant ce coût par l’intégration des coûts induits au système.
 
Production nucléaire en 2040
  L’analyse de la CRE porte sur le parc nucléaire existant au périmètre des 56 tranches et de l’ EPR de Flamanville 3, et retient un prolongement de la durée de vie du parc nucléaire historique à 60 ans. Elle considère une production de 36I,5 TWh par an sur la période 2026-2030, 360,2 TWh par an sur 2031-2035 et 344,I TWh par an sur 2036-2040.
  C'est-à-dire, pour la période 2026-2030, l’équivalent de la production nucléaire de 202I, 360,7 TWh, où Fessenheim manquait déjà à l’appel, et bien inférieure à celle de 2005, 430 TWh, malgré la prise en compte de l’ EPR Flamanville 3, et la remise à neuf du parc par le grand carénage.
  Pire, une réduction substantielle de la production nucléaire est anticipée à horizon 2040.
  Toutefois, cette analyse n’intègre pas le nouveau nucléaire, hors Flamanville 3, ni l’éventuelle augmentation de puissance des réacteurs existants.
 
Fournir l’Europe avec une électricité bon marché ou réduire la voilure ?
  Cette réduction annoncée du facteur de charge des réacteurs était prévisible en raison de la modulation croissante réclamée par l’augmentation de l’injection d’énergies intermittentes sur le réseau européen interconnecté.
  Cette nécessité de modulation croissante du nucléaire français était anticipée en 20I8 dans le rapport franco-allemand AGORA-IDDRI « L‘Energiewende et la transition énergétique à l’horizon 2030 » [11] qui notait : « En France, le développement visé des énergies renouvelables et le réinvestissement dans le parc nucléaire au-delà de 50 GW comporterait un risque important de coûts échoués dans le secteur électrique. » Et précise « En 2030, un parc nucléaire maintenu à des niveaux élevés devra opérer plus fréquemment en suivi de charge, contribuant à la flexibilité du système électrique ». Et, plus loin « Avec un parc nucléaire élevé, la production d’électricité est en hausse, mais les coûts du parc augmentent en raison d’une plus faible production ramenée à la capacité de production. De plus, ces productions supplémentaires sont vendues à des niveaux inférieurs car le maintien d’une capacité de production nucléaire plus importante a un effet dépressif sur les prix de marché de l’électricité. »
  Chiffrant clairement les pertes financières pour le parc nucléaire d’EDF à 9 milliards d’euros si sa puissance n’est pas réduite, contre 3Md’€ en la ramenant à 40 GW.



  Si cette réforme est votée, la Commission européenne veillera à ce que la rémunération d’EDF ne soit pas excessive pour ne pas fausser le marché. La CRE chiffre à 57,8€/MWh, et 54,9€/MWh pour la période 2036-2040, le coût comptable du MWh, c'est-à-dire « le socle du coût de production en-deçà duquel EDF doit être considérée comme étant rémunérée sous son niveau de rémunération normale, quel que soit le cadre de régulation.» 
 
Retour à Hinkley Point
  Pour rappel, les CfD d’EDF pour l’exploitation de l’ EPR d’ Hinkley Point [I2] ont été validés par la Commission européenne au niveau de £92.50/MWh, soit environ 110€/MWh.
  Le prix garanti par les CfD est nécessaires pour la visibilité à long terme d’investissements ambitieux, tout en assurant l’Europe contre une nouvelle flambée du marché de l’électricité.
  L’électrification des usages fait anticiper une explosion de la consommation électrique, ne pas autoriser les CfD au nucléaire français, ainsi incité à réduire ses ambitions, mettrait l’économie européenne à la merci d’une crise majeure de son système électrique.
  Or une telle crise ne laisserait aucune alternative à la sortie des énergies fossiles.
  En tout état de cause, l’analyse du cabinet Seban avocats [7] confirme qu’ " une centrale nucléaire peut bénéficier d’une aide d’État dans l’Union européenne », sans qu’il soit besoin d’une réforme du marché de l’électricité. La question est plus délicate pour le nucléaire existant, notamment pour savoir si une installation remise à neuf par le grand carénage peut en bénéficier à l’instar du repowering pour l’éolien. [I3]
  Ces « contrats d'écart compensatoire bidirectionnels » sont des « contrats à long terme qui complètent le prix du marché lorsqu'il est bas et demandent au producteur de rembourser un certain montant lorsque le prix du marché est supérieur à une limite donnée afin d'éviter des profits inattendus excessifs ». Les recettes générées par l’État seront redistribuées aux clients finals, avec une certaine souplesse permettant de les utiliser dans des « investissements visant à réduire les coûts de l'électricité pour les clients finals. »
  Cette réforme devrait sécuriser la production d’électricité en Europe, les détails des négociations avec le Parlement européen en éclaireront plus précisément les bénéficiaires parmi les différents acteurs de ce marché et les différents États.
  Étant entendu que le niveau de rémunération des « contrats d'écart compensatoire bidirectionnels » du parc historique d’EDF, déjà amorti financièrement, pourrait être inférieur à celui des futurs EPR, ou celui d’autres moyens de production.

I. https://swedish-presidency.consilium.europa.eu/fr/programme/reforme-du-marche-de-lelectricite/

2. https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/marche-de-lelectricite-la-france-poussee-au-compromis-dans-ses-negociations-avec-lallemagne/

3. https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/10/17/reform-of-electricity-market-design-council-reaches-agreement/

4. https://lopinion.com/articles/politique/19741_ue-reforme-marche-electricite

5. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_14_866

6. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32015D0658

7. https://curia.europa.eu/juris/document/document_print.jsf;jsessionid=7FA789E55EEBCC774D948C40A8ECE9E4?docid=183948&text=&doclang=FR&pageIndex=0&cid=4327654

8. https://www.seban-associes.avocat.fr/aides-detat-une-centrale-nucleaire-peut-beneficier-dune-aide-detat-dans-lunion-europeenne/

9. https://www.ecologie.gouv.fr/remise-du-rapport-commission-regulation-lenergie-cre-au-gouvernement-sur-couts-du-parc

 
I0. https://iea.blob.core.windows.net/assets/ae17da3d-e8a5-4163-a3ec-2e6fb0b5677d/Projected-Costs-of-Generating-Electricity-2020.pdf

11. Recopier dans le navigateur : https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=4&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwixgcaTrvfeAhXRzYUKHd5dBS8QFjADegQICRAC&url=https%3A%2F%2Fwww.iddri.org%2Fsites%2Fdefault%2Ffiles%2FPDF%2FPublications%2FCatalogue%2520Iddri%2FRapport%2FAgora-Iddri_study%2520FR.pdf&usg=AOvVaw1lDewIP5ww05CzaO_4pffD

I2. https://www.gov.uk/government/collections/hinkley-point-c

I3. https://www.europe-en-france.gouv.fr/sites/default/files/sa.50272_-_appels_doffres_pour_les_renouvelables_2021-2026.pdf (26)

 

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