Commentaire : Le "parc" a été inauguré au printemps 2014. De "citoyen", il en a que le nom: les 3/4 du financement l'ont été par des banques dont l' OSEO, c'est-à-dire la Banque Publique d’Investissement (BPI), c'est à dire de l'argent des contribuables. Il est à noter qu'à ce jour, aucun actionnaire n'a touché de dividendes. Les premiers versements sont espérés en...2018 avec un taux de 4%.
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Le parc éolien de Béganne (Morbihan) se veut exemplaire. Ses promoteurs souhaitent être largement imités dans leur modèle : un projet porté et financé par de nombreux citoyens soucieux de promouvoir les énergies renouvelables. Les promoteurs revendiquent un millier de supporteurs, y compris dans le domaine financier. Ici, pas de promoteur industriel, mais des collectifs de citoyens désireux de prendre, dans le domaine de l’énergie leur destin en main.
France Info annonce : « Béganne, le premier village français en route vers l’autonomie énergétique »1. Le quotidien Les Échos titre « La Bretagne défriche le financement des éoliennes par les particuliers » et souligne, à juste raison, le caractère pionnier du projet 2.
A - Une gestation longue et quelques bonnes fées
L’histoire commence en 2002 lorsqu’un couple d’agriculteurs de Sainte Anne sur Vilaine, « souhaite s’équiper d’une éolienne, mais les démarches sont compliquées. Pourquoi ne pas lancer un projet collectif ?»3. La saga du Parc de Béganne commençait. Il n’est pas question ici de décrire les difficultés administratives que les promoteurs ont dû surmonter. On les trouvera dans leur dossier de presse. La gouvernance est « multi-acteurs », coiffée par une Société par Actions Simplifiées (SAS) nommée Bégawatts, propriétaire et gestionnaire. L’ensemble est une organisation complexe. Assez rapidement, cette initiative, qui vise à associer les citoyens à des réalisations de production d’énergie renouvelable, est encouragée, y compris financièrement, par de bonnes fées, la Fondation de France, le Conseil Régional de Bretagne et le Conseil Général du Morbihan. Le "parc" éolien de Béganne a été inauguré le 14 juin 2014, en présence de M. Pierrick Massiot, Président du Conseil Régional de Bretagne. La Région a aidé le projet à hauteur de 300 000 euros. La Ministre de l’Énergie, Delphine Batho, le 2 avril 2013, avait qualifié, devant l’Assemblée Nationale, le projet de Béganne de « très important »4.
Le parc éolien de Béganne est pionnier par l’implication des citoyens qu’il provoque. Il bénéficie, à ce titre, de soutiens politiques.
B - Le résultat : le parc de Béganne, 8 MW de puissance installée
Le Parc comprend quatre grandes éoliennes 5 de 2 MW installées à cinq kilomètres au nord du centre de la commune de Béganne (Morbihan) et à quinzaine de kilomètres à l’ouest de Redon. La puissance installée est donc de 8 MW. La production escomptée est de 20 000 MWh, ce qui compte tenu de la consommation par habitant en France (7300 kWh par an), correspond aux besoins personnels et professionnels de 2700 personnes. Les promoteurs estiment que leur production « va représenter l’équivalent de la consommation actuelle du canton d’ Allaire »6. Soit 16 000 habitants. Ce canton est vraiment très économe ! Une autre déclaration reprise dans Les Échos parle des besoins de 8 000 personnes hors chauffage et probablement hors entreprises.
C - Un financement citoyen limité
Le budget global est de 12 millions d’euros. « Différents investisseurs ont apporté 2,7 millions d’euros en fonds propres, les citoyens ayant apporté à hauteur de 2,3 millions d’euros »7.
Le succès auprès de la population est indéniable : un millier de personnes ont répondu. Malheureusement, l’apport financier citoyen ne représente que moins du cinquième des fonds nécessaires. Les promoteurs ont donc dû se tourner, comme pour n’importe quel projet vers les banques, et ceci pour les ¾ du budget total. Les banques traditionnelles n’ont pas souhaité s’impliquer « effrayées par notre projet et sa gouvernance »8. Il a fallu faire appel à des banques à la fibre militante, Triodos 9, la Nef et le Crédit Coopératif 10. Cela n’a pas suffi puisque l’on voit apparaître un apport d’ OSEO, c'est-à-dire de la Banque Publique d’Investissement (BPI).
Les citoyens n’ont apporté qu’une faible partie du budget. Devant l’abstention des banques traditionnelles, il a fallu se tourner vers des établissements militants. Pour finir, on constate un coup de pouce de l’État par un apport financier de la BPI.
D - Le problème : quelle production d’électricité ?
En France, aujourd’hui, les revenus d’un parc éolien proviennent de la vente au Groupe EDF de l’électricité produite à des prix garantis sur un certain nombre d’années. Ici les promoteurs, ayant fait leurs calculs, escomptent « en vitesse de croisière, une rentabilité nette de l’ordre de 4% afin de distribuer des dividendes aux différents investisseurs et en attirer de nouveaux »11. Pour ce faire, la production annuelle moyenne d’électricité a été estimée à 20 000 MWh. Il est capital de comprendre comment ce chiffre a été obtenu, car de sa validité dépend l’équilibre financier du parc. Grosso modo, les revenus sont proportionnels à la production de courant 12. Nous trouvons la justification du chiffre de 20 000 MWh dans le dossier de presse de Bégawatts 13 :
« La production annuelle d’une éolienne française est estimée à 2500 heures à équivalent pleine puissance ». Donc avec une puissance installée de 8 MW, on produira 2 500 multipliés par 8, soit 20 000 MWh. CQFD.
Les promoteurs du projet du parc éolien de Béganne ont estimé que leur installation aurait la même productivité que la moyenne française.
E – Une erreur ?
Le problème est que la production moyenne des éoliennes en France est inférieure à celle indiquée par les promoteurs du parc de Béganne. Voici les chiffres donnés par RTE (Réseau de Transport d’Électricité) :
- En 2013, le parc éolien français avait une puissance installée moyenne 14 un peu inférieure à 8000 MW, soit mille fois le parc de Béganne. Il a produit 16 000 000 MWh. Si Béganne a la même productivité que la moyenne des éoliennes française, son parc produira 16 000 MWh et non 20 000 MWh.
- En 2012 et 2011, une puissance installée de 8 MW éolien a produit en moyenne 17 000 MWh 15. Ce qui confirme que le chiffre de 20 000 MWh est surestimé.
Si les promoteurs du parc de Béganne ont effectivement pris comme hypothèse que leur installation aurait la même productivité que la moyenne française, ils ont surestimé leur future production de 15 à 20%.
L’équivalent « production pleine puissance » des éoliennes françaises apparaît plus proche de 2100 heures que de 2500 (Cf. RTE bilan 2011). Les banques traditionnelles sont-elles parvenues à des conclusions similaires, ce qui expliquerait leur abstention ? Les difficultés Outre-Rhin de l’importante firme éolienne Prokon, mettant en danger les apports financiers de 75 000 petits épargnants 16 montrent que la gestion financière de l’éolien est délicate.
F - Une hypothèse salvatrice ?
Et si le régime des vents à Béganne était plus favorable que la moyenne française ? Nous avons examiné l’ensemble des textes publiés par la SAS Bégawatts et nous n’avons trouvé aucune indication en ce sens. Nous avons donc posé la question directement par email aux responsables. Nous n’avons reçu aucune réponse.
En conclusion :
Le projet de parc éolien de Béganne (Morbihan), inauguré en juin 2014, a recueilli l’adhésion de centaines de citoyens souhaitant de prendre en main leur avenir énergétique. Le travail des militants mérite le respect. Cela n’a pas suffi, et de loin, à financer le projet. Les ¾ des fonds proviennent de banques militantes, car les établissements traditionnels ont préféré s’abstenir. L’État a du donner un coup de pouce final par un apport de la Banque Publique d’Investissement (BPI). Le plus important est que le modèle économique n’est pas validé. Les promoteurs devraient justifier leur hypothèse de production.
1. 30/4/2014
2. Le 14 juin 2014.
3. Parc éolien de Béganne. Dossier de presse. Avril 2014. Historique
4. Réponse à une question du député Paul Molac
5. Près de 150 mètres de hauteur atteintes par les pales en mouvement. Les éoliennes ont été fournies par la société Repower, filiale allemande du Groupe Indien Suzlon. Il n’y a pas eu d’appels d’offres (qui n’étaient en rien obligatoire), les responsables du projet ont indiqué que seul Repower fournissait le matériel qu’ils souhaitaient.
6. Dossier de presse. « Le mot du Président d’honneur de Bégawatts »p.4.
7. Dossier presse de la SAS Begawatts.
8. Déclaration d’un des responsables de la SAS Bégawatts aux Échos du 14 juin 2014.
9. Banque néerlandaise. Il s’agit ici de la filiale française.
10. La Nef « société coopérative de finances solidaires », le Crédit Coopératif a une éthique similaire.
11. Déclaration aux Échos, 14/6/2014. Le chiffre de 4% se retrouve sur le site web de la SAS Bégawatts.
12. Il existe une dégressivité des prix garantis d’achat avec la production. Dans ce cas, sa prise en compte ne changerait guère les conclusions.
13. P.17, Annexe 1
14. Il a progressé en cours d’année.
15. Soit un taux de couverture de 21,3% et non de 25% comme escompté par Bégawatts. Cf. Bilan RTE 2011-Synthèse p.1
16. On se rapportera à Handelsblatt 3/7/2014.
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